Soumission au Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes (JUST)
sur le Projet de loi C-9

Project de loi C-9 : Loi modifiant le Code criminel (propagande haineuse, crimes haineux et accès à des lieux religieux ou culturels)

Présentée par : Dr Benjamin Roebuck, ombudsman
Bureau de l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels

Octobre 2025

LE BUREAU DE L'OMBUDSMAN FÉDÉRAL DES VICTIMES D'ACTES CRIMINELS (BOFVAC)

Le Bureau de l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels est une ressource indépendante pour les victimes et les survivant.e.s au Canada. Nous sommes un organisme fédéral, indépendant du ministère de la Justice, et l’ombudsman relève directement du ministre à titre de conseiller spécial.

Je remercie le président et le comité pour leur invitation. Je regrette de ne pas pouvoir y assister en personne, alors que notre Bureau se prépare à publier notre rapport intitulé « Repenser la justice pour les survivants de violence sexuelle », issu d'une enquête systémique nationale sur les expériences des survivant.e.s au sein du système de justice pénale.

CONTEXTE

Nous félicitons la présentation du projet de loi C-9, « Loi visant à la lutte contre la haine », qui modifierait le Code criminel afin de :

En octobre 2024, le Bureau a publié le rapport intitulé « Renforcer l’accès à la justice pour les victimes de crimes motivés par la haine au Canada. »[1] Des sondages ciblés ont été remplis par 110 policiers et 77 fournisseurs de services aux victimes de partout au Canada. Le rapport présente les principales considérations et recommandations pour améliorer l'accès à la justice pour les victimes de crimes haineux.

PRINCIPALES CONSTATATIONS

  1. La sous-déclaration à la police demeure un obstacle. Les victimes de crimes haineux font face à d'immenses défis lorsqu'elles se manifestent. La peur des représailles, le racisme systémique et la méfiance envers les forces de l'ordre découragent le signalement. Lorsque des rapports sont faits, les policiers ayant participé à notre sondage estiment que seulement 35 % des victimes ont accès aux services de soutien nécessaires. Le décalage entre le signalement et le soutien met en évidence l'absence d'un système cohérent pour guider les victimes de l'incident à la résolution. Le signalement par des tiers, effectué par l'intermédiaire d'organismes réputés ou de services aux victimes, est une pratique prometteuse pour recueillir des statistiques plus précises, signaler les incidents à la police et orienter les victimes vers les services de soutien appropriés.
  2. Les ressources spécialisées sont limitées. Seulement 28 % des policiers interrogés ont indiqué avoir une unité dédiée aux crimes haineux, et près de la moitié de ces unités sont composées d'un seul agent. Nous avons entendu dire que les unités spécialisées dans les crimes haineux ont un meilleur accès à une formation ciblé sur la reconnaissance et les enquêtes sur les crimes haineux et qu'ils sont mieux équipés pour mener des activités de sensibilisation et d'éducation communautaires significatives.
  3. Les définitions sont importantes. Nous avons besoin d'une définition claire des crimes haineux dans le Code criminel afin d'améliorer les enquêtes. La police a indiqué avoir de la difficulté à s'y retrouver dans des définitions incohérentes, à distinguer les discours haineux de la liberté d'expression, et à identifier les motivations haineuses.
  4. Des lacunes persistent en matière de formation. La police a demandé une formation pratique sur les techniques d'enquête sur les crimes de haine, car la plupart des agents ont une expérience limitée des affaires. La police a recommandé des possibilités d'apprentissage hybrides et des ateliers interorganismes animés par des unités expérimentées dans le domaine des crimes de haine. Les organismes d'aide aux victimes souhaitaient également une formation spécialisée, mais ils étaient aux prises avec des contraintes de financement et de ressources.
  5. Infraction autonome liée aux crimes haineux largement appuyée. 77 % des services de police et 82 % des services aux victimes ont déclaré qu'il serait utile ou très utile d'avoir une infraction distincte pour les crimes haineux, mais les répondants ont souligné la nécessité d'une formation et de ressources pour assurer l'efficacité. 73 % des policiers interrogés ont indiqué que l'obligation d'obtenir le consentement du procureur général constituerait un obstacle à la rapidité des poursuites.

POSITION

À titre d'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels, je m'appuie sur la Charte canadienne des droits des victimes et la Déclaration canadienne des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité, et je souscris pleinement à l'objectif du projet de loi C-9, qui représente une étape importante vers la reconnaissance et la prise en compte des préjudices causés par les crimes motivés par la haine au Canada. Les crimes haineux nuisent non seulement aux victimes individuelles, mais aussi à des communautés entières partageant leur identité ou leur foi.

Appui à l'infraction motivée par la haine et à la définition de « haine »

Une infraction motivée par la haine renforcera la capacité du Canada à identifier, à suivre et à poursuivre les crimes haineux de manière uniforme et transparente. Reconnaître la motivation haineuse dès le début d'une enquête confirme que le système de justice reconnaît le préjudice et aide les victimes à se sentir reconnues et soutenues.

Nous appuyons également la codification d'une définition législative de la « haine » afin d'assurer la clarté et l'uniformité entre les administrations.

CONSIDÉRATIONS

Charte canadienne des droits des victimes

La Charte canadienne des droits des victimes (CCDV)[2] offre des protections clés aux victimes de crimes haineux grâce au droit à l'information, à la protection, à la participation, au dédommagement et au dépôt d'une plainte. La CCDV est de nature quasi constitutionnelle, et ces droits sont des leviers importants pour renforcer l'accès à la justice des victimes de crimes haineux. Cependant, les limites actuelles réduisent son impact pratique pour les personnes ciblées par la haine.

Le droit à l'information, un droit ouvrant l’accès aux autres droits.

Droit à la protection.

Droit de participation.

Droit de demander la restitution.

L'applicabilité est importante.

Déclarations au nom d'une collectivité et préjudice collectif

Les déclarations au nom d'une collectivité (DC), en vertu de l'article 722.2 du Code criminel, fournissent aux tribunaux une preuve structurée du préjudice collectif, soutenant une dénonciation et une dissuasion proportionnées au tort plus large causé par les infractions motivées par la haine. Les DC renforcent la légitimité du système de justice pénale en donnant aux communautés touchées une voix officielle.

Contrairement aux déclarations de la victime (DV), les DC rendent compte des répercussions sur les communautés partageant l'identité de la victime, telles que la peur, l'exclusion, le traumatisme renouvelé et la perturbation des pratiques culturelles ou religieuses. Ces déclarations aident les juges à :

Utilisation empirique du DV/DC dans les affaires motivées par la haine (2007-2023)[3][4][5]

D'après notre analyse de 116 décisions canadiennes (Fondation canadienne des relations raciales et Western Law) dans lesquelles le sous-alinéa 718.2a(i) a été examiné, nous avons constaté ce qui suit :

L'utilisation des DC augmente, mais demeure limitée. Une meilleure connaissance de cette disposition renforcerait la légitimité et la confiance du public envers le système de justice pénale.

Élargissement du recours à la justice réparatrice

La justice réparatrice (JR) offre aux victimes et aux survivants d'actes criminels une voie complémentaire vers la responsabilisation et la réparation. En vertu de la CCDV, les victimes ont le droit d'être informées des services disponibles, y compris les programmes de justice réparatrice.

Soutien canadien émergent.

Le rapport de 2023 du ministère de la Justice, intitulé « Les crimes haineux au Canada », a révélé que les services aux victimes fédéraux, provinciaux et territoriaux ont demandé des programmes de justice réparatrice pour lutter contre la haine persistante. Selon les répondants au sondage, la justice réparatrice est une approche prometteuse pour « briser le cycle de la haine » en favorisant la guérison par une communication respectueuse, la participation de la collectivité et la responsabilisation des délinquants.[7]

Comparateurs internationaux.

Aux États-Unis, la chercheuse Livia Luan note que les approches punitives traditionnelles en matière de crimes haineux sont souvent inefficaces, exhortant les défenseurs américains à envisager les pratiques prometteuses du Royaume-Uni.[8]

Des initiatives récentes au Royaume-Uni, telles que Restore DiverCity, Why me?, et Restore Respect, illustrent cette promesse. Les données du Sussex Hate Crime Project montrent que 61 % des répondants LGBT et musulmans préfèrent la justice réparatrice à l'augmentation des peines.[9] Ces initiatives montrent que des dialogues réparateurs bien animés peuvent améliorer le bien-être émotionnel des victimes, réduire la colère et la peur, et aider à prévenir les incidents haineux récurrents.[10]

Orientation stratégique pour le Canada.

Les données recueillies au Canada[11] et à l'étranger suggèrent qu'il serait pertinent d’approfondir l’étude de l'utilisation de la justice réparatrice pour les victimes de haine. La justice réparatrice, lorsqu'elle est volontaire, qu'elle tient compte des traumatismes et qu'elle est soutenue par des praticiens qualifiés, offre une approche prometteuse pour renforcer l'accès à la justice des victimes de haine et favoriser un dialogue plus élargi sur l'inclusion sociale.

Regard vers l'avenir : Lutter contre la haine en ligne

La haine ne s'arrête pas aux frontières physiques. Les plateformes virtuelles amplifient sa portée et l'impact de la haine, favorisant souvent des violences hors ligne. Bien que le projet de loi C-9 comble des lacunes importantes du Code criminel, les politiques futures doivent veiller à ce que les protections et la responsabilisation s'étendent aux environnements en ligne, où le contenu haineux peut radicaliser, intimider et traumatiser à nouveau les communautés.

Virtuellement, les gens tiennent souvent des propos qui ne seraient pas tolérés en personne, y compris des menaces de mort explicites visant des groupes identitaires. La liberté d'expression reste la pierre angulaire de la démocratie, mais de meilleurs outils sont nécessaires pour garantir que les personnes de tous âges puissent utiliser Internet en toute sécurité. Toute proposition future visant à résoudre ces problèmes devra établir un équilibre entre la liberté d'expression, la vie privée et la protection, en s’appuyant sur la collaboration, un examen rigoureux des droits fondamentaux et des mécanismes de surveillance.

 

[1] Bureau de l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels (2024). Renforcer l'accès à la justice pour les victimes de crimes haineuxRenforcer l’accès à la justice pour les victimes de crimes motivés par la haine au Canada - Canada.ca

[2] Charte canadienne des droits des victimes, L.C. 2015, ch. 13, art. 2. https://laws-lois.justice.gc.ca/eng/acts/c-23.7/page-1.html

[3] Les chiffres sont fondés sur l'analyse du « Tableaux de jurisprudence et de facteurs » de la FCRR et de l'Ouest (2007-2023) par le BOFVAC. Entrées dans la colonne « Y a-t-il eu une déclaration de la victime (DV) ou une déclaration au nom d'une collectivité (DC) ? » ont été examinées et regroupées en catégories cohérentes (DV seulement, DC seulement, les deux, ni l'un ni l'autre). Les cas marqués simplement « Oui », sans spécifier de type, ont été classés dans DV uniquement pour maintenir la cohérence entre les entrées.

[4] Fondation canadienne des relations raciales (FCRR) et Western University, (2024). Indicateurs de haine : un outil de recherche pour explorer la jurisprudence canadienne sur les crimes haineux. https://crrf-fcrr.ca/fr/recherche-et-rapports/outil-recherche-explorer-jurisprudence/.

[5] Ces décisions représentent un ensemble de règles établies par la FCRR et le droit de l'Ouest et ne constituent pas une liste exhaustive de toutes les décisions canadiennes de détermination de la peine pour incitation à la haine.

[6] Cette tendance s'harmonise avec l'édiction de l'article 722.2 du Code criminel, qui autorise les DC pour toutes les infractions.

[7] Ministère de la Justice du Canada. (2023). Les crimes haineux au Canada. https://www.justice.gc.ca/fra/pr-rp/jp-cj/victim/rr16-rd16/p1.html

[8] Luan, L. (2022). Making victims whole again: Using restorative justice to heal hate crime victims, reform offenders, and strengthen communities. Temple International & Comparative Law Journal, 37(1), 161-210.

[9] Walters, M. (2020). Developments in the use of restorative justice for hate crime. International Journal of Restorative Justice, 3(3), 446-457.

[10] Ibid.

[11] Sulah, Community Justice Initiatives. (s.d.). Identity-based harm dialogue. https://cjiwr.com/mediation-and-conflict-resolution/identity-based-harm-dialogue/ Voir: https://www.cambridgetoday.ca/local-news/restorative-justice-program-aims-to-curb-rise-in-local-hate-crimes-5743017

Détails de la page

2025-11-03