Discours du ministre Dion à l'occasion de la conférence Changements climatiques et sécurité : États fragiles

Discours

Les répercussions des changements climatiques sur la sécurité dans les États fragiles

Le 30 mars 2016 – Ottawa,

Sous réserve de modifications. Ce discours a été traduit en conformité avec la Politique sur les langues officielles et révisé aux fins d’affichage et de distribution conformément à la Politique de communication du gouvernement du Canada.

Mesdames et Messieurs, parler devant vous des changements climatiques comme un amplificateur de risques pour la sécurité représente tout un défi. Après tout, vous comptez parmi les meilleurs spécialistes de cette question cruciale aux États-Unis et au Canada . Je ne vais donc pas prétendre avoir quoi que ce soit à vous apprendre; mon objectif est plutôt de vous rassurer : en tant que ministre, je suis pleinement conscient de l’importance capitale que revêt le thème de cette conférence pour l’humanité.

Importance capitale? Certainement. Mais combien de personnes le savent vraiment? Pour la plupart des gens, les conflits et les troubles sociaux n’ont rien à voir avec les changements climatiques. Pourtant, examinons les faits.

Il y a cinq ans, lorsque des centaines de milliers d’Égyptiens ont occupé la place Tahrir pendant le printemps arabe, ils ne scandaient pas « À bas les changements climatiques », mais plutôt « À bas l’injustice, la corruption et la pauvreté ». Leur leitmotiv était « pain, liberté et égalité sociale ».

Le pain. Cet aliment compte pour près de 40 p. 100 dans l’alimentation des Égyptiens, et l’alimentation représente environ 40 p. 100 des dépenses des ménages égyptiens. Étant donné les graves problèmes de dégradation des terres et la rareté des ressources en eau, l’Égypte n’est plus en mesure de produire suffisamment de blé pour répondre à la demande nationale. Ce pays est devenu le plus grand importateur de blé au monde.

Durant l’hiver 2010-2011, la Chine — qui est le deuxième producteur mondial de blé — a connu la « sécheresse du siècle ». À la même époque, la production de blé en Russie, en Ukraine, en Australie, au Pakistan et au Canada a aussi connu une baisse spectaculaire en raison de sécheresses, de feux de forêts, d’inondations et de conditions météorologiques anormales. 

Alors que les réserves mondiales de blé diminuaient et que se multipliaient les mesures protectionnistes, le gouvernement égyptien n’a pas réussi à équilibrer ses stocks largement subventionnés, ce qui s’est traduit par une montée en flèche des prix du marché. Au début de 2011, au plus fort des manifestations, le prix des aliments avait augmenté de 20 p. 100, et 40 millions d’Égyptiens — soit environ la moitié de la population — recevaient des rations alimentaires.

Et qu’est-il arrivé en Syrie? La sécheresse de 2007 à 2010 a été la pire jamais enregistrée, provoquant des récoltes désastreuses dans tout le pays et une migration massive des familles d’agriculteurs vers les centres urbains. Selon un rapport du Programme des Nations Unies pour le développement, près de 75 p. 100 des agriculteurs du nord-est de la Syrie ont complètement perdu leur récolte, et les éleveurs ont perdu 85 p. 100 de leur bétail. Selon un autre rapport des Nations Unies, plus de 800 000 Syriens ont complètement perdu leurs moyens de subsistance en raison des sécheresses.

Cette catastrophe environnementale et la migration qui a suivi ont fait peser un lourd fardeau sur les villes syriennes économiquement affaiblies et soumises à un stress hydrique. Les agriculteurs déplacés ont dû se faire concurrence pour décrocher un emploi, trouver un logement et recevoir des services.

Égypte, Syrie, et la liste s’allonge : 14 des 33 pays qui manquent le plus d’eau dans le monde se trouvent au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.

Les changements climatiques n’ont pas causé la guerre civile en Syrie. Ils ne sont pas la source du printemps arabe ou des soulèvements en Égypte. Les causes de l’instabilité politique sont multiples, et le déficit démocratique en est en grande partie responsable. Mais les changements climatiques ont amplifié les risques. Ils aggravent les sécheresses et les autres phénomènes naturels perturbateurs. Il ne fait aucun doute que la hausse du prix des aliments a eu un effet catalyseur en Égypte, et nous savons qu’en raison des changements climatiques, les situations de ce genre se feront plus fréquentes et plus éprouvantes.

Les changements climatiques amplifient bel et bien les risques liés à la sécurité.

Un récent rapport du G7 intitulé Un nouveau climat pour la paix énumère sept moyens par lesquels les changements climatiques jouent le rôle de multiplicateur de risques dans les États fragiles. Je vais résumer la situation.

Premièrement, le risque accru de conflits liés aux ressources naturelles.

Récemment, le haut-commissaire du Canada au Kenya, David Angell, accompagné du directeur général du Programme des Nations Unies pour l’environnement, a visité le parc national des Virunga situé dans la partie orientale de la République démocratique du Congo. Là, ils ont personnellement été témoins de la rivalité, parfois violente, entre groupes armés, et même entre le gouvernement et les entreprises locales, pour le contrôle de ressources se faisant de plus en plus rares en raison des changements climatiques, comme l’hydroélectricité et les forêts.

La Somalie est un autre cas de figure. À la suite de sécheresses répétées et dans un contexte de guerre civile et d’effondrement des moyens de subsistance, les communautés rurales de la Somalie se tournent de plus en plus vers la production de charbon pour générer des revenus de rechange. En Somalie, la production de charbon a non seulement entraîné une déforestation massive, la dégradation de l’environnement et des conflits intercommunaux, mais elle constitue également une source de revenus stables pour les groupes rebelles, comme le groupe Al Chabaab, qui contrôlent la distribution de cette ressource. Malgré tout, lors d’un sommet international sur la Somalie, qui a eu lieu à Istanbul récemment et auquel j’ai assisté, on a à peine mentionné l’éventuel manque d’eau permanent comme cause des tensions.

Deuxièmement, le risque accru de crises migratoires.

Les États fragiles sont disproportionnellement dépendants des ressources naturelles pour assurer leur subsistance. Les changements climatiques peuvent modifier les variables qui entrent en jeu dans les mécanismes de survie des populations et ils peuvent les forcer à migrer pour survivre. Les mouvements migratoires créent à leur tour de nouveaux problèmes.

Troisièmement, les catastrophes naturelles posent un risque particulier pour les États fragiles ou touchés par des conflits. Entre 1980 et 2011, on estime que les catastrophes naturelles ont causé la mort de plus de 3,3 millions de personnes, et que la facture s’est élevée à plus de 1,2 billion de dollars. La capacité d’un État à réduire les risques de catastrophe naturelle ou à y réagir peut faire la différence entre la paix et la violence.

Quatrièmement, il y a une forte probabilité que les changements climatiques diminuent ou entravent la production alimentaire de la planète, dont la population approche les huit milliards d’habitants.

Cinquièmement, les litiges au sujet de la gestion des eaux.

De tout temps, les différends liés à l’eau ont été résolus par la voie diplomatique. De fait, la médiation est un précieux mécanisme de restauration de la paix et de la confiance. Toutefois, cela pourrait changer, car la plupart des ententes sur l’eau n’abordent pas la question des changements climatiques, comme la gestion des inondations et les débits et volumes d’eau nécessaires pour la production hydro-électrique, l’agriculture et la consommation humaine.

Sixièmement, la hausse du niveau des océans.

Nous sommes confrontés à un risque accru d’élévation du niveau des océans et de dégradation du littoral, ce qui contribue à accroître les migrations et à perturber les moyens d’existence et l’économie, sans compter la contamination de l’eau douce le long des côtes. De 147 à 216 millions de personnes vivent sur des terres qui se trouveront sous le niveau de la mer ou le niveau habituel des crues d’ici la fin du siècle.

Finalement, comme si tout cela n’était pas suffisant, les effets négatifs imprévus de certaines politiques et de certains programmes liés aux changements climatiques.

L’exemple classique est celui de l’amélioration des canalisations d’irrigation pour résoudre les pénuries d’eau. Ces mesures sont mises en place au détriment des communautés en aval, sans grand souci des conflits qui peuvent en résulter.

Les changements climatiques ne créeront pas ces conflits, mais il est fort probable qu’ils les multiplieront.

Nous devons agir. Et agir de façon intégrée.

La lutte contre les changements climatiques dans les États fragiles nous oblige à aller au-delà de nos habitudes professionnelles et du cloisonnement dans lequel nous travaillons souvent, et à unir véritablement nos efforts entre organismes, entre secteurs et entre nations.

Et cela vaut également pour les ministres. Le premier ministre Justin Trudeau a demandé à tous ses ministres de travailler ensemble sur ce problème, pas uniquement la ministre de l’Environnement et du Changement climatique, l’honorable Catherine McKenna, mais aussi la ministre du Développement international, le ministre de la Défense, le ministre de la Sécurité publique, le ministre des Affaires étrangères, en fait, l’ensemble du conseil des ministres.

Cette approche globale est ce dont nous avons besoin dans nos pays, mais également dans nos relations entre pays. Nous ne pouvons pas travailler en vase clos. Lorsqu’ils se sont rencontrés à Washington, le premier ministre Trudeau et le président Barack Obama ont reconnu l’incidence particulière des changements climatiques sur les pays déjà fragilisés par des conflits. Les deux dirigeants se sont engagés à traiter de la conjonction des changements climatiques et de la sécurité dans leurs politiques en matière d’affaires étrangères, de défense et de développement.

Voilà la bonne approche. Les pays développés doivent tendre la main aux États fragiles pour leur permettre de s’adapter aux changements climatiques dès maintenant, avant qu’ils ne sombrent dans le chaos et ne deviennent des États en déroute. Alors que le reste du monde prend des mesures pour s’adapter aux changements climatiques, nous ne pouvons pas abandonner les États fragiles à leur sort.

Je suis convaincu que le Canada a beaucoup à offrir et doit en faire davantage. Nous disposons d’une expertise de calibre mondial dans la gestion des eaux grâce à notre travail avec les États-Unis. Nous pouvons faire bénéficier le reste du monde de notre expertise.

Le Canada a également de l’expérience en matière d’assurance contre les risques climatiques. De trop nombreux pays n’ont pas accès à une assurance contre les catastrophes naturelles. À la 21e Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP21) qui s’est tenue à Paris en décembre dernier, des pays ont contribué à l’initiative du G7 sur l’assurance contre les risques climatiques.

Le Canada a aussi une bonne réputation au chapitre de la médiation et de la prévention des conflits et comme garant de la place des femmes dans la société. Nous devons utiliser cette expertise pour prévenir les différends en matière d’accès aux ressources naturelles qui découlent des changements climatiques avant qu’ils ne surviennent.

En conclusion, le jour où la réalité des changements climatiques sera aussi généralement admise que ne le sont le contrôle des armes pour les experts en sécurité, l’évolution des taux d’intérêt pour les économistes et la météo pour les agriculteurs, nous serons beaucoup mieux outillés pour atteindre nos objectifs.

Mais nous n’en sommes pas encore là.

Nous y serons lorsqu’un sommet sur la Somalie permettra de comprendre et de reconnaître le rôle que jouent les changements climatiques, le manque d’eau et les autres stress environnementaux dans la dégradation des conditions de sécurité.

Nous y serons lorsque les économistes tiendront pleinement compte des impacts des sécheresses prolongées en Californie lorsqu’ils spéculent sur le taux de croissance économique en Amérique du Nord.

En terminant, permettez-moi de citer Mme Wangari Muta Maathai, qui est devenue en 2004 la première Africaine à recevoir le prix Nobel de la paix pour sa « contribution au développement durable, à la démocratie et au maintien de la paix ». Lors de la remise du prix, elle a dit : « Dans quelques décennies, la relation entre l’environnement, les ressources et les conflits sera presque aussi évidente que la relation que nous voyons aujourd’hui entre les droits de la personne, la démocratie et la paix. »

Cette évidence, elle nous saute aujourd’hui aux yeux.

Je vous remercie.

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