Discours du ministre Dion à l'occasion de la 2e édition du Forum St-Laurent sur la sécurité internationale
Discours
Le Canada, un architecte de la paix résolu
Le 6 mai 2016 - Québec, Québec
Sous réserve de modifications. Ce discours a été traduit en conformité avec la Politique sur les langues officielles et révisé aux fins d’affichage et de distribution conformément à la Politique de communication du gouvernement du Canada.
Aujourd’hui, vous comprendrez que je ne suis pas en mesure de vous donner l’architecture définitive de la politique de sécurité internationale du gouvernement du Canada. Elle sera élaborée par le gouvernement et le premier ministre dans les semaines et les mois à venir.
Mais, je peux déjà vous décrire les grandes orientations qui se dégagent de la lettre de mandat que j’ai reçue du premier ministre.
Je remercie le Forum St-Laurent de m’en offrir l’occasion. J’en suis d’autant plus heureux que le Forum, créé pour favoriser les débats sur les questions militaires, diplomatiques et géopolitiques, est une initiative de trois universités francophones dont l’Université Laval, qui m’a formé, l’Université de Montréal, où j’ai enseigné, sans oublier l'UQAM qui m'a donné l'un de mes co-auteurs les plus prolifiques, le professeur Jacques Bourgault.
Le Forum St-Laurent a une conception de la sécurité qui se rapproche de celle du gouvernement du Canada : elle embrasse des questions aussi diverses que la prolifération nucléaire, les rivalités géopolitiques, les migrations, les tensions ethniques et religieuses, l’accès à l’eau potable et les changements climatiques. Elle englobe les problématiques qui sont source d’insécurité dans le monde actuel et elle offre un cadre holistique à la recherche de la paix et du progrès.
Notre gouvernement est déterminé à faire du Canada un architecte de la paix résolu. Pour y parvenir, de façon convaincante et responsable, il faut tenir compte du contexte mondial actuel et des sources d’instabilité du moment. Nous devons être bien informés, motivés par le désir d’agir et inspirés par le principe de la conviction responsable.
À quels problèmes sommes-nous confrontés actuellement dans le monde?
La scène internationale se caractérise par des instabilités croissantes dans certaines régions et par des défis plus globaux qui interpellent toute l’humanité. Cela ne doit pas nous faire oublier les avancées positives auxquelles nous assistons. Tout n’est pas sombre. Rappelons-nous la Guerre froide : nous y avons connu des épisodes de grande tension, où le monde est passé à un cheveu d’un conflit nucléaire. Voilà pourquoi le Canada continue ardemment de promouvoir la non-prolifération et le désarmement nucléaire, y compris par la promotion d’un traité interdisant la production des matières fissiles, l’élément clé de toute arme nucléaire.
De même, de nombreuses avancées ouvrent des perspectives positives : l’accord sur le nucléaire conclu par l’Iran et la communauté internationale; le réchauffement des relations entre Washington et La Havane; l’Accord de Paris sur les changements climatiques; les progrès de la démocratie; et enfin la tenue d’élections libres en Birmanie (Myanmar), en Tunisie, et dans plusieurs pays d’Afrique. Il faut saluer ces signes d’espoir et cesser de projeter une image unidimensionnelle de ce qui se passe sur notre planète.
Cela dit, je n’oublie pas les turbulences actuelles, et c’est ce dont je veux vous parler.
Je crois que nous sommes confrontés à trois types de menaces.
Premièrement, il y a les conflits géopolitiques classiques, liés à la convoitise de territoires et de ressources, et au choc des ambitions nationales. On pense aux tensions dans la mer de Chine, au conflit dans le Haut-Karabagh, à l’agression de la Russie contre l’Ukraine, aux menaces nucléaires du régime idéologique d’un autre âge qui sévit en Corée du Nord.
Le Canada ne peut ignorer ces tensions, ces menaces ou ces conflits. Il doit être présent et agir de façon responsable. Il doit faire preuve de fermeté et ne jamais écarter la possibilité de promouvoir le dialogue et les solutions pacifiques.
Reprenons l’exemple de nos relations avec la Russie. Nous avons entamé avec ce pays un dialogue conforme à ce que font nos alliés. Mais en même temps, toujours de concert avec nos alliés, le Canada continuera d’exiger le maintien, même le renforcement des sanctions collectives imposées à la Russie depuis son agression contre l’Ukraine. Cette combinaison classique de fermeté et de franc dialogue, de dissuasion et de diplomatie, sera ce que nous rechercherons lors des réunions de l’OTAN à Bruxelles en mai et en juin, ainsi qu’à Varsovie en juillet, au cours desquelles une place centrale sera accordée aux relations avec la Russie.
Deuxièmement, outre les tensions entre États liées à la géopolitique classique, l’insécurité du monde se nourrit de ce qu’on pourrait appeler le syndrome de la méfiance. Des communautés, des populations qui cohabitaient auparavant de façon pacifique, en nouant des liens familiaux, en sont venues à se craindre, à se détester et à s’attaquer mutuellement. L’exacerbation de tensions tribales, l’affrontement entre nationalismes ataviques, la révolte à l’égard d’inégalités criantes, l’effet délétère de la corruption endémique, et bien sûr la montée des extrémismes sectaires allant jusqu’au terrorisme mondialisé, ont peu à peu pris le relais de la Guerre froide. Cette tendance, amorcée dans l’espace postsoviétique, est venue ensanglanter trop de régions dans le monde.
Lorsque le voisin, le réfugié ou un autre étranger est marginalisé ou persécuté à cause de sa différence politique, religieuse, ethnique ou raciale, alors tous les ingrédients sont réunis pour aviver la méfiance et faire éclater les tensions. Au Darfour, au Soudan du Sud, en République démocratique du Congo, au Mali, en République centrafricaine, en Afghanistan, au Yémen ou en Libye, cette méfiance a causé des ravages catastrophiques.
À cela est venue s’ajouter une idéologie millénariste, apocalyptique, une déformation du Coran inacceptable, qui condamne à mort tous ceux qui refusent d’y adhérer. Cette idéologie, dont les premières victimes sont les musulmans eux-mêmes, doit être combattue, avec la plus grande détermination, par l’ensemble de la civilisation humaine.
Un élément nouveau dans l’équation est l’impact des nouvelles technologies sur ces tensions et ces conflits. Si Internet peut être un puissant véhicule pour promouvoir la tolérance et une meilleure compréhension de l’autre, il peut aussi être utilisé à mauvais escient pour attiser les flammes de l’intolérance et de la méfiance. Le cyberespace est devenu un nouveau théâtre de bataille pour ces conflits, dans lequel la distance est abolie et où l’on peut frapper à l’improviste de façon anonyme. De vieux problèmes peuvent ainsi être amplifiés par les nouvelles technologies.
Pour contrer ces menaces, l’action bilatérale est insuffisante. Il faut une action multilatérale. C’est pour cette raison que notre gouvernement se réengage auprès des institutions multilatérales, et plus particulièrement de l’ONU, jusque, nous l’espérons, au Conseil de sécurité, où nous avons l’intention d’être un membre actif et constructif. Nous apportons notre plein soutien au Plan d’action du secrétaire général pour la prévention de l’extrémisme violent. Nous nous réengagerons également sur le plan multilatéral en participant aux opérations de paix. Bon nombre de nos alliés nous le demandent, et ils pensent notamment aux territoires francophones où les États fragiles sont nombreux et où la majorité des Casques bleus sont déployés.
La responsabilité du Canada, telle que notre premier ministre et notre gouvernement la conçoivent, est de démontrer, en paroles et en actes, que la diversité doit être considérée comme un atout pour l’humanité, et non comme une menace. Nous devons répéter partout notre message d’ouverture, de respect et d’acceptation de la différence. Nous devons être les champions de la diversité.
Le Canada fait partie de ces pays qui se demandent comment faire prévaloir la paix dans le contexte actuel, tout en sachant bien que la solution n’est pas le militarisme outrancier.
L’intervention militaire doit demeurer un dernier recours et n’être déployée que lorsque nous avons de solides raisons de croire qu’une intervention efficace et déterminée entraînera des conséquences bénéfiques. Jamais l’intervention militaire ne doit-elle être considérée comme suffisante en soi. Elle doit être relayée par des efforts diplomatiques et de développement si l’on souhaite que le rétablissement de la confiance soit un objectif réaliste et réalisable. Voilà comment nous pourrons exercer notre devoir de protéger, et ce, de façon responsable.
Le Canada est prêt à intervenir militairement lorsque c'est dans notre intérêt de le faire et pourvu que certains critères, explicités par notre premier ministre, soient respectés. Notamment:
- Le rôle et la mission du Canada doivent être clairement définis;
- Les raisons de l’intervention militaire doivent être rendues publiques et de façon transparente;
- Le rôle du Canada doit correspondre aux capacités et à l'expertise canadiennes.
Dans le cas de l'Iraq, les intérêts du Canada sont bien servis par le choix de mettre la priorité sur l’entrainement des forces de sécurité iraquiennes afin de leur permettre de lutter, par elles-mêmes, contre cet horrible groupe terroriste qu’est l’État islamique.
Notre gouvernement a décidé de demeurer en Irak, dans le but, certes, de contribuer à l'éradication de l’État islamique, mais aussi dans le but d'aider les Irakiens sunnites, chiites, kurdes, à établir une relation de confiance entre eux sans laquelle leur pays ne peut avoir de sens.
C'est avec cette visée que nous avons repensé le rôle du Canada dans cette région du monde. Il faut non seulement démanteler un groupe terroriste, mais aussi empêcher que d'autre ressurgissent. Il nous faut vaincre le syndrome de la méfiance et favoriser la confiance autant que cela nous est pratiquement possible.
Voilà pourquoi, de concert avec nos alliés locaux et internationaux au sein de la Coalition internationale contre le groupe État islamique, nous avons triplé notre effort de formation militaire en Irak, considérablement augmenté notre collecte de renseignement, accru nos programmes d'aide et de développement dans la région, ajouté des mesures de soutien pour la bonne gouvernance, accentué notre appui non seulement en Irak et en Syrie, mais aussi en Jordanie et au Liban.
Notre aide à la Jordanie et au Liban, axée sur l’importante population de jeunes réfugiés que ces deux pays ont accueillie, met l’accent sur la création d’emplois et la formation pour ces jeunes réfugiés. Cette aide leur offre une lueur d’espoir pour un avenir meilleur, contribue à tisser des liens positifs entre eux et les communautés qui les abritent, et sert à réduire la stigmatisation qui les pousseraient à quitter la région. En parallèle, le gouvernement du Canada a dépassé son but de recevoir et d’intégrer 25,000 réfugiées au Canada.
Il nous faut être présents partout, y compris en Arabie saoudite et en Iran, ces deux pays qui symbolisent les tensions entre le monde sunnite et le monde chiite.
J’en viens à la troisième source d’instabilité qui, outre les enjeux géopolitiques classiques et le syndrome de la méfiance, assaille notre monde. Il s’agit de la crise des écosystèmes, dont les changements climatiques et l’accès à l’eau potable sont les manifestations les plus criantes. Voilà qui met en danger l’ensemble de l’humanité et nous force à créer de nouveaux outils diplomatiques et techniques, afin d’éviter les effets catastrophiques de telles crises.
Le lien entre les changements climatiques et la sécurité internationale n’est pas suffisamment reconnu. Sans reprendre les détails du discours que j’ai livré sur ce thème le 30 mars dernier, je ferai simplement valoir que les preuves selon lesquelles les changements climatiques amplifient les risques de conflits sont de plus en plus accablantes.
Dans le récent rapport du G7 intitulé « Un nouveau climat pour la paix », on énumère les façons dont les changements climatiques viennent multiplier les risques dans les États fragiles. Ils aggravent les sécheresses et les autres phénomènes naturels perturbateurs. Ils privent les populations d’éléments essentiels à l’existence, comme l’eau et les aliments. Ils provoquent des migrations qui font peser un lourd fardeau sur les maigres ressources des pays touchés. Ils peuvent mener à la dislocation des sociétés, à des tensions et à des violences.
J’ai participé à un sommet international sur l’aide humanitaire en Somalie, tenu à Istanbul en février dernier. On n’y a mentionné que du bout des lèvres la sécheresse sans précédent qui sévit dans ce pays, comme si elle n’était pas une cause majeure des conflits qui déchirent la population somalienne.
Prenons aussi l’exemple de la Syrie. De 2007 à 2010, la pire sécheresse jamais enregistrée a eu des conséquences dévastatrices en Syrie, donnant lieu à de maigres récoltes dans tout le pays et provoquant un exode massif des familles d’agriculteurs vers les centres urbains. Selon un rapport du Programme des Nations Unies pour le développement, près de 75 p. 100 des agriculteurs du nord-est de la Syrie avaient totalement perdu leurs récoltes, et les éleveurs de bétail, 85 p. 100 de leurs animaux. Selon un autre rapport des Nations Unies, plus de 800 000 Syriens étaient sans moyen de subsistance en raison de la sécheresse. Cette catastrophe environnementale et les mouvements migratoires qui ont suivi ont lourdement pesé sur les villes économiquement affaiblies et soumises à un stress hydrique.
Les changements climatiques n’ont pas causé la guerre civile en Syrie ou en Somalie. Les causes de l’instabilité politique dans ces pays sont multiples. Mais les changements climatiques ont amplifié les risques, en Syrie comme ailleurs. Quatorze des 33 pays qui manquent le plus d’eau dans le monde se trouvent au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.
Historiquement, les différends liés à l’eau ont été résolus par la voie diplomatique. Toutefois, cela pourrait changer avec la rapidité à laquelle surviennent les changements climatiques, la fréquence accrue des inondations, les variations grandissantes des débits d’eau et des volumes de production hydraulique nécessaires pour l’agriculture, la production d’énergie et la consommation humaine.
Dans ce contexte, la signature de l’Accord de Paris sur les changements climatiques est une bonne nouvelle pour la population mondiale. La ministre canadienne de l’Environnement et du Changement climatique, l’honorable Catherine McKenna, y a joué un rôle positif. Pour la suite des choses, il faut atteindre les cibles de réduction d’émissions fixées à Paris. Il nous faut aussi développer une véritable diplomatie de l’eau. Le Canada a beaucoup à offrir et doit en faire davantage. Nous disposons d’une expertise de calibre mondial dans la gestion de l’eau par bassins versants. Nous pouvons partager cette expertise avec le reste du monde.
En outre, le Canada doit développer une expertise sur le phénomène des migrations climatiques et soutenir la recherche sur les liens entre les changements climatiques et la prévention des conflits.
En conclusion, il faut reconnaître que dans ce monde où une montée de la méfiance intercommunautaire, une idéologie djihadiste assoiffée de mort et la crise des écosystèmes s’ajoutent aux tensions géostratégiques classiques, les enjeux sont énormes, à en donner le vertige. On peut sans doute difficilement éliminer de tels maux, mais il nous incombe de les atténuer. Le Canada doit faire sa part, avec conviction, de façon responsable, et de concert avec ses alliés.
Ne minimisons pas notre importance. Le Canada a les moyens de peser sur les questions de sécurité internationale, avec un important budget militaire, une diplomatie et des forces armées compétentes, une expertise en aide au développement confirmée et variée, un savoir-faire technologique et intellectuel, ainsi qu’une formidable capacité d’innover et d’entreprendre. Mettons toutes ces richesses au service du monde.
Le Canada est un pays pacifique qui n’a jamais eu d’empire, mais qui a combattu courageusement au besoin pour les causes de la paix et de la justice. Un pays grand comme un continent, qui a la chance d’avoir comme langues officielles deux langues internationales et d’être membre du Commonwealth et de la Francophonie. Un pays architecte des institutions multilatérales et membre du G7 comme du G20. Avec ses racines européennes, sa situation géographique au sein de l’Amérique et sa fenêtre sur l’Asie, avec sa population multiculturelle qui lui donne prise sur tous les continents du monde, et avec sa population indigène qui lui donne un sentiment de profondeur et de continuité dans le temps, le Canada a beaucoup à offrir.
Nous avons un pays qui incarne la confiance, la tolérance et le respect des différences, dans ce monde affligé par la méfiance et la xénophobie. Un pays qui est fort, non pas en dépit de sa diversité, mais bien grâce à elle.
Les gens de partout veulent croire que cela pourrait être vrai chez eux aussi, afin que leur pays soit reconnu comme étant fort de sa diversité — culturelle, linguistique, religieuse, ethnique, sociale ou autre.
Le vibrant cri du cœur poussé récemment par Ban Ki-moon en Autriche — « Je m’alarme de la montée de la xénophobie ici [en Autriche] et ailleurs » —, nous interpelle tous. Le Canada doit y répondre. De façon responsable et convaincue, le Canada doit s’affirmer comme un architecte résolu de la paix.
Je vous remercie.
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