Discours de la ministre du Commerce international Chrystia Freeland à la Conférence de Montréal

Discours

Le 15 juin 2016 – Montréal (Québec)

Sous réserve de modifications. Ce discours a été traduit en conformité avec la Politique sur les langues officielles et révisé aux fins d’affichage et de distribution conformément à la Politique de communication du gouvernement du Canada.

Merci beaucoup pour cette aimable présentation, et merci à vous tous d’être ici aujourd’hui.

Je suis très, très heureuse d’avoir l’opportunité de prendre la parole devant vous ce matin. Le commerce fait partie de l’histoire du Canada. Nous sommes une nation commerçante. Le commerce international est essentiel à la croissance économique et à la prospérité, à l’amélioration du niveau de vie et à la croissance économique et à la réussite des entreprises. C’est par le commerce que nous arrivons à créer des emplois pour la classe moyenne bien rémunérés partout au Canada.

Notre gouvernement s’est donné comme mandat de faire du libre-échange progressiste. Cela peut paraître abstrait, mais au cours des prochains mois et des prochaines années, vous verrez comment cela se concrétise pour les Canadiens et les Canadiennes, en commençant grâce à l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne. L’AECG démontre clairement que le développement commercial peut se faire de manière inclusive et progressiste.

C’est justement à cela que je compte consacrer la majeure partie de mon discours aujourd’hui. Je veux vous parler de ce que nous appelons, au gouvernement, un programme commercial progressiste, que nous sommes en train d’élaborer. Il s’agit là d’une politique importante pour le Canada. Nous l’élaborons de concert avec nos partenaires en Europe et ailleurs dans le monde. Je parlais plus tôt de l’Alliance du Pacifique. Le Canada est fier d’avoir été le premier partenaire à s’y joindre la semaine dernière à Mexico. L’AECG constitue une première étape essentielle dans l’élaboration de ce programme. Je vais d’ailleurs y revenir dans une minute.

J’aimerais tout d’abord vous expliquer pourquoi, selon moi, il est maintenant si essentiel d’avoir un programme commercial progressiste, pourquoi nous en avons tant besoin. Le fait est, et c’est un fait qu’on peut parfois facilement l’oublier dans une salle contenant autant de personnes déjà converties, que nous vivons une période extrêmement protectionniste, probablement la plus protectionniste à l’échelle internationale qu’il m’ait été donné de voir. On assiste à des vagues de protectionnisme en Europe et au sud de la frontière.

Je crois que cette vague de protectionnisme fait partie d’un plus vaste ressentiment à l’égard de ce qu’on pourrait appeler la société ouverte. Cela fait partie d’un plus vaste désir qu’ont certains, comme vous le savez, d’ériger des murs, de fermer les frontières, de se renfermer sur soi, d’être hostile à l’endroit des immigrants, de s’opposer au commerce. Cela fait partie d’un tout. Il s’agit là d’une tendance politique vraiment très, très dangereuse, et on l’observe, soit dit en passant, dans le populisme aussi bien de droite que de gauche.

Le Canada croit profondément en ce que j’aime appeler la société ouverte. Nous formons un pays profondément ouvert à l’immigration. Ma propre mère est née dans un camp de réfugiés en Europe. Notre pays est très ouvert au commerce international, mais pour défendre ces valeurs, pour défendre la société ouverte, je crois qu’il est extrêmement important de ne pas prêcher qu’à des convertis, de ne pas uniquement en parler entre nous, mais de vraiment comprendre à quel point cette vague de protectionnisme est puissante, à quel point cette tendance à vouloir ériger des murs et à se replier sur soi est forte, afin de comprendre en retour quelles sont ces inquiétudes de la population qui les motivent et ainsi élaborer des moyens pour y réagir.

En gros, les classes moyennes des pays occidentaux industrialisés et, plus généralement sans doute, celles des pays à revenu intermédiaire ont commencé à craindre très profondément que les deux grandes transformations économiques de notre époque, soit la mondialisation et la révolution technologique, n’aient profité qu’à une élite très restreinte, à un petit groupe d’individus, cet establishment tant détesté qu’on attaque dans les débats politiques partout dans le monde, mais qu’elles n’aient pas profité à la majorité, à la classe moyenne et à ceux qui travaillent fort pour y accéder.

Et vous savez quoi? Ceux qui ont cette impression, ceux qui sont habités par cette colère diffuse, ceux qui disent « Vous savez, ça ne marche pas pour moi », eh bien ils n’ont pas tort. J’étais journaliste avant de faire le saut en politique. Mon dernier travail d’importance a été un ouvrage sur la répartition des revenus, plus précisément sur l’économie du « tout au vainqueur ». La réalité, lorsqu’on examine les chiffres, c’est que dans les pays industrialisés occidentaux, ces 30 dernières années, on constate la présence d’une économie où les gagnants raflent toute la mise, d’une répartition des revenus à l’avenant. Les gains sont vraiment concentrés au sommet de la pyramide, parmi la tranche supérieure des 1 p. 100, voire des 0,1 p. 100. Les revenus et la richesse de la classe moyenne stagnent. C’est à cela que les gens réagissent. Leurs craintes sont fondées sur quelque chose de bien tangible.

Cette anxiété généralisée, cette crainte que mes enfants ne vivront pas aussi bien que moi, qu’il est tout simplement impossible d’avoir une vie meilleure, que les dés sont pipés et que je ne pourrai jamais avoir mieux, cette anxiété a des racines vraiment très profondes, ancrées dans la révolution technologique et la mondialisation. Je crois que nous ne devrions pas nous surprendre que cette anxiété ait tendance à se manifester surtout sous la forme d’une hostilité à l’égard du commerce et de l’immigration.

En réalité, il n’y a pas de luddites au XXIe siècle. Nous aimons tous trop nos iPhone. Je suis Canadienne et, en fait, j’ai deux BlackBerry—nous aimons également trop nos BlackBerry.  Ce n’est donc pas dans cette direction qu’est dirigée notre colère. Elle est plutôt dirigée contre ces cibles faciles que sont le commerce et les immigrants. Cette colère est dirigée vers les frontières et ce sentiment qu’il se passe quelque chose. Les choses vont mal pour moi. Je ne parviens pas à m’en sortir, alors fermons les frontières. Et comme on peut le constater, avec beaucoup d’appréhension je crois, de nombreux politiciens remarquablement bien placés profitent de l’occasion pour mousser leur popularité en misant sur ces craintes et en disant « Faisons simplement bande à part ». C’est incroyablement dangereux.

Comment réagir à cela? Comment lutter contre cet environnement protectionniste, contre cette hostilité à l’égard de la mondialisation et de la révolution technologique? Je crois que ce que nous faisons à l’intérieur de nos frontières compte pour beaucoup dans la solution. Maintenant plus que jamais, les gouvernements doivent travailler fort sur leurs politiques intérieures afin de renforcer la classe moyenne.

Voilà pourquoi nous investissons dans l’infrastructure : pour créer des emplois et de la croissance. Nous savons qu’il est essentiel de relancer l’économie, et nous savons que ces investissements créent de bons emplois pour la classe moyenne dès maintenant.

C’est pourquoi nous avons accru le soutien à la classe moyenne. Je suis particulièrement fière de la bonification de l’allocation pour enfants, ce qui revient à un revenu annuel garanti pour les enfants les plus pauvres du Canada. Les enfants les plus pauvres du pays – en fait, ce ne sont pas les enfants qui recevront cette allocation, mais ceux qui en prennent soin – recevront un chèque libre d’impôt de 6 000 $ par année. Ce n’est pas beaucoup, mais c’est suffisant pour sortir un enfant de la pauvreté. C’est vraiment important. Nous avons réduit les impôts de la classe moyenne, et nous contrebalançons cela en haussant légèrement les impôts de la tranche supérieure des 1 p. 100.

Pourquoi suis-je d’avis que ces politiques intérieures visant à appuyer la classe moyenne et les plus démunis sont si importantes? Si vous voulez que la population soit favorable à une société ouverte, le gouvernement doit trimer dur pour que la classe moyenne se sente en sécurité au pays.

Je suis la ministre du Commerce, comme vous le savez sans doute, et j’ai beaucoup voyagé dans le monde. Parmi les questions qu’on me pose, il y a celles-ci : À quoi attribuez-vous ce miracle canadien? Pourquoi est-ce que votre gouvernement libéral, qui est de centre gauche, est en faveur du libre-échange, et que votre pays aime les immigrants?

En guise de réponse, je leur raconte ceci, qui est par ailleurs tout ce qu’il y a de plus vrai. Lorsque je passe du temps dans ma circonscription, la plainte que j’entends le plus souvent en ce moment vient des groupes privés de la région qui ont décidé de parrainer des réfugiés syriens et qui n’ont pas encore pu les accueillir. Ils sont très – ils restent polis, ce sont des Canadiens après tout — frustrés et me le font savoir. Leurs réfugiés ne sont pas encore arrivés, et c’est un véritable problème pour nous.

Je me suis rendue en Europe à de nombreuses reprises ces derniers mois pour discuter de l’AECG, et lorsque je leur parlais de cela, les leaders européens ne me croyaient pas vraiment. Ils me disaient : « Les gens viennent à votre bureau pour vous demander de faire venir leurs réfugiés syriens, et ils critiquent votre gouvernement de ne pas agir assez vite? » Je leur répondais que c’était en effet le cas. J’ai fini par devoir sortir une lettre de plainte de mon attaché-case et la montrer à Sigmar Gabriel, le vice-chancelier de l’Allemagne, qui a été estomaqué : « Wow, comment faites-vous ça, les Canadiens? »

Je crois vraiment qu’une part importante de l’appui dont nous bénéficions au Canada à l’égard de la société ouverte est due au soutien – au soutien économique – que la classe moyenne ressent de la part de notre gouvernement.

Une autre chose que nous pouvons faire— et cela fait partie de mon travail —, c’est élaborer ce que j’appelle un programme commercial progressiste, une politique commerciale progressiste, qui s’attaque à certaines des préoccupations légitimes des gens au sujet de la mondialisation et selon laquelle nous pouvons avoir des échanges commerciaux, une société ouverte et des frontières favorables à tous.

Vous savez, notre gouvernement croit beaucoup en la consultation et en l’interaction avec la population. C’est pourquoi j’entends souvent dire que les gens sont inquiets. Ils n’ont probablement pas lu les quelque 2 000 pages de la plus récente entente commerciale, qui est assez complexe merci, mais généralement parlant, les gens s’inquiètent du fait que de nos jours, le commerce sert les intérêts des grandes multinationales et que tous les autres sont laissés pour compte. Voilà quelle est l’inquiétude, la crainte. Elle se manifeste sous la forme de toutes sortes de plaintes portant sur des sujets précis, mais ce dont les gens parlent vraiment, comme dans le cas de ces grandes forces des 30 dernières années comme la mondialisation et la révolution technologique, c’est que tout cela ne va profiter qu’à l’élite, à l’establishment, mais pas aux gens ordinaires, et qu’en fait tout cela pourrait entraîner la perte de leur emploi.

Ce qu’il faut faire pour accroître le soutien du public à l’égard du commerce lorsqu’il est question d’accords commerciaux, lorsque nous élaborons de tels accords en fait, c’est de nous assurer que ces accords servent véritablement la société dans son ensemble, qu’ils sont vraiment destinés aux petites et moyennes entreprises et à leur offrir de véritables débouchés, afin qu’elles puissent plonger immédiatement dans l’économie mondiale. Soit dit en passant, 2016 est le moment ou jamais d’agir en ce sens. C’est maintenant qu’une entreprise peut pénétrer le marché mondial.

J’ai discuté récemment avec Tobi Lütke, ce remarquable exemple de réussite canadienne et fondateur de Shopify, la célèbre jeune entreprise d’Ottawa du secteur de la technologie, et il m’a dit qu’il n’avait attiré son premier client canadien qu’un an après avoir fondé son entreprise. Les échanges commerciaux s’adressent donc à toutes les entreprises, à toutes les jeunes entreprises, à celles qui viennent de débuter, et nous devons nous assurer que c’est ainsi qu’on aborde les choses et qu’on agit.

Mais nous devons également commencer dès maintenant à inclure dans les accords commerciaux des mesures efficaces de protection de la main-d’œuvre ainsi que des normes environnementales et nous assurer qu’elles font tout autant partie de ces accords que les mesures de protection destinées aux investisseurs. C’est à ce chapitre que l’AECG constitue un important pas en avant pour le Canada, pour l’Europe et pour la planète. C’est un accord dont je suis incroyablement fière. C’est vraiment un accord modèle, et je crois qu’il va constituer une sorte d’étalon du commerce international.

L’AECG contient de très solides mesures de protection concernant la main-d’œuvre et l’environnement, mais l’élément clé qui, selon moi, favorisera l’adoption de cet accord en Europe, au Conseil puis au Parlement européen, est lié aux changements apportés au chapitre sur les investissements. C’est là qu’est la clé, en partie pour des motifs politiques. Comme je suis une politicienne, je n’ai pas peur d’utiliser ce mot. Les chapitres sur les investissements des accords commerciaux sont devenus extrêmement controversés, en partie parce qu’ils contribuent à alimenter cette crainte selon laquelle les accords commerciaux imposent la volonté des multinationales et qu’ils ne se soucient pas de véritablement offrir des possibilités à tous.

Avec l’AECG, nous avons accompli deux choses totalement nouvelles et vraiment importantes. Premièrement, nous avons renforcé comme jamais auparavant le droit de l’État d’adopter des règlements, de sorte que cet accord ne supplante pas les droits des gouvernements démocratiquement élus de prendre des règlements, en particulier dans les domaines de la santé, de l’environnement et de la main-d’œuvre. C’est vraiment une étape importante. Cela ramène le chapitre sur les investissements aux principes de base, qui visaient à ce que les investisseurs étrangers ne soient pas victimes de discrimination. C’est vraiment très, très important.

Deuxièmement, nous avons modifié le chapitre sur les investissements en créant un tout nouveau processus d’arbitrage, beaucoup plus transparent, beaucoup plus éthique et beaucoup plus objectif comprenant un groupe d’experts-arbitres privés indépendants. Là encore, il s’agit d’une étape vraiment essentielle.

Je constate déjà les résultats de cette politique commerciale progressiste. L’AECG était controversé en Europe avant ces changements. Nous bénéficions maintenant d’un solide appui de la part des gouvernements européens de centre-gauche. Sigmar Gabriel, chef du SPD et vice-chancelier d’Allemagne, est maintenant un farouche partisan de l’AECG, tout comme François Hollande d’ailleurs. Pourquoi? Parce qu’il s’agit maintenant d’un accord que les politiciens progressistes peuvent appuyer en affirmant qu’il s’agit non seulement d’un bon accord, mais aussi d’une étape essentielle dans la mise en œuvre d’un programme commercial progressiste.

Avec nos autres partenaires, nous discutons maintenant de ces idées progressistes qui sont au cœur de l’AECG et de l’adoption d’un programme commercial progressiste. Je vois que le président Lagos Escobar est ici. Nous en discutons avec notre partenaire chilien, Heraldo Muñoz. Nous modernisons notre accord. Nous discutons avec nos partenaires de l’Alliance du Pacifique.

Alors voici ce que je pense : je crois que nous devons tous nous inquiéter du protectionnisme, et que nous devons faire plus que nous asseoir avec nos partenaires libre-échangistes et nous morfondre en disant que, pauvres de nous, tout le monde devient fou. Il nous faut un programme positif qui répond à certaines de ces craintes. Le Canada est vraiment fier de jouer un rôle de chef de file dans l’élaboration de ce programme progressiste, et j’espère que vous vous joindrez à moi pour participer à son élaboration. Merci beaucoup. 

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