4. Perspectives des parties et pistes de solution
Cette section présente l’analyse des principaux constats dégagés par les représentants d’ECCC à partir des informations recueillies auprès des représentants de la Ville de Montréal, du MDDELCC, les Mohawks de Kahnawake, d’Akwesasne, de Kanesatake, et le Grand Conseil de la Nation Waban-Aki.
Les principaux constats contenus dans cette section portent sur les mécanismes de communications intergouvernementales entre la Ville de Montréal, les gouvernements du Québec et du Canada avant, pendant et après le déversement, notamment le partage d’expertise, la diffusion et l’échange d’information, la disponibilité et la pertinence des renseignements communiqués et les délais dans les communications. Les communications, l’engagement et la consultation auprès des groupes autochtones sont aussi abordés.
Ces constats ont permis à ECCC d’identifier quelques pistes de solutions qui pourraient permettre d’améliorer les communications intergouvernementales ainsi que l’engagement et la consultation des communautés autochtones à l’avenir dans des situations semblables.
Durant le processus d’examen approfondi, l’ensemble des participants a reconnu qu’il serait souhaitable que les déversements d’eaux usées non traitées dans le Saint-Laurent ne se reproduisent plus en raison de leurs impacts sur l’environnement. Les représentants des communautés autochtones ont souligné que les événements de novembre 2015 ont permis à la population canadienne de réaliser que les déversements d’eaux usées non traitées sont une pratique observée dans plusieurs villes canadiennes. Ils ont particulièrement insisté pour que tous les efforts possibles soient déployés afin de mettre fin à cette pratique au Canada.
Selon les représentants des Premières nations, le dossier des eaux usées constitue un enjeu d’envergure nationale. Ils considèrent que ECCC devrait développer un plan d’actions concrètes et mesurables en collaboration avec les gouvernements provinciaux et territoriaux et l’ensemble des opérateurs de systèmes d’assainissement des effluents d’eaux usées du pays, notamment les municipalités, afin d’éviter tout recours à des déversements d’eaux usées non traitées à l’avenir.
4.1. Communications intergouvernementales
4.1.1. Perspectives des parties
La Ville de Montréal a obtenu, le 27 février 2015, un certificat d’autorisation de la part du MDDELCC. Elle a aussi informé la Division de l’application de la loi en environnement d’ECCC en septembre 2014 et septembre 2015 par courriel, comme cela avait été fait dans le passé, car elle considérait qu’aucune autorisation préalable du ministère fédéral n’était requise en pareille situation.
Puisque la Ville de Montréal a eu recours au même procédé d’autorisation que lors des déversements précédents, elle considère que l’intervention d’ECCC par le biais des arrêtés ministériels pris en vertu de la Loi sur les pêches a semé beaucoup de confusion au sujet des rôles et responsabilités de chacun des ordres de gouvernement dans le dossier et elle est d’avis qu’ECCC ne devrait pas recourir à des mesures législatives exceptionnelles pour les déversements planifiés d’eaux usées. La Ville de Montréal soutient que, considérant l’état actuel des systèmes d’assainissement des grandes villes du pays, des travaux d’entretien seront requis dans le futur et qu’ils pourraient entraîner de tels déversements planifiés d’eaux usées non traitées.
La Ville de Montréal prétend ne pas avoir obtenu d’ECCC les renseignements nécessaires concernant les obligations à respecter en vertu du Règlement sur les effluents des systèmes d’assainissement d’eaux usées (RESAEU) et de la Loi sur les pêches. Selon ECCC, la Ville de Montréal a reçu, depuis 2013, de l’information générale de la part du ministère à propos du RESAEU et de la Loi sur les Pêches.
Le MDDELCC soutient que la responsabilité d’obtenir toutes les informations et les autorisations nécessaires au bon déroulement du projet et au respect des autres lois et règlements applicables revenait au promoteur, c’est-à-dire à la Ville de Montréal. Avant de délivrer un certificat d’autorisation, le MDDELCC doit s’assurer que le demandeur ait fourni des documents d’autres organismes à l’appui de sa demande. Il en est ainsi pour les attestations des municipalités qui doivent établir que le projet soumis est conforme à la réglementation municipale. Selon les représentants de la Ville de Montréal, le processus à suivre auprès du ministère provincial était clair et a été respecté.
4.1.2. Mécanismes de communication
Les parties impliquées dans le dossier du déversement des eaux usées de Montréal collaborent de manière régulière dans un nombre important de dossiers. Plusieurs mécanismes de communication et de partage d’information sont déjà en place à des niveaux opérationnels variés entre les gouvernements du Canada et du Québec, la Ville de Montréal et les communautés autochtones.
Par exemple, un comité permanent de suivi des eaux usées est en place à la Ville de Montréal. Il regroupe des représentants de la Ville de Montréal, du MDDELCC et de certains comités de zones d’interventions prioritaires Note de bas de page 1.
De plus, des représentants d’une majorité de ministères fédéraux et provinciaux ayant des responsabilités touchant l’écosystème du Saint-Laurent sont rassemblés au sein de la structure de gouvernance de l’Entente Canada-Québec sur le Saint-Laurent.
Les participants ont souligné que ces structures n’ont pas été mises à contribution dans le dossier du déversement.
4.1.3. Disponibilité et partage de l'expertise
La Ville de Montréal, le gouvernement du Québec et le gouvernement du Canada possèdent et produisent des données scientifiques sur l’état du Saint-Laurent en quantité importante. De manière générale, ces données sont publiques comme, par exemple, par l’entremise du Portrait global de l’état du Saint-Laurent développé sous l’égide de l’Entente Canada-Québec sur le Saint-Laurent. Plusieurs études sur les effets des eaux traitées sur la faune et la flore aquatique dans les eaux du Saint-Laurent sont ainsi disponibles auprès d’une variété de sources gouvernementales.
Malgré cela, comme il a été souligné dans le rapport du groupe d’experts indépendants mandaté par ECCC, « le manque d'information sur les effets de rejets d'eaux usées non traitées dans le fleuve Saint-Laurent doit être comblé afin d'éviter un continuel questionnement de la population et de la communauté scientifique sur les risques que de tels déversements peuvent avoir sur la faune et la flore aquatiqueNote de bas de page 2. » Selon certains participants du processus d’examen, les mesures de suivi scientifique du déversement de novembre 2015 permettront, dans une certaine mesure, de combler cette lacune.
4.1.4. Pistes de solution par rapport aux communications intergouvernementales
Le déversement de novembre 2015 a démontré l’importance d’établir plus clairement des voies de communication entre la Ville de Montréal, le MDDELCC et ECCC. Préférablement, cela devrait se faire à partir des structures existantes de collaboration entre les différents ordres de gouvernement.
Les suivis environnementaux effectués par les gouvernements devaient être indépendants de celui de la Ville de Montréal. Toutefois, une meilleure coordination entre les équipes responsables de ces suivis sur le fleuve Saint-Laurent avant, pendant, et après le déversement aurait pu faciliter la réalisation de certaines activités complémentaires.
4.2. Engagement et consultation des communautés autochtones
4.2.1. Perspectives des communautés autochtones
Avant le déversement de novembre 2015, peu d’information a été fournie aux communautés autochtones, tant par la Ville de Montréal que par le MDDELCC et ECCC. Au moment où les Premières nations concernées ont pris connaissance du projet de déversement par l’entremise des médias à l’automne 2015, aucun représentant de la Ville de Montréal, du MDDELCC ou d’ECCC n’avait encore communiqué avec elles à ce sujet.
Les représentants du Conseil des Mohawks de Kahnawake, du Conseil des Mohawks d’Akwesasne, du Conseil des Mohawks de Kanesatake et du Grand Conseil de la Nation Waban-Aki considèrent que tous les critères établis par la Cour suprême du Canada pour que soit déclenchée l’obligation de la Couronne de consulter et d’accommoder les groupes autochtones étaient réunis lors des événements ayant menés au déversement d’eaux usées par la Ville de Montréal à l’automne 2015. Ils jugent que le MDDELCC et ECCC ont manqué à leur obligation et à l’honneur de la Couronne en ne les consultant pas de manière adéquate.
L’information pertinente dont les autorités autochtones auraient eu besoin avant le déversement pour répondre aux questions des membres de leurs communautés et pour évaluer les impacts sur leurs droits ancestraux ou issus de traité ne leur a été communiquée qu’après le déversement.
Certains représentants autochtones jugent que leur communauté aurait pu être davantage impliquée dans les mesures de suivi avant, pendant et après le déversement. Ils déplorent la méconnaissance que les gouvernements ont du travail que leurs organisations accomplissent déjà dans le domaine de l’environnement et des ressources scientifiques dont elles disposent.
4.2.2. Consultation des communautés autochtones
En vertu de la jurisprudence développée par la Cour suprême du Canada, la Couronne a une obligation de consultation et, le cas échéant, d’accommodement, lorsqu’elle envisage une conduite susceptible d’avoir des effets préjudiciables sur des droits ancestraux ou issus de traités, établis ou potentiels. Cette obligation incombe autant au gouvernement fédéral qu’aux gouvernements provinciaux et territoriaux.
Afin d’aider les fonctionnaires à respecter cette obligation, le gouvernement du Canada a développé les Lignes directrices actualisées à l'intention des fonctionnaires fédéraux pour respecter l'obligation de consulter (Mars 2011) et le gouvernement du Québec, le Guide intérimaire en matière de consultation des communautés autochtones (Mise à jour 2008).
Les représentants mohawks et abénakis jugent que la décision du MDDELCC d’émettre un certificat d’autorisation à la Ville de Montréal et la décision de la ministre d’ECCC de prendre un arrêté ministériel en vertu de la Loi sur les pêches déclenchaient l’obligation juridique de la Couronne de les consulter et, le cas échéant, de les accommoder. Selon les représentants mohawks et abénakis, ces deux décisions permettant à la Ville de procéder au déversement constituaient, à la lumière de l’information dont ils disposaient, une conduite de la Couronne susceptible d’avoir des effets préjudiciables sur leurs droits ancestraux ou issus de traités, établis ou potentiels. Par exemple, les représentants de ces communautés ont évoqué les impacts potentiels sur l’exercice des activités traditionnelles de pêche, de chasse à la sauvagine et de cueillette de plantes médicinales qui ont lieu à cette période de l’année.
Devant la teneur des informations diffusées dans les médias et les préoccupations grandissantes des membres de leurs communautés face à l’éventuel déversement, certains représentants autochtones ont pris l’initiative de communiquer par écrit avec la Ville de Montréal, le MDDELCC et ECCC. Ils désiraient ainsi manifester leurs inquiétudes, rappeler l’importance du respect de l’obligation juridique de consulter et demander qu’on leur fournisse l’information nécessaire afin de bien comprendre les impacts potentiels du déversement planifié sur leurs droits ancestraux ou issus de traités. La Ville de Montréal et le MDDELCC n’ont pas répondu à ces lettres.
Bien qu’ECCC ait fourni une réponse, les informations communiquées par le ministère étaient insuffisantes selon les représentants autochtones. Ils jugent que les délais accordés par ECCC pour répondre à ses communications étaient irréalistes. Certaines requêtes et invitations d’ECCC aux représentants autochtones, parfois envoyées les jours de fin de semaine, imposaient des échéances d’à peine 24 heures.
Avant le déversement, ECCC a invité les représentants autochtones à participer à une rencontre avec le groupe d’experts scientifiques indépendants mandatés par le ministère (29 octobre 2015) puis à une seconde rencontre avec des représentants de la Ville de Montréal et du MDDELCC pour la présentation des conclusions du rapport final du groupe d’experts (6 novembre 2015).
Les représentants des communautés autochtones jugent que ces deux rencontres ne leur ont pas permis d’obtenir l’information nécessaire pour bien évaluer les impacts que le déversement pourrait avoir sur leurs droits ancestraux ou issus de traités. Ils considèrent aussi que les délais de préavis de ces rencontres étaient inappropriés et irrespectueux.
Les représentants autochtones ont finalement déploré qu’ECCC leur ait présenté, plusieurs semaines après le déversement d’eaux usées non traitées, des informations importantes dont ils auraient eu besoin bien avant l’événement du déversement. Ces informations leur furent transmises à l’occasion de deux rencontres d’information tenues par ECCC en collaboration avec le Service de l’eau de la Ville de Montréal, le 15 décembre 2015, à Odanak, et le 16 décembre 2015, à Montréal.
Le MDDELCC a indiqué avoir respecté les paramètres établis par le Guide intérimaire en matière de consultation des communautés autochtones (Mise à jour 2008) tout au long du processus ayant mené à l’émission du certificat d’autorisation à la Ville de Montréal. Selon le MDDELCC, il n’y avait pas lieu de déclencher une consultation des communautés autochtones. D’une part, les impacts environnementaux potentiels, y compris sur le poisson, étaient, selon le MDDELCC, peu importants et circonscrits à l’intérieur d’un secteur restreint. Pour le ministère, cela limitait la possibilité de porter préjudice à l’exercice d’activités traditionnelles, advenant que de telles activités se déroulaient dans le secteur. D’autre part, selon le MDDELCC, aucune autre option n’aurait pu être envisagée aux travaux prévus, ce qui limitait la possibilité de modifier le projet pour répondre aux préoccupations des communautés autochtones. Le MDDELCC reconnaît toutefois que, hors du cadre de l’obligation juridique de consulter, l’information sur le projet aurait pu être transmise aux communautés autochtones.
Les représentants des Premières nations ont souligné qu’aucune interaction n’a eu lieu entre elles et le gouvernement du Québec avant, pendant ou après le déversement de novembre 2015. Ils déplorent qu’aucun représentant du gouvernement du Québec n’ait participé à l’atelier du 8 mars 2016 organisé par ECCC dans le cadre de l’examen approfondi. Cette absence a empêché, selon eux, l’amorce d’un dialogue ouvert, transparent et respectueux avec le gouvernement du Québec dans ce dossier.
Bien que l’obligation de consulter les groupes autochtones n’incombe pas directement à la Ville de Montréal, les représentants mohawks et abénakis considèrent que la Ville aurait pu, en tant que promoteur du projet, davantage les informer avant de procéder au déversement. Ils reconnaissent toutefois que la Ville a fait des efforts pour les informer du bilan des travaux et du suivi des impacts après le déversement. La Ville de Montréal a reconnu, dans son compte-rendu des travaux, que son plan de communication « manquait d’actions de concertation ainsi que d’actions permettant de vulgariser les dimensions techniques de l’intervention afin d’augmenter l’acceptabilité socialeNote de bas de page 3. »
4.2.3. Pistes de solution par rapport à l’engagement et la consultation des communautés autochtones
Une meilleure diffusion, en temps opportun, de l’information disponible concernant le projet aurait certainement permis d’apaiser une part des inquiétudes des communautés autochtones par rapport au projet et à ses impacts. Cette information n’a pas été communiquée suffisamment longtemps avant la date prévue du déversement planifié ce qui a empêché les parties intéressées de répondre aux préoccupations des membres de leur communauté.
Dans des situations similaires à l’avenir, les divers ordres de gouvernement devraient, selon les représentants des Premières nations, leur communiquer l’information juste et pertinente le plus tôt possible, surtout s’ils envisagent de prendre une décision susceptible d’avoir des effets préjudiciables sur des droits ancestraux ou issus de traités, établis ou potentiels. Toutefois, ils ont réitéré que la consultation des communautés autochtones ne se limite pas à l’échange d’information. Selon eux, elle devrait inclure une véritable considération des différents points de vue exprimés et la tenue de discussions significatives sur les impacts potentiels, les mesures d’atténuation et d’accommodement appropriées.
Pour les représentants des Premières nations, la consultation des groupes autochtones par la Couronne ne devrait pas se limiter à l’obligation juridique de consulter mais faire partie des meilleures pratiques à adopter. Au-delà des exigences complexes découlant de la jurisprudence en matière de consultation, l’un des principaux objectifs du processus de consultation devrait toujours être d’établir de saines relations de travail entre les gouvernements et les peuples autochtones.
De plus, selon eux, tous les ordres de gouvernement devraient accorder un temps raisonnable aux communautés autochtones pour pouvoir prendre connaissance des informations transmises, les analyser, les communiquer à leurs élus et aux membres de leur communauté. Tout cela, afin de recueillir leurs points de vue et d’être en mesure de formuler une position par rapport aux questions soulevées.
Afin d’améliorer leurs connaissances des impacts anticipés d’un projet sur les droits autochtones, les gouvernements devraient communiquer le plus tôt possible avec les communautés autochtones potentiellement touchées dès qu’ils sont informés d’un déversement planifié nécessitant une décision de leur part. Cela leur permettrait de vérifier quels sont les droits et intérêts autochtones dans la zone visée par le projet, quelles sont les répercussions négatives potentielles du projet sur ces droits et, si le projet est entrepris, quelles mesures pourraient être mises en place pour atténuer ses répercussions négatives.
Détails de la page
- Date de modification :