Le capitaine honoraire Debbie Eisan fait entendre les voix autochtones

Article / Le 20 mai 2021 / Numéro de projet : 21-0030

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par Steven Fouchard, Affaires publiques de l’Armée

Halifax (Nouvelle-Écosse) — Trouver sa propre voix a été la première étape du cheminement du capitaine de vaisseau honoraire Debbie Eisan comme ardente défenderesse des autres militaires et anciens combattants autochtones.

Sa carrière dans la Marine royale canadienne (MRC) a commencé à Sault Ste. Marie (Ontario), non loin de la Première Nation des Batchewana, où elle a grandi.

Au moment de sa libération pour raisons médicales après 36 ans de service, alors qu’elle avait le grade de premier maître de 2e classe, le capv hon Eisan est devenue une précieuse conseillère auprès des leaders militaires supérieurs sur les questions touchant les Autochtones. Elle décrit maintenant son travail aux côtés de ses collègues du Groupe consultatif des Autochtones de la Défense (GCAD) comme un « très grand pas en avant » pour les militaires et anciens combattants autochtones.

À la fin de l’an dernier, la MRC a rendu hommage au travail qu’elle a effectué en la nommant au grade de capitaine de vaisseau honoraire du Navire canadien de Sa Majesté Margaret Brooke. Lors d’une entrevue donnée récemment, le capv hon Eisan est revenue sur les épreuves et les triomphes de sa carrière, sur le fait que les Forces armées canadiennes sont devenues « plus ouvertes » à la culture autochtone et sur comment son nouveau grade est une nouvelle occasion de faire entendre davantage les voix autochtones.

La présente entrevue a été modifiée pour des raisons éditoriales.

Qu’est-ce qui vous a amené à faire carrière dans les Forces armées canadiennes?

Mon histoire a quelque chose de comique. Alors que je travaillais comme conseillère en recrutement des Autochtones à l’échelle nationale, on m’a demandé d’aller à Toronto afin de participer à une émission de la chaîne TV Ontario à l’occasion du jour du Souvenir. Il y avait un sergent, un colonel et moi. Lorsque la personne qui menait l’entrevue a demandé au colonel pourquoi il s’était enrôlé, il a répondu qu’il s’agit d’une longue tradition dans sa famille. Le sergent a répondu qu’il avait six ans quand sa famille est arrivée au Canada et sa mère lui a dit « Quelle idée formidable de devenir militaire pour le pays qui nous a tant donné ». Alors qu’ils parlaient, je réfléchissais à ce que j’allais répondre à cette question. Ma mère m’a enseigné à toujours dire la vérité, alors lorsque mon tour est venu, j’ai raconté que lorsque j’avais 17 ans, je travaillais comme serveuse à Sault Ste. Marie; durant l’heure de pointe du midi, j’ai glissé sur une tomate qui se trouvait sur le plancher et j’ai échappé un BLT et de la soupe au poulet sur un homme d’affaires. J’ai cru que j’allais être congédiée, alors qu’ai donné ma démission. J’ai erré jusqu’au bureau de chômage et il y avait un kiosque de recrutement à ma gauche. Deux mois plus tard, je prenais le chemin de l’instruction de base à Cornwallis (Nouvelle-Écosse). C’est ainsi que je me suis enrôlée. Mon père était pêcheur et un chauffeur de remorqueurs dans les Grands Lacs, j’imagine que dois avoir ça dans le sang moi aussi

Vous avez ouvertement parlé de certaines des expériences négatives que vous avez vécues.

J’ai vécu du racisme et de la discrimination. À cette époque, il n’existait pas de mécanismes en place pour ces situations. Le moment le plus difficile a probablement été le jour où un superviseur m’a dit quelque chose comme « Les Indiennes ne sont pas censées être à la maison, à s’occuper de leur mari et de leurs enfants? » À cause de lui, je suis rentrée chez moi en pleurant plus souvent que je ne peux m’en souvenir. Mon mari, David, est mon roc. Un jour, il m’a demandé « Pourquoi le laissais-tu te faire cela? Tu sais que tu vaux mieux que ça ».

Après cela, j’ai juré que je ne laisserais plus jamais personne me traiter ainsi, que je ne rentrerais plus en pleurs ainsi. Nous parlons de harcèlement sexuel et j’en ai été victime, mais j’imagine que j’ai trouvé ma voix. J’ai été capable de me tenir debout et de faire ce que j’avais à faire pour me protéger comme militaire du rang. Et lorsque j’ai obtenu un poste de superviseure, j’ai annoncé que j’allais utiliser ma voix pour parler au nom de ceux qui ne pouvaient pas le faire.

Quelles sont les expériences positives que vous avez vécues?

Il y en a tellement. J’ai eu l’occasion de faire un voyage de dix jours en Nouvelle-Zélande afin de découvrir la culture maorie dans leur organisation militaire. C’est une expérience que je n’oublierai jamais, parce que j’adore découvrir d’autres cultures, que ce soit les façons de faire les choses différemment et les similarités. Leur spiritualité est différente, mais nous avons les mêmes passions malgré tout.

Quand j’étais enfant, je rêvais de devenir infirmière. Je voulais aller en Afrique et aider les enfants là-bas. Je ne suis pas devenue infirmière, mais lorsque je travaillais avec le 3e Groupe de soutien du Canada, j’ai servi au Rwanda, participant à la fermeture de la base de l’ONU là-bas. Un jour, un groupe d’entre nous est allé se promener dans les collines. Lorsque nous nous sommes rangés sur l’accotement pour manger, plein de petits enfants sont sortis des herbes hautes. Un petit garçon a attiré mon attention. Il devait avoir trois ans. Son visage était couvert de poussière et des larmes avaient coulé sur ses joues. Je l’ai encouragé à s’approcher, j’ai essuyé son visage et je lui ai offert mon repas. Il était un peu hésitant au début, mais je lui ai donné un peu de chocolat et un grand sourire a illuminé son visage. Je n’étais peut-être pas une infirmière, mais j’étais en Afrique et j’aidais les gens. Je raconte cela parce que, même si vous avez des rêves et qu’ils ne se matérialisent pas comme vous vous y attendiez, ils peuvent se réaliser sous une autre forme.

Parlez-nous de votre expérience comme coprésidente du GCAD.

Les membres du groupe étaient très passionnés. Nous avons travaillé ensemble pour apporter des changements aux règlements sur la tenue afin de permettre aux militaires autochtones de porter les cheveux tressés. Tout militaire a droit de vivre leur spiritualité. Tout le monde croyait que la tresse est était un élément culturel, mais en réalité elle possède un caractère spirituel pour nous. Elle incarne l’entrelacement du corps, de l’âme et de l’esprit. Ce fut un grand pas pour nous. Nous avons eu la permission de porter notre médaillon des anciens combattants autochtones lors des activités autochtones, et les militaires métis ont eu le droit de porter leur ceinture fléchée avec leur uniforme aussi. Ce sont de grands pas en avant qui nous permettent d’exprimer qui nous sommes en tant qu’anciens combattants autochtones.

Quelles sont les circonstances entourant votre nomination honorifique?

Avant de devenir un commandant de la Marine, le vice-amiral Baines était l’amiral des Forces maritimes de l’Atlantique et il m’a demandé si l’idée m’intéressait. J’ai accepté, parce que cette fonction pouvait m’aider à faire entendre ma voix davantage dans la communauté militaire que ce que je pouvais déjà le faire.

Le sénateur Murray Sinclair, un des membres de la Commission vérité et réconciliation, est l’une de mes personnes préférées. Il a déclaré « L’éducation nous a mis dans ce pétrin et l’éducation nous permettra d’en sortir ». Il nous faut donc faire connaître notre culture, amener les gens à comprendre les peuples autochtones du Canada et comment nous sommes arrivés où nous sommes aujourd’hui. Je constate que les militaires se montrent de plus en plus ouverts et qu’ils veulent faire mieux.

C’est beaucoup de nouveautés pour moi actuellement, mais en même temps ce n’est pas si différent de ce que je faisais auparavant. J’étais un militaire du rang avant et maintenant je porte un uniforme d’officier honoraire et j’ai un peu de difficulté à m’habituer à cette idée. C’est toutefois quelque chose que je prends très au sérieux et une responsabilité que j’accepte de remplir avec fierté. Je ne le fais pas seulement pour moi-même, mais pour tous les militaires et les anciens combattants, où qu’ils soient. C’est pour cette raison que je fais cela : pour me servir de ma voix. Et si ma voix peut servir pour simplifier les choses et contribuer à informer les gens, je suis prête à le faire n’importe quand.

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