La course d’aventure d’un officier de la 6e Brigade d’appui au combat du Canada dans le Grand Nord canadien

Article / Le 14 mars 2022 / Numéro de projet : 22-0011

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Par le major Simon « Si » Tucker, officier des opérations du régiment, 21e Régiment de guerre électronique

L’épreuve du 6633 Arctic Ultra est une course de 611 kilomètres qui part tout près du cercle arctique pour se rendre jusqu’aux rives de l’océan Arctique, à Tuktoyaktuk (Territoires du Nord‑Ouest). Cette année, en raison des restrictions dues à la COVID-19, la course n’a été autorisée que pour un parcours de 408 km au Yukon et la participation était limitée à dix coureurs. Tous les concurrents avaient des antécédents en courses ultras, et bon nombre avaient de l’expérience sur le parcours même. Hélas, j’étais l’un des néophytes, mais comme je m’étais entraîné au Canada, j’étais plus conscient que d’autres de certaines des conditions que nous allions connaître.

La plupart des concurrents – moi compris – sont arrivés à Whitehorse (Yukon) trois jours d’avance pour la vérification de l’équipement et l’acclimatation. Pour nous, le voyage a été affreux, presque chaque concurrent ayant perdu des bagages en cours de déplacement par avion. Il me manquait mon précieux traîneau fait maison. Quand tout l’équipement est enfin arrivé à la dernière seconde, il est devenu évident que j’étais le seul qui avait un traîneau de concept artisanal, ce qui allait me donner un net avantage ou non...

Après une longue route de Whitehorse à Dawson City, j’ai eu une nuit horrible. Je crois que la nervosité due à la course touchait la plupart des gens et le groupe WhatsApp émettait des pings à partir de 3 heures du matin environ le matin du début de la course. Après un solide déjeuner et un trajet en auto pour se rendre à la ligne de départ, les dix coureurs étaient prêts à partir. À la mi‑journée le 26 février, nous avons observé un moment de silence pour ceux qui vivent le conflit en Ukraine avant de commencer notre parcours colossal au cercle arctique. La course a commencé très rapidement et les meneurs faisaient plus de 7 km/h, ce qui est incroyable pour une course de cette longueur. Je me trouvais en troisième position, m’attendant à me faire dire qu’ils s’étaient brûlés à la marque des 80 km, or, après les 10 premières heures de marche, j’ai appris qu’ils étaient toujours aussi forts! Je me suis arrêté pour faire une sieste énergisante afin de me préparer à une nuit de marche (et de rattrapage). Très tôt, j’ai fait équipe avec une autre compétitrice en vue de rattraper les meneurs et de les reléguer à l’arrière. Malgré le fait que ce soit une épreuve individuelle, le travail d’équipe aide à identifier les erreurs d’administration personnelle qui auraient autrement nui à notre progression. Un peu comme un peloton en cyclisme, la formation d’équipes accélère en fait la course. La pression s’est avérée trop forte pour l’un des deux meneurs qui s’est retiré tôt, même si le premier, lui, a continué à creuser son avance.

Le parcours était plus vallonné que prévu. De fait, c’était passablement montagneux par endroits. Suivre la route de Dempster, qui serpente entre les montagnes, offre une vue incroyable la nuit, lorsque les aurores boréales perçaient entre les pics. Ma partenaire de course et moi progressions bien et tenions le favori en quatrième place pendant que nous profitions de notre deuxième place conjointe en nous rapprochant du meneur. Toutefois, une série de petits pépins ont changé la course pour nous deux...  

Nous étions relativement bien reposés et nous progressions bien lorsque nous avons décidé de retarder d’une heure notre sieste pour faire 1 km de plus. Ce km de marche nous a menés dans un terrain d’avalanches où nous ne pouvions pas nous arrêter, alors, 20 km plus loin, nous en sommes ressortis avec une envie désespérée de dormir. Nous nous sommes installés au premier endroit possible, ayant perdu notre deuxième place, tandis que l’écart entre nous et le meneur se creusait. Et les choses ont empiré…

Nous ignorions que nous avions installé nos bivouacs à 20 m d’un lac gelé! Nous étions entrés dans nos sacs de couchage sous une température plutôt tiède de -20°C, et une heure plus tard, le mercure avait chuté bien en deçà des -35°C. C’est là que le travail d’équipe s’est avéré vraiment payant, puisque nous avons pu surmonter nos erreurs avec force et reprendre la route avec vigueur (et quelques erreurs de plus). Mais nous avions déjà payé le prix. Deux heures après ce creux de vague, nous pensions revenir de l’arrière à un bon rythme, meilleur que ceux qui étaient devant nous lorsque mon traîneau artisanal a choisi de nous jouer un dernier tour – une défaillance catastrophique – l’essieu s’est littéralement scindé en deux et je suis resté avec une carcasse de métal et de plastique à tirer sur 160 autres km. À ce stade, la moitié des concurrents avaient déjà fait savoir qu’ils ne pourraient pas compléter le 408 km, et les organisateurs espéraient voir des finisseurs, alors ils ont convenu que, comme je n’étais pas en mesure de gagner, je pouvais remplacer mon traîneau par celui d’un concurrent qui n’allait pas terminer. Ce fut un grand soulagement, et nous nous sommes affairés à avancer dans la partie la plus montagneuse (et absolument étonnante) de la course.

Faire une course dans des conditions arctiques exige des systèmes bien exercés. Je savais exactement où se trouvaient mon eau et ma nourriture et comment y accéder pour manger et boire en route sur mon traîneau artisanal. Le nouveau traîneau n’avait pas de système semblable, alors chaque routine pour laquelle je m’étais exercée devait être apprise de nouveau en cours de route. La seule routine qui restait était celle où j’utilise une petite « cuisine » en boîte de polystyrène pendant que je suis en mouvement; cette « cuisine » est une innovation qui, je crois, gagnera en popularité lors de courses arctiques futures.

Quand la piste serpentait en montant et autour des pics des monts Ogilvie, on pouvait voir l’étendue du Yukon. Je n’avais jamais rien vu d’aussi beau! Le Canada a vraiment un joyau caché dans l’extrême nord. J’étais encore avec mon partenaire de course, car nous avions décidé que nous étions plus efficaces ensemble. Même si nous étions tous les deux en mesure d’aller beaucoup plus vite individuellement à court terme, le travail d’équipe a fait en sorte que la possibilité d’une « vitesse future » en valait la peine, et le fait d’avoir de la compagnie a rendu l’expérience beaucoup plus agréable. Nous avons pris une longue pause pour nous ressaisir après une étape intermédiaire difficile, mais ce n’était pas la fin de notre compétition. Nous savions que les meneurs en première et deuxième place n’étaient pas aussi reposés que nous, et que leur fatigue ainsi que leur isolement allaient entraîner des erreurs. Dans les 100 derniers km de la course, nous avons eu un bon rythme, plus rapide que les première et deuxième places, dans l’espoir que nous pourrions en tirer parti si les meneurs étaient incapables de composer avec la section finale vu leur état de fatigue. Malheureusement pour nous, notre long arrêt nous a trop distancés d’eux et peu importe le lest que nous lâchions, nous n’avons tout simplement pas réussi à combler suffisamment l’écart.

Rio, un Canadien de 18 ans n’ayant que quelques mois d’entraînement au Yukon a gagné la course de façon magistrale. Nous avions tous sous‑estimé sa force mentale pour faire cavalier seul et pour composer avec la pression exercée par tous les autres qui essayaient de le rattraper. Les courses ultras sont souvent gagnées par des gens qui ont de l’expérience, précisément pour cette raison – la force mentale nécessaire est quelque chose qui s’acquiert, comme la sagesse, au fil de nombreuses années de courses. Il a été brillant. Hilary (ma partenaire de course) et moi avons franchi la ligne d’arrivée au cercle arctique 20 heures après Rio, et jamais je n’avais vu les étoiles briller aussi fort tandis que les aurores boréales dansaient autour de nous. Malgré mon incapacité à être réellement au cœur de l’action, c’est une course que je n’oublierai jamais. J’étais commandité par les FAC et j’encourage les autres à accepter de nouveaux défis et à repousser leurs limites. En ce qui me concerne, c’était la course d’une vie et elle s’est terminée de façon très spectaculaire.

 

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