Ligne de mire

Lgén Guy Simonds, Opération SPRING

  Le 15 octobre 2021

Chef d’état­major, 
QG AC 

ATTAQUE MENÉE PAR LE RHC – OPÉRATION SPRING 
QG AC 24/CEA/1/6 (D.H.S.1) en date du 21 janvier 1946. 

  1. Même si je suis d’accord avec la version proposée de la déclaration du ministre de la Défense nationale, les observations suivantes, qui sont les miennes, doivent être apportées afin d’éclaircir le contexte de l’opération SPRING. 
  1. Parmi toutes les opérations de guerre, l’action de fixation est la moins bien comprise par les profanes, puisque le nombre de victimes semble être totalement disproportionné par rapport aux gains apparents. Cette opération est également, pour les mêmes raisons, la plus difficile pour un commandant et ses troupes. Cependant, pour obtenir des résultats importants et concluants contre un ennemi habile, il est nécessaire d’attirer, de fixer et d’affaiblir les troupes de réserve de l’ennemi avant de pouvoir porter que le vrai coup de grâce. Dans toute l’histoire militaire, aucune solution de rechange à l’action de fixation n’a été trouvée pour forcer un commandant compétent à épuiser ses troupes de réserve. Pour qu’elle soit efficace, une telle attaque doit viser une cible chère à l’ennemi, une cible qui fera à coup sûr réagir l’ennemi. Dans la tête de pont de Normandie, cette cible correspondait au saillant de CAEN, et il allait de soi que dans le contexte opérationnel de la mi-juillet, toute attaque dirigée vers cette cible rencontrerait une opposition violente et entraînerait des combats acharnés. 
  1. Les conditions au moment de l’opération TOTALIZE – la « percée » au sud de CAEN –, étaient bien différentes de celles de l’opération SPRING. Entre le 25 juillet et le 7 août, les Allemands avaient dû déplacer des troupes de réserve pour intercepter les Américains dans leur déploiement à AVRANCHES et la progression du 12e Corps d’armée britannique de la Deuxième armée vers la partie supérieure de l’ORNE les avait forcés à réduire davantage leurs effectifs au sud de CAEN. D’après mon appréciation initiale et le plan général élaboré dans le cadre de l’opération TOTALIZE, je songeais, dans ces conditions, à envoyer un contingent pour effectuer une percée et j’ai affirmé : 

« Le plan est présenté en présumant que l’aile droite de la Deuxième armée est parvenue, ou parviendra sous peu, à sécuriser une tête de pont à l’est de l’ORNE, forçant ainsi l’ennemi à relâcher son emprise sur son pivot nord. » 

  1. Comme on le sait très bien maintenant, le plan du commandant en chef, le feld-maréchal (alors général) Montgomery, était d’attirer l’ennemi et de le coincer sur son flanc est qu’il tenait à protéger, créant ainsi une situation favorable pour l’expansion sur le flanc ouest. Chaque formation des armées anglo-canadiennes avait un rôle à jouer dans la série d’actions de fixation à l’extrémité est de la tête de pont. La tâche était d’attirer la force blindée allemande à l’est de l’ORNE et de la contenir jusqu’à ce que l’attaque américaine à AVRANCHES ait pris son élan. Tout s’est déroulé comme prévu et les troupes qui ont dû subir les violents et ternes combats au sud de CAEN ont tout autant contribué au résultat final que ceux qui ont fait les gains évidents à l’autre bout du front. Il s’agit du point de vue du général Eisenhower exprimé lors d’une déclaration publique que j’estime sincère. 

L’OBJECTIF

  1. L’objectif ultime de l’opération SPRING était d’atteindre les terrains dominants au nord de CINTHEAUX – le point central du principal système de défense allemand au sud de CAEN et un tremplin essentiel à notre progression au sud vers la route reliant CAEN à FALAISE. Compte tenu du nombre d’effectifs ennemis connus avant l’attaque, l’objectif était atteignable et l’attaque était une occasion de mener l’exploitation plus loin. 
  1. Deux autres approches étaient possibles pour mener l’attaque : chevaucher la route reliant CAEN à FALAISE ou passer par l’axe SOLIERS-BOURGUÉBUS. Pour cette dernière possibilité, le flanc était grandement exposé et l’aile gauche de l’assaut devrait se déplacer sur un terrain n’offrant aucun couvert. Plus important encore, une réussite partielle sur cette ligne d’attaque n’améliorerait pas notre position tactique. Dans le cadre d’une attaque de part et d’autre de la route reliant CAEN et FALAISE, le flanc droit était exposé aux tirs des positions de l’ennemi sur la rive ouest de l’ORNE, mais la zone bâtie de SAINT-ANDRÉ-SUR-ORNE et MAY-SUR-ORNE offrait beaucoup de couvert, et même une réussite partielle de part et d’autre de cet axe nous aurait permis de prendre la très importante crête de VERRIÈRES. J’ai donc décidé de mener l’attaque de part et d’autre de la route reliant CAEN et FALAISE. C’est plus tard sur ce même axe, lors de l’opération TOTALIZE, que la percée a été effectuée. 

COORDINATION 

  1. Lors de l’opération ATLANTIC, menée parallèlement à l’opération GOODWOOD du 8e Corps d’armée britannique, le 2e Corps canadien avait repris la tête de pont initiale située à l’est de l’ORNE, face à CAEN. À la fin de cette opération, nous occupions les contre-pentes au nord de la crête de VERRIÈRES. Depuis le sommet de la crête, les Allemands surveillaient la quasi-totalité de la tête de pont située sur la rive est de l’ORNE. Le déploiement en vue de toute attaque d’envergure devait se faire dans l’obscurité. Il était à mon avis essentiel d’accorder aux troupes, qui n’avaient pas beaucoup d’expérience de combat, le plus de temps possible pour leur permettre de se rassembler. Le déploiement ne pouvait être effectué qu’à la tombée de la nuit et il était tout aussi important dans mon esprit que l’attaque soit menée à un moment où nous tenions le sommet de la crête de VERRIÈRES avant l’aube. Dans ces conditions, nous avions très peu de latitude quant au choix de l’heure H. 

SOUTIEN 

  1. L’assaut a été lancé avec le soutien d’un très lourd barrage d’artillerie de campagne et d’artillerie moyenne, avec superposition concentrée des tirs sur les centres de résistance connus. 

ÉVALUATION DE L’OPÉRATION 

  1. Je trouve que l’analyse d’une opération, comme l’attaque du Black Watch à MAY-SUR-ORNE, est une tâche des plus désagréables à accomplir, car elle implique le blâme de certaines personnes, qui, quelles que soient les erreurs commises, ont agi de bonne foi et ont fait le sacrifice ultime dans le cadre de leurs fonctions. 
  1. Compte tenu du renforcement de la onzième heure des positions allemandes à l’est de l’ORNE, comme l’ont révélé les premières phases de l’attaque, des doutes seront soulevés quant à la possibilité d’atteindre l’objectif initial. Dans la matinée, j’ai pris la décision de ne pas déployer les deux divisions blindées, mais j’ai ordonné à la 7e Division blindée de s’avancer pour consolider les succès de la 4e brigade d’infanterie canadienne et pour conserver les importants gains réalisés à la crête de VERRIÈRES. La prise de la crête lors de l’opération SPRING a permis d’établir une base solide qui, plus tard, rendrait possible la préparation de l’opération TOTALIZE dans des conditions beaucoup plus favorables. 
  1. J’ai indiqué précédemment que, en présence du nombre d’effectifs ennemis constaté lors de l’attaque, des doutes pourraient surgir quant à la possibilité d’atteindre l’objectif initial. L’ensemble du plan a été présenté au général Dempsey, officier général commandant en chef de la Deuxième armée (de laquelle relevait le 2e corps canadien), qui l’a approuvé, et ce, avant et après l’opération. Je considérais à l’époque (et je n’ai trouvé aucune preuve depuis pour changer de point de vue) que les objectifs de MAY-SUR-ORNE, de VERRIÈRES et de TILLY-LA-CAMPAGNE auraient pu et auraient dû être atteints sans subir d’importantes pertes et que, dans les circonstances, le nombre de pertes au sein de certaines unités était excessif. L’échec de la prise et de l’occupation de MAY-SUR-ORNE et de TILLY-LA-CAMPAGNE et les pertes à mon avis excessives subies s’expliquent par une suite d’erreurs de jugement et de fautes dans des tactiques mineures. 
  1. Je n’exprime pas ce point de vue pour critiquer les officiers, dont certains ont perdu la vie au moment de cette opération ou plus tard. Je préférerais ne pas faire de déclaration et certainement ne pas être cité à cet égard pour le moment, mais, à des fins de documentation historique, lorsque cette opération pourra être étudiée sous tous ses angles, je sens l’obligation de m’exprimer franchement. 
  1. J’ai donné le baptême du feu à beaucoup de divisions – qu’il s’agisse de divisions canadiennes, britanniques, américaines ou polonaises –, et je suis convaincu qu’aucun entraînement, aussi complet soit-il, ne peut égaler une expérience de combat réel. Peu importe le nombre de fois où l’on répète à l’entraînement que certaines mesures tactiques sont d’une grande importance, il semble que seule une véritable expérience de combat puisse inculquer la chose aux soldats. À de nombreuses reprises, j’ai insisté personnellement sur la grande importance des points suivants au moment de conclure des exercices d’entraînement et comme dernier rappel lorsque je rendais visite aux unités à leur arrivée dans la tête de pont :
    1. La protection de la ligne de départ avant une attaque; 
    2. La nécessité de suivre de près les tirs d’appui de l’artillerie; 
    3. L’importance du nettoyage, qui exige une fouille approfondie du terrain; 
    4. La mise en place rapide d’une base ferme pour repousser les contre-attaques inévitables. 

               Le non-respect de certaines ou de l’ensemble de ces mesures tactiques a, à mon avis, empêché l’atteinte des objectifs initiaux et entraîné des pertes inutiles lors de l’opération SPRING. 

PROTECTION DE LA LIGNE DE DÉPART 

  1. Lors d’opérations mobiles, il n’y a pas de « front » continu, mais plutôt une base ferme établie dans différents lieux-pivots. Entre ces lieux, les deux camps peuvent patrouiller librement, et ce, particulièrement la nuit. Les meilleures troupes allemandes étaient toujours très agressives et compétentes dans ce type de patrouille. Par conséquent, avant une attaque, il était essentiel de patrouiller dans la zone devant la ligne de départ pour s’assurer que les patrouilles allemandes n’avaient pas infiltré ces zones entre les localités vers lesquelles nous nous dirigions, et après avoir vérifié que ces zones étaient libres, il était essentiel de positionner de fortes patrouilles en attente pour empêcher les patrouilles hostiles d’y pénétrer et de nuire au rassemblement des troupes d’assaut. Lors de l’opération SPRING, même si des patrouilles mobiles ont été déployées et ont indiqué que la ligne de départ était libre, certaines unités n’ont pas laissé les patrouilles en attente sur place pour couvrir le déploiement. En fait, des patrouilles allemandes sont parvenues à s’infiltrer, ce qui a entraîné une certaine confusion lors du déploiement et retardé certaines unités au moment de franchir la ligne de départ. 

LA NÉCESSITÉ DE SUIVRE DE PRÈS LES TIRS D’APPUI DE L’ARTILLERIE

  1. Avec des troupes compétentes occupant des ouvrages de défense, la neutralisation des tirs d’appui les plus intenses de l’artillerie ne peut qu’être temporaire. Plus les troupes sont compétentes, plus la récupération après l’arrêt des bombardements est rapide. Ainsi, le plus important est que les troupes d’assaut franchissent la ligne de départ à l’heure et attaquent chaque objectif, un à la suite de l’autre, en assurant immédiatement la couverture du terrain libéré des tirs. Une certaine latitude est possible en maintenant les tirs sur la première ligne pendant un certain nombre de minutes, mais si cette insistance se prolonge, elle pourrait révéler à l’ennemi la provenance de l’attaque et la largeur du front. Selon ma compréhension des événements à l’époque, je suis convaincu qu’il aurait été possible à un moment ou un autre au cours de l’attaque dans la matinée du 25 juillet d’entrer à MAY-SUR-ORNE et de sécuriser le secteur en évitant les lourdes pertes. Cependant, en raison de l’inexpérience et l’incompréhension de l’importance vitale du temps et à quel point de telles occasions sont éphémères, on n’a pas su profiter de la période favorable. 

L’IMPORTANCE D’UN NETTOYAGE APPROFONDI 

  1. Il s’agit sans doute de la leçon la plus difficile à enseigner autrement que par l’expérience. Jusqu’à ce que le soldat l’ait réellement expérimenté, il est difficile de comprendre l’absence totale de preuve évidente de la présence de l’ennemi dans une zone qu’il occupe, en réalité, avec de nombreux effectifs. Les meilleures troupes allemandes étaient très douées pour la dissimulation et savaient aussi qu’il était important de retenir leurs tirs de façon à ne pas révéler leur position trop tôt. Dès que nous pénétrions dans une localité ennemie appuyés par des tirs de protection, il était nécessaire de planifier correctement une fouille approfondie de la zone pour s’assurer qu’il n’y avait plus de soldats ennemis embusqués. Les différents rapports qui indiquaient que MAY-SUR-ORNE avait été sécurisée par les troupes qui occupaient une bonne partie du village ont démontré que cette fouille n’avait jamais été bien organisée et ni menée de façon approfondie. 
  1. J’ai été profondément attristé qu’un bataillon aussi valeureux que le Black Watch soit si durement touché par cette attaque. Je préférerais ne pas faire de déclaration à ce sujet, car il n’est pas mon intention de critiquer ceux qui y ont laissé leur vie, mais si une déclaration est nécessaire de ma part à des fins de documentation, je crois que les pertes subies ont été inutilement élevées compte tenu des résultats décevants obtenus. Le plan ne prévoyait pas, implicitement ou explicitement, d’aussi lourdes pertes. Les actions du Black Watch furent très courageuses, mais tactiquement déficientes. 


L’officier général commandant des Forces
canadiennes en Hollande, 
Lieutenant-général G.G. Simonds

ATTAQUE MENÉE PAR LE RHC – OPÉRATION SPRING

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