Qu’est-ce qu’une « leçon »?
Le 15 octobre 2021 - Major John Rickard
Dans l’Armée canadienne, les « leçons retenues » désignent « l’ajout de valeur à un ensemble de connaissances existant, ou fait de chercher à corriger des lacunes, dans le domaine des concepts, de la politique, de la doctrine, de la formation, de l’instruction, de l’équipement ou des organisations, en fournissant une rétroaction et en prenant des mesures de suivi »1. Il peut également s’agir d’un facteur identifié à partir de l’expérience et qui a un niveau de corrélation élevé avec un résultat indésirable ou un résultat souhaité (lien de cause à effet). Comment savoir si une observation aura une valeur ajoutée pour les méthodes de guerre de l’Armée, ou si une leçon est exacte au moment d’être identifiée, voire applicable à l’avenir? Nous nous appuyons évidemment sur un processus de validation, mais examinons brièvement six différentes catégories de leçons.
La leçon « évidente ou facilement reconnaissable »
Il s’agit d’une leçon relativement facile à cerner, qu’on aurait possiblement pu prévoir avant de faire l’expérience. Alors qu’il se préparait en vue de la campagne des Cent Jours en 1918, le Lieutenant-général Sir Arthur Currie a fait l’observation suivante : « les leçons tirées des combats antérieurs indiquaient que certaines branches […] devraient être renforcées et réorganisées. Le génie et les mitrailleuses, en particulier, n’arrivaient pas à remplir leurs tâches au combat sans faire appel à des renforts considérables de l’infanterie [notre traduction] »2. Les changements qu’a apportés Currie à la lumière de ses observations ont eu une incidence positive sur la puissance de combat du Corps canadien. La récente mission en Afghanistan a donné lieu à un autre exemple de leçon évidente, lorsqu’il a été déterminé que le soutien d’échelon intégral était « difficile lors des opérations blindées décentralisées [notre traduction] »3.
La leçon « transitoire »
Une leçon de ce type est hautement contextuelle sur le plan du temps, de l’espace, de l’emplacement géographique et de l’opposant. Même si le Général William C. Westmoreland, commandant du Commandement d’assistance militaire au Vietnam [Military Assistance Command Vietnam], avait étudié la situation malaisienne, il en est venu à croire que peu de ces leçons étaient directement transférables à son problème précis. En ce qui concerne la contre-insurrection au sens large, Steven Metz soutient qu’il ne s’agit « peut-être pas de la meilleure réponse à l’insurrection. Au cours des 50 dernières années, le concept de contre-insurrection est devenu si encombré d’implications et de ‘leçons’, dont bon nombre sont issues de la guerre froide, qu’il est temps d’aller au-delà de celles-ci [notre traduction] »4.
La leçon « durable »
La leçon durable est une leçon qui persiste dans le temps et d’un contexte à l’autre. Les principes de la guerre et le concept « interarmes » pourraient être vus comme des leçons durables dérivées de l’histoire militaire, tout comme l’idée des groupements tactiques, du moins, depuis la Deuxième Guerre mondiale. La nature omnidirectionnelle des menaces sur le champ de bataille au cours de l’histoire pourrait elle aussi être considérée comme une leçon durable. Dans certains cercles de pensée, on estime toutefois qu’il s’agit d’un phénomène moderne de la guerre asymétrique. Pourtant, le ministère britannique de la Guerre concluait ce qui suit en 1943:
Une importante leçon, bien qu’elle ne soit pas nouvelle, apprise durement par expérience est que tous les militaires dans un théâtre de guerre, peu importe leur grade, leur arme ou leur service, sont des soldats de combat. Lorsque les lignes de front sont étendues, les localités grandement séparées et les patrouilles ennemies actives, il existe de nombreuses occasions d’infiltration ennemie […] il y avait de nombreux exemples de commis, de cuisiniers, d’ordonnances et de conducteurs qui étaient contraints de combattre [notre traduction]5.
Il convient également de noter l’affirmation de Paul Johnston selon laquelle « l’attrition a historiquement joué un rôle capital pour déterminer l’issue de presque toutes les grandes guerres. Certains historiens choisissent de décrier cette constatation, mais la tendance observée est si forte que, s’il y a quoi que ce soit à apprendre de l’histoire, nous ne devrions pas l’ignorer [notre traduction] »6.
La « fausse » leçon
Il s’agit d’une déduction sans fondement découlant d’une interprétation erronée ou teintée d’ignorance d’un événement, d’une fausse prémisse ou d’une confusion cognitive causée par une analyse trop rapide. Les fausses leçons peuvent également être caractérisées par (1) des projections linéaires, (2) des adaptations précipitées irréfléchies et (3) une fixation sur les réussites passées7. Un exemple de fausse leçon pourrait être la confiance excessive des Forces de défense israéliennes envers l’approche des opérations basées sur les effets durant la guerre de 2006 contre le Hezbollah, en particulier l’idée selon laquelle la puissance aérienne serait plus efficace que les manœuvres terrestres pour permettre à Israël de dicter la fin de la guerre. En effet, l’argument général voulant que la puissance aérienne puisse à elle seule donner la victoire continue de faire écho et pourrait être considéré comme une fausse leçon durable.
La leçon « perdue »
La leçon perdue, probablement le type de leçon le plus regrettable, est oubliée involontairement en raison de la nature des processus bureaucratiques, de la fatigue cognitive institutionnelle ou d’un manque de rigueur dans la consignation. Durant la guerre du Kippour, le Général William E. DePuy, commandant du Training and Doctrine Command (TRADOC) de l’Armée américaine, a remarqué que les Israéliens ont abandonné leur doctrine axée uniquement sur les chars pour adopter des manœuvres interarmes, déduisant qu’il s’agissait d’une grande leçon8. Pourtant, à partir de l’expérience de la guerre des Six Jours six ans plus tôt, les Forces de défense israéliennes avaient déduit, à leurs dépens, que des chars à eux seuls seraient en mesure d’exécuter une contre-attaque décisive à l’avenir. Même en plein milieu d’une guerre, des leçons peuvent être oubliées pour différentes raisons. Le Major-général Chris Vokes, commandant de la 1re Division d’infanterie canadienne en Italie, avait souligné que même les barrages d’artillerie les plus puissants étaient « inefficaces, à moins que l’infanterie suive de près et tire pleinement profit de l’effet neutralisant »9. En effet, cette leçon de base a dû être répétée encore et encore.
La leçon « difficile à catégoriser »
Il est facile de créer des catégories de leçons, mais rien ne garantit que la guerre à l’étude donne lieu à une catégorisation claire. Il faut donc s’attendre à une certaine confusion. Prenons l’exemple du problème de la 2e Armée britannique avec la doctrine de canon antichar en Normandie. Les deux principaux types de terrains rencontrés étaient des champs de culture de maïs vallonnés découverts et des bocages couverts d’arbustes dressés, deux types de terrains très difficiles pour des manœuvres antichars. Certains observateurs ont fait remarquer qu’ « il était ainsi incroyablement ardu d’arriver aux bonnes conclusions quant au choix d’armement – et de faire la distinction entre les vraies et les fausses leçons [notre traduction et nos italiques] »10.
Votre propre expérience en matière de « leçons »
Comme l’a si bien dit Lord Keyes, « nous apprenons lentement et oublions rapidement. Les leçons tirées de l’étude des opérations antérieures sont souvent apprises, par essai et erreur et au prix de pénibles expériences, par chaque génération successive [notre traduction] »11. Vous avez sans doute reconnu, dans votre propre expérience, certaines des catégories de leçons présentées ici, sinon toutes. Pouvons-nous faire mieux que l’apprentissage par essai et erreur? Faites-nous part de vos commentaires.
Notes
1 DOAD 8010-0, Leçons retenues, 30 avril 2004.
2 Lieutenant-général Sir A.W. Currie, Canadian Corps Operations During the Year 1918, Interim Report (Ottawa: Department of Militia and Defence, sans date [vers 1919]), p. 3.
3 Centre des leçons retenues de l’Armée, Tanks Employment in Southern Afghanistan, Lesson Synopsis Report 07 003 (11 mai 2007).
4 Steven Metz, Learning from Iraq: Counterinsurgency in American Strategy (Carlisle, PA : Strategic Studies Institute, 2007), p. 76.
5 War Office, North Africa-Algeria and Tunisia, November 1942-March 1943, Notes from Theatres of War, no 13 (mai 1943), p. 3.
6 Paul Johnston, « The Myth of Manoeuvre Warfare: Attrition in Military History », Allan D. English, éd., The Changing Face of War : Learning from History (Montreal et Kingston : McGill-Queen’s University Press, 1998), p. 22 et 23.
7 Joseph J. Collins, « Desert Storm and the Lessons of Learning », Parameters 22, no 3 (automne 1992), p. 83.
8 Major Paul H. Herbert, Deciding What Has to Be Done: General William E. DePuy and the 1976 Edition of FM 100-5, Operations, Leavenworth Papers, No. 16. (Fort Leavenworth, Kansas : Combat Studies Institute, 1988), p. 31 et 33.
9 Major-général Chris Vokes, Crossing of the Moro and Capture of Ortona, (manuscrit non publié : H.Q. 1 Cdn Div, 14 mars 1944), p. 7.
10 The Invasion of Western Europe, RA 2 Army Arty Notes No. 2 (période du 19 juin au 6 août), Bibliothèque et Archives Canada, RG 24, volume 10, 554, fichier 215B2.013(D3).
11 Lord Keyes, Amphibious Warfare and Combined Operations (Cambridge : Cambridge University Press, 1943), p. 7.