Nouveau!

Ligne de mire

Critique de livre: Praxis Tacticum: The Art, Science and Practice of Military Tactics

  Le 20 decembre 2021 - Major John N. Rickard


Praxis Tacticum: The Art, Science and Practice of Military Tactics
Caption

Colonel Charles S. Oliviero
Praxis Tacticum: The Art, Science and Practice of Military Tactics
Toronto: Double Dagger Books, 2021
277 pages, diagrammes

Praxis Tacticum: The Art, Science and Practice of Military Tactics constitue la « compilation personnelle d’événements historiques, d’expériences et d’analyses » du colonel Charles Oliviero. Le but déclaré de ce dernier est de combler les lacunes « involontairement créées » dans la formation militaire professionnelle (FMP) des chefs subalternes. Praxis Tacticum est un guide d’étude permettant de mieux comprendre la tactique. Son auteur vise à « enseigner à penser », et non à enseigner la tactique. Toutefois, étant un ancien combattant à la retraite du Corps blindé royal canadien (CBRC), il est convaincu que l’Armée canadienne n’enseigne pas les tactiques classiques (il évite la contre-insurrection) et il est évident que c’est précisément ce que lui cherche à faire. Un de ses propres principes tactiques fondamentaux, par exemple, veut que les escadrons blindés ne doivent jamais être divisés. Ses efforts d’enseignement de la tactique sont en effet les bienvenus, car le Collège de commandement et d’état-major de l’Armée canadienne (CCEMAC) met davantage l’accent sur le processus de planification.

La Partie I est une vue d’ensemble des fondements théoriques et philosophiques des termes et des idées qu’il explore, mais, comme il le fait remarquer à juste titre, le lecteur peut sauter cette partie et « malgré tout glaner des renseignements utiles dans les trois parties suivantes ». La Partie II explore des idées clés que les chefs subalternes reconnaîtront, notamment la puissance de combat, le Schwerpunkt et l’effort principal, l’action offensive et plusieurs autres. La Partie III présente douze problèmes de nature tactique, notamment sur les articulations de la puissance de combat, l’effort principal, la perturbation et l’acceptation du désordre. Ses réponses personnelles aux problèmes sont malheureusement reléguées à une annexe. La Partie IV contient ses réflexions personnelles et les documents de référence. Les sections portant sur les armes individuelles de l’équipe interarmes ajoutent peu de choses aux connaissances que possèdent déjà les leaders tactiques subalternes. Cette partie est suivie par pas moins de vingt-deux annexes, y compris une longue liste de sujets apparemment aléatoires, par exemple la conception de l’instruction, la capacité de prendre soin de soi quand on est un chef, le processus d’analyse après action et bien d’autres. Assurément, ces annexes contiennent de nombreuses idées intéressantes, mais une grande partie de ce contenu aurait pu être intégré dans les parties principales. Ces annexes sont placées avant la conclusion. Malheureusement, il n’y a pas d’index permettant une consultation rapide.

Bien que la structure puisse être améliorée, les tacticiens subalternes canadiens trouveront beaucoup de matière pour stimuler leur curiosité et les amener à réfléchir et, comme le souligne le colonel Oliviero, ils ont le droit d’être en accord ou non avec ses idées. Il aurait pu aborder la tactique sous l’angle des principes de la guerre, mais, selon lui, « il pourrait bien y avoir » des principes universellement propres à la guerre, toutefois « nous ne sommes pas encore arrivés à les identifier ». Il aurait été utile qu’il lie ses idées aux principes fondamentaux actuels de la tactique ou qu’il examine, au niveau du groupement tactique, les fonctions « trouver », « fixer », « frapper » et « exploiter » et comment il est possible de bien les exécuter d’un point de vue tactique. Sa section sur les « mythes » est digne d’intérêt, particulièrement son affirmation que le champ de bataille n’est pas devenu/n’est pas en train de devenir plus meurtrier, une opinion que partage l’auteur de la présente critique. Le lecteur pourrait être déconcerté en apprenant que le colonel Oliviero estime que l’arme blindée constitue « l’arme décisive », tout en affirmant que toutes les armes servent à soutenir l’infanterie. Qu’est-ce que cela implique au niveau tactique? Il convient aussi de considérer son argument voulant que l’adoption d’une perspective neutre en réfléchissant sur l’offense ou la défense permette d’améliorer sa créativité lors de la résolution de problèmes de nature tactique. Est-ce que cette approche basée sur l’absence de préférence en matière d’offense ou de défense fonctionne vraiment? Est-ce que chefs tactiques subalternes canadiens devraient se considérer en mode défensif lorsqu’ils planifient une attaque dans la foulée? Voilà le genre de débat qui doit se dérouler en tout temps dans la tête d’un tacticien. Les officiers en service actif qui possèdent une expérience dans le domaine de la contre-insurrection pourraient avoir un point de vue différent sur ce sujet par rapport aux officiers formés aux méthodes traditionnelles.

Une des idées les plus importantes qu’il explore est le rôle du terrain, en affirmant avec fermeté que le vieux principe enseigné au Collège d’état-major selon lequel c’est « la situation sur le terrain qui dicte l’action; le terrain domine » est un « mantra répété de façon obsessive » et qu’il est erroné. Malheureusement, l’auteur a choisi d’utiliser comme exemples la bataille de Cannes de 216 av. J. C. et les manœuvres de groupe de l’armée du maréchal Erich von Manstein comme illustrations de ses propos. Il aurait été utile qu’il utilise une attaque menée par une équipe de combat canadienne moderne pour prouver son affirmation que le terrain ne domine pas la planification tactique. La discussion sur l’effort principal et le Schwerpunkt, intimement liés à la puissance de combat, est enrichissante, mais elle est trop longue : il descend de la stratosphère clausewitzienne en utilisant des références aux Lumières pour finalement arriver au sol couvert de boue foulée par les humbles tacticiens subalternes canadiens. Son illustration du concept s’en tient au niveau du corps et il n’explique pas à quoi fait référence la désignation « effort principal ». S’agit-il d’une impression ou d’une chose quantifiable dont la réalité se confirme par le fait que l’unité chargée d’agir à ce titre possède plus de puissance de combat que les unités de soutien?

Le livre contient probablement trop de discussions sur la nature de la guerre, Clausewitz, les « parallèles quotidiens », le réductionnisme cartésien et d’autres termes théoriques ou philosophiques. Il n’y a rien d’intrinsèquement mauvais à un tel fondement théorique, bien sûr, mais cela détourne quelque peu l’attention du niveau tactique et retarde l’arrivée au point qu’il veut faire. Néanmoins, les idées du colonel Oliviero incarnent le type de pensée dont nous avons besoin dans l’Armée canadienne. Le fait que personne n’ait jugé pertinent de rédiger un livre tel que celui-ci depuis que le major John English a écrit The Mechanized Battlefield: A Tactical Analysis il y a trente ans en dit long sur le niveau général d’acceptation/de dominance de la doctrine de l’Armée canadienne – tout ce qu’il y avait à dire a déjà été inclus dans le document B GL 300 001 Opérations terrestres, alors à quoi bon discuter de tactique?

Bien qu’on puisse avoir l’impression que Praxis Tacticum est en retard d’une génération, car il n’y a pas de discussions sur les drones et leurs effets sur la tactique, personne ne peut nier que l’appel du colonel Oliviero à « constamment remettre en question ce que nous croyons être tactiquement vrai » ou son affirmation que de trop nombreux chefs subalternes « sont à la recherche de processus méticuleusement préparés à l’avance menant à un résultat prévisible et sécurisant ». L’actuel personnel d’instruction du Collège d’état-major pourrait ne pas accepter cette autre déclaration de l’auteur voulant que tous ces processus « ne mènent à rien », mais il y a assurément bien peu de choses à contester dans son opinion voulant que puisque la tactique est un art, les chefs subalternes devraient être des artistes indépendants qui enrichissent leurs compétences en étudiant de manière autonome, car personne ne va étudier à leur place. Pour les tacticiens subalternes, Praxis Tacticum est un bon point de départ pour entreprendre ce processus. Mises à part les critiques formulées ci dessus, ce livre constitue une véritable nourriture pour l’esprit; il ne s’agit pas d’un simple pablum.

Détails de la page

2021-12-21