Plus forts ensemble : leçons de leadership de nos forces partenaires
par First Lieutenant Dylan Nigh - Le 25 Juillet 2022
temps de lecture : 15 min

La première semaine du mois de décembre de chaque année, les forces militaires du Canada et des États Unis se réunissent pour rendre hommage à leurs racines communes dans la Première Force de Service spécial (PFSS), une unité de para commandos de la Deuxième Guerre mondiale qui a été démantelée à Menton (France) le 5 décembre 1944. Le 1er Groupe des forces spéciales (aéroporté) [First Special Forces Group (Airborne) - 1SFG(A)] et le Régiment d’opérations spéciales du Canada (ROSC) passent la « Semaine de Menton » à participer à des compétitions par équipe, à des opérations aéroportées combinées et à un bal militaire. J’ai eu la chance d’assister à la plus récente édition de la « Semaine de Menton » en tant que membre du 1SFG(A) et, peu après, j’ai commencé à songer aux plus grandes leçons qu’on peut tirer d’un événement si particulier. Si d’autres ont souligné les avantages d’intégrer des officiers et MR de forces partenaires à la formation militaire professionnelle (FMP) , et que de l’instruction interarmées est une pratique courante , il me semble qu’il manque quelque chose dans cette conversation. Je me suis rapidement rendu compte que, même s’il ne manque pas de coopération entre des forces partenaires, ni de leçons de leadership au sein d’une force donnée, il y a des occasions à saisir dans l’intersection entre les deux. Bref, davantage de chefs devraient faire des recherches et établir des contacts avec des forces partenaires pour innover les façons d’aborder le leadership, rendant par le fait même leur institution meilleure.
Voici cinq leçons sur le leadership, chacune provenant d’une force partenaire unique : le Royaume Uni, la Nouvelle Zélande, les États‐Unis, l’Australie et le Canada. Ces leçons et d’autres montrent l’importance d’étudier la structure, la doctrine, l’histoire et les opinions de forces militaires alliées. Cette liste de leçons est loin d’être exhaustive et on pourrait certes trouver à redire sur la validité de certaines d’entre elles, mais en définitive, elles servent à souligner qu’il est nécessaire que les chefs de chaque force apprennent des autres.
1. Royaume‐Uni – Leadership centré sur l’action
Au cœur de la majeure partie de la philosophie de leadership enseigné aux chefs militaires du Royaume Uni est le modèle de leadership centré sur l’action de John Adair. Ce modèle établit les priorités de base des officiers et des MR, du niveau stratégique jusqu’au niveau tactique et accorde une grande valeur à ce que ces priorités soient convenablement équilibrées. Ce modèle commence avec une tâche assignée pour laquelle une équipe a été constituée. La nature de la tâche dictera le style de leadership qu’il faudra et la façon dont les chefs doivent surveiller les progrès jusqu’à l’achèvement. Cet accent mis sur l’accomplissement de la tâche représente l’« action » dans le leadership centré sur l’action et la première des trois priorités qu’un chef doit équilibrer. Les deux autres priorités sont la constitution convenable de l’équipe et l’habilitation des individus. Un chef efficace équilibrera son temps et ses efforts entre ces trois priorités; il ou elle prendra des décisions motivées de façon égale par la réussite de la mission, la cohésion de l’équipe et l’importance accordée à chacun de ses membres.
Par exemple, un commandant de sous unité peut être informé d’un exercice d’entraînement à venir. Il devrait étudier la nature dudit exercice et ce qui constituerait une réussite pour cette mission, faire le point sur l’état de son unité et planifier un calendrier d’entraînement et de préparation menant jusqu’à l’exercice. Une fois rendu sur place, il devrait surveiller les entraînements pour s’assurer que le plan est exécuté, que les membres de l’Équipe s’acquittent convenablement de leur rôle et que chaque membre est pris en charge et orienté dans le cadre de la mission. Bien que chaque priorité soit importante et qu’un bon équilibre devrait habituellement être un objectif, le commandant de cette sous unité comprendrait que n’importe laquelle des priorités peut prendre préséance sur les autres si la situation l’exige. Il saurait quand le succès de la mission l’emporte sur les besoins d’un individu ou quand il faut y accorder moins d’attention qu’à l’effectif de l’équipe.
2. Nouvelle Zélande – Coopération entre le commandement et les plans
Souvent, la taille d’un pays et sa situation géographique peuvent dicter les priorités et la nature de ses forces armées, et la Nouvelle Zélande en est un bon exemple. Sa petite taille relative et son insularité ont fait en sorte que ses forces armées sont une force relativement allégée et agile ayant des points forts et capacités uniques. L’un de ces points forts est leur capacité à planifier et commander les missions. Les chefs de Nouvelle‐Zélande sont souvent responsables de forces opérationnelles multinationales et produisent des effets d’envergure exceptionnelle sur les missions d’intervention en cas de crise et de maintien de la paix. C’est dû en partie à l’accent que les chefs de ce pays mettent sur l’intégration de la planification opérationnelle et du commandement. Peu importe leurs spécialités ou le service dont ils ou elles font partie, tous les chefs sont formés pour le processus de planification. La formation est ensuite mise en pratique à de multiples niveaux, et ceux qui sont au commandement interviennent toujours et donnent constamment de la rétroaction en cours de route.
Cette intégration du commandement et de la planification n’est pas unique à la Nouvelle-Zélande, mais elle lui a permis de prioriser la planification à l’échelle de la force et d’accroître la participation des chefs aux processus qui mènent à la réussite de la mission. Les commandants évitent encore de faire de la microgestion de leurs équipes de planification, mais ils montrent qu’ils sont investis et aident à les guider vers les résultats escomptés. L’importance de la planification est encore renforcée en exigeant des chefs qu’ils servent aux sections des plans et des opérations avant de retourner à l’ensemble de la force. Cela fait en sorte qu’aucun chef n’arrive au commandement sans une solide compréhension du processus de planification et sans respect pour ceux qui réalisent leur vision.
3. États‐Unis – Créer une identité commune
Tout comme les forces armées de la Nouvelle‐Zélande ont été façonnées par des circonstances extérieures, la taille des États-Unis et leurs objectifs géopolitiques ont contribué à développer leurs forces militaires pour devenir l’une des plus imposantes du monde. Le fait d’avoir une force d’une telle envergure apporte des avantages évidents en termes de défense nationale et du vaste éventail de capacités qui peuvent être développées, mais il présente aussi des défis uniques pour les personnes aux postes de responsabilité. L’un de ces défis consiste à garder les militaires motivés et intéressés lorsqu’ils risquent de se sentir insignifiants devant une organisation aussi vaste. Cela a mené les chefs des États-Unis à attribuer une grande importance au développement d’une identité commune, peu importe le niveau où ils exercent leur leadership ou la nature précise de leur équipe. Cela complète le genre de commandement de mission exercé par la plupart des forces occidentales et dont fait état le livre du général (ret) Stanley McChrystal intitulé « Team of Teams ».
Faire en sorte que les membres de l’équipe « adhèrent » à la mission et à la nature de l’équipe signifie de connaître les valeurs communes de l’équipe et ce qui la distingue des autres. Officiellement, cela peut commencer au niveau du peloton (de 16 à 60 personnes), mais une unité qui connaît un véritable succès voit cela se produire, de façon informelle, au niveau le plus bas possible (de 1 à 4 personnes). Un nouveau membre d’une équipe de tir saurait, par les paroles et les actions de son chef immédiat, qu’il ou elle fait partie intégrante de quelque chose de plus grand que sa propre personne, à savoir d’une entité à qui on a confié un important ensemble de missions. Une fois cela atteint à tous les niveaux inférieurs, la tendance peut être renforcée à l’aide de devises d’unité, de valeurs officielles et d’énoncés de vision. De nombreuses unités offrent même des articles vestimentaires ou de l’équipement de marque à l’effigie de l’unité et tiennent couramment des événements informels de cohésion pour leurs membres. Bien que ces gestes et d’autres puissent s’avérer très efficaces, le but ultime de susciter la confiance est partagé au sein d’une équipe et cet objectif se gagne ou se perd selon la façon dont les chefs traitent ceux qu’ils mènent. Ceux qui ont le plus de succès créent une identité commune grâce aux petits gestes qui montrent leur sollicitude et leur investissement dans la réussite de leur unité.
4. Australie – Communiquer dans de multiples directions
De nombreux ouvrages ont été écrits sur les leçons qu’on peut tirer des Forces armées australiennes, y compris le texte fondamental de Nicholas Jans intitulé Leadership Secrets of the Australian Army. Jans, et bien d’autres, ont souligné la nature égalitaire de la force et l’accent qu’elle met sur le développement de leaders grâce à l’instruction intentionnelle et la doctrine pratique. En combattant le mythe du « soldat naturel » et la distanciation par rapport à la hiérarchie plus rigide de leurs prédécesseurs britanniques, les Australiens ont créé leur propre culture unique qui valorise le leadership pratique et la communication franche. Dans cette veine, ils ont fait en sorte de prioriser la compétence de leadership qu’est la communication multidirectionnelle.
De nombreux chefs ont une préférence quant à la direction dans laquelle ils communiquent, que ce soit vers le haut pour s’adresser à leurs dirigeants ou vers le bas pour s’adresser à leur équipe, mais le vrai leadership est capable de communiquer dans de multiples directions : vers le haut avec les dirigeants, vers le bas avec ceux qu’on commande, horizontalement avec ses pairs, à l’extérieur avec les unités ou entités externes ou intérieurement, avec soi même. La hiérarchie plus horizontale des Forces australiennes permet des communications plus franches, mais les leaders se font enseigner davantage le tact interpersonnel et l’introspection. Les membres de l’équipe sont autorisés à parler honnêtement, mais les chefs savent comment et quand transmettre un message. Ils peuvent être honnêtes envers eux mêmes, cordiaux avec leurs pairs, équilibrés avec leur équipe ou formels avec des unités externes. Plus que tout, cela montre l’importance de la nuance dans le leadership; une leçon qui est renforcée au sein des Forces armées australiennes grâce à l’expérience et à l’instruction.
5. Canada – Le succès grâce à des efforts concertés
Enfin, le Canada montre l’importance des efforts concertés grâce à de multiples moyens. Premièrement, le Collège militaire royal du Canada, contrairement aux institutions équivalentes dans des pays comme le Royaume-Uni ou les États-Unis, forme des élèves officiers de tous les services des Forces . Cet environnement mixte favorise le réseautage et prévient la compartimentation, où les unités et les services, qui sont tenus isolés, développent leur propre langage opérationnel. Les futurs officiers de l’Armée, de l’Aviation et de la Marine apprennent les mêmes processus de planification et d’opération et développent des relations professionnelles avant même que leur carrière commence. Deuxièmement, chaque service a été ramené sous la bannière commune des Forces armées canadiennes (FAC) depuis 1968. Si cette décision n’a pas été sans controverse, et bon nombre de gens critiquent encore la nature interarmées réelle des FAC , d’autres croient que cela a permis aux Forces canadiennes d’atteindre un haut degré de cohésion et une compréhension commune . Ceux qui travaillent dans un environnement interarmées avec des unités canadiennes peuvent constater par eux-mêmes comment les chefs canadiens sont rapidement capables de s’adapter à l’environnement et à créer de façon succincte une image de la situation opérationnelle.
Ce qu’il faut retenir de ces exemples est clair : les chefs devraient toujours chercher des moyens pour améliorer la cohésion et créer une compréhension commune de la mission et du plan. La nature interreliée du monde et de l’environnement opérationnel moderne signifie que le fait d’avoir une bonne idée des capacités et des procédures des autres équipes est souvent crucial pour la réussite de la mission. Cela peut être accompli grâce à des exercices interarmées, des activités interalliées comme la Semaine de Menton ou de la FMP commune. Fait plus important, on rate une occasion lorsque les chefs d’une force quelconque négligent d’étudier les leçons des autres ou d’établir des réseaux avec leurs pairs de l’étranger.
Conclusion
Ces cinq brèves leçons ne sont qu’un petit aperçu des connaissances qui s’offrent à ceux et celles qui souhaitent en apprendre des forces partenaires, mais elles sont suffisantes pour justifier l’effort. J’enjoins les chefs des cinq forces incluses et d’ailleurs de prendre ce message à cœur et de faire connaître à leurs pairs le besoin d’apprendre les uns des autres. Plus nous agissons en ce sens, plus nous améliorons nos organisations et nous mêmes en tant que leaders. Si cet article peut convaincre un seul chef de regarder les partenaires dans le but d’apprendre, il aura atteint son but.
Le First Lieutenant Dylan Nigh est un officier de l’Armée des États-Unis au First Special Forces Command (Airborne), et il sert actuellement comme commandant adjoint de la Technical and Information Support Company (TISC). Il a un baccalauréat en biologie et une maîtrise en relations internationales, et il écrit souvent sur les affaires de sécurité nationale et le perfectionnement en leadership.
Notes
1 Diana Myers, « The Importance of Educating Foreign Military Officers ». Small Wars Journal, 17 août 2018. https://smallwarsjournal.com/jrnl/art/importance-educating-foreign-military-officers.
2 Samuel Northrup, « U.S. Soldiers Train with Canadian Counterparts ». www.army.mil, 2017. https://www.army.mil/article/186339/u_s_soldiers_train_with_canadian_counterparts .
3 John Adair, The Action-Centred Leader (Farnham : Gower Pub Co, 1979).
4 Divina Paredes, « John Holley: Leadership Lessons from the Frontline ». CIO New Zealand, 16 mai 2014. https://www2.cio.co.nz/article/545345/john_holley_leadership_leçons_from_frontline/.
5 Mark Stevens et coll., « Leaders’ Creation of Shared Identity Impacts Group Membres’ Effort and Performance: Evidence from an Exercice Task », PLOS ONE 14, no 7 (11 juillet 2019). https://doi.org/10.1371/journal.pone.0218984.
6 Général Stanley A. McChrystal et al., Team of Teams (Londres : Portfolio Penguin, 2015).
7 Nicholas Andrew Jans, Leadership Secrets of the Australian Army: Learn from the Best and Inspire Your Team for Great Results (Crows Nest, Australie : Allen & Unwin, 2018).
8 Harry Moffitt, « Six Leadership Lessons Learned from a Career in the Australian SAS », Leaders in Sport, 24 août 2021. https://leadersinsport.com/performance/six-leadership-lessons-learned-from-a-career-in-the-australian-sas/.
9 Collège militaire royal du Canada, 10 novembre 2021. https://www.rmc-cmr.ca/fr .
10 Daniel Vincent, « The Canadian Armed Forces Are Not Joint (Yet): An Institutional Analysis of Canadian Jointness ». Canadian Forces College (mai 2019). https://www.cfc.forces.gc.ca/259/290/308/305/vincent.pdf.
11 Le leadership dans les Forces canadiennes, publications.gc.ca, février 2005. https://publications.gc.ca/collections/collection_2013/dn-nd/D2-313-2-2005-fra.pdf .
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