Confidences de porteurs : épisode 6

Stanley G. Grizzle a travaillé comme porteur du Chemin de fer Canadien Pacifique pendant vingt ans. Ce grand militant a aussi travaillé comme fonctionnaire et juge de la citoyenneté. Passionné d’histoire, il n’a pas épargné les efforts pour documenter et préserver l’histoire des Noirs au Canada et ailleurs.
Sa collection, maintenant conservée à Bibliothèque et Archives Canada, a donné le ton à cette série. Dans le dernier épisode de « Confidences de porteurs », nous explorons comment les avancées syndicales ont pavé la voie vers un avenir plus prometteur pour les communautés noires au Canada. Cette lutte pour la reconnaissance des droits fondamentaux a joué un rôle clé dans l’édification d’un Canada plus fort et progressiste pour toutes et tous. (Épisode 6)
Durée : 1:01:15
Taille du fichier : 84.1 Mo Téléchargez MP3
Date de publication : 10 juillet 2025
-
Transcription de : « Le rôle des porteurs dans la formation du Canada moderne » - Épisode 6
Richard Provencher (RP) : Cette émission contient des termes offensants pouvant causer un préjudice psychologique pour faire référence aux communautés noires au Canada. De plus, certains témoignages décrivent des actes de violence physique et verbale difficiles à supporter.
Découvrez Bibliothèque et Archives Canada présente Confidences de porteurs. Cette minisérie décrit les expériences vécues par des hommes noirs du vingtième siècle qui ont travaillé comme porteurs de voitures-lits pour les chemins de fer Canadien National et Canadien Pacifique. Les porteurs, leurs femmes et leurs enfants racontent des histoires d’adversité, mais aussi de résilience.
Bienvenue à la première saison de Voix dévoilées, une série qui donne la parole aux communautés sous-représentées et marginalisées grâce à la vaste collection d’histoire orale de Bibliothèque et Archives Canada. Les récits sur les injustices, les conflits, la persévérance et la résolution de problèmes aident à comprendre l’influence du passé sur la vie présente. Ils nous incitent aussi à chercher de nouvelles voies pour un avenir meilleur.
Ici Richard Provencher, votre animateur pour la première saison de Voix dévoilées. Je suis ravi de vous présenter les histoires qui sont au cœur de la minisérie Confidences de porteurs.
Stanley G. Grizzle (SG) : À votre avis, qu’est-ce que le chemin de fer a fait pour vous?
Raymond Lewis (RL) : C’était une excellente école.
SG : D’accord.
RL : Dans mon travail de porteur, je m’asseyais pour cirer des souliers... Et chaque fois que je ramassais une chaussure, nettoyais une toilette ou lavais un crachoir, je réfléchissais. C’était l’école de l’adversité; j’ai fait mon travail, et je l’ai bien fait. Je me vois comme un vendeur pour le Canadien Pacifique, bien qu’ils ne m’aient pas payé en conséquence, ni manifesté de reconnaissance.
SG : D’accord.
RL : Mais quand j’y repense, je me dis, Mon Dieu, c’était très formateur. Les gens que j’ai rencontrés... les gens à qui j’ai parlé...
SG : D’accord. J’ai une dernière question. Vous m’avez dit ce que le chemin de fer a fait pour vous.
RL : Oui.
SG : D’après vous, qu’est-ce que la Fraternité des porteurs de wagons-dortoirs a accompli?
RL : Elle a fait de nous des hommes.
SG : D’accord.
RL : Elle a fait de nous des hommes parce que nous pouvions nous tenir debout et faire entendre notre voix.
Frank Collins (FC) : Je pense que c’était extraordinaire. La Fraternité des porteurs de wagons-dortoirs a été, à mes yeux, la première démarche importante des Noirs pour s’unir dans le Dominion du Canada.
SG : Pensez-vous que la présence de la Fraternité des porteurs de wagons-dortoirs à Winnipeg a eu un effet sur le respect accordé à la communauté noire localement?
Aurelius Leon Bennett (AB) : Oh oui. Très certainement, je pense. Ça a fait en sorte que les gens nous remarquent et que l’entreprise nous respecte davantage.
SG : D’accord.
AB : C’était donc une bonne chose que ça ait commencé ici.
SG : Maintenant, essayons d’examiner l’effet qu’a eu le syndicat sur l’ensemble de la communauté.
Leonard Oscar Johnston (LJ) : Ça a dynamisé la communauté.
SG : [inaudible] Les gens en général ou la communauté noire?
LJ : La communauté noire.
SG : Avec du recul, maintenant que vous êtes à la retraite, quel regard portez-vous sur votre expérience en tant que porteur? Dans l’ensemble, avez-vous aimé ce travail? Avez-vous trouvé que c’était une bonne expérience? Cela vous a-t-il appris quelque chose?
Harold Osburn Eastman (HE) : Travailler comme porteur a été une bonne expérience et ça ne me rend pas triste parce que ça m’a permis de gagner ma vie et de faire vivre ma famille. J’étais gestionnaire des voitures-restaurants lorsque j’ai pris ma retraite, donc je touche une assez bonne pension de retraite, même si je pense qu’elle devrait être indexée au coût de la vie.
SG : Oui, bien sûr.
HE : Oui.
RP : Avant de conclure chacune de ses entrevues, Stanley G. Grizzle offrait toujours à ses interlocuteurs l’occasion d’exprimer leurs réflexions. Lorsque Raymond Lewis a déclaré que le métier de porteur était très formateur, il a montré qu’il choisissait de surmonter l’adversité, qu’il éprouvait de la gratitude et qu’il trouvait même que son travail était instructif. Lorsque Frank Collins a expliqué le rôle essentiel de la Fraternité des porteurs de wagons-dortoirs dans l’union des communautés noires de l’ensemble du Canada, il a démontré que le mouvement syndical avait officialisé les liens profonds qui l’unissaient depuis longtemps à de lointains parents. Lorsqu’Aurelius Leon Bennett et Leonard Oscar Johnson ont évoqué le respect et l’élévation raciale, ils ont montré combien la syndicalisation avait contribué à la réussite des Noirs. Quant à Harold Osburn Eastman, en repensant au temps qu’il avait passé à bord des trains, il a exprimé son immense fierté d’avoir pu subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille. Tous ces récits nous en disent long sur le pouvoir et les luttes menées par les hommes noirs pour l’obtenir et le conserver tout au long de leur carrière.
Helen Williams Bailey, dont le mari et les frères ont travaillé comme porteurs de voitures-lits, renchérit sur les propos de M. Eastman. Pour elle, la syndicalisation était le seul moyen de s’attaquer aux rapports de force inégaux qui rendaient le travail des porteurs invisible, et cela a assuré un avenir meilleur à ces hommes et aux générations suivantes.
SG : Selon vous, qu’a fait la Fraternité pour améliorer la situation des Noirs...
Helen Williams Bailey (HB) : Eh bien, mm-hmm.
SG : ... des porteurs et de leur famille, et des travailleurs noirs, en général, dans la communauté?
HB : La Fraternité a augmenté leur niveau de vie parce que, naturellement, leurs conditions de travail se sont améliorées, tout comme leurs salaires. Je pense qu’ensuite les hommes en sont venus à ressentir du respect pour eux-mêmes parce qu’ils parvenaient désormais à subvenir dignement aux besoins de leur famille.
RP : Les porteurs supportaient la culture d’entreprise abusive des chemins de fer canadiens à cause des perspectives d’emploi limitées qu’ils avaient à l’époque. Ils savaient que tolérer l’exploitation était le seul moyen pour eux de subvenir aux besoins de leur famille. Les porteurs rêvaient d’un avenir meilleur pour leurs enfants, leurs communautés et leur nation, et travaillaient dur pour faire de ce rêve une réalité.
Heureusement, la négociation fructueuse de nouvelles conventions collectives, pendant et après la Seconde Guerre mondiale, a rendu le travail supportable, le salaire plus équitable et leurs rêves possibles. Judith Williams-Graham, dont le père a travaillé pour la division de Calgary du Canadien Pacifique pendant près de 33 ans, explique comment les acquis syndicaux lui ont permis de grandir dans un foyer financièrement stable.
Judith Williams-Graham (JWG) : En 1952, j’avais quatre ans et nous vivions dans une maison près du terrain du Stampede. Mon père avait loué cette maison à son arrivée à Calgary pour travailler comme porteur. Il avait économisé la moitié de l’argent pour l’acheter en 1938 et on a refusé de lui accorder un prêt. Il a pris des pensionnaires et des locataires. Lorsqu’il a épousé ma mère en 1940, ils étaient propriétaires de la maison et ils faisaient quand même des économies en ayant parfois un pensionnaire. Mais ce n’était pas nécessaire...
Je sais que la stabilité d’un emploi syndiqué a permis à ma mère de devenir femme au foyer et lui a évité de devoir travailler comme domestique. Elle n’avait donc pas à travailler à l’extérieur pour qu’ils puissent gagner leur vie. Mon père a acheté un terrain dans le sud-ouest de Calgary, sur la 43e avenue, et nous avons vu la construction du début à la fin; ses frères se sont occupés du stuc et du plâtrage. Il était très fier de dire qu’il n’avait jamais eu besoin d’un prêt de plus de trois ans sur une propriété. Ils s’en sont donc bien sortis. Ensuite nous avons vu les autres, dans les années cinquante, après 1952, acheter de nouvelles maisons, conduire de nouvelles voitures, partir en vacances. Nous avons eu une vie belle et stable.
RP : Cheryl Foggo, auteure primée, réalisatrice de documentaires, scénariste et dramaturge qui a également des liens familiaux profonds avec le métier de porteur, nous amène à voir au-delà de l’aspect personnel, en explorant l’effet d’entraînement important que l’amélioration des salaires a eu sur la communauté noire de Calgary.
Cheryl Foggo (CF) : Ils ont également déménagé dans d’autres quartiers de Calgary ils ne pouvaient pas s’installer auparavant. Je pense que c’était en partie parce que les gens ne dépendaient plus des systèmes qui les avaient empêchés de vivre dans d’autres quartiers. Ils se butaient encore à une certaine résistance et les gens faisaient encore circuler des pétitions. Mais si vous aviez de l’argent pour vous installer dans un quartier, vous n’aviez pas à passer par le système bancaire qui vous mettait des bâtons dans les roues. Ou si vous étiez membre d’une organisation comme une coopérative de crédit... À Vancouver, où les Noirs ont notamment créé leurs propres établissements de crédit, on ne pouvait pas vraiment vous empêcher de vivre dans un autre quartier. C’était donc à la fois une bénédiction et une malédiction... La syndicalisation des membres de la Fraternité a engendré une stabilité économique, non seulement pour les porteurs et leur famille, mais aussi pour d’autres personnes qui avaient des entreprises connexes liées aux porteurs. Les gens n’avaient plus nécessairement à compter sur des systèmes racistes qui visaient à les empêcher de posséder des maisons et ce genre de choses, ce qui a marqué un tournant important pour la communauté. Une partie de la proximité a toutefois été perdue parce que les gens ne vivaient plus à quelques pas les uns des autres, mais c’était un changement nécessaire.
RP : Comme Mme Williams-Graham et Mme Foggo, Joseph Morris Sealy, qui a travaillé pendant 46 ans au sein de la division de Montréal du Canadien Pacifique, a insisté sur l’impact fondamental qu’ont eu les acquis syndicaux sur la vie des Noirs au Canada. De son point de vue de père, le changement le plus important a concerné les enfants des porteurs et le grand potentiel d’ascension pour les générations suivantes.
Joseph Morris Sealy (JS) : Beaucoup de membres de la Fraternité des porteurs de wagons-dortoirs ont pu offrir une stabilité financière à leur famille. Grâce au travail du père, les enfants des porteurs ont bénéficié de nouvelles occasions qui s’ouvraient à eux. Le monde évoluait; ces enfants allaient à l’école, s’instruisaient et décrochaient des emplois en dehors du milieu ferroviaire. Je crois que cela a été bénéfique pour la communauté, parce que des jeunes d’un autre milieu, des jeunes ambitieux, s’intégraient au monde extérieur. C’est ça. Ça a été bénéfique pour la communauté.
RP : Malgré les acquis syndicaux, le travail de porteur restait difficile. Les porteurs sacrifiaient du temps en famille pour effectuer de longs trajets partout au Canada et jusqu’aux États-Unis, composaient avec les exigences de clients grossiers et parfois racistes, et étaient continuellement confrontés au manque de sommeil. De nombreux porteurs ont souligné que ces conditions difficiles étaient le lourd tribut à payer pour assurer un avenir meilleur à leurs enfants et se sont efforcés de protéger ceux-ci des dures réalités du métier. Mme Williams-Graham était l’une de ces enfants.
JWG : Quand j’étais petite fille, mon père, Roy Williams, était porteur et travaillait sur les chemins de fer, et ma mère était auxiliaire féminine. J’étais une des petites dernières de la famille, donc mes cousins étaient tous plus âgés que moi. J’étais donc la petite fille qui était là, à écouter les conversations des adultes. Maintenant que j’y repense, car je me souviens des histoires et à quel point j’aimais les écouter, il n’y a jamais eu un seul mot négatif. Au cours de ma vie, je n’ai jamais entendu mon père ou mon oncle tenir de propos négatifs concernant leur travail pour les chemins de fer. Ce n’est qu’à l’âge adulte que j’ai vraiment pris conscience de ce qu’ils vivaient... À la maison, mes oncles et mon père dépeignaient une ambiance joyeuse. Ils se concentraient sur les aspects positifs de leur travail. Ils nous ont épargné ce qu’ils ont dû subir. Était-ce un effort conscient de leur part pour nous empêcher de ressentir leur douleur, ou ne voulaient-ils tout simplement pas la verbaliser et la revivre? Ce que je percevais, c’est qu’ils travaillaient très dur pour l’égalité, pour la justice, pour avoir le droit de réussir dans la société, pour vaincre...
RP : Ce n’est que plus tard dans sa vie, en menant ses propres recherches sur le métier de porteur et en discutant avec d’autres membres de sa famille, que Mme Williams-Graham a pris conscience des efforts déployés par son père et sa mère pour qu’elle n’ait pas la même enfance qu’eux, pour qu’elle n’ait pas à se battre comme eux l’avaient fait.
JWG : Je me souviens que ma mère avait organisé la maison pour que tout soit prêt et tranquille pour quand mon père était en ville. Elle se donnait beaucoup de mal pour s’assurer que la maison soit calme et qu’il se repose. Elle préparait ses soupers préférés quand il était là. C’était toujours tellement excitant. « Papa rentre à la maison demain » ou « Nous allons aller chercher papa. » Vous savez, j’étais une vraie fille à papa. Il m’emmenait en voyage à bord des trains. Je suis montée dans une locomotive à vapeur. Vous savez, j’ai voyagé à bord du Canadien. J’ai même pris les petits trains de banlieue de Calgary à Edmonton...
Quand mon père m’emmenait à bord du train, il disait toujours : « Voici ma fille. » Et je demandais tout le temps : « Qu’est-ce que c’est? À quoi ça sert? » J’étais curieuse, tout m’intriguait. Il me montrait donc tout ce qu’il y avait dans le train et m’en expliquait le fonctionnement. Je me souviens d’avoir regardé mon père et les autres porteurs de voitures-lits préparer soigneusement les voitures. Ils étaient très méticuleux. Ils utilisaient une grosse clé pour ouvrir la couchette supérieure où se trouvaient les couvertures, les oreillers, etc. Ensuite ils faisaient le lit de la couchette inférieure. Ils mettaient en place de très grands rideaux pour donner de l’intimité.
J’ignorais totalement que mon père ne dormait pas, qu’il devait rester éveillé pendant de longues heures. Je me souviens d’être allée dans la voiture-restaurant lors d’un voyage à Nelson. Mon père m’a dit « Oh nous allons à la voiture-restaurant »; il en faisait toute une histoire. Je me suis assise et il y avait une nappe en tissu blanc, de l’argenterie, et on m’a mis une serviette en tissu blanc sur les genoux. Je me souviens d’avoir mangé des crêpes avec du sirop d’érable. Je ne savais absolument pas que mon père n’avait pas le droit de manger avec moi parce qu’il était porteur. Vous savez, j’étais tellement excitée et occupée par toutes ces nouveautés. Mon père était si fier de me montrer ces choses. Je ne réalisais pas qu’il devait manger derrière un rideau ni tout ce que les porteurs devaient endurer.
Je me souviens de notre arrivée à Nelson. Évidemment, comme les porteurs ne dormaient pas, une fois arrivés dans la ville, ils devaient aller dans les quartiers des porteurs pour se reposer avant leur prochain quart de travail. Pour ma part, j’avais bien dormi et j’étais impatiente de voir la ville, mais mon père, lui, devait se reposer. Alors j’ai dû m’occuper pendant qu’il se reposait. Mais ce sont des moments heureux qu’il m’a fait vivre...
RP : Certains enfants, comme la jeune Judith Williams-Graham, n’étaient pas au courant des dures réalités du métier de porteur, alors que d’autres enfants étaient parfaitement conscients des énormes sacrifices que leurs pères faisaient pour eux. C’était le cas d’Ivy Lawrence Maynier. Son père, Alexander Lawrence, était originaire du Guyana. Il était ingénieur de formation et a eu une longue et brillante carrière au sein du Canadien Pacifique à Montréal, où il fut porteur et leader syndical. C’est son travail qui a permis à Mme Maynier de fréquenter l’Université McGill et la faculté de droit de l’Université de Toronto et d’y obtenir des diplômes, avant de devenir membre des Inns of Court (collèges de barristers) à Londres, où elle fut admise au barreau d’Angleterre en 1947. Écoutez-la raconter le moment où elle a pris conscience du prix que son père a payé pour qu’elle réussisse.
Ivy Lawrence Maynier (ILM) : Je fréquentais alors l’université. Je suis allée à la bibliothèque pour étudier un peu. Puis je suis allée à la gare, et là, j’ai cherché la voiture de mon père. La nuit était très froide. Je n’étais vraiment pas bien. Mais je voulais y aller, car je savais que mon père travaillait et qu’il était sur appel. Je suis allée à la gare, et j’ai cherché mon père le long de la voie. Il était là, debout, à l’extérieur. C’était un tout petit homme trapu. J’ai regardé dans sa direction pour attirer son attention. Il était là, debout, la casquette couverte de neige. Ses épaules étaient voûtées, comme ça. Et il ventait très fort sur la voie. C’était terrible. Il restait planté debout, et la neige s’accumulait sur lui. Je suis allée m’asseoir près de l’endroit où les trains partaient.
SG : D’accord.
ILM : Je me suis assise sur un banc et j’ai pleuré. Je n’oublierai jamais ce moment.
SG : Pourquoi?
ILM : Ce que papa devait faire...
SG : Mm.
ILM : ... ce qu’il subissait pour se tenir là. Ce froid, sa tête rentrée entre ses épaules et ce vent qui soufflait... À l’époque, les pourboires étaient bien maigres.
SG : D’accord.
ILM : Vous savez, si quelqu’un vous donnait une pièce de 25 cents, c’était bien. [rires]
SG : Je vois.
ILM : Je m’en souviendrai toujours. Je suis allée m’asseoir sur le banc. Les bancs n’avaient pas de dossiers. Il y avait seulement des bancs [inaudible] à l’époque.
SG : Oui.
ILM : Je suis allée m’asseoir sur un de ces bancs et j’ai pleuré à chaudes larmes. Une vieille dame s’est approchée; elle s’est assise à côté de moi, m’a prise dans ses bras et m’a dit : « Je ne te demanderai pas pourquoi tu pleures. Mais je veux seulement te dire que tout ira bien. Tout ira bien. » Le souvenir de cette vieille dame est gravé dans ma mémoire.
RP : Pour les porteurs, le changement a d’abord pris forme sur le terrain avec des efforts de syndicalisation qui ont ouvert la voie à des négociations de nouvelles conventions collectives équitables. Les acquis de l’après-guerre ont eu un effet presque immédiat sur les proches des porteurs et sur leurs communautés.
Les hommes ont rapidement commencé à utiliser le pouvoir qu’ils avaient acquis au fil des changements afin de militer contre le racisme envers les Noirs dans d’autres sphères de la société. Ils ont ainsi contribué à jeter les bases d’un Canada plus moderne et plus juste. Melvin Crump, Harold James Fowler et Oliver Davis font part de leurs réflexions sur les transformations profondes qu’ils ont vécues à la suite de cette évolution. L’assurance qu’ils ont acquise grâce à l’ascension raciale est manifeste.
Melvin Crump (MC) : ... On peut dire que les syndicats ont ouvert la porte aux jeunes hommes noirs du Canada qui sont devenus porteurs pour le Chemin de fer Canadien Pacifique. J’étais membre du syndicat et je suis l’un de ceux qui ont aidé à ouvrir cette porte. Ce que je veux dire par là, c’est que l’amélioration des conditions de travail pour la génération suivante de porteurs s’inscrit dans ce contexte. Tout d’abord, il y a eu le syndicat. Ensuite, nous, membres du syndicat, avons contribué à préparer le terrain pour la prochaine génération. Je suis fier d’y avoir contribué, de savoir que nous avons joué un rôle, que nous avons aidé à frayer la voie à la génération suivante.
Stanley : Comment?
Melvin : Eh bien, ils n’ont pas eu à passer par les épreuves que j’ai dû traverser, et ils ont obtenu pour leur travail le triple de ce que je gagnais pour les tâches que j’effectuais. Et je suis l’un de ceux qui ont contribué à leur offrir cette possibilité. De façon générale, c’est au syndicat qu’on devait tout cela.
SG : ... Avez-vous, pour finir, des commentaires ou des observations sur la Fraternité des porteurs de wagons-dortoirs? Son effet sur vous, sur la communauté, ce qu’elle lui a apporté?
Harold James Fowler (HF) : Je pense que la Fraternité a eu un effet important parce qu’elle a élevé les normes de travail des porteurs, et bien qu’on n’en ait guère parlé, les porteurs ont fait beaucoup pour ce pays. Pas tellement pour eux-mêmes, car ils étaient trop occupés pour s’occuper d’autre chose, vous savez, mais ils ont fait beaucoup en matière d’éducation, dans les familles. Les porteurs d’Amérique du Nord ont beaucoup contribué à l’ascension raciale, vous savez... Ce que le syndicat a fait de plus important, c’est de permettre aux gens d’acheter des maisons et peut-être d’essayer d’envoyer leurs enfants faire des études plus longues, parce que cela procure une sécurité. Avant, on pouvait vous congédier sans même vous dire pourquoi. Vous savez, ça ne donne pas envie de prendre le risque de faire quelque chose comme acheter une maison.
Oliver Davis : Par-dessus tout, cela nous a certainement donné un sentiment de dignité et d’indépendance. Je ne sais pas si on peut mesurer les bienfaits, mais il y en a eu beaucoup, Stan. Parce que nous nous sommes rapprochés. Cela a engendré une prise de conscience collective. Nous avons pris confiance. Nous avions l’impression de prendre les choses en main pour nous-mêmes et pour nos collègues et leurs familles. Je ne sais pas comment on peut mesurer ce genre de chose. C’était colossal. C’était extraordinairement stimulant.
RP : Les porteurs savaient depuis longtemps que leur militantisme ne devait pas se limiter aux wagons où ils travaillaient. Il restait beaucoup à faire pour garantir un avenir meilleur à leurs enfants. Pour ces hommes noirs, ce n’était qu’un début.
Beaucoup d’entre eux ont continué de réclamer des changements là où ils vivaient, en ciblant la ségrégation et les pratiques racistes en matière de logement. D’autres, qui étaient leaders au sein des syndicats des chemins de fer et de divers organismes communautaires aux mandats provinciaux et nationaux, ont mis à profit leur expérience pour lutter contre les pratiques d’embauche et d’emploi injustes ainsi que contre le traitement discriminatoire. Ils ont été aidés en cela par la Loi canadienne sur les justes méthodes d’emploi, adoptée par le gouvernement fédéral en 1953. D’autres encore ont gravi les échelons du Congrès des métiers et du travail du Canada (rebaptisé Congrès du travail du Canada en 1956), créant ainsi un mouvement syndical plus inclusif qui répondrait aux besoins de Canadiens d’origines diverses.
Comme l’explique Charles Allen Milton Hog, l’activisme social était, pour beaucoup, le prolongement logique de l’engagement syndical, ouvrant clairement la voie à suivre pour relever les défis auxquels les citoyens noirs et d’autres groupes marginalisés faisaient face durant l’après-guerre.
SG : J’ai eu l’impression qu’au sein de la Fraternité des porteurs de wagons-dortoirs, certains membres se sont inspirés de l’élan du syndicat pour former des groupes économiques, des groupes d’investissement.
Charles Allen Milton Hog (CH) : Je sais que les membres de la Fraternité ont été actifs. Il faut savoir qu’à l’époque, les dirigeants de la communauté noire étaient tous des hommes qui travaillaient sur les chemins de fer. Ils ont eux-mêmes œuvré pour améliorer les conditions et le bien-être des gens localement... Mais ça ne s’est pas fait par l’intermédiaire de la Fraternité. En fait, quand je suis arrivé de la Jamaïque, il n’existait pas d’organisation noire digne de ce nom à Montréal. Nous nous sommes rassemblés et avec l’aide d’amis, des amis blancs, nous avons formé un groupe appelé NCA.
SG : Que signifie NCA?
CH : Negro Citizenship Association.
RP : Comme le souligne M. Hog, les porteurs étaient depuis longtemps des leaders dans leurs communautés, inspirant des changements grâce aux organisations qu’eux-mêmes, leurs épouses et leurs proches aidaient à créer et à préserver. Les progrès avaient lieu sur un plan personnel et local.
Cecil Foster, directeur du Département d’études transnationales de l’Université de Buffalo et auteur de They Call Me George: The Untold Story of Black Train Porters and the Birth of Modern Canada, s’exprime à ce sujet. Il explique comment des organisations telles que la Negro Citizenship Association ont été, pour la défense des Noirs, des espaces importants qui ont ensuite provoqué des changements à l’échelle nationale.
Dr. Cecil Foster (CF) : Si on songe aux associations que les Noirs ont créées en Amérique du Nord, afin de se mobiliser pour les droits civiques et de défendre leurs intérêts, on peut évoquer la NAACP (National Association for the Advancement of Colored People) aux États-Unis.
Au Canada, la NCA, la Negro Citizenship Association, était l’un des nombreux groupes que les Noirs avaient fondés au fil du temps pour défendre leurs intérêts... Ainsi, la NCA, dont le siège était établi à Toronto, rassemblait certains des plus grands militants et d’autres personnes des communautés noires de partout au Canada. Ils mettaient l’accent sur le mot « citoyenneté », le but étant d’obtenir des droits de citoyenneté à part entière pour tous les membres. Leur combat s’est ensuite élargi pour que tous les sujets et citoyens qui n’avaient pas de droits de citoyenneté à part entière accèdent à la pleine citoyenneté. Ils ont ainsi noué des alliances avec les Japonais, les Chinois, les groupes juifs et d’autres, et ont formé un éventail plus vaste de groupes de fraternité. La NCA était alors, dans les années 1940 et 1950, une nouvelle force de représentation des communautés noires partout au Canada.
RP : La Negro Citizenship Association a été fondée à Toronto en 1951 et, deux ans plus tard, une section a été établie à Montréal. La lutte contre la discrimination était l’objectif principal de cette coalition de groupes syndicaux, religieux et fraternels. Comme ceux qui participaient au mouvement syndical, les hommes noirs reconnaissaient également le pouvoir de la coordination avec d’autres communautés que celles avec lesquelles ils entretenaient habituellement des liens. L’alliance et la solidarité sont devenues des composantes vitales de l’activisme social qu’elles ont favorisé.
Au printemps 1954, une délégation de porteurs, d’anciens porteurs et d’alliés, qui faisaient partie de la section torontoise de la Negro Citizenship Association, a affrété une voiture-lit pour se rendre à Ottawa. Ils avaient l’intention de rencontrer des membres du gouvernement St-Laurent pour donner leurs points de vue sur l’élargissement de la définition de la citoyenneté canadienne et parler de la nécessité d’assouplir les politiques d’immigration. La Loi sur la citoyenneté canadienne de 1946, bien qu’elle ait créé une citoyenneté canadienne distincte du statut de sujet britannique, favorisait tout de même les personnes d’ascendance britannique. La Loi sur l’immigration de 1952 adoptait également une approche sélective sur le plan racial.
La délégation de porteurs estimait que ces lois ne prenaient en considération ni les porteurs, ni leurs communautés, ni les personnes issues d’autres groupes minoritaires ou stigmatisés. La création récente de l’Organisation des Nations Unies et l’adoption en 1948 de sa Déclaration universelle des droits de l’homme a également donné à ces hommes des mots avec lesquels faire pression sur les politiciens. Ce rêve qu’ils avaient de créer une fraternité universelle accueillant sans distinction tous les citoyens fut une première expression du multiculturalisme, une politique qui continue de définir notre nation.
M. Foster poursuit ici en évoquant les liens que les membres de la délégation de porteurs ont établis entre l’identité canadienne, le sentiment d’appartenance et le rôle que l’immigration devrait jouer dans la construction de la nation. Il met notamment de l’avant les notions définies par l’un des délégués : Stanley G. Grizzle.
CF : Ils y allaient principalement pour parler de l’immigration au Canada. Il ne faut pas oublier que le mot « immigration » est une façon élégante de parler de la façon dont on choisit les futurs citoyens. Il estimait que le Canada devait choisir ses citoyens de façon très pragmatique et que ce pragmatisme devait s’inscrire dans le respect de la loi, en ayant une vision commune de ce qu’être un sujet britannique signifiait, de sorte que tous les sujets britanniques soient traités sur un pied d’égalité. Il considérait aussi que le Canada devait se détourner de ce qu’il appelait le rideau de fer du racisme, c’est-à-dire qu’il percevait un rideau de fer entre les blancs et les non-blancs dans le monde, un peu comme le rideau de fer entre l’Est et l’Ouest à cette époque, qui divisait les socialistes et les capitalistes. Et il a dit : « Vous ne pouvez pas continuer comme ça alors que 90 % du monde est non-blanc; le Canada a besoin de travailleurs et a besoin de citoyens. Il faut accueillir davantage d’immigrants. »
RP : Ce lobbying de militants noirs, sous la houlette des membres de la Negro Citizenship Association, combiné aux pressions exercées par divers gouvernements des Caraïbes, a contribué à ouvrir la voie à un changement de cap de la politique d’immigration canadienne. En 1955, après la signature d’accords bilatéraux avec la Jamaïque, Trinité et la Barbade, le gouvernement fédéral a établi le programme de recrutement de domestiques antillaises, un programme d’immigration qui permettait aux femmes des Caraïbes de venir au Canada en tant que domestiques. M. Foster nous explique comment ce programme a ouvert la voie à d’autres changements.
CF : C’est le programme des domestiques qui a vraiment stimulé la politique d’immigration du Canada parce qu’avec l’arrivée de ces premiers groupes de femmes noires des Antilles, les portes étaient ouvertes à un plus grand nombre d’immigrants venus du monde entier. Peu de temps après, nous avons eu des programmes similaires de domestiques originaires des Philippines ou du Mexique, ou des programmes de travail au pair.
Ces programmes reposaient tous sur l’idée que le Canada devrait permettre à des citoyens noirs, et en particulier à des femmes noires, de venir au Canada, de voter, de donner la citoyenneté canadienne à leurs enfants et de bien vivre. L’idée était de leur accorder un traitement équitable à tous les égards, notamment en matière de travail et de logement. Ces personnes devaient avoir tous les droits et privilèges conférés par la citoyenneté.
RP : Souvent, les femmes noires qui immigraient au Canada dans le cadre de ce programme de domestiques avaient tout à apprendre de l’emploi, car bon nombre d’entre elles faisaient partie de la classe moyenne urbaine et avaient étudié pour occuper des postes de bureau, d’enseignement ou de soins infirmiers. Comme les porteurs avant elles, ces femmes noires ont connu la mobilité descendante et l’invisibilité au sein de la société canadienne.
Alors que moins de 3 000 femmes sont venues au Canada dans le cadre du programme, l’arrivée de centaines de leurs parents et amis a favorisé la croissance des communautés noires et de la culture caribéenne, en particulier à Montréal et à Toronto. Ce n’est qu’en 1962 que le gouvernement Diefenbaker a commencé à supprimer les critères raciaux de la politique d’immigration du Canada, pour finalement aboutir à l’adoption d’un « système de points » en 1967 (Williams, 105-106; Whitaker).
En plus de s’attaquer aux iniquités dans les pratiques et les politiques en matière de travail, de citoyenneté et d’immigration, les militants noirs qui avaient des liens profonds avec le métier de porteur ont transformé le discours et l’approche en matière de droits de la personne au Canada. Ils ont reconnu dès le début que la diversité faisait partie intégrante de l’identité canadienne, et leur travail de défense des droits a eu une incidence sur la politique du premier ministre Pierre Elliot Trudeau en matière de multiculturalisme, ainsi que sur la Charte canadienne des droits et libertés adoptée par son gouvernement en 1982.
Le mouvement américain des droits civiques a sûrement eu un impact sur l’activisme des Noirs au Canada, mais Dorothy Williams, auteure des ouvrages de référence Blacks in Montreal: 1628-1986 et The Road to Now: A History of Blacks in Montreal, veille à faire une distinction entre ce qui se passait ici et aux États-Unis.
Dr. Dorothy Williams (DW) : ... J’hésite toujours un peu à qualifier cela de lutte pour les droits civiques. C’était en réalité une lutte pour les droits de la personne, ici, dans ce pays. Je ne dirais pas que les Noirs ont été privés de leur droit de vote. En fait, ils avaient les mêmes restrictions, il fallait être propriétaire, il fallait être un homme, puis les choses ont changé et les femmes ont obtenu le droit de vote au XXe siècle. Je vois davantage cette lutte comme un combat pour le droit d’avoir des interactions sociales et d’être dans la sphère sociale sans crainte, sans restriction. La différence est peut-être subtile, mais cela reste une différence entre un droit civique et un droit de la personne, n’est-ce pas?
RP : Bien que Saje Mathieu, professeure associée d’histoire à l’Université du Minnesota et auteure de l’ouvrage North of the Color Line: Migration and Black Resistance in Canada, 1870–1955, parle indifféremment de droits civiques et de droits de la personne, ses observations montrent les raisons profondes pour lesquelles de nombreux porteurs étaient particulièrement bien placés pour lutter en faveur de la justice sociale
Dr. Saje Mathieu (SM) : Ils se prononcent systématiquement en faveur des droits de la personne au Canada, surtout à partir des années cinquante, lorsque cette formulation devient dominante pour parler de la déségrégation ou pour mettre fin aux pratiques anti-Noirs. J’ai trouvé de formidables comptes rendus de porteurs de voitures-lits qui passaient les quelques jours de congé qu’ils avaient à plaider leur cause devant les tribunaux de l’immigration, à rédiger des lettres aux représentants du gouvernement ou à se rendre à Ottawa dans l’espoir de les rencontrer. Autrement dit, ils mettaient en pratique la citoyenneté.
Pour les immigrants originaires de pays où l’accès aux coulisses du pouvoir était restreint, je suis convaincue qu’il était d’autant plus important de mettre en pratique la citoyenneté et d’utiliser ces espaces où ils pouvaient le faire au Canada. Prenons l’exemple d’une personne venant du Mississippi ou de l’Alabama, où moins de cinq pour cent des gens pouvaient s’inscrire sur les listes électorales. Je peux vous garantir que cette personne, qui faisait le chemin jusqu’au Canada pour entamer une nouvelle vie, s’assurait de voter et d’être entendue par son homme d’État élu. Et c’est ce qui ressort des lettres rédigées par ces personnes. Elles disaient : « Regardez, j’écris en tant qu’électeur. Cette question est importante pour moi. Vous êtes mon représentant et j’attends une réponse de votre part. Je lis régulièrement le Hansard et je vérifierai qu’il contient une réponse à cette question. » J’ai trouvé cela assez incroyable.
Pour moi, personnellement et dans le cadre de mon travail, les porteurs sont donc des pionniers du mouvement de défense des droits civiques au Canada. Il est logique qu’ils le soient, car ces hommes voient tout le pays. Ils établissent des liens entre différentes parties du pays, entre différentes communautés noires. Ils entendent ce qui se passe à Vancouver et le font savoir jusqu’à Halifax. Ils ont, dans le pays, le plus grand sens de ce qui imprègne la vie des Noirs au Canada, de ce qui leur apporte de la joie, de ce qui enrichit leur expérience. Mais ils sont aussi ceux qui entendent le plus souvent les inquiétudes des Afro-Canadiens.
RP : Alors que les militants noirs évoluant dans l’univers des porteurs poursuivaient leur lutte contre le racisme envers les Noirs dans la société en général, l’industrie ferroviaire connaissait de profondes transformations, entraînant un déclin rapide du service de transport de passagers au Canada. À bien des égards, comme Mme Williams l’a souligné, la syndicalisation est venue trop tard pour bon nombre de ces hommes.
DW : Le temps qu’ils gagnent leur combat, l’industrie ferroviaire était fichue. Pour les particuliers, les propriétaires de maisons, la voiture remplace peu à peu le train comme principal moyen de transport. La syndicalisation aurait pu avoir un impact bien plus grand avant la Seconde Guerre mondiale, en particulier dans les années 1930; elle aurait rendu la vie de ces hommes beaucoup plus facile. Mais alors que leurs efforts commencent enfin à porter leurs fruits, on assiste à l’expansion fulgurante des banlieues partout en Amérique du Nord, qui fait en sorte que les gens doivent acheter des voitures pour aller travailler en ville.
Les voitures, pratiques et rapides, éliminent le besoin de se rendre à la gare. Le nombre d’itinéraires ferroviaires commence à diminuer et la restauration à bord du train perd de son attrait, sauf pour les longs voyages. Et donc, au même moment, alors que les porteurs noirs commencent enfin à gravir les échelons pour atteindre le niveau des syndicalistes blancs, leur métier suscite un intérêt croissant chez les hommes blancs. Cela fait en sorte qu’au fil du temps, les porteurs ont fini par être perçus comme des employés à part entière, et non plus comme une partie de la main-d’œuvre touchée par la ségrégation. Les hommes noirs en profitent, car l’essor de l’après-guerre ouvre tout un lot de possibilités. C’est aussi, pour eux, l’occasion de passer à autre chose.
RP : Bien que les nouvelles conventions collectives aient mis fin à la ségrégation dans les classifications d’emplois et dans les systèmes d’ancienneté en vigueur depuis longtemps au sein des chemins de fer canadiens, cette avancée a eu deux résultats. Elle a ouvert des perspectives aux porteurs noirs en rendant les promotions possibles. Elle a aussi supprimé les barrières raciales dans les politiques d’embauche, ce qui a permis aux hommes blancs de rivaliser pour les mêmes emplois. Cette avancée, combinée à l’accès aux automobiles et à l’abandon de certaines liaisons ferroviaires, a fait en sorte que de nombreux porteurs noirs ont perdu leur emploi. Les foyers, qui étaient autrefois stables, n’avaient plus de pourvoyeur. Le travail de porteur est devenu inaccessible pour la génération suivante.
Beaucoup ont dû devenir conducteurs d’autobus interurbain ou de taxi. Comme nous l’explique M. Steven High, professeur d’histoire à l’Université Concordia et auteur de Deindustrializing Montreal: Entangled Histories of Race, Residence and Class, les aéroports ont également été un employeur important pour ces hommes, en particulier à Montréal.
Dr. Steven High (SH) : C’est ainsi que l’aéroport de Montréal est devenu un grand employeur de la main-d’œuvre noire à partir des années 1950 et 1960. Le lien avec le transport est donc toujours là. Et il y a aussi une histoire syndicale, en particulier à l’aéroport, où se produisaient entre autres les luttes en faveur des droits civiques. On peut donc voir, en observant les familles et les générations, que l’époque des porteurs tire à sa fin au début des années 1960. Mais cela ne veut pas dire que dans ces familles, on cesse de travailler dans le transport. On suit simplement l’évolution de la technologie.
RP : M. High poursuit en révélant comment la création de VIA Rail, en 1977, conjuguée à de nouvelles lois linguistiques provinciales, a réduit les possibilités d’emploi offertes à ces hommes noirs.
SH : Vous savez, dans les années 1970, nous avons vu le Canadien Pacifique et le Canadien National abandonner leurs trains de voyageurs, et VIA Rail a été créée. La fusion de ces deux réseaux a entraîné beaucoup de pertes d’emplois. Il y a aussi eu, au Québec, de nouvelles lois sur la langue parlée au travail qui ont eu un impact sur les familles noires anglophones, qui étaient alors moins susceptibles d’être bilingues. On commence donc à voir émerger des obstacles à l’emploi dans ce domaine, notamment pour les postes nécessitant des interactions avec le public. Certains évoquent des barrières pour expliquer pourquoi ils se sont éloignés du domaine. Ainsi, quand ils obtiennent des emplois à l’aéroport, par exemple, ils occupent des fonctions qui n’exigent pas d’interactions avec le public. Ils font des tâches comme la manutention des bagages, donc la langue est moins problématique.
RP : Raymond Coker, qui a travaillé pour la division torontoise du Canadien National en tant que porteur de voitures-lits et de voitures-buffet avant d’être promu chef de train après la mise en application de la Loi canadienne sur les justes méthodes d’emploi, a résumé les réalités que M. High vient de mentionner.
Raymond Coker (RC) : [...] Comme je l’ai dit, on a vraiment fait beaucoup de chemin. Les choses vont beaucoup mieux. Mais, attention, il y a encore des préjugés. Ils ne sont pas aussi répandus ni aussi flagrants, mais ils sont là. Au Canada, dans l’industrie ferroviaire, mais aussi dans toutes les industries, l’homme noir subit une asphyxie économique. Vous voyez, il est le dernier à être embauché et le premier à être congédié.
Kay : C’est encore vrai aujourd’hui?
RC : Oh, oui, c’est encore vrai. Il faut se battre à toutes les étapes. Cela dit, les temps sont bien meilleurs que quand j’ai commencé, mais les difficultés sont toujours là. Les tâches de supervision que nous effectuons sont d’ordre symbolique, pour que les gens ne puissent pas dire : « Il n’y a aucune personne noire aux postes de supervision ou à des postes supérieurs. » Mais quand l’occasion d’une grande promotion se présente, on ne voit tout simplement aucun Noir.
RP : Comme M. Coker, Mme Williams nous invite à modérer notre enthousiasme à l’égard de la lutte menée par les porteurs contre le racisme envers les Noirs.
DW : ... Cinq générations plus tard, nous nous démenons toujours. Même de nos jours, les Noirs souffrent encore d’être au bas de l’échelle économique. À Montréal, leur taux de chômage est deux fois supérieur à celui de n’importe quel groupe. C’est ainsi depuis que je suis enfant, donc ça persiste. Ça ne veut pas dire que la réussite est impossible. Certains ont gravi les échelons et nous avons tendance à les féliciter parce qu’ils sont directeurs généraux d’entreprises, ils sont chefs de file dans certains secteurs, ils ont bien réussi. Mais de manière générale, pour ce qui est du niveau de revenu dans la ville, une personne noire ordinaire ne gagne pas plus de 20 000 $. Il me semble, selon les statistiques, les années et les échantillons, que les Noirs sont généralement avant-derniers dans les échelons de la main-d’œuvre, et les membres des Premières Nations sont habituellement derniers, ou nous sommes les derniers et les Premières Nations sont juste au-dessus. Cela ne change pas.
RP : Les remarques de Mme Williams nous obligent à poser des questions difficiles au sujet de notre pays et des iniquités qui persistent. Les récits que nous avons présentés à partir des enregistrements de Stanley G. Grizzle tout au long de la minisérie « Confidences de porteurs » nous permettent de prendre connaissance des injustices du passé qui continuent d’exister. Mais il y a de l’espoir. William C. Kingfish Wright nous offre un point de vue réconfortant sur ce qui a peut-être aidé les porteurs à surmonter une profonde adversité pour provoquer des changements dans les chemins de fer et la société canadienne. Selon lui, c’est avant tout le pouvoir fondamental des rapports humains qui continue à nous faire avancer.
SG : Avez-vous aimé travailler comme porteur de voitures-lits?
William C. Kingfish Wright (WW) : Beaucoup. J’ai vraiment apprécié mon passage sur le chemin de fer. Si c’était à refaire, je le referais. J’ai tellement aimé ce travail.
SG : Qu’est-ce que vous avez aimé dans ce travail?
WW : La camaraderie.
SG : D’accord.
Merci d’avoir été des nôtres. Ici Richard Provencher, votre animateur. Vous écoutiez « Confidences de porteurs », la première saison de la série Voix dévoilées.
Nous remercions tout particulièrement nos invités : Cheryl Foggo, Cecil Foster, Steven High, Saje Mathieu, Dorothy Williams et Judith Williams-Graham. Leurs notices biographiques se trouvent dans les notes du présent épisode, où vous trouverez aussi des références temporelles menant au contenu de l’entrevue originale dans la collection Grizzle. N’hésitez pas à diffuser ces histoires dans votre entourage!
Nous remercions également les personnes qui ont traduit cet épisode et qui ont fait le doublage en français : Roldson Dieudonné, Gérard-Hubert Étienne, Gbidi Coco Alfred, Lerntz Joseph, Euphrasie Mujawamungu, Frédéric Pierre et Christelle Tchako Womassom.
Le réputé musicien et producteur Paul Novotny a composé Jazz Dance, la chanson thème de « Confidences de porteurs ». Il a enregistré la musique avec Joe Sealy, célèbre pianiste de jazz et fils d’un porteur entendu dans cet épisode.
Le reste de la musique provient de la banque BlueDotSessions.com.
L’épisode que vous venez d’entendre a été écrit, conçu, réalisé et monté par Tom Thompson, Jennifer Woodley et Stacey Zembrzycki.
Vous trouverez la version anglaise de tous nos épisodes sur notre site Web ainsi que sur votre application de balados favorite. Il suffit de chercher « Discover Library and Archives Canada ».
Pour plus d’information sur nos balados, rendez-vous sur la page d’accueil de Bibliothèque et Archives Canada et tapez « balado » dans la barre de recherche située au haut de l’écran, puis cliquez sur le premier lien. Si vous avez des questions, des commentaires ou des suggestions, vous trouverez l’adresse courriel de l’équipe des balados au bas de la page de cet épisode.
Animateur : Richard Provencher, Chef relations medias, Direction générale des Communications et politiques
Avec les voix de : Helen Williams-Bailey, Aurelius Leon Bennett, Raymond Coker, Frank Collins, Melvin Crump, Oliver Charles Davis, Harold Osburn Eastman, Harold James Fowler, Charles Allen Milton Hog, Leonard Oscar Johnston, Raymond Lewis, Ivy Lawrence Maynier, Joseph Morris Sealy, and William C. Kingfish Wright
Invitées : Cheryl Foggo, Dr. Cecil Foster, Dr. Steven High, Dr. Saje Mathieu, Dr. Dorothy Williams, and Judith Williams-Graham
Pour le doublage français dans ce balado : Roldson Dieudonné, Gérard-Hubert Étienne, Gbidi Coco Alfred, Lerntz Joseph, Euphrasie Mujawamungu, Frédéric Pierre et Christelle Tchako Womassom
Biographies des narrateurs
Les intervieweurs
Stanley G. Grizzle, aîné d’une fratrie de sept enfants, naît à Toronto en 1918. Ses parents, ayant tous deux immigrés de la Jamaïque en 1911, travaillent dans le secteur des services – sa mère comme domestique et son père comme chef cuisinier pour la Compagnie du Grand Tronc de chemin de fer du Canada. En 1940, la pauvreté et le manque de débouchés conduisent M. Grizzle au Chemin de fer Canadien Pacifique, où il entreprend une carrière de porteur de voitures-lits qui s’échelonnera sur 20 ans. En 1942, il est appelé à servir par le gouvernement canadien et obtient le statut de caporal lors de son affectation comme assistant médical en Hollande. En 1962, M. Grizzle quitte le Chemin de fer Canadien Pacifique et devient le premier Noir canadien employé par le ministère du Travail de l’Ontario. Il se présente aux élections de la Fédération du Commonwealth coopératif, sans succès, avant d’être nommé juge à la Cour de la citoyenneté canadienne par le premier ministre Pierre Elliott Trudeau, en 1978. Militant dévoué, M. Grizzle fait campagne sans relâche pour la réforme des politiques canadiennes en matière de travail, d’immigration et de droits de la personne. Historien passionné, il se consacre aussi à la documentation et à la préservation de l’histoire des Noirs au Canada. Ses archives sont conservées à Bibliothèque et Archives Canada.
Les narrateurs / les narratrices
Helen Williams-Bailey est née en 1919 sur une ferme de la Saskatchewan, à environ 50 kilomètres de North Battleford. Elle a quatre frères (Tom, Roy, Lee et Carl). Peu après son déménagement à Winnipeg, en 1942, elle s’implique dans les auxiliaires féminines de la Fraternité des porteurs de wagons-dortoirs pour appuyer ses frères Tom et Roy, qui travaillent comme porteurs. Elle est la première présidente des auxiliaires, occupant ce rôle jusqu’à son mariage avec un porteur du Canadien National en 1944. (Source : 417401 [partie 1]; 417400 [partie 2])
Aurelius Leon Bennett naît à Memphis, dans le Tennessee, en 1925. Fuyant la violence raciale et la discrimination, il accepte un emploi au Chemin de fer Canadien Pacifique en 1944. D’abord basé à Toronto, il est ensuite muté à Winnipeg, où il travaille comme porteur de voitures-lits jusqu’à sa retraite, en 1986. Au cours de sa carrière, M. Bennett est secrétaire-trésorier de la division de Winnipeg de la Fraternité des porteurs de wagons-dortoirs. (Source : 417400)
Raymond Coker était un chimiste industriel également doué pour la musique. Le racisme de l’époque l’empêchant de trouver un emploi stable dans l’une ou l’autre de ces disciplines, il se tourne vers la section de Toronto du Canadien Pacifique. Il y travaille comme porteur de voitures-lits et de voitures-buffet jusqu’à ce que la modification de la convention collective, rendue possible grâce à l’adoption de la Loi canadienne sur les justes méthodes d’emploi (1951), l’autorise à devenir chef de train. (Source : 417381)
Frank Collins est né à Vancouver en 1915. Il devient porteur de voitures-lits à la division de Vancouver du Canadien Pacifique en 1933 et demeure en poste jusqu’à sa démission en 1956. En collaboration avec Ernie Lawrence, il s’emploie à organiser la section de Vancouver de la Fraternité des porteurs de wagons-dortoirs à partir de 1939. La section obtient son accréditation en 1944 et signe sa première convention collective en 1945. Lui et Lawrence réussissent à convaincre 96 % des porteurs de la ville à se joindre au syndicat, malgré les risques que comporte l’adhésion. (Source : 417402)
Melvin Crump naît à Edmonton, en 1916, de parents homesteaders qui avaient immigré d’Oklahoma à Keystone, en Alberta, en 1911. Peu intéressé par l’agriculture, il devient porteur de voitures-lits pour le Chemin de fer Canadien Pacifique en 1936, au plus fort de la Grande Dépression. Il travaille à la division de Calgary jusqu’en 1954, avant d’être nommé président du comité de sécurité de la Fraternité des porteurs de wagons-dortoirs. (Source : 417403)
Oliver Charles Davis naît en 1917. Il devient porteur pour le Chemin de fer Canadien Pacifique en 1939, juste avant le début de la Deuxième Guerre mondiale. (Source : 417387)
Harold Osburn Eastman naît à la Barbade, en 1922. Il vient au Canada en 1942 pour s’engager dans l’armée canadienne, mais une condition médicale l’empêche de servir. Il travaille chez Canadian Tube and Steel jusqu’à son embauche comme porteur de voitures-lits par la division de Montréal du Chemin de fer Canadien Pacifique, en 1944. Lorsque VIA Rail reprend l’exploitation du Chemin de fer Canadien Pacifique et de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada en 1978, il est promu gestionnaire des voitures-restaurants. M. Eastman prend sa retraite en 1984, après quarante années de service. (Source : 417405)
Harold James Fowler naît dans le canton de Dover, dans le comté de Kent, à environ 10 kilomètres de la ville de Chatham. Son premier trajet comme porteur de voitures-lits pour le Chemin de fer Canadien Pacifique, en juin 1939, le mène de Toronto à Vancouver. Membre fondateur de la Fraternité des porteurs de wagons-dortoirs, M. Fowler en préside le comité des divertissements pendant quelque temps. Dans le train, il se fait un point d’honneur de soutenir et de conseiller ses confrères. Souffrant d’arthrite lombaire, M. Fowler est contraint de prendre sa retraite en 1976, mais il aura accumulé suffisamment d’années de service pour toucher une pleine pension. (Source : 417393)
Charles Allen Milton Hog naît à Montréal, en 1921. À l’âge de trois ans, il quitte le Canada avec sa famille pour la Jamaïque natale de ses parents. En quête d’aventure, M. Hog revient au Canada en 1946. L’année suivante, il devient porteur de voitureslits à la section de Montréal du Chemin de fer Canadien Pacifique et il passe les dixhuit années qui suivent à sillonner les voies ferrées. Inspiré par les efforts du People’s National Party de la Jamaïque pour syndicaliser les ouvriers agricoles de canne à sucre, il se rallie à la Fraternité des porteurs de wagons-dortoirs de la section de Montréal, dès ses balbutiements. Membre de son comité local des griefs, il prodigue régulièrement des conseils à Arthur Robinson Blanchette, qui voit aux affaires de la section canadienne de la Fraternité des porteurs de wagons-dortoirs et qui rend directement compte à A. Philip Randolph, organisateur et premier président du pendant américain de l’organisation. M. Hog représente aussi la Fraternité des porteurs de wagons-dortoirs à la Fédération provinciale du travail du Québec. Plus tard, il milite activement en faveur des droits de l’homme en tant que membre fondateur de la Negro Citizenship Association à Montréal. (Source : 417405)
Leonard Oscar Johnston est né à Toronto en 1918. Comme d’autres hommes noirs, il voit ses possibilités d’emploi très limitées à cause du racisme. Il devient donc porteur de voitures-lits à la section torontoise du Canadien Pacifique en 1940. Il doit mettre fin à sa carrière après 37 ans à cause des maux de dos chroniques provoqués par son travail. Heureusement, il parvient à recevoir une pension d’invalidité, bien que celle-ci soit très réduite. Tout au long de sa carrière, Leonard Oscar Johnston est un syndiqué de la base de la Fraternité des porteurs de wagons-dortoirs, mais son adhésion au Parti communiste du Canada complique la situation. Le syndicat n’a pas confiance en lui et se dissocie de ses actions. La vision du monde de Johnston est fondée à la fois sur l’idéologie et sur ses expériences, qui l’incitent à inscrire l’exploitation des travailleurs dans le contexte de la lutte des classes et des races. (Source : 417394 [partie 1]; 417396 [partie 2])
Raymond Lewis naît à Hamilton, en Ontario, en 1910. Il est porteur de voitures-lits pour le Chemin de fer Canadien Pacifique à la division de Toronto entre 1930 et 1952. Il est aussi président de la Porters’ Mutual Benefit Association avant la création de la Fraternité des porteurs de wagons-dortoirs. M. Lewis est aussi un coureur exceptionnel. Après que le Canadien Pacifique lui ait refusé un congé, il renonce à un mois de salaire pour participer aux essais olympiques canadiens en 1932 et réussit à se tailler une place au sein de l’équipe. Il devient alors le premier athlète noir né au Canada à remporter une médaille olympique – une médaille de bronze pour sa performance au relais 4 x 400 mètres. (Source : 417395)
Ivy Lawrence Maynier naît de parents guyanais à Montréal, en 1921. Son père, Alexander Lawrence, étudie l’ingénierie et connaît une carrière longue et distinguée comme porteur de voitures-lits pour le Chemin de fer Canadien Pacifique. Il est aussi président et vice-président de la division montréalaise de la Fraternité des porteurs de wagons-dortoirs. Maintes fois boursière, Mme Maynier obtient son diplôme de l’Université McGill. Elle fait ensuite son droit à l’Université de Toronto et devient la première femme noire canadienne à réussir le programme. Brimée dans sa carrière au Canada par le racisme à l’égard des Noirs, elle devient membre du Inns of Court à Londres, puis est appelée au barreau de l’Angleterre en 1947. Après cinq ans au Service de renseignements des États-Unis à Paris, Mme Maynier s’établit à Trinité-et-Tobago. Là-bas, elle instaure des programmes d’éducation aux adultes, en particulier pour les membres marginalisés de la communauté. En 1959, Mme Maynier épouse un diplomate et s’installe en Jamaïque, où elle poursuit sa carrière en éducation à l’University of the West Indies. (Source : 417387)
Joseph Morris Sealy naît à Halifax, en Nouvelle-Écosse, en 1910. Il devient porteur de voitures-lits pour le Chemin de fer Canadien Pacifique en 1928 et travaillera pour l’entreprise pendant 46 ans. Fier syndicaliste, M. Sealy est président et vice-président de la division montréalaise de la Fraternité des porteurs de wagons-dortoirs durant sa carrière. (Source : 417386)
William C. Kingfish Wright naît à Toronto en 1915. Musicien de talent, il fait partie du seul orchestre de la ville composé de personnes de couleur. Adolescent, la fin de semaine, il joue dans divers hôtels de villégiature du sud de l’Ontario avec le groupe Harlem Aces. Le racisme qui sévit dans l’industrie de la musique et la pénurie d’emplois l’amènent à devenir porteur. Embauché par le Chemin de fer Canadien Pacifique en 1936, il travaille pour sa division torontoise pendant 30 ans. Il est un membre fondateur de la Fraternité des porteurs de wagons-dortoirs et il lutte activement pour l’amélioration des conditions de travail. (Source : 417394)
Les chercheurs et les chercheuses, conteurs et gardiens du savoir communautaire
Cheryl Foggo est une conteuse canadienne noire primée qui a reçu l’Ordre d’excellence de l’Alberta en 2022. Elle est autrice, réalisatrice de films documentaires, scénariste et dramaturge. Ses travaux portent sur l’histoire des Noirs, plus particulièrement dans les Prairies. Parmi ses ouvrages notables, citons Pourin’ Down Rain : A Black Woman Claims Her Place in the Canadian West (finaliste pour le prix de la culture de l’Alberta pour les études et essais); One Thing That’s True (finaliste pour le Prix littéraire du Gouverneur général); et John Ware Reclaimed (mis en lice pour le prix du meilleur scénario de la Writer’s Guild of Canada). Mme Foggo est issue de la Migration noire de 1910, au cours de laquelle ses arrière-grands-parents maternels ont quitté l’Oklahoma pour s’installer près de Maidstone, en Alberta. Son grand-père était porteur, tout comme plusieurs de ses oncles.
Cecil Foster, Ph. D., est un écrivain et journaliste prolifique, titulaire d’un doctorat de l’Université York. Il est actuellement président du département d’études transnationales de l’Université de Buffalo. Les travaux de M. Foster portent depuis longtemps sur le multiculturalisme au Canada et sur le rôle de la race dans cette politique. Son dernier livre, They Called Me George: The Untold Story of Black Train Porters and the Birth of Modern Canada, raconte l’histoire de la première délégation de Noirs canadiens à rencontrer des membres du Cabinet fédéral pour discuter des pratiques discriminatoires du Canada en matière d’immigration. Ce voyage, qui s’inscrit dans une longue histoire de défense des droits des porteurs, a ouvert la voie à des changements dans les politiques liées à l’immigration, aux droits du travail et aux droits de la personne au pays.
Steven High, Ph. D., est professeur titulaire d’histoire à l’Université Concordia, où il a fondé le Centre d’histoire orale et de récits numérisés. Il est titulaire d’un doctorat en histoire canadienne de l’Université d’Ottawa. Le dernier ouvrage primé de M. High, Deindustrializing Montreal: Entangled Histories of Race, Residence, and Class, raconte l’histoire de deux quartiers, l’un à prédominance blanche et l’autre à prédominance noire, situés dans le sud-ouest de Montréal.
Saje Mathieu, Ph. D., est professeure associée d’histoire à l’Université du Minnesota. Elle est titulaire d’un doctorat conjoint en histoire et en études afro-américaines de l’Université Yale et a été boursière du Warren Center et du W.E.B. Du Bois Institute à l’Université Harvard, du Center for American Studies à l’Université de Heidelberg, du National Endowment for the Humanities et du Schomburg Center for Research in Black Culture. Son premier livre, North of the Color Line: Migration and Black Resistance in Canada, 1870-1955, détaille l’histoire des porteurs de voitures-lits afro-américains et antillais au Canada et les conséquences sociales, culturelles, juridiques et politiques de leur emploi. Les travaux actuels de Mme Mathieu portent sur les expériences à l’échelle mondiale des soldats noirs pendant la Première Guerre mondiale.
Dorothy Williams est titulaire d’un doctorat en bibliothéconomie et en sciences de l’information de l’Université McGill. Elle occupe actuellement un poste de chercheuse à l’Université Concordia au sein du Réseau de recherche sur les communautés québécoises d’expression anglaise. Elle a été distinguée par le prix Black Changemaker de la CBC en 2022 et un prix Bibliothèque et Archives Canada en 2023. Au printemps 2024, elle a reçu un doctorat honorifique de l’Université du Québec à Montréal ainsi qu’un insigne de l’Ordre de Montréal, la plus haute distinction de la municipalité, en reconnaissance de sa contribution exceptionnelle au développement et au rayonnement de la ville. Les ouvrages de Mme Williams, Les Noirs à Montréal : 1628-1986 et The Road to Now: A History of Blacks in Montreal, sont des références incontournables dans les études noires et l’histoire des Noirs au Canada. Mme Williams est également une pionnière de la pédagogie, elle qui élabore depuis de nombreuses années des programmes d’études sur l’histoire des Noirs au Canada, ainsi qu’une gardienne des connaissances de la communauté. La collection d’archives qu’elle conserve chez elle est l’une des plus vastes documentant l’expérience des Noirs à Montréal.
Judith Williams-Graham est une descendante des familles Williams et Carruthers. Originaires du Texas, les Williams s’établissent en Oklahoma pour cueillir du coton, un État où la famille Carruthers a de solides racines. Comme de nombreuses autres personnes d’origine africaine-américaine, les deux familles fuient la violence raciale qui sévit aux ÉtatsUnis et arrivent au Canada entre 1910 et 1914 dans le cadre de la Grande migration. La famille Williams s’installe d’abord à North Battleford, en Saskatchewan, puis élit domicile à Hillside. Les Carruthers érigent leur propriété familiale à Amber Valley, en Alberta. Le père de Mme Williams-Graham, Roy, commence à travailler comme porteur de voitures-lits à Winnipeg en 1936. Il est ensuite transféré à Calgary, où il rencontre Cordie, la mère de Mme Williams-Graham. Ils se marient en 1940. Ensemble, ils luttent pour la syndicalisation des porteurs du Chemin de fer Canadien Pacifique, une cause à laquelle Mme Williams-Graham est exposée dès son jeune âge. Plusieurs membres de sa famille élargie travailleront d’ailleurs sur les chemins de fer. Organisatrice et militante de longue date au sein de la communauté noire de l’Ouest du Canada, elle est déterminée à faire connaître ce pan de l’histoire. Elle rédige actuellement ses mémoires, qui documentent l’histoire de sa famille ainsi que les expériences des personnes noires de façon plus générale.
S'abonner
Abonnez-vous afin de recevoir des nouveaux épisodes.
Contactez l'équipe balados
Envoyez vos questions et commentaires à : balados-podcasts@bac-lac.gc.ca.
Détails de la page
- Date de modification :