Les humanités numériques

Discours

Notes d'allocution
Guy Berthiaume, Bibliothécaire et archiviste du Canada
Discours prononcé au Colloque numérique Midi-Pyrénées
Toulouse, France
Le 26 novembre 2015
La version prononcée fait foi.

Je suis convaincu que les institutions de mémoire ont un rôle important à jouer dans le développement des humanités numériques.

Pour illustrer mon propos, permettez-moi de vous présenter quelques projets de Bibliothèque et Archives Canada.

Notre institution déploie de grands efforts pour numériser ses collections et les mettre en ligne.

Notre site Web donne accès au contenu des recensements et des concessions de terres de l’Ouest canadien.

On y trouve aussi des dossiers médicaux des combattants de la Première Guerre mondiale, une base de données sur les longs métrages canadiens, des illustrations tirées de notre collection de livres rares, et bien davantage.

Ces données ouvertes sont mises à la disposition des Canadiens, qui peuvent s’en servir pour créer de nouvelles connaissances – pour découvrir de grandes tendances qui n’apparaissent seulement que lorsque de grands volumes de données (big data) sont rassemblés.

Nous avons aussi puisé dans nos collections sur la Première Guerre mondiale pour alimenter un projet intitulé Au-delà des tranchées.

Fondé sur des données liées ouvertes, ce projet met en vedette une variété de ressources documentaires concernant la Grande Guerre : journaux personnels, partitions de musique militaire, photos, films et enregistrements sonores.

Voyons pourquoi certaines de nos initiatives ont été plus heureuses que d’autres.

En 2001, nous avons fait équipe avec le gouvernement du Territoire du Nunavut – le territoire le plus au nord du Canada.

Nous avons numérisé des photos d’Inuits que nous conservions dans notre collection et nous avons proposé à nos concitoyens d’identifier ces gens plongés dans l’anonymat depuis des décennies.

Notre objectif de départ était modeste : numériser 500 photos et trouver les noms correspondants.

Les travaux devaient durer un an. Mais nous étions dans l’erreur : le projet a pris son envol, et nous avons numérisé quelque 8 000 photos depuis.

Et ce n’est pas terminé!

Nous avons pu identifier près du quart des personnes, des activités et des événements sur nos photos, grâce à la collaboration autant des Inuits que des autres nations.

Des familles et des amis se sont retrouvés.

Et nous venons d’élargir la portée du projet pour y inclure les Inuits vivant dans les Territoires du Nord-Ouest, le nord du Québec et le Labrador, ainsi que les communautés des Premières Nations et des Métis vivant ailleurs au Canada.

Grâce à ce projet, une nation s’est réapproprié son histoire de façon tangible.

Évidemment, certains projets numériques n’obtiennent pas le succès escompté.

Il y a quelques années, Bibliothèque et Archives Canada a organisé l’exposition Volte-Face, qui mettait en valeur des portraits de Canadiens tirés de sa collection – certains très connus, d’autres moins.

Tous les portraits étaient accompagnés de récits surprenants, montrant ces personnalités sous un jour nouveau.

L’exposition matérielle a reçu un accueil très favorable. Par contre, peu de gens ont visité l’exposition en ligne.

Nous n’avons pas su frapper leur imagination.

Est-ce parce qu’ils n’ont pas eu la chance de contribuer au projet, comme c’était le cas avec Un visage, un nom?

Le monde numérique a engendré une culture de la participation : les utilisateurs aiment interagir avec le contenu qui leur est présenté.
Or, notre exposition en ligne a été conçue comme une exposition traditionnelle, où les gens observent passivement des portraits.

Sans interaction aucune.

Pourtant, la technologie nous permettrait d’aller beaucoup plus loin!

Il ne suffit pas d’attirer l’attention des gens : il faut aussi maintenir leur intérêt.

Encore une fois, la collaboration peut faire toute la différence entre le succès et un manque d’intérêt.

Pensons au partenariat fructueux entre le British Museum et la British Broadcasting Corporation (la BBC), en 2010.

Grâce à leur série History of the World in 100 Objects (Une histoire du monde en 100 objets), des écoles, des musées et des téléspectateurs du Royaume-Uni ont pu raconter l’histoire du monde à partir de 100 objets tirés des collections du British Museum et d’autres musées nationaux.

Le concept s’est avéré un grand succès : le patrimoine prenait vie, et rendait l’histoire elle-même plus vivante.

En ce sens, la série a su prévoir les attentes des téléspectateurs et y répondre.

Et c’est là un de nos principaux objectifs.

Un autre exemple illustre à merveille le pouvoir de la participation : la bibliothèque numérique publique des États-Unis (de son vrai nom la Digital Public Library of America).

Il s’agit d’un portail public donnant accès aux collections de plusieurs institutions de mémoire américaines.

Cet automne, nous avons eu la chance d’accueillir et d’entendre l’homme à l’origine de ce projet : Robert Darnton, ancien bibliothécaire de l’Université Harvard.

Les internautes qui visitent la bibliothèque numérique publique des États-Unis peuvent consulter gratuitement 10 millions de documents historiques rédigés en près de 500 langues, et provenant de 1600 bibliothèques, archives et musées américains.

Quel impressionnant volume d’information!

La contribution des milliers de bénévoles au projet est tout aussi impressionnante.

Nous sommes au cœur d’une révolution.

Les nouvelles technologies et les mégadonnées modifient nos connaissances et la façon dont nous apprenons. 

Cela vaut pour tous les aspects de notre vie : économique, social, spirituel, matériel et culturel.

La façon dont nous utilisons ces nouveaux savoirs aura d’énormes répercussions sur la perception que nous avons de nous-mêmes, et sur notre compréhension de la société.

Les mégadonnées et l’exploration des contenus nous donnent à voir le monde sous un angle différent – comme un drone, qui, en survolant le terrain, nous permet de voir des tracés invisibles du sol.

Grâce aux humanités numériques, nous pouvons expliquer et interpréter ces tracés.

Nous pouvons aussi découvrir qui nous sommes, d’où nous venons et où nous allons.

Et grâce à nos institutions de mémoire, nous pouvons préserver ce portrait pour les générations à venir.

Merci.

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