Construire la cité du savoir : une nouvelle voix pour les bibliothèques

Discours

Allocution de Guy Berthiaume, bibliothécaire et archiviste du Canada
Prononcée lors de la rencontre des présidents de la Fédération Internationale des Associations et Institutions de Bibliothèques (IFLA) à Toronto, en Ontario
8 avril 2016
Traduction de l'allocution prononcée en anglais. Priorité au discours prononcé.

C'est avec grand plaisir que j'ai accepté de partager avec vous mes réflexions au sujet de ce que représentent pour Bibliothèque et Archives Canada, et les bibliothèques nationales en général, les activités de promotion et de défense des intérêts (advocacy).

Quel est le rôle d'une bibliothèque nationale à une époque où il est devenu plus important que jamais de sensibiliser les décideurs et la population en général à l'importance des bibliothèques comme acteurs clés des changements politiques, économiques et sociaux?

Comment les bibliothèques nationales peuvent-elles influencer les décisions politiques, et comment pouvons-nous, collectivement et individuellement, mieux faire valoir nos contributions sur la scène nationale et internationale?

Comment les bibliothèques nationales peuvent-elles collaborer entre elles et avec d'autres intervenants du milieu des bibliothèques pour promouvoir les valeurs que nous partageons tous?

Ces valeurs comprennent notamment un accès universel à l'information et au savoir et un partage pour tous de la capacité de comprendre, d'utiliser et de diffuser cette information et ce savoir, afin de promouvoir le développement durable et la démocratie.

Ces valeurs sont enchâssées dans la Déclaration de Lyon.

Elles sont fondées sur le concept même de liberté, sous toutes ses formes et sont assurées par un accès équitable à l'information.

Dans la société du savoir, l'accès à l'information fait la différence entre un revenu décent et la pauvreté, entre l'inclusion et la marginalisation, entre la santé et la maladie, le savoir et l'ignorance, l'espoir et le désespoir et, même, la vie et la mort.

C'est pourquoi les bibliothèques doivent être reconnues comme essentielles au développement des personnes, des nations et de l'humanité toute entière.

Les bibliothèques sont un bien public et la communauté des bibliothèques s'est donné les moyens de faire valoir son importance.

Les bibliothèques sont présentes à tous les paliers du fonctionnement de notre société.

J'aime à penser qu'une bibliothèque, ou même un regroupement de bibliothèques, se développe à la manière des grandes villes.

Lewis Mumford, dans son ouvrage classique intitulé La cité à travers l'histoire, affirme que :

« Depuis ses tout débuts, on peut définir la cité comme une structure particulièrement bien organisée pour conserver et transmettre les bienfaits de la civilisation. »

Et parmi ces bienfaits, il y a évidemment le savoir.

À mesure que les biens et les services s'échangent à l'intérieur de la cité, celle-ci croît, évolue et forge sa propre identité.

Plus les biens et les services s'échangent dans la cité en toute liberté, mieux celle-ci fonctionne et se développe.

On pourrait imaginer que les bibliothèques et la communauté du savoir progressent de la même manière, depuis les grands réseaux, comme l'UNESCO, qui s'intéressent à l'impact des transformations engendrées par l'information à l'échelle planétaire, en passant par des réseaux internationaux plus ciblés, comme l'IFLA, le CIA et l'ICOM, qui expliquent à leurs membres la façon dont ils seront affectés par ces transformations, et par les organismes nationaux comme l'ABRC, le RCDR, le CPTBP et le CBUC, qui œuvrent au partage de l'information et à l'avancement des projets, ainsi que les ministères et organismes gouvernementaux, qui jouent un rôle majeur à titre d'institutions nationales, en collaboration avec d'autres bibliothèques et associations de bibliothèques.

Malgré tout, dans nos cités, les bibliothèques doivent encore aujourd'hui faire la démonstration de leur valeur, en particulier de leur valeur économique.

Heureusement, le travail avance bien de ce côté. L'importance et l'utilité des bibliothèques ont été montrées par les résultats de sondages auprès des usagers, par les statistiques de circulation des publications, la mesure de l'acceptation des usagers à payer certains frais (willingness to pay), ainsi que par l'examen de la croissance des entreprises installées à proximité des bibliothèques comme c'est le cas du Knowledge Quarter, autour de la British Library.

Au Canada, la Bibliothèque publique de Toronto a commandé une étude sur ses retombées économiques, laquelle conclut à un retour sur l'investissement de 5,63 dollars pour chaque dollar dépensé.

La valeur directe pour les usagers de la bibliothèque a été évaluée à plus de 600 millions de dollars et la valeur pour la société en général à plus de 300 millions de dollars.

Voilà qui parle haut et fort! Ces résultats ont été amplement utilisés par plusieurs autres bibliothèques, mais au-delà de ces chiffres impressionnants, il demeure difficile d'attribuer une valeur monétaire à la liberté obtenue grâce à l'accès à l'information.

Et qu'en est-il de la valeur sociale et culturelle des bibliothèques? Très difficile à quantifier, malgré sa grande importance.

* * *

Mais, quelle que soit l'importance du rôle économique, social et culturel des bibliothèques, les ministères et organismes gouvernementaux, incluant la plupart des bibliothèques nationales, ne participent pas stricto sensu à des activités de promotion et de défense des intérêts.

Notre travail consiste à analyser les situations et les problèmes, à donner des conseils francs et honnêtes, puis à mettre en œuvre les politiques de nos gouvernements démocratiquement élus.

À BAC, nous croyons que c'est en comprenant les points de vue de nos partenaires nationaux et internationaux que nous pouvons effectuer les analyses les plus pertinentes et offrir les conseils les plus éclairés à notre gouvernement.

C'est pourquoi le lien avec nos partenaires est aussi prioritaire.

Je suis personnellement convaincu que nous pouvons utiliser notre programmation publique, nos activités de diffusion et nos liens avec la communauté pour montrer la valeur et l'importance des bibliothèques et des archives.

J'aime à penser que notre approche en matière de promotion et de défense des intérêts en est une fondée sur l'action.

Les nombreuses discussions que j'ai eues avec des collègues de bibliothèques et d'archives nationales d'autres pays m'amènent à conclure que celles-ci ont adopté des approches similaires à la nôtre.

Dernièrement, j'ai eu la chance de discuter de cette question avec des collègues de la British Library et des Archives nationales du Royaume-Uni. J'ai constaté que la promotion et la défense des intérêts est également une préoccupation pour leurs partenaires.

La British Library établit une très nette distinction entre les conseils privés qu'elle offre au gouvernement sur divers sujets et sa participation à des campagnes publiques de promotion et de défense des intérêts.

Les Archives nationales ont adopté quant à elles une approche un peu différente. Elles défendent publiquement les intérêts du secteur, seulement lorsque cela n'entre pas en conflit avec la position gouvernementale.

Autrement dit, ces deux institutions travaillent de manière à harmoniser leur rôle en tant qu'organisme gouvernemental avec celui de catalyseur au sein de leurs réseaux.

La Section des bibliothèques nationales de l'IFLA, que j'ai l'honneur de présider, s'intéresse à l'éventail complet des fonctions qu'accomplissent les bibliothèques nationales.

Elles assument des responsabilités spécifiques, souvent définies par une loi, dans le cadre de l'environnement des bibliothèques et de l'information propre à leur pays.

Ces responsabilités varient d'un pays à l'autre.

Ma section de l'IFLA réalise justement une enquête pour répertorier l'ensemble des fonctions assumées par les bibliothèques nationales.

Le plan stratégique 2015-2017 de la Section des bibliothèques nationales de l'IFLA s'inscrit dans les orientations générales de l'organisation, notamment son plan en matière de promotion et de défense des intérêts.

Le plan de la Section propose des actions en soutien aux principales initiatives de l'IFLA.

Ces actions consistent notamment à

  • concevoir nos activités de façon à ce que les gouvernements puissent mieux comprendre ce que nous faisons;
  • favoriser l'accessibilité aux collections grâce à la numérisation, à des politiques d'accès et aux médias sociaux;
  • travailler en collaboration avec nos partenaires du patrimoine culturel, afin de promouvoir un accès ouvert au patrimoine national.

Cette année, le thème de la présidente de l'IFLA, « Un appel à l'action », informe notre travail à Bibliothèque et Archives Canada.

Nous encourageons les échanges d'information libres et ouverts à tous les niveaux et nous n'hésitons pas à soulever les enjeux qui préoccupent les bibliothèques dans nos discussions avec nos collègues du gouvernement.

Nous joignons aussi notre voix à celle de la communauté des bibliothèques (ONG, bibliothèques, bibliothécaires et secteur privé), avec le sentiment d'œuvrer pour une cause commune : la liberté d'accès à l'information.

Une des principales clés pour accéder à cette liberté est la littératie.

Nous faisons la promotion de la littératie entre autres grâce au Club de lecture d'été TD, un programme national qui encourage les enfants à lire. En 2015, 650 000 participants au Club ont lu environ 1,2 million de livres.

Ce programme est offert par BAC et la Bibliothèque publique de Toronto, en partenariat avec le Groupe TD et de nombreuses bibliothèques partout au pays.

J'aimerais souligner la contribution extraordinaire de la Banque TD, non seulement à ce programme, mais aussi à la promotion de la littératie en général.

Cette initiative de la Banque TD nous rappelle que le secteur privé a un rôle important à jouer dans la promotion de la littératie et de l'accès à l'information.

Je crois qu'on ne souligne pas suffisamment ce rôle.

Depuis 2004, la Banque TD est le principal commanditaire de notre programme, bilingue, qui encourage les enfants de 12 ans et moins à lire tout au long de l'été.

Les enfants reçoivent des invitations, des carnets de notes, des cartes d'accès Internet et des autocollants pour les encourager à lire. Ils peuvent lire des livres numériques, proposer des blagues et des critiques de livres, partager des histoires et prendre part à une large gamme d'activités de lecture sur le site Web du Club de lecture d'été TD.

Au cours de l'été 2015, plus de 2000 bibliothèques ont adhéré au programme, permettant ainsi aux enfants de découvrir le plaisir de lire.

Le Club de lecture d'été est un exemple de ce que nous faisons pour nous assurer que BAC joue un rôle actif dans la vie culturelle du Canada.

En organisant des activités et des événements spéciaux destinés au grand public, des conférences et des tables rondes, des expositions et un programme de prêt d'œuvre d'art dynamique, nous sensibilisons la population à l'importance des bibliothèques et des archives.

Cela aussi, c'est de la promotion et de la défense des intérêts fondées sur l'action.

Ces actions participent également d'une démarche visant à mettre sur pied un réseau de soutien aux bibliothèques.

Promouvoir la bibliothèque nationale et l'importance des bibliothèques est une chose que nous faisons en collaboration avec nos nombreux partenaires et les principales ONG œuvrant dans le domaine du patrimoine documentaire au Canada.

C'est aussi ce que nous faisons quand nous collaborons avec les ministères de l'Innovation, des Sciences et du Développement économique (anciennement Industrie Canada) et du Patrimoine canadien sur des questions telles que le droit d'auteur, le Traité de Marrakech ou l'OMPI, pour faire entendre le point de vue des bibliothèques sur l'accès au patrimoine mondial.

J'espère vous avoir donné un aperçu du modèle de promotion et de défense des intérêts que nous privilégions à BAC; un modèle qui est fondé sur l'action et sur le sérieux des conseils que nous prodiguons au gouvernement.

J'espère aussi vous avoir convaincu de la complexité de l'action que mènent les bibliothèques nationales en matière de promotion et de défense des intérêts.

J'ai l'intime conviction que nous aidons à promouvoir le travail des bibliothèques grâce à des partenariats et à des collaborations à l'intérieur et à l'extérieur du gouvernement.

Et que par le dialogue, nous pouvons travailler tous ensemble à soutenir nos valeurs collectives.

J'y vois une source d'espoir pour l'avenir.

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