Annexe B - Mythes et stéréotypes dans la jurisprudence en matière d'agression sexuelle
| Décisions | Citation |
L'agression sexuelle est souvent une violence fondée sur le sexe « Dans la grande majorité des cas, l'agression sexuelle est fondée sur le sexe de la victime. C'est un affront à la dignité humaine et un déni de toute notion de l'égalité des femmes. » |
R. c. Osolin, 1993 CanLII 54 (CSC), au para 165. |
L'agression sexuelle est un acte de pouvoir et de contrôle “It must be remembered that sexual assault is an act of power, aggression and control, and that a threat to invade the bodily or sexual integrity of another person or to otherwise apply force is itself a hostile act.” [Traduction libre : « Il ne faut pas oublier que l’agression sexuelle est un acte de pouvoir, d’agression et de contrôle, et que la menace de porter atteinte à l’intégrité corporelle ou sexuelle d’une autre personne, ou d’exercer autrement la force, constitue en soi un acte hostile. »] |
R. c. Edgar, 2016 ONCA 120 (CanLII). (Disponible en anglais seulement). |
Le traumatisme psychologique causé par l'agression sexuelle est réel « Le traumatisme psychologique subi par les victimes de viol est très bien documenté. Il comprend des symptômes de dépression, d'insomnie, un sentiment de souillure, la perte de désir sexuel, la peur et la méfiance à l'égard des autres personnes, de forts sentiments de culpabilité, de honte et de perte d'estime de soi. Il s'agit d'un crime commis contre les femmes qui a un effet grave et traumatisant. … Ne pas tenir compte du fait que le viol entraîne fréquemment chez la victime des lésions psychologiques graves serait rétrograde et contraire à toute notion de sensibilité dans l'application de la loi. » |
R. c. McCraw, 1991 CanLII 29 (CSC). |
Les mythes sur le viol ont un impact négatif sur la recherche de la vérité « La femme qui dépose une plainte auprès des autorités voit sa situation analysée en fonction des mythes courants à l'égard du viol, c'est‑à‑dire qui elle devrait être pour que la loi reconnaisse qu'elle a été violée; qui devrait être l'agresseur pour que la loi reconnaisse qu'il peut être un violeur et quelle doit être l'ampleur des blessures qu'elle a subies pour qu'on la croit. Si la situation de la victime ne correspond pas aux mythes, il est peu probable qu'une arrestation sera effectuée ou une déclaration de culpabilité obtenue. » - Cour suprême du Canada, Seaboyer « Les mythes, les stéréotypes et les hypothèses générales au sujet des victimes d’agression sexuelle et des catégories de dossiers ont trop souvent, dans le passé, entravé la recherche de la vérité et imposé un fardeau lourd et inutile aux plaignants dans des poursuites relatives à une infraction d’ordre sexuel. » - Cour suprême du Canada, Mills « Malgré la grande latitude que, dans la plupart des cas, le processus contradictoire laisse aux contre‑interrogateurs de recourir à des hypothèses et à des insinuations non prouvées pour tenter de désarçonner le témoin qui ment, les affaires d’agression sexuelle présentent des dangers particuliers. Les arrêts Seaboyer, Osolin et Mills précisent tous que de telles affaires devraient être tranchées sans qu’on recoure à des légendes populaires sur la façon dont des personnes qui n’ont jamais été maltraitées s’attendent à ce que les victimes de sévices réagissent aux traumatismes subis: » - Cour suprême du Canada, Shearing « Certains mythes et stéréotypes traditionnels affectent depuis longtemps l’appréciation de la conduite des plaignants et de la véracité de leur témoignage dans les affaires d’agression sexuelle — mentionnons la croyance selon laquelle les femmes « non chastes » ont vraisemblablement consenti aux actes reprochés ou qu’elles sont moins dignes de foi, la croyance selon laquelle la passivité ou même la résistance peuvent en fait être assimilées à consentement et la croyance selon laquelle certaines femmes invitent à l’agression sexuelle par leur tenue vestimentaire ou leur comportement, pour n’en nommer que quelques-unes. Sur le fondement d’une preuve convaincante, tirée d’une abondante littérature pertinente relevant des sciences sociales, notre Cour s’est montrée disposée à accepter l’existence de tels mythes et stéréotypes : » - Cour suprême du Canada, Find |
R. c. Seaboyer ; R. c. Gayme, 1991 CanLII 76 (CSC), au para 140. R. c. Mills, 1999 CanLII 637 (CSC), au para119.
R. c. Shearing, 2002 CSC 58 (CanLII), au para121 et 122.
R. c. Find, 2001 CSC 32 (CanLII), au para 101. |
Les mythes et les stéréotypes sont des erreurs de droit « Premièrement, la règle proposée interdisant le recours à des hypothèses logiques infondées n’est pas un prolongement logique de l’interdiction visant le recours aux mythes et stéréotypes à l’endroit des personnes plaignantes dans les affaires d’agression sexuelle. Une telle règle témoigne d’une mauvaise compréhension de l’ensemble distinct de règles de droit associé aux mythes et stéréotypes dans les affaires d’agression sexuelle, qui a un historique unique et un objectif réparateur précis : écarter les règles de droit discriminatoires qui ont contribué à la perception que les femmes, en tant que groupe, étaient peu crédibles et ne méritaient pas une protection juridique contre la violence sexuelle. Plusieurs mythes et stéréotypes sont condamnés par la jurisprudence, qui a qualifié le recours à ceux‑ci d’erreur de droit et des changements législatifs importants ont été apportés dans le but de protéger les droits des femmes et des enfants en raison de leur vulnérabilité particulière à la violence sexuelle. Cet historique met en perspective les raisons distinctes pour lesquelles le fait de recourir aux mythes et stéréotypes afin de discréditer les personnes plaignantes dans les affaires d’agression sexuelle constitue une erreur de droit, au lieu d’être une conclusion de fait ordinaire assujettie à la norme de l’erreur manifeste et déterminante. Inversement, la règle proposée ne porte pas sur des généralisations précises, déterminées et erronées concernant une certaine catégorie de témoins, et elle n’empêche pas non plus que le sens des éléments d’une infraction soit dénaturé. Elle regroupe plutôt les types de stéréotypes pernicieux et discriminatoires que les tribunaux et le Parlement ont voulu condamner et corriger avec des généralisations inoffensives qui, quoique peut‑être erronées sur le plan des faits, n’ont rien à avoir avec l’inégalité de traitement. » … « Les droits de l’accusé demeurent préservés par des protections juridiques fondamentales expressément conçues pour assurer l’équité envers l’accusé, lesquelles prennent leur source dans leur propre ensemble solide de règles de droit découlant de principes tels la présomption d’innocence, le droit de garder le silence et le doute raisonnable. De telles mesures de protection assurent l’équité envers l’accusé et doivent guider le juge du procès lorsqu’il apprécie les témoignages. » |
R. c. Kruk, 2024 CSC 7 (CanLII). |
Les mythes et les stéréotypes hantent le système judiciaire « Le procès criminel peut être humiliant, dégradant et attentatoire pour les victimes d’infractions d’ordre sexuel, notamment parce que les mythes et les stéréotypes continuent de hanter le système de justice criminelle. Dans le passé, les procès offraient peu de protections, sinon aucune, aux plaignantes. Plus souvent qu’autrement, celles‑ci pouvaient s’attendre à ce que les détails de leur vie et de leur moralité soient scrutés de manière injustifiée dans le but qu’elles se sentent intimidées et embarrassées, et que leur crédibilité soit mise en doute — tous des éléments qui compromettaient la fonction de recherche de la vérité du procès. Cela portait en outre atteinte à la dignité, à l’égalité et à la vie privée des personnes qui avaient le courage de porter plainte et de subir les rigueurs d’un procès public. Au cours des dernières décennies, le Parlement a apporté plusieurs changements au déroulement du procès, essayant de trouver un juste équilibre entre : le droit de l’accusé à un procès équitable; la dignité, l’égalité et la vie privée de la plaignante; et l’intérêt du public dans la recherche de la vérité. Cet effort se poursuit, mais des statistiques et des récits bien documentés de plaignantes brossent toujours un portrait sombre de la situation. La plupart des victimes d’infractions d’ordre sexuel ne signalent pas ces crimes; et pour celles qui le font, seule une fraction des infractions signalées débouchent sur une poursuite complète. Il faut en faire davantage. » |
R. c. J.J., 2022 CSC 28 (CanLII), au para 1 et 2. |
Fonder sa crédibilité sur des stéréotypes est une erreur de droit « Nous sommes d’avis de rejeter le pourvoi, essentiellement pour les motifs des juges majoritaires de la Cour d’appel. En prenant en considération l’absence de preuve que la plaignante aurait cherché à éviter l’appelant, le juge du procès a commis l’erreur même contre laquelle il s’était mis en garde plus tôt dans ses motifs : il a apprécié la crédibilité de la plaignante uniquement en comparant son comportement à celui attendu de la victime type d’agression sexuelle. Il s’agissait là d’une erreur de droit. » |
R. c. A.R.J.D., 2018 CSC 6 (CanLII), au para 85. |
Ce sont des preuves, et non des stéréotypes, qui sont utilisés dans le cadre d'un procès équitable « Le critère proposé trouve le juste équilibre entre le désir de l'accusé de se voir divulguer par chacun tout ce qui en théorie pourrait servir à sa défense, d'une part, et les contraintes imposées par le processus judiciaire et le droit à la protection de la vie privée des tiers qui se trouvent pris dans le système de justice, d'autre part, le tout sans mettre en péril la garantie constitutionnelle d'un procès qui soit fondamentalement équitable. La Charte garantit non pas le plus équitable de tous les procès possibles, mais plutôt un procès fondamentalement équitable. Le procès équitable tient compte non seulement du point de vue de l'accusé, mais également des limites pratiques du système de justice et des intérêts légitimes des autres personnes concernées, comme les plaignants ... » |
R. c. O'Connor, 1995 CanLII 51 (CSC), au para 193-4. |
Les mythes et les stéréotypes n'ont pas leur place dans la loi « Notre Cour a statué à maintes reprises que les mythes et les stéréotypes n’ont pas leur place dans un système juridique rationnel et juste, du fait qu’ils compromettent la fonction judiciaire de recherche de la vérité. » |
R. c. P.G., 2000 CSC 17 (CanLII), au para 2. |
Les mythes et les stéréotypes déforment la fonction de recherche de la vérité “When assessing the evidence of a complainant in relation to an allegation of sexual assault, the court must not resort to the use of myths and stereotypes. Myths and stereotypes have no place in our law and distort the truth-finding function of the court.” [Traduction libre : « Lorsqu’il évalue la preuve d’un plaignant dans une affaire d’agression sexuelle, le tribunal ne doit pas recourir aux mythes ni aux stéréotypes. Les mythes et les stéréotypes n’ont pas leur place dans notre droit et faussent la fonction de recherche de la vérité du tribunal. »] … “People react differently to events. There is no correct or standard way for a complainant to react to a sexual assault.” [Traduction libre : « Les personnes réagissent différemment aux événements. Il n’existe pas de manière correcte ou standardisée pour un plaignant de réagir à une agression sexuelle. »] |
R. c. McLeod, et al., 2025 ONSC 4319 (CanLII). (Disponible en anglais seulement). |
Le plaignant ne devrait pas être « frappé » par l'accusé lors du contre-interrogatoire « les dispositions des art. 15 et 28 de la Charte qui garantissent l'égalité des hommes et des femmes devraient être prises en considération lorsqu'il s'agit d'établir les limites raisonnables à apporter au contre‑interrogatoire d'un plaignant.... . Le plaignant ne devrait pas être indûment tourmenté et mis au pilori au point de le transformer en victime d'un système judiciaire insensible .... Les motifs de l'arrêt Seaboyer montrent clairement qu'il ne convient pas d'obtenir d'un plaignant des éléments de preuve en vue de susciter des inférences quant au consentement ou à la crédibilité des victimes de viol sur la base de mythes sans fondement et de stéréotypes fantaisistes. » |
R. c. Osolin, 1993 CanLII 54 (CSC), aux para 669 et 670. |
Les tactiques de défense inappropriées sont du harcèlement “Over the years, Parliament and the courts have recognized the disadvantaged position of a complainant in a sexual assault prosecution and have taken steps to address the often irrelevant and unfair attacks on the character, privacy, and security of the complainant. The efforts have focused on many injustices including the harassment of the complainant by the improper defence tactics engaged.” [Traduction libre : « Au fil des ans, le Parlement et les tribunaux ont reconnu la position désavantagée d’un plaignant dans une poursuite pour agression sexuelle et ont pris des mesures pour remédier les attaques souvent non pertinentes et injustes visant son caractère, sa vie privée et sa sécurité. Ces efforts se sont concentrés sur de nombreuses injustices, notamment le harcèlement du plaignant par des tactiques de défense inappropriées. »] - Cour suprême du Canada, Roland Il a été reconnu que ces tactiques, même infructueuses, étaient souvent déstabilisantes, voire préjudiciables, pour la plaignante et constituaient du harcèlement entraînant humiliation, intimidation et préjudice. Dans certains cas, l'objectif de ces tactiques n'était que de perturber et de déstabiliser la plaignante. Les poursuites pour agression sexuelle sont « il n'est ni nécessaire ni souhaitable que le procès d'une personne inculpée d'agression sexuelle donne l'occasion de faire le procès du mode de vie et de la réputation du plaignant. », et « Le plaignant ne devrait pas être indûment tourmenté et mis au pilori au point de le transformer en victime d'un système judiciaire insensible. » - Cour suprême du Canada, Osolin |
R. c. Roland, 2020 BCPC 130 (CanLII), au para 27 et 28. (Disponible en anglais seulement).
R. c. Osolin, 1993 CanLII 54 (CSC), au para 672 et 669. |
Le contre-interrogatoire ne peut pas être abusif « … reconnu de plus en plus que les techniques de contre‑interrogatoire consistant à faire le procès du plaignant plutôt que celui de l’accusé dans des affaires d’agression sexuelle sont abusives et qu’elles ont pour effet de fausser plutôt que de favoriser la recherche de la vérité. » |
R. c. Shearing, 2002 CSC 58 (CanLII), au para 76. |
Rejeter l'opinion selon laquelle les cas d'agression sexuelle sont plus susceptibles d'être fabriqués de toutes pièces « … a rejeté l’idée que les plaignants en matière d’agression sexuelle ont plus tendance que les autres plaignants à inventer des histoires fondées sur des «motifs inavoués» et sont donc moins dignes de foi. Ni le droit, ni l’expérience des tribunaux, ni la recherche en sciences sociales n’étayent cette généralisation. » |
R. c. P.G., 2000 CSC 17 (CanLII), au para 3. |
Les pratiques tenant compte des traumatismes renforcent le respect du public pour la justice *Il s'agit d'une affaire civile, mais elle comprend des informations souvent citées sur le processus tenant compte des traumatismes “First, it is important to describe what I mean by a trauma-informed process. It is not one that aims to heal the trauma that participants in the process have experienced. It is not about manners or kindness. It is about adapting our processes in a way that seeks to minimize the trauma that the legal process itself can create, and it is about understanding how a person’s trauma might inform or affect their interactions with the legal system. A trauma-informed process can thus operate to remove barriers to just outcomes, and enhance public respect for, and the legitimacy of, the administration of justice.” [Emphasis added] [Traduction libre : « Tout d’abord, il importe de préciser ce que j’entends par une démarche axée sur les traumatismes. Il ne s’agit pas de guérir les traumatismes vécus par les participants au processus. Il ne s’agit pas non plus de politesse ou de bienveillance. Il s’agit d’adapter nos processus de manière à réduire au minimum les traumatismes que le processus judiciaire lui-même peut engendrer, et de comprendre comment les traumatismes d’une personne peuvent éclairer ou influencer ses interactions avec le système judiciaire. Une démarche axée sur les traumatismes peut ainsi contribuer à éliminer des obstacles à des résultats justes et à accroître le respect du public envers l’administration de la justice, ainsi que sa légitimité. »] [Emphase ajouté] |
S. c. Ukraine International Airlines JSC, 2024 ONSC 3303 (CanLII), au para 100. (Disponible en anglais seulement). |