Déclaration de l’ombudsman à la suite du rapport appelant à une action législative pour criminaliser les comportements coercitifs et contrôlants
Je fais cette déclaration pour exprimer mon accord total à la mise en œuvre des cinq recommandations du rapport unanime déposé par le Comité permanent de la justice et des droits de la personne, La pandémie de l’ombre : Mettre fin aux comportements coercitifs et contrôlants dans les relations intimes.
Une partie importante de mon rôle d’ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels consiste à recommander au gouvernement fédéral des façons de mieux arrimer ses lois, ses politiques et ses programmes aux besoins des victimes. En juin 2020, j’ai écrit une lettre au ministre de la Justice, l’honorable David Lametti, et le 4 février 2021, j’ai comparu devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne pour témoigner de la nécessité d’une loi criminalisant les comportements coercitifs et contrôlants. J’y ai présenté un mémoire décrivant les recommandations de mon bureau.
La violence conjugale est un problème de santé publique grave et évitable, qui comprend les abus physiques, sexuels et émotionnels et les comportements contrôlants par un partenaire ou un conjoint actuel ou un ex-conjoint. La violence conjugale a été amplifiée dans le contexte de la pandémie de COVID-19 étant donné l’obligation de s’isoler pour de nombreux Canadiens. Les experts et les défenseurs qui travaillent dans le domaine de la violence fondée sur le genre et de la prévention de la violence ont appelé la situation la pandémie de l’ombre.
Selon Statistique Canada, 79 % des victimes de violence conjugale sont des femmes1. Bien que les hommes soient moins susceptibles d’être victimes et de porter plainte, ils constituent tout de même une victime de violence conjugale sur cinq2. Il est également important de reconnaître que la violence conjugale touche également les personnes qui s’identifient comme bispirituelles, lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenres, queers, en questionnement, intersexuelles et asexuelles (2SLGBTQ+). La violence conjugale est une question de genre3, qui touche de manière disproportionnée toutes les personnes qui s’identifient comme des femmes.
Compte tenu du contexte actuel d’augmentation de la violence conjugale au cours de la COVID-19, il est devenu urgent et malheureusement nécessaire de considérer les comportements coercitifs et contrôlants comme une forme de violence conjugale. Ces comportements sont rarement des incidents isolés et conduisent souvent à des formes plus violentes d’abus, comme les violences physiques et sexuelles. Les comportements coercitifs et contrôlants comprennent des formes d’abus émotionnels, psychologiques et financiers qui s’incrustent dans le quotidien. Font partie des tactiques utilisées par les agresseurs l’exploitation, la manipulation, l’intimidation, l’isolement et la mainmise des moindres aspects de la vie quotidienne. Le contrôle coercitif induit la peur et l’obéissance chez la victime; ultimement, il lui fait perdre son sentiment de liberté et son identité à l’intérieur de la relation. Ces comportements ne sont pas pris en compte dans le droit criminel canadien à l’heure actuelle.
Les conséquences des formes d’abus émotionnel, psychologique et financier sont considérables et ne peuvent être sous-estimées. Font partie des effets de la violence psychologique une augmentation des symptômes de stress traumatique tels que la dépression et le syndrome de stress post-traumatique4. Il a été constaté que la violence émotionnelle est liée à une hausse des symptômes de détresse et des idées suicidaires, à une mauvaise santé, à des difficultés à faire ses tâches quotidiennes et à un recours accru aux services de santé5. Les abus financiers entraînent des conséquences similaires sur la santé mentale6, mais on peut aussi y ajouter la pauvreté et des conditions de vie inférieures aux normes7. De plus, les séquelles de l’exploitation financière durent souvent longtemps, bien au-delà de la fin de la relation abusive8.
Mon bureau a reçu des témoignages directs de survivants qui disent que les comportements coercitifs et contrôlants sont plus fréquents que la violence physique. Pourtant, la réponse du système de justice pénale consiste à intervenir lors d’incidents uniques ou isolés, généralement violents. Les forces de l’ordre sont sévèrement limitées dans la manière dont elles peuvent réagir dans des situations où il n’y a pas de violence physique. Les comportements répétitifs de contrôle et de coercition ne reçoivent pas d’attention, et ainsi la sécurité des victimes est compromise dans certains cas, ce qui ouvre la porte aux situations d’homicide par les agresseurs.
Je félicite le Comité permanent de la justice et des droits de la personne d’avoir demandé une action législative pour criminaliser les comportements coercitifs et contrôlants. La criminalisation des comportements coercitifs et contrôlants permettra une intervention précoce de la police avant que la violence conjugale ne dégénère en violence physique ou en homicide. La criminalisation des comportements coercitifs et contrôlants constitue également un précédent qui traduit la gravité des abus psychologiques et financiers et de la coercition ainsi que leurs effets préjudiciables de grande ampleur sur les victimes.
Il est impératif que les agresseurs soient tenus responsables de leurs actes. Ces comportements délibérément violents ne peuvent plus être tolérés au Canada. Je pense que la criminalisation des comportements coercitifs et contrôlants est une étape essentielle vers une approche plus centrée sur les victimes et la protection des personnes les plus vulnérables, en particulier celles qui s’identifient comme des femmes. Je soutiens les victimes et les survivants d’actes crminels, et cette loi serait un pas vers la justice.
1 Statistique Canada. 2021. Section 3 : Violence entre partenaires intimes au Canada, affaires déclarées par la police, 2019. https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/85-002-x/2021001/article/00001/03-fra.htm.
2 Roebuck et al. 2020. Survivants masculins de la violence conjugale au Canada. Centre de recherche en victimologie du Collège Algonquin, Survivants masculins de la violence conjugale au Canada.
3 L’Organisation mondiale de la santé (OMS, 2021) indique que la violence à l’égard des femmes, telle que la violence conjugale, est un problème mondial majeur de santé publique et constitue une violation des droits fondamentaux des femmes, toutes les femmes, y compris celles qui s’identifient comme telles.
4 Mechanic, M., Weaver, T. et Resick, P. 2010. Mental health consequences of intimate partner violence. Violence Against Women, 14(6), DOI : 10.1177/1077801208319283.
5 Yoshihama, M., Horrocks, J. et Kamano, S. 2009. The role of emotional abuse in intimate partner violence and health among women in Yokohama, Japan. American Journal of Public Health, 99(4), DOI : 10.2105/AJPH.2007.118976.
6 Stylianou, A. 2018. Economic Abuse Within Intimate Partner Violence: A Review of the Literature. Violence and Victims, 33(1), 3‑22. https://doi.org/10.1891/0886-6708.VV-D-16-00112.
7 Voth Schrag, R. 2019. Experiences of Economic Abuse in the Community: Listening to Survivor Voices. Affilia, 34(3), 313‑324. https://doi.org/10.1177/0886109919851142.
8 Sanders, C. 2015. Economic Abuse in the Lives of Women Abused by an Intimate Partner: A Qualitative Study. Violence Against Women, 21(1), 3‑29. https://doi.org/10.1177/1077801214564167.
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