Comprendre les expériences de contrôle coercitif et d’exploitation sexuelle
Directrice générale
Sagesse Domestic Violence Prevention Society
Carrie McManus
Directrice de l’innovation et des programmes
Sagesse Domestic Violence Prevention Society
Rod Dubrow-Marshall, Ph. D.
Professeur, coresponsable de programme,
Maîtrise ès sciences, psychologie du contrôle coercitif
Université de Salford et RETIRN, RU
Table des matières
Comprendre les expériences de contrôle coercitif et d’exploitation sexuelleSommaire
Sommaire des recommandations
Recommandation no 1 : Reconnaître le continuum du travail du sexe dans les politiques, la législation et les pratiques
Recommandation no 2 : Mettre à jour les définitions relatives à la traite des personnes dans les lois, les politiques et les pratiques
Recommandation no 3 : Inclusion du travail du sexe dans les définitions du contrôle coercitif et la pratique
Recommandation no 4 : Le financement de la prestation des services et de l’aide et leur accessibilité
Recommandation no 5 : Inclusion du travail du sexe dans la législation canadienne sur le contrôle coercitif
Introduction
Ampleur de l’exploitation sexuelle
Comprendre l’exploitation sexuelle par rapport à la traite des personnes
Méthodologie
Étude qualitative
Examen des politiques, des pratiques et de la législation
Approches et modèles législatifs
Examen des politiques et de la législation
Examen des pratiques et des interventions
Voix de l’expérience vécue – Examen de l’étude qualitative
Les participantes
Thèmes généraux
Cheminement dans l’industrie du sexe
Bien-être
Contrôle coercitif
Interventions et services
Protection et application de la loi
COVID-19
Recommandations
Recommandation no 1 : Reconnaître le continuum du travail du sexe dans les politiques, la législation et les pratiques
Recommandation no 2 : Mettre à jour les définitions relatives à la traite des personnes dans les lois, les politiques et les pratiques
Recommandation no 3 : Inclusion du travail du sexe dans les définitions du contrôle coercitif et la pratique
Recommandation no 4 : Le financement de la prestation des services et de l’aide et leur accessibilité
Recommandation no 5 : Inclusion du travail du sexe dans la législation canadienne sur le contrôle coercitif
Conclusion
Références
Sommaire
L’exploitation sexuelle des femmes est reconnue dans le monde entier comme un problème très préoccupant (OMS, 2021). L’exploitation sexuelle des adultes a lieu par divers moyens, et cause des traumatismes aux personnes qui en sont victimes. Il n’y a pas de compréhension ou de définition de ce qu’est l’exploitation sexuelle qui est commune d’un pays à l’autre ou même d’un secteur à l’autre, puisque les définitions et la portée actuelles sont soit trop étroites, soit trop larges. Pour cette raison, il est presque impossible de connaître l’ampleur de la question (Kelly et Regan, 2000). Sur le plan sociétal, il existe un débat sur la meilleure façon d’aborder le commerce du sexe, allant de la légalisation et de la réglementation à la criminalisation. Bien qu’il n’y ait pas de définition et de compréhension communes de la portée de la question, les personnes ayant été victimes d’exploitation sexuelle font état d’une expérience commune de contrôle coercitif. On comprend mal la façon dont se recoupent l’exploitation sexuelle et le contrôle coercitif.Le présent article fournit un examen des politiques, des pratiques et de la législation dans des pays dont le contexte est semblable au contexte canadien tout en examinant une étude qualitative fondée sur une analyse interprétative phénoménologique (AIP) présentant le point de vue de sept femmes ayant été victimes d’exploitation sexuelle et de contrôle coercitif, qui décrivent leur cheminement dans l’industrie du sexe, leurs expériences en matière de bien-être, les conséquences du contrôle coercitif, l’efficacité de l’intervention, des services, de la protection et de l’application de la loi, ainsi que les répercussions de la COVID-19 sur leurs expériences. L’étude offre une perspective unique de l’expérience vécue par des personnes qui se sont livrées au travail du sexe, de leur perte d’agentivité personnelle (capacité d’agir ou d’exercer un pouvoir sur leurs propres actions) tout en reconnaissant la complexité du continuum du travail du sexe volontaire et involontaire. On propose des mesures visant les pratiques législatives et d’intervention, notamment l’inclusion d’une mesure législative sur le contrôle coercitif dans le Code criminel du Canada qui engloberait l’exploitation sexuelle, et des interventions qui tiennent compte de la nécessité d’adopter des approches multi-organismes à long terme et fondées sur les forces, ainsi que des cadres de pratique à multiples facettes qui reconnaissent la complexité des expériences vécues par les femmes qui travaillent dans l’industrie du sexe.
AVERTISSEMENT : Le présent rapport de recherche contient des détails qui pourraient troubler certaines personnes. La discrétion est conseillée.
Sommaire des recommandations
Recommandation no 1 : Reconnaître le continuum du travail du sexe dans les politiques, la législation et les pratiques
Toutes les participantes à l’étude ont décrit leur expérience du travail du sexe comme un continuum allant du travail du sexe volontaire au travail du sexe involontaire, y compris, dans certains cas, un va-et-vient dans le continuum au cours de la même journée. Il faut que la législation et les politiques relatives au travail du sexe reposent sur la compréhension des enjeux en tant que continuum d’expériences, volontaires à involontaires (y compris l’exploitation sexuelle et la traite des personnes), étant entendu que la plupart des personnes qui se livrent au travail du sexe se trouvent à plusieurs endroits du continuum tout au long de leurs expériences.Recommandation no 2 : Mettre à jour les définitions relatives à la traite des personnes dans les lois, les politiques et les pratiques
Les pratiques et les interventions qui exigent que les participantes se déclarent victimes de la traite des personnes créent des obstacles à l’entrée ou obligent les personnes à alterner les codes (c.‑à‑d. se définir selon les critères établis par le service afin d’accéder aux programmes et services dont elles ont besoin). La législation et les politiques relatives au travail du sexe doivent s’éloigner des définitions axées sur la traite des personnes pour adopter les définitions élargies mentionnées précédemment, qui fournissent le contexte du continuum du travail du sexe volontaire au travail du sexe involontaire.Recommandation no 3 : Inclusion du travail du sexe dans les définitions du contrôle coercitif et la pratique
L’exploitation sexuelle a souvent été comprise dans le cadre de facteurs de pression et d’attraction. Bien qu’il s’agisse d’un cadre utile pour comprendre l’exploitation sexuelle, cela ne permet pas de reconnaître pleinement le rôle joué par le contrôle coercitif dans les facteurs de pression et d’attraction. Mettre en œuvre une nouvelle définition pratique du travail du sexe à l’échelle nationale afin de tenir compte du contrôle coercitif dans le continuum du travail du sexe volontaire au travail du sexe involontaire, permettrait la mise en contexte des expériences de perte d’agentivité personnelle et des répercussions de cette perte sur la liberté émotionnelle et physique.Recommandation no 4 : Le financement de la prestation des services et de l’aide et leur accessibilité
Les services destinés aux femmes victimes d’exploitation sexuelle doivent viser le long terme, être fondés sur les forces, être exempts de préjugés, s’attaquer aux problèmes de dépendance, être spécialisés dans les interventions liées aux expériences d’exploitation sexuelle et traiter les traumatismes complexes (Gerassi et Nicols, 2017). Les personnes qui se livrent au travail du sexe ne devraient pas être contraintes de recourir à des programmes qui ne correspondent pas à leurs expériences personnelles dans le continuum du travail du sexe volontaire au travail du sexe involontaire.Recommandation no 5 : Inclusion du travail du sexe dans la législation canadienne sur le contrôle coercitif
Conformément aux recommandations du rapport du Comité permanent de la justice et des droits de la personne intitulé La pandémie de l’ombre : Mettre fin aux comportements coercitifs et contrôlants dans les relations intimes (2021), les lois pénales canadiennes devraient être modifiées pour tenir compte des préjudices causés par les comportements coercitifs et contrôlants qui ne sont pas actuellement pris en compte par celles-ci.Introduction
L’exploitation sexuelle, pour un adulte, passe par toute une gamme de moyens, notamment l’abus de confiance, les menaces ou la vente forcée de services sexuels (Casavant et Valiquet, 2014). L’exploitation sexuelle peut être classée en cinq grands types de coercition, à savoir la migration et la traite forcées, l’esclavage sexuel, la violence de la part d’un partenaire intime, l’exploitation sexuelle par des groupes coercitifs et la violence structurelle.La traite des femmes à des fins d’exploitation sexuelle a été examinée sous différents angles, notamment celui de la migration illégale (OIM, 2021), de la commercialisation mondiale de la représentation sexuelle (Taylor et Jamieson, 1999), du crime organisé (Mameli, 2002), des droits de la personne (Worden, 2018), et, enfin, en tant qu’élément inhérent à la question de la prostitution involontaire (forcée) et du commerce du sexe (Askola, 2007; Demleitner, 1994; Leidholdt, 1996). La traite des femmes a été définie de façon générale comme le ) [traduction] « transport ou la vente de femmes, avec ou sans le consentement de la victime, au moyen du détournement, de la tromperie, de la force ou de l’intimidation, à des fins de prostitution ou d’autres abus sexuels » (Kelly et Regan, 2000, p. 3). Le principal facteur qui distingue la traite des personnes à des fins d’exploitation sexuelle de la traite plus généralisée ou de la migration forcée réside dans le fait que les femmes victimes de la traite des personnes à des fins d’exploitation sexuelle sont livrées à un lieu et à une personne ou à une organisation qui est partie à la transaction relative à la traite et qui, après l’arrivée des femmes à un lieu, les contraignent à l’exploitation sexuelle. En outre, étant donné que des frais ont été payés pour la personne, ces frais se traduisent souvent par une dette que les femmes sont contraintes de payer par l’exploitation sexuelle. Dans certains pays, cette activité est considérée à la fois comme la traite des personnes à des fins d’exploitation sexuelle et l’esclavage moderne (Askola, 2007). Dans le cas de la migration généralisée, cela se limite le plus souvent à amener la personne dans le pays où elle souhaite entrer, pour ensuite la laisser à elle-même (Kelly et Regan, 2000).
L’esclavage sexuel est une exploitation qui est souvent confondue avec la traite des personnes (Kelly et Regan, 2000). Dans de nombreux pays, si une personne est retenue contre son gré, transportée d’un lieu vers un autre et forcée de se prostituer, il s’agit alors de traite (Hepburn et Simon, 2013). Cependant, pour les victimes d’exploitation sexuelle, la définition de la traite des personnes ne semble pas correspondre à leurs expériences, notamment dans le cas des « esclaves locaux » décrits par Bales et Soodalter (2009). Ce sont des femmes qui sont enlevées dans les rues des États-Unis et forcées à se prostituer contre leur gré. Il existe des histoires semblables de femmes « de la classe moyenne » et défavorisées qui sont enlevées et contraintes à l’exploitation sexuelle dans d’autres pays occidentaux comme le Royaume-Uni et l’Italie (Lloyd, 2012; Bowley, 2012; Hayes, 2012; Patterson, 2018). L’esclavage sexuel est peut-être, plus que tout autre type d’exploitation sexuelle, lié aux facteurs économiques ou « d’attraction » de cette exploitation. Ces facteurs sont ceux qui décrivent le mieux l’exploitation sexuelle comme une [traduction] « industrie monopolisatrice et concurrentielle où de nombreux vendeurs offrent à de nombreux acheteurs des produits différenciés en fonction du prix et des préférences de chaque employeur » (Wheaton, Schauer et Galli, 2010 p. 117). Dans ce cas, le vendeur est l’auteur de l’enlèvement, l’acheteur est la personne qui achète des services sexuels, c’est-à-dire « le client », le produit est la victime d’exploitation sexuelle et l’employeur est le proxénète.
L’exploitation sexuelle découlant de la violence de la part d’un partenaire intime est le résultat du recoupement de la violence familiale et de l’exploitation sexuelle. Bruggerman et Keyes (2009) ont constaté que certaines victimes de violence familiale déclaraient avoir été forcées de se livrer à des activités d’exploitation sexuelle dans le contexte de la violence. En outre, Roe-Sepowitz et coll. (2014) ont conclu que les femmes qui étaient soumises à un contrôle coercitif menant à l’exploitation sexuelle par des personnes qu’elles considèrent comme étant intimes vivaient les mêmes expériences d’amour et d’intimité que les femmes victimes de mauvais traitements avec leurs agresseurs. La relation entre un proxénète et une prostituée peut présenter les mêmes caractéristiques qu’une relation de violence (Williamson et Cluse-Tolar, 2002; Roe-Sepowitz et coll., 2014; Hickle, Dahlstedt et Gallagher, 2014). L’exploitation sexuelle par un partenaire intime comprend des tactiques de contrôle coercitif dont [traduction] « le secret, la violence, la domination et le pouvoir, les règles, la violence et l’instabilité psychologiques, les relations, la manipulation psychologique, les événements traumatisants, le contrôle économique, les obstacles à la divulgation de la victimisation, les conséquences de la victimisation et les difficultés à s’échapper ou à partir » (Roe-Sepowitz et coll., 2014, p. 887 et 888).
L’exploitation sexuelle par des groupes exerçant un contrôle coercitif, comme les sectes et les groupes religieux, s’inscrit dans un contexte plus large de contrôle coercitif perpétré par ces groupes. Lalich (1997) affirme que ) [traduction] « l’exploitation sexuelle des femmes dans les sectes de tous types est répandue et, à ce jour, il s’agit probablement de l’aspect de la vie sectaire dont on parle le moins et qui est certainement le moins étudié » (p. 7. L’exploitation sexuelle dans le contexte de groupes exerçant un contrôle coercitif peut prendre différentes formes, notamment des relations sexuelles forcées avec les dirigeants du groupe, la prostitution involontaire forcée au nom du groupe, des relations sexuelles forcées avec d’autres membres du groupe, et, dans certains cas, la reproduction forcée (William, 1998; Stein, 2017). Dans la plupart des pays occidentaux, les relations sexuelles entre adultes consentants ne sont pas considérées comme forcées ou relevant de l’exploitation. Toutefois, ces dernières années, tant les chercheurs que les tribunaux ont reconnu que, en ce qui concerne les relations sexuelles qui ont lieu dans le cadre de groupes exerçant un contrôle coercitif, il faut tenir compte des caractéristiques sociologiques du groupe susceptibles de nuire à la capacité d’une femme de fournir un consentement éclairé (Dayan, 2018; Cour de district des États‑Unis pour le district Est de New York, 2019). Selon Stein (2017), les dirigeants de sectes exercent une forme de contrôle coercitif semblable à celle observée dans la violence familiale. Le dirigeant prend le contrôle de l’agentivité personnelle de la femme, la privant de la possibilité d’entretenir des relations intimes et se présentant comme son seul « refuge ». Ces expériences créent un « lien traumatique » qui fait en sorte que toutes les personnes et toutes les choses externes au groupe sont perçues comme menaçantes et compromettent la capacité de la victime à répondre à ses propres besoins de survie.
L’exploitation sexuelle résultant de la violence structurelle est souvent décrite comme les facteurs qui « poussent » les femmes vers ce type d’exploitation. La violence structurelle, présentée en 1969 par Johan Galtung, désigne une forme de violence dans laquelle les institutions sociales nuisent aux gens en les empêchant de satisfaire leurs besoins fondamentaux. Ces facteurs de pression sont des mécanismes qui contraignent les femmes à se prostituer contre leur gré, comme les dépendances, les problèmes de santé mentale, l’instabilité politique, l’itinérance, le racisme et l’héritage du colonialisme, l’appartenance à un gang, et la pauvreté (gouvernement de la Colombie-Britannique, 2021). L’idée des facteurs de pression est née du concept selon lequel les personnes qui font l’objet d’une discrimination structurelle dans leur société d’origine sont poussées à quitter leur lieu d’origine en vue de meilleures possibilités (Bales, 2007; DiRienzo et Das, 2017). Les chercheurs ont repris cette idée des facteurs de pression résultant de la discrimination structurelle et l’ont étendue à tous les facteurs qui peuvent être considérés comme étant à l’origine de la violence structurelle (Kelly et Regan, 2000; Stanojoska et Petrevski, 2012; ACSP, 2014).
Chacune de ces cinq formes distinctes d’exploitation sexuelle s’entrecroise et se chevauche, ce qui crée un réseau complexe de compréhension, qui définit l’expérience vécue en matière d’exploitation sexuelle et ses répercussions. Les expériences relatives à l’exploitation sexuelle des femmes feront l’objet d’un examen approfondi dans l’étude qualitative ci-après.
Pour tenter de comprendre l’exploitation sexuelle, il est important de la distinguer du travail du sexe volontaire. Selon l’Association canadienne de santé publique (ACSP) (2014), le travail du sexe peut être compris comme « l’échange consensuel de services sexuels entre adultes contre de l’argent ou des biens » (ACSP, 2014, p. 3). Cet échange de services peut se faire dans divers lieux (résidences privées, en ligne, en public, etc.). Il est important de noter que le fait de préciser la différence entre le travail du sexe involontaire et volontaire est controversé et que la validité du concept de travail du sexe volontaire fait l’objet de nombreux débats moraux entre les chercheurs, les prestataires de services et les personnes ayant une expérience vécue (Gerassi, 2015). Le débat sur le travail du sexe volontaire est divisé en deux « camps opposés », soit les néo-abolitionnistes, qui croient que tout travail du sexe est involontaire et forcé et ) [traduction] « s’appuient sur le postulat que la prostitution n’est jamais entièrement consensuelle et ne peut pas être considérée comme telle » (p. 2), et les tenants de l’attitude positive à l’égard du sexe, qui affirment que le travail du sexe volontaire peut être une carrière choisie (Ferguson, Phillipson, Diamond, Quinby, Vance et Snitow, 1984). Les opposants aux tenants de l’attitude positive à l’égard du sexe soutiennent que le consentement et la participation volontaire au travail du sexe doivent être examinés dans le contexte des taux élevés d’antécédents d’agressions et d’abus sexuels chez les travailleurs du sexe, et dans celui de la violence structurelle (Hughes, 2005; Potterat, Rothenberg, Muth, Darrow et Phillips-Plummer, 2001; Weitzer, 2007). Les tenants de l’attitude positive à l’égard du sexe estiment que les femmes devraient pouvoir décider elles-mêmes de leur participation à toute forme de travail, y compris le travail du sexe, et qu’il existe une forte corrélation négative entre la criminalisation du travail du sexe et la santé et la sécurité des travailleurs du sexe (Platt, Grenfell, Meiksin, Elmes, Sherman, Sanders, Mwangi, Crago, 2018; SWARM Collective, 2021; English Collective of Prostitutes, 2021; NSWP, 2021; Peng, 2005). Dans des études récentes, l’idée selon laquelle tout le travail du sexe est une analyse de l’exploitation a suscité de vives critiques. On a fait valoir que ) [traduction] « la prostitution n’est pas toujours une forme d’exploitation en soi; cela peut aussi être un travail bien rémunéré (surtout en ce qui concerne le “travail des femmes”, qui est généralement sous-évalué de manière systématique) et difficile, ce qui devrait être une question de choix individuel » (Akola, 2007, p. 25). Ces questions seront examinées plus en détail dans l’étude qui est présentée plus loin.
Ampleur de l’exploitation sexuelle
Le nombre actuel de femmes victimes d’exploitation sexuelle et l’ampleur de ce phénomène sont pratiquement inconnus. Cela s’explique en grande partie par la diversité des cadres législatifs et des définitions d’un pays à l’autre (Grassi, 2015; Kelly et Regan, 2000). De plus, l’exploitation sexuelle ne se prête pas aux formes traditionnelles de recherche et de collecte de données en raison de la nature cachée de la question et de la vulnérabilité des femmes victimes d’exploitation sexuelle (Kelly et Regan, 2000). La plupart des recherches sont fondées sur un petit nombre de renseignements fournis par la police et le pourcentage de victimes qui se présentent à la police demeure inconnu (Kelly et Regan, 2000; Askola, 2007). Toutefois, il est possible de tirer des conclusions à partir d’autres types de crimes semblables, comme la violence familiale et les abus sexuels, pour lesquels entre 12 à 20 % des femmes portent plainte à la police (Statistique Canada, 2019), ce qui signifie que l’ampleur du problème est probablement beaucoup plus importante que ce qui est indiqué dans les recherches et les documents gouvernementaux.L’existence de l’exploitation sexuelle, en particulier la traite des personnes, n’est pas pleinement reconnue dans de nombreux pays (Kelly, 2002). À l’heure actuelle, les estimations disponibles ne sont pas étayées par des données empiriques et sont au mieux des « hypothèses éclairées » (Askola, 2007; Kelly et Regan, 2000). Les chiffres actuels ayant été avancés varient grandement : 500 000 femmes victimes de la traite en Europe occidentale chaque année (Galiana, 2000), de 142 à 1 420 femmes victimes de la traite sexuelle au Royaume-Uni par année (Kelly et Regan, 2000) et de 45 000 à 50 000 femmes et enfants victimes de la traite sexuelle aux États-Unis par année (Tiefenbrun, 2001). Selon une étude britannique, 11 % des hommes âgés de 16 à 74 ans au Royaume-Uni ont eu recours à une travailleuse du sexe en 2016 (Home Affairs Committee, 2016). L’étude ne précise pas le nombre de ces travailleuses du sexe qui étaient volontaires et le nombre de celles qui étaient victimes d’exploitation sexuelle.
Les chercheurs, les praticiens, et les victimes d’exploitation sexuelle semblent utiliser les termes « prostitution », « exploitation sexuelle », « travail du sexe involontaire (forcé) » et « trafic sexuel » de façon interchangeable au Canada et ailleurs dans le monde. Une étude menée en 2014 par l’Association des femmes autochtones du Canada (AFAC) a relevé que les travailleuses du sexe et les praticiens, en faisant référence à l’exploitation sexuelle, ) [traduction] « n’ont fait aucune déclaration discernable indiquant une différence de point de vue entre les femmes qui ont été victimes de traite sexuelle et les femmes qui ont été prostituées » (p. 8). Nijhoff (2014) a mis en évidence la critique de l’« analyse de l’exploitation » dans ses recherches sur la traite des femmes dans l’Union européenne, car elle regroupe les travailleuses du sexe exploitées, les victimes de la traite des personnes et les travailleuses du sexe volontaires, ce qui revient à ) [traduction] « réduire toutes les femmes qui se prostituent à rien d’autre qu’à des victimes passives de la société patriarcale et à nier leur capacité de faire des choix éclairés quant à la question de s’y livrer » (p. 25).
La définition de la traite des personnes est trop étroite, l’analyse de l’exploitation est trop vaste, et chaque administration (locale, provinciale, fédérale et internationale) donne un nom différent à un même acte, ce qui rend presque impossible de connaître la véritable étendue de la question. L’étude ci-après vise à permettre aux travailleuses du sexe de faire entendre leur voix dans le but de clarifier les définitions à l’avenir.
Comprendre l’exploitation sexuelle par rapport à la traite des personnes
La conflagration du travail du sexe, de l’exploitation sexuelle, de la prostitution et de la traite des personnes non seulement a entraîné un manque de compréhension de l’ampleur de ces questions, mais a aussi conduit à d’autres problèmes systémiques dans la lutte contre l’exploitation sexuelle.Askola (2007) met en garde contre le fait que si l’on considère la question de manière étroite, on crée une réponse insuffisamment étroite. Si la question de l’exploitation n’est qu’un enjeu de préjugés sexistes, tel que l’a indiqué une « analyse de l’exploitation » (Nijhoff, 2014), la réponse produite sera celle d’une analyse des préjugés sexistes. De plus, les fondements féministes de notre définition de l’exploitation sexuelle ont donné lieu à la considération de cette question sous un angle binaire : ) [traduction] « l’oppression des femmes par les “hommes et leurs lois”, qui dissimule la complexité et les variations de la subordination, surestime le rôle du sexe et ne suffit pas à modifier les diverses motivations des acteurs de la prostitution » (Nijhoff, 2014, p. 25). La vision binaire de l’oppression des femmes par les hommes a également conduit à une sous-représentation et à un manque de recherche en ce qui concerne les hommes et les personnes transgenres dans le travail du sexe volontaire et involontaire. Dès 1987, Robert Connell proposait un cadre systématique d’expressions marginalisées du genre et de la sexualité qui offrait des définitions plus larges qu’un cadre binaire de femmes opprimées par les hommes, et pourtant, les chercheurs et les praticiens au service des personnes victimes d’exploitation sexuelle ont toujours adhéré à la nature binaire de l’exploitation. Les recherches sur la portée ou l’expérience des hommes, des personnes transgenres et des personnes non binaires et sur leurs expériences en matière d’exploitation sexuelle sont rares, mais il est clair, d’après les recherches existantes, que ce domaine n’est pas suffisamment exploré. Un rapport de 2008 intitulé « Under the Radar : The Sexual Exploitation of Young Men » a révélé que les jeunes hommes vivaient des expériences de travail du sexe comparables à celles des jeunes femmes, outre le fait qu’ils commencent généralement à travailler dans l’industrie du sexe à un âge plus avancé (plus de 18 ans) et qu’ils y demeurent plus longtemps que les femmes (McIntyre, 2008). Les personnes transgenres et non binaires sont surreprésentées par rapport à la population travaillant dans l’industrie du sexe, alors que 72 % des personnes interrogées dans le cadre de l’enquête américaine de 2015 sur les personnes transgenres ont déclaré s’être livrées au travail du sexe (James, Herman, Rankin, Keisling, Mottet et Anafi, 2016). Pourtant, la plupart des mesures législatives aux États-Unis et ailleurs dans le monde n’offrent des mesures de protection qu’aux femmes et aux enfants victimes d’exploitation sexuelle ou de trafic sexuel (Platt et coll., 2018).
Méthodologie
Le présent rapport comprend les éléments suivants :- Une analyse documentaire des politiques, des pratiques et la législation de cinq pays présentant des similitudes avec le contexte canadien;
- Une étude qualitative fondée sur une AIP présentant le point de vue de sept femmes ayant été victimes d’exploitation sexuelle et de contrôle coercitif. Les données qualitatives recueillies et communiquées dans le cadre du présent article sont tirées d’un mémoire de maîtrise en psychologie sur le contrôle coercitif, rédigé simultanément à l’Université de Salford.
Étude qualitative
Les questions posées portaient sur l’historique des expériences des participantes en matière de travail du sexe, sur leur perception de l’existence d’un choix ou d’une contrainte, sur leurs expériences du travail du sexe telles qu’elles sont conceptualisées dans un cadre de contrôle coercitif tenant compte des facteurs de pression et d’attraction endémiques au travail du sexe, et sur leurs expériences auprès des services sociaux et du système de justice en tant que travailleuses du sexe. Dans le but d’encourager les participantes à faire part de leurs expériences, le protocole comprenait 17 questions ouvertes qui ont permis de recueillir les expériences vécues des participantes et de créer un espace sûr et confortable pour une ) [traduction] « humble enquête de réflexion » (Clark, 2006). Les entretiens étaient semi-structurés, car cette méthode est considérée comme une méthode efficace pour encourager les participantes à prendre part à la conversation (Smith et Osborn, 2008). Une approche systématique de l’analyse des données a été adoptée pour saisir les thèmes et les grappes en tant que thèmes généraux qui renvoient également aux récits des participantes.Examen des politiques, des pratiques et de la législation
Approches et modèles législatifs
L’exploitation sexuelle, de par sa complexité, exige une approche globale pour garantir la sécurité et la santé des femmes victimes d’exploitation sexuelle. Selon Askola (2007), qui fait référence à la résolution des Nations Unies sur la traite des personnes et au plan d’action de l’Union européenne pour la lutte contre la traite des êtres humains, un plan global doit comporter trois volets : la prévention, les poursuites et la protection. La prévention consiste à arrêter l’exploitation sexuelle avant qu’elle ne se produise. Cet élément d’un plan global s’attaquerait aux causes profondes de l’exploitation sexuelle en mettant l’accent sur les facteurs de pression et en élaborant des réponses et des cadres qui élimineraient ces facteurs de pression liés à l’exploitation sexuelle. Les poursuites constituent le volet répressif de toute réponse à l’exploitation sexuelle. Il s’agit de veiller à la criminalisation et à la mise en œuvre de stratégies d’application de la loi pour protéger les victimes d’exploitation sexuelle, en s’attaquant à certains des facteurs d’attraction liés à l’exploitation sexuelle. Dans tout plan global, il serait essentiel que cet élément aborde correctement la véritable ampleur de la question. Askola (2007) mentionne qu’une analyse trop étroite de la portée de l’exploitation sexuelle peut conduire à une réponse insuffisante de la part des systèmes de justice, c’est-à-dire qu’une [traduction] « analyse étroite de la migration mènerait à une “réponse insuffisante et inadéquate à la migration” ». La protection serait l’élément de tout plan global qui répondrait au besoin de pratiques et de politiques permettant d’intervenir auprès des femmes qui sont actuellement victimes d’exploitation sexuelle. Le fait que les organismes internationaux et transnationaux aient progressivement pris conscience de la complexité et de l’ampleur de l’exploitation sexuelle leur a permis de comprendre que seul un plan global à trois volets pourra mettre fin à l’exploitation sexuelle, voire de la réduire (Commission de la condition de la femme des Nations Unies, 2005, OSCE, 2003).L’approche à trois volets de la lutte contre l’exploitation sexuelle a conduit les divers pays à adopter l’un des cinq différents types de cadres législatifs relatifs au travail du sexe, tant volontaire qu’involontaire. Il s’agit de la criminalisation complète du travail du sexe dans son ensemble, de la criminalisation partielle du travail du sexe, de la criminalisation de l’achat de services sexuels, des cadres réglementaires pour le travail du sexe et, enfin, de la décriminalisation complète.
Des pays comme les États-Unis et l’Afrique du Sud ont adopté un cadre de criminalisation complet dans lequel tous les aspects de la vente et de l’achat de services sexuels ou de l’organisation du travail du sexe sont interdits. Ce cadre législatif s’applique aux travailleuses du sexe volontaires et involontaires (Platt et coll., 2018). Aux États-Unis, il existe certaines exemptions sur le plan des compétences à de telles dispositions législatives, comme dans l’État du Nevada (Brents et Hausbeck, 2001). Au Royaume-Uni (à l’exception de l’Irlande du Nord), le travail du sexe fait l’objet d’une criminalisation partielle, dans le cadre de laquelle l’organisation du travail du sexe est interdite, y compris la sollicitation, la gestion d’une maison de prostitution, le travail avec d’autres personnes et la participation d’un tiers qui vend des services sexuels. Ce cadre criminalise essentiellement toute « organisation » du travail du sexe (Platt et coll., 2018). Il s’applique aux travailleuses du sexe volontaires et involontaires. Le Canada, la France, l’Irlande du Nord, l’Irlande, la Norvège et la Suède ont mis en œuvre ce que l’on appelle souvent le « modèle nordique ». Ce cadre législatif criminalise l’achat de services sexuels et considère la travailleuse du sexe comme une « victime ». Ce modèle criminalise l’achat de services sexuels et pénalise les travailleuses du sexe qui collaborent entre elles ainsi que tout tiers qui profite des « produits » de la prostitution. Ce cadre s’applique aux travailleuses du sexe volontaires et non volontaires (Howard, 2018). Le modèle réglementaire est un cadre législatif qui s’applique uniquement aux travailleuses du sexe volontaires. Il s’agit d’un modèle qui autorise la vente de services sexuels et qui comprend souvent des pratiques réglementaires telles que l’utilisation de préservatifs, le dépistage des infections transmissibles sexuellement (ITS) et du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) et l’enregistrement. On trouve ce modèle réglementaire dans certains États d’Australie, d’Allemagne et des Pays‑Bas. Enfin, le modèle de décriminalisation complète : dans ce cadre législatif, tous les aspects du travail du sexe chez les adultes sont décriminalisés. Ce modèle s’applique uniquement aux travailleuses du sexe volontaires. Actuellement, seule la Nouvelle-Zélande emploie ce modèle, qui exige également l’utilisation de préservatifs dans certains endroits (Platt et coll, 2018; Howard, 2018; PRA, 2003).
Un examen systématique et une méta-analyse des cinq types de modèles susmentionnés et de leur incidence sur la sécurité et la santé des travailleuses du sexe (volontaires et non volontaires) ont révélé qu’aucun modèle n’offrait une protection complète. Il en est ressorti que la criminalisation (complète ou partielle) interagissait avec la stigmatisation, exposait les travailleuses du sexe à la violence physique et sexuelle et limitait la capacité de ces dernières à résister ou à riposter à cette violence. L’examen et la méta-analyse ont montré que la criminalisation des clients ne facilitait pas l’accès aux services ni ne réduisait la violence. Les modèles de réglementation étaient associés à une meilleure santé et sécurité physiques, mais la stigmatisation liée au fait d’être enregistrée avait un effet néfaste sur la santé mentale. En Nouvelle-Zélande, le modèle de décriminalisation a permis aux travailleuses du sexe de faire état d’une plus grande sécurité, d’une meilleure santé mentale, de la possibilité de choisir leurs clients et les actes sexuels auxquels elles se livrent et de l’amélioration de leurs relations avec la police. Ces résultats, tant dans le modèle réglementaire que dans le modèle décriminalisé, ne comprenaient pas les travailleuses du sexe involontaires (femmes victimes d’exploitation sexuelle), car elles demeurent visées par un système de criminalisation (Platt et coll., 2018). La question de déterminer la manière dont cette situation est vécue par les travailleuses du sexe sera examinée plus loin dans l’étude.
Malgré les différences qui existent entre les cadres législatifs à l’échelle mondiale, tous les cadres d’intervention ont le même objectif, à savoir aider les femmes victimes d’exploitation sexuelle à demeurer en bonne santé, à se sentir en sécurité et, dans certains cas, à abandonner le travail du sexe. La plupart des modèles d’intervention sont axés sur la réduction des préjudices, même lorsqu’ils sont dictés par des principes abolitionnistes, et se recoupent souvent avec d’autres types d’interventions contre la violence fondée sur le sexe (Gerassi et Nichols, 2017). Les expériences des femmes ayant été victimes d’exploitation sexuelle en ce qui concerne les interventions et les services ainsi que les éléments qui ont fonctionné pour elles seront examinés dans l’étude ci-après.
Examen des politiques et de la législation
Les cadres législatifs et la législation qui en découle ont une grande influence sur les expériences des femmes victimes d’exploitation sexuelle. Au moment d’élaborer des cadres législatifs, les administrations cherchent souvent à comprendre les pratiques exemplaires et les expériences pratiques des cadres législatifs des pays aux valeurs, aux approches et aux philosophies semblables. Lorsqu’il élabore des mesures législatives, le Canada se tourne souvent vers l’Australie, la Nouvelle‑Zélande, les Pays-Bas, l’Angleterre et le Pays de Galles. La révision par le Canada de sa législation sur la prostitution et le contrôle coercitif en est la preuve. Lors de l’élaboration de la législation canadienne sur la prostitution, le Canada a notamment passé en revue les modèles nordiques et de décriminalisation (gouvernement du Canada, 2017) et, récemment, s’est tourné vers l’Angleterre et le Pays de Galles pour étudier la possibilité d’inclure le contrôle coercitif dans le Code criminel (Chambre des communes du Canada, 2021). La présente étude est axée sur les expériences des Canadiennes qui ont été victimes d’exploitation sexuelle et, par conséquent, un examen des cadres législatifs des pays vers lesquels le Canada se tourne souvent est important pour mettre en contexte les expériences des participantes à l’étude. Le fait d’examiner et de comparer la législation relative au travail du sexe, à l’exploitation sexuelle et à la traite des personnes dans cinq pays progressistes, soit l’Australie, le Canada, l’Angleterre, le Pays de Galles, les Pays-Bas et la Nouvelle-Zélande, qui se sont engagés à lutter contre la discrimination structurelle par l’entremise de leurs approches gouvernementales, peut donner un aperçu des pratiques exemplaires et prometteuses pour lutter contre l’exploitation sexuelle des femmes au Canada. Les expériences vécues par les travailleuses du sexe, comme nous le verrons plus loin, peuvent également être interprétées dans le contexte de ces cadres législatifs.En Australie, le travail du sexe est principalement régi par la législation de chaque territoire et État, à l’exception des lois relatives à l’esclavage, à la servitude sexuelle et à la traite des personnes, qui sont régies par législation fédérale. La législation varie considérablement selon les neuf administrations australiennes, chaque cadre législatif allant des modèles de décriminalisation à la criminalisation de la plupart des formes de travail du sexe. La plupart des administrations australiennes ont criminalisé des formes et des aspects particuliers du travail du sexe, comme le travail du sexe de rue et la sollicitation. La Nouvelle-Galles du Sud fait exception à ces mesures. Les lois relatives aux maisons de prostitution et à la collaboration de deux ou plusieurs travailleuses du sexe varient d’un État à l’autre. La plupart autorisent une certaine forme de maison de prostitution, qui est souvent réglementée. Dans l’ensemble des administrations, à l’exception de l’État de Victoria, le recrutement d’une personne à des fins de travail du sexe constitue une infraction (Pinto, Scandia et Wilson, 1990; Stardust, 2014). Toutes les lois des États s’appliquent aux travailleuses du sexe volontaires et involontaires, mais les travailleuses du sexe involontaires ou contraintes sont également régies par un autre ensemble de lois fédérales, la Slavery and Sexual Servitude Act 1999 (loi de 1999 sur l’esclavage et la servitude sexuelle). Cette loi a permis d’inscrire les infractions suivantes à la section 270 du Code criminel australien : la servitude sexuelle, l’esclavage sexuel et le recrutement trompeur. Selon ce code, la servitude sexuelle est définie comme étant [traduction] « la condition d’une personne qui fournit des services sexuels et qui, en raison du recours à la force ou de menaces, n’est pas libre de cesser de fournir de tels services ou de quitter le lieu ou la zone où elle fournit ces services » (Parlement de l’Australie). Les infractions de traite des personnes en Australie sont principalement liées à la sortie forcée de l’Australie et à l’entrée forcée en Australie, ce qui rend illégale la sortie d’une personne du pays à des fins de services sexuels ou d’exploitation et son entrée au pays à des fins de services sexuels sous le couvert de tromperie (Australia Criminal Code Act 1995, article 271.2).
Contrairement à l’Australie, le Canada ne dispose que d’un seul ensemble de dispositions législatives fédérales qui régissent le travail du sexe, lesquelles se trouvent toutes dans le Code criminel du Canada. Le projet de loi C-36, Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation, définit l’exploitation sexuelle d’un adulte en ces termes : « a usé de violence envers la personne, a tenté ou menace de le faire; a abusé de son pouvoir sur cette personne ou du lien confiance développé avec celle-ci; a fourni des substances intoxicantes à la personne en vue de l’encourager à rendre des services sexuels moyennant rétribution; a eu un comportement qui constituerait du proxénétisme; a reçu l’avantage matériel dans le cadre d’une entreprise commerciale qui offre des services sexuels moyennant rétribution, offre des protections aux victimes de violence sexuelle » (Casavant et Valiquet, 2014). Cette loi vise à mettre fin à l’exploitation des personnes [traduction] « qui se livrent à des activités de prostitution » (Casavat et Valiquet, 2014, p. 1). La loi s’appuie sur le principe que la plupart des travailleuses du sexe sont involontaires et doivent être protégées en tant que personnes victimes d’exploitation. La loi autorise le travail du sexe de rue « hors de la vue du public » et le travail du sexe à un endroit désigné (ministère de la Justice Canada [JUS], 2017). De plus, le Code criminel du Canada prévoit également des dispositions dans l’article relatif à la traite des personnes afin de lutter contre la traite des personnes à des fins sexuelles. Selon la définition du Code criminel, la traite des personnes ne comporte pas nécessairement le déplacement physique de la personne et est définie de façon générale comme le fait d’amener une personne à fournir un service par des agissements dont il est raisonnable de s’attendre, compte tenu du contexte, à ce qu’ils lui fassent croire qu’un refus de sa part mettrait en danger sa sécurité ou celle d’une personne qu’elle connaît (Code criminel du Canada, 1985).
En 2003, la Nouvelle-Zélande a adopté la Prostitution Reform Act (loi sur la réforme de la prostitution) (PRA, 2003), devenant ainsi le premier pays au monde à décriminaliser le travail du sexe dans sa totalité chez les adultes. Cette loi a pour but de faire passer les politiques d’une approche moraliste à une approche axée sur les droits de la personne et la santé publique, en mettant l’accent sur la protection des droits de la personne des travailleuses du sexe, la protection contre l’exploitation sexuelle, la promotion du bien-être et de la santé et sécurité au travail des travailleuses du sexe et l’interdiction de l’exploitation sexuelle des enfants (Abel, Healy, Bennachie et Reid, 2010). Elle permet au travail du sexe de fonctionner selon les mêmes règles de l’industrie que toute autre entreprise en Nouvelle-Zélande, à l’exception des non-résidents qui ne peuvent obtenir de permis d’exploitation. L’industrie du sexe est régie par ses propres directives réglementaires élaborées par le ministère du Travail (DOL, 2004). La PRA interdit également certains types de sollicitation et a rendu l’exploitation sexuelle illégale, ce qui peut inclure le fait de forcer, d’inciter ou de contraindre une autre personne à fournir des services, de réclamer des revenus tirés du travail du sexe ou d’utiliser une relation antérieure avec une travailleuse du sexe pour la corrompre ou la forcer à fournir des services sexuels. La loi permet de retirer le consentement au travail du sexe à tout moment au cours d’une transaction (Abel et coll., 2010).
L’Angleterre et le Pays de Galles disposent d’une série de lois sur l’exploitation sexuelle des adultes qui sont comprises dans la Sexual Offences Act 2003 (loi de 2003 sur les infractions sexuelles) et la Modern Slavery Act 2015 (loi de 2015 sur l’esclavage moderne). L’approche employée par ces lois consiste à se concentrer sur la poursuite des personnes qui contraignent autrui à la prostitution, à l’exploitation, à la perpétration, aux mauvais traitements et à des torts. L’exploitation sexuelle est traitée par les Crown Prosecution Services (services des poursuites de la Couronne) au sein du portefeuille sur la violence faite aux femmes et aux filles. L’alinéa 53A de la Sexual Offences Act 2003 criminalise le fait de payer pour les services sexuels d’une travailleuse du sexe sous contrainte. La contrainte est définie comme une menace ou toute autre forme de tromperie ou de coercition. La Modern Slavery Act 2015 criminalise la traite des personnes à des fins d’exploitation sexuelle.
Aux Pays-Bas, le travail du sexe volontaire est légal entre adultes consentants et adhère à un modèle réglementaire (Outshoorn, J, 2012). Selon l’alinéa 273f de la partie sur les infractions graves contre la liberté personnelle du Code criminel des Pays-Bas (Netherlands Criminal Code Serious Offences Against Personal Liberty), le travail du sexe involontaire constitue un acte criminel. Il criminalise l’exploitation sexuelle par l’enlèvement, la force, l’incitation, le fait de tirer profit de l’exploitation d’une autre personne et le fait de contraindre ou d’inciter une personne à fournir à un tiers les produits de son travail du sexe. Le cadre juridique des Pays-Bas considère la traite des personnes comme une forme moderne d’esclavage (gouvernement des Pays-Bas, 2018).
Une étude de 2018 intitulée Associations between sex work laws and sex workers’ health : A systematic review and meta-analysis of quantitative and qualitative studies (liens entre les lois sur le travail du sexe et la santé des travailleuses du sexe : revue systématique et méta-analyse d’études quantitatives et qualitatives) a révélé que les lois qui criminalisent le travail du sexe de rue, la sollicitation et la communication au sujet du travail du sexe dans les lieux publics compromettaient la sécurité des travailleuses du sexe. Dans cette étude, on a également conclu que la criminalisation de tous les aspects du travail du sexe, la violence institutionnalisée, la coercition, l’extorsion à l’encontre des travailleuses du sexe et la restriction de leur accès à la justice limitaient également la possibilité pour les travailleuses du sexe d’avoir accès aux services de santé et sociaux et à d’autres formes de soutien. On a également reconnu que la criminalisation accroissait la stigmatisation des travailleuses du sexe (Platt et coll., 2018). En outre, il convient de noter que, à l’exception de la Nouvelle-Zélande, aucun de ces pays ne dispose d’un cadre législatif permettant de comprendre le cadre de contrôle coercitif en ce qui a trait à l’exploitation sexuelle. Il est à espérer que l’étude ci-après permettra de mettre encore plus en lumière la nature de ces expériences vécues.
Examen des pratiques et des interventions
Comme l’a mentionné Platt et coll. (2018), les travailleuses du sexe involontaires et volontaires sont confrontées à une variété de conséquences négatives en matière de santé et de sécurité. Les travailleuses du sexe, en particulier les femmes victimes d’exploitation sexuelle, sont généralement considérées comme un groupe de personnes marginalisées et isolées présentant tous les effets négatifs sur la santé mentale et physique qui découlent de cette marginalisation (Snow, Steely, Bensel, 2020).En raison de l’absence d’un libellé et d’une signification convenus pour la définition de l’exploitation sexuelle d’un adulte, il demeure difficile de comprendre pleinement l’ampleur de l’exploitation sexuelle (Casavant et Valiquet, 2014). Sans une telle compréhension, la mise en place de services et d’interventions pour les femmes victimes d’exploitation sexuelle demeure difficile (Leela Aheer, ministre de la Culture et de la Condition féminine, gouvernement de l’Alberta, communication personnelle, 10 juillet 2020). Il est donc à espérer que la nouvelle étude présentée ci-dessous contribuera à améliorer la compréhension de ce domaine.
Comme pour l’élaboration de mesures législatives, les praticiens cherchent souvent à trouver des pratiques exemplaires et prometteuses dans d’autres textes législatifs qui présentent des contextes semblables. Le Canada s’inspire souvent de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, des Pays-Bas, de l’Angleterre et du Pays de Galles pour trouver des pratiques d’intervention exemplaires et prometteuses en matière de lutte contre l’exploitation sexuelle. Pour mettre en contexte les expériences des participantes à l’étude, il est utile de comprendre les pratiques exemplaires et prometteuses d’autres pays, leur lien avec la législation et les répercussions possibles sur le contexte canadien. Les interventions et les services destinés aux travailleuses du sexe au Canada, en Nouvelle-Zélande, en Australie, en Angleterre, au Pays de Galles et aux Pays-Bas sont principalement axés sur la santé et la sécurité et visent à aider les femmes à se sortir du travail du sexe, à lutter contre la dépendance et à obtenir des services de santé mentale ainsi qu’à fournir un accès aux services de santé, de justice et sociaux. Les interventions et les services adoptent avant tout une approche de réduction des préjudices tenant compte des traumatismes. De nombreuses interventions recoupent d’autres services et mesures d’aide en matière de lutte contre la violence fondée sur le sexe ou estiment appartenir au continuum des services de lutte contre la violence fondée sur le sexe (Strega, Casey, Rutman, 2009; Kurtz, Surratt, Kiley et Inciardi, 2005; Argento, Goldenberg, Braschel, Machat, Strathdee et Shannon, 2020; Cusick, Brooks-Gordon, Campbell et Edgar, 2010; Jordan, 2005; Mayhew et Mossman, 2007; Howard, 2018; McCann, Crawford et Hallett, 2021).
Bien que le Canada dispose d’un solide continuum de services pour lutter contre la violence fondée sur le sexe, il y a une pénurie de services et de mesures d’aide pour les femmes victimes d’exploitation sexuelle : certaines d’entre elles doivent traverser le Canada pour avoir accès à des programmes, en particulier les programmes en établissement (Carrie McManus, Sagesse Domestic Violence Prevention Society, communication personnelle, 10 mai 2021). Les travailleuses du sexe au Canada ont vu leur accès aux services de santé et aux services communautaires considérablement réduit en raison de la mise en œuvre de nouvelles lois qui criminalisent expressément l’achat de services sexuels, la sollicitation et le travail du sexe de rue (Agento et coll., 2020). Le Canada dispose d’une ligne d’urgence nationale contre la traite des personnes et d’un continuum d’organismes de prestation de services financés par le gouvernement fédéral, les provinces et les administrations locales, des fondations et des groupes confessionnels partout au pays pour s’occuper des victimes d’exploitation sexuelle et de traite. Les services comprennent l’hébergement, la formation professionnelle, le soutien en matière de dépendance et de santé mentale ainsi que l’accès à un soutien médical, juridique et financier (gouvernement de la Colombie-Britannique, 2020). L’approche principale de la plupart des services de lutte contre l’exploitation sexuelle et la traite des personnes au Canada est un modèle de réduction des préjudices tenant compte des traumatismes (McManus, 2021).
En Angleterre et au Pays de Galles, les femmes victimes d’exploitation sexuelle bénéficient d’un modèle hybride de protection et d’abandon du travail du sexe, assorti de services comprenant l’hébergement, l’éducation et la formation professionnelle, les interventions psychologiques et l’accès aux services juridiques et de santé. Dans certains cas, il s’agit d’interventions multiorganismes axées sur la « lutte contre l’esclavage », conformément à la Modern Slavery Act 2015 (Human Trafficking Foundation, 2021). Selon la Human Trafficking Foundation, en 2020, plus de 10 000 victimes potentielles de la traite des personnes et de l’esclavage moderne ont été aiguillées vers des services de soutien (British Home Office, 2020).
Le plan d’action national de lutte contre l’esclavage moderne 2020-2025 de l’Australie a pour composante clé un programme de soutien aux personnes victimes de la traite (gouvernement de l’Australie, 2020). Il s’agit d’un programme complet mis en œuvre par la Croix-Rouge australienne qui fournit de l’hébergement, des formations professionnelles, un soutien psychologique, un soutien financier et un accès aux services de santé et juridiques (Australian Department of Social Services, 2020). Le projet australien Respect et la Coalition Against Trafficking in women (coalition contre la traite des femmes) ont indiqué qu’il est nécessaire que les services sociaux « axés sur les femmes » en Australie travaillent plus étroitement avec les femmes victimes d’exploitation sexuelle, en reconnaissant que ces dernières ont vécu des expériences de viol et d’agression sexuelle semblables à celles des femmes victimes de violence familiale (Fergus, 2005).
Tout comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande dispose d’un plan national de lutte contre les formes modernes d’esclavage. Le plan d’action contre le travail forcé, la traite des personnes et l’esclavage 2020-2025 décrit les objectifs en matière de prévention, de protection et de poursuites pour lutter contre les facteurs d’exploitation, dans un contexte de compréhension des répercussions de la COVID‑19 sur l’exploitation (PAAFLPTS, 2020). Le plan repose sur une approche interministérielle. Les victimes de l’esclavage sexuel en Nouvelle-Zélande se voient offrir des services de soutien gouvernementaux et communautaires, notamment un hébergement, un soutien psychologique, un soutien financier, un accès aux services juridiques et de santé et un soutien en matière de formation professionnelle. De plus, la Nouvelle-Zélande offre également une indemnisation ou une réparation ou un rapatriement aux victimes qui ont été exploitées dans le contexte de la prostitution ou d’autres services sexuels. Le plan indique que les services sont adaptés aux traumatismes, et tiennent compte du fait que les victimes peuvent être traumatisées par leurs expériences (PAAFLPTS, 2020). Les expériences d’intervention, comme celles qui sont mentionnées ci-dessus, pour les femmes victimes d’exploitation sexuelle, seront abordées dans l’étude ci-après.
À l’instar de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, les Pays-Bas disposent d’un plan d’action national contre la traite des personnes. Le programme Together Against Human Trafficking (ensemble contre la traite de personnes) est une approche à plusieurs volets qui comprend des interventions et des services de soutien « personnalisés » à l’échelle municipale pour les victimes de la traite des personnes (gouvernement des Pays-Bas, 2018). Les victimes de la traite des personnes à des fins sexuelles se voient offrir l’hébergement et attribuer un coordonnateur de soins qui fournit des services complets, y compris l’accès à des services de soutien de santé, à un soutien juridique, à des services psychologiques, à un soutien financier et à un soutien en matière de violence fondée sur le sexe (gouvernement des Pays‑Bas, 2018). De plus, les victimes peuvent recevoir une indemnisation par l’entremise du Violent Offences Compensation Fund (fonds d’indemnisation pour les infractions avec violence) (gouvernement des Pays-Bas, 2018).
Selon Gerassi et Nichols (2017), les services les plus efficaces pour les victimes d’exploitation sexuelle sont proposés à partir d’un cadre théorique dans lequel leurs identités et leurs besoins qui se recoupent sont reconnus. En examinant différents modèles théoriques, Gerassi et Nichols (2017) ont constaté que certains modèles, tels que la pratique fondée sur les forces, qui intègre la compétence culturelle, ont été empiriquement reconnus comme donnant de bons résultats pour les adultes victimes d’exploitation sexuelle, tandis que d’autres modèles tels que le modèle transthéorique (MTT), qui est souvent associé à la technique d’entrevue motivationnelle, sont largement utilisés, mais manquent de fondement empirique. Les modèles de réduction des préjudices se sont avérés particulièrement efficaces lorsque des dépendances sont associées à l’expérience de l’exploitation sexuelle, ce qui s’applique notamment aux femmes victimes d’exploitation sexuelle, car on estime qu’environ 80 % d’entre elles ont également des problèmes de toxicomanie (Farley et Barkan, 2008). Semblablement à l’approche fondée sur les forces, le modèle de pratique de l’autonomisation défini par les survivants s’appuie sur les forces d’une personne et répond à la nécessité d’un modèle spécialisé qui reconnaît les identités et les besoins qui se recoupent. Des modèles définis par les survivants ont été recommandés pour les adultes qui ont été victimes d’exploitation sexuelle (Nichols et Heil, 2014; Sidun et coll., 2014). Menaker et Franklin (2013) notent que l’établissement de rapports de confiance avec les personnes victimes d’exploitation sexuelle est essentiel, car elles sont plus susceptibles de vivre la peur, la stigmatisation et le jugement.
En plus des modèles théoriques susmentionnés, des recherches ont montré que le traitement fondé sur les traumatismes constituait une pratique prometteuse pour les survivants de l’exploitation sexuelle (Gerrasi et Nichols, 2017). Un examen des modèles de traitement tenant compte des traumatismes, soit Seeking Safety (à la recherche de la sécurité), axé sur la gestion cognitive, comportementale, interpersonnelle et la gestion de cas, et Trauma Recovery and Empowerment Model (modèle de rétablissement après un traumatisme et d’autonomisation), axé sur la restructuration cognitive, la psychoéducation et les compétences d’adaptation pour aborder la santé mentale et les dépendances, a permis de déterminer que ces modèles étaient utiles pour les personnes victimes d’exploitation sexuelle aux prises avec des dépendances et des problèmes de santé mentale (Gerassi et Nichols, 2017). Parmi les autres traitements de santé mentale fondés sur des données probantes qui se sont avérés utiles pour traiter les victimes d’exploitation sexuelle, mentionnons la thérapie cognitivo-comportementale (Van Dam, Ehring, Vedel et Emmelkamp, 2013), la thérapie du processus cognitif (Vickerman et Margolin, 2009), la thérapie d’intégration neuro-émotionnelle par les mouvements oculaires (EMDR) (Schubert et Lee, 2009) et la pleine conscience (Gerassi et Nichols, 2017).
La recherche montre clairement qu’il est essentiel que tout cadre d’intervention et de prestation de services corresponde à un modèle dans lequel les identités et les besoins qui se recoupent sont reconnus (Gerrasi et Nichols, 2019). Bien que des recherches approfondies aient été menées sur les modèles de santé mentale tenant compte des traumatismes et fondés sur des données probantes, les recherches portant sur les modèles qui examinent les pratiques spirituelles d’une cliente, comme l’outil d’évaluation spirituelle HOPE (Anandarajah et Hight, 2001), les modèles fondés sur la réponse comme le Power Threat Meaning Framework (cadre de signification de la menace du pouvoir) (Johnston et Boyle, 2018) et le Response Based Model (modèle fondé sur la réponse) (Wade, 1997) semblent lacunaires. La législation et les interventions reconnaissent la nature coercitive et contrôlante de l’exploitation sexuelle. Cependant, l’utilisation de modèles fondés sur la réponse, qui se sont avérés efficaces pour s’attaquer aux répercussions du contrôle coercitif sur les victimes, est encore peu répandue dans les interventions et les services. Les entretiens ci-après avec les travailleuses du sexe permettront de se pencher sur l’expérience personnelle vécue en ce qui concerne ces questions.
Dans chacun des pays mentionnés ci-dessus, les lois et les interventions semblent reconnaître la nature de la coercition et du contrôle dans le contexte de l’exploitation sexuelle. L’exploitation par un tiers, que ce soit par la force ou par d’autres moyens, est un acte criminel reconnu et les services d’intervention semblent être offerts à toute personne qui répond aux critères juridiques de la traite des personnes à des fins sexuelles ou de l’exploitation sexuelle. Il convient de souligner que, en l’absence de stratégie nationale, l’Angleterre, le Pays de Galles et le Canada offrent des services à toute personne qui s’identifie comme étant victime d’exploitation sexuelle. De plus, indépendamment de la question de déterminer si un pays adhère à un modèle de criminalisation, de décriminalisation partielle ou complète, ou de réglementation du travail du sexe, l’ensemble d’entre eux disposent d’une législation qui criminalise le travail du sexe forcé ou sous contrainte. Il est toutefois intéressant de noter que la Nouvelle-Zélande, dont le modèle réglementaire de travail du sexe présente les résultats positifs les plus élevés en matière de santé et de sécurité pour les travailleuses du sexe volontaires, dispose également des lois et de l’approche les plus complètes pour lutter contre l’exploitation sexuelle des femmes, et prévoit un cadre solide pour la protection, la prévention et les poursuites liées au travail du sexe (Argento et coll., 2020; Platt et coll., 2018; Jordan, 2005; Abel et coll., 2010; McCann et coll., 2021; Howard, 2018; PAAFLPTS, 2020; PRA, 2003). L’étude ci‑après examinera l’incidence des cadres législatifs canadiens sur les participantes et les expériences de ces dernières relatives à la mise en œuvre de ces cadres législatifs.
Voix de l’expérience vécue – Examen de l’étude qualitative
Pour mettre en contexte l’analyse documentaire, il est essentiel de comprendre les expériences de contrôle coercitif vécues par les femmes victimes d’exploitation sexuelle telles qu’elles les expriment et les interprètent. Pour y parvenir, nous avons utilisé une approche d’analyse interprétative phénoménologique (AIP) afin de guider l’analyse des entretiens avec les participantes. L’objectif d’une analyse interprétative phénoménologique (AIP) est de comprendre la manière dont une personne donne un sens à ses expériences (Pietkiewca et Smith, 2014). Les thèmes qui s’en sont dégagés ont été relevés à partir des transcriptions des entrevues avec les participantes. La connexion entre ces thèmes a ensuite été déterminée de par leur lien avec des thèmes convergents et communs d’un degré supérieur de généralité. Ces thèmes généraux comprenaient le cheminement dans le travail du sexe, le bien‑être, le contrôle coercitif, les interventions et les services, la protection et l’application de la loi, et enfin, les recoupements entre la COVID-19 et le travail du sexe. Chacun des thèmes généraux comportait plusieurs thèmes secondaires qui ont permis d’approfondir l’analyse et la compréhension des expériences des participantes. Bien que chaque participante ait vécu des expériences uniques, il y a aussi des points communs manifestes qui se dégagent de leurs expériences de travail du sexe et d’exploitation sexuelle.Les participantes
Onze personnes se sont inscrites à l’étude, mais seulement sept d’entre elles ont participé à l’entretien. Quatre participantes se sont désistées après avoir signé le formulaire de consentement éclairé et avant le début de l’entretien, estimant qu’il serait trop difficile de se replonger dans leurs expériences d’exploitation sexuelle pour le projet de recherche. Sagesse a demandé aux 350 organisations partenaires qui font partie de son réseau partout en Alberta de prendre part à cette étude. Les entretiens ont été organisés par Sagesse afin de s’assurer que toutes les participantes bénéficieraient d’un soutien avant et après l’entretien. Pour être admissibles à l’étude, les participantes devaient s’identifier comme étant des femmes, être âgées de 18 ans et s’identifier comme ayant été victimes d’exploitation sexuelle. Le consentement écrit a été donné avant l’entretien et le consentement verbal a été enregistré sur vidéo, conformément à l’approbation éthique de ce projet par l’Université de Salford. Toutes les participantes à l’étude sont nées au Canada et leur langue maternelle ou seconde est l’anglais. Une des participantes a indiqué que le cri était sa langue maternelle, une autre a déclaré que le français était la deuxième langue parlée à la maison et une troisième a également déclaré parler allemand à la maison. Les participantes étaient âgées de 25 à 38 ans, et cinq d’entre elles étaient dans la trentaine. Toutes les participantes, à l’exception d’une personne qui a déclaré avoir le statut d’Autochtone, étaient de race blanche et vivaient toutes présentement dans une grande ville de l’Alberta, au Canada, où deux d’entre elles avaient déménagé depuis l’Ontario et une depuis la Colombie-Britannique. La moitié des participantes avaient vécu et travaillé dans les régions rurales et éloignées de l’Alberta et une participante avait vécu dans une réserve, une zone géographique définie par le gouvernement canadien comme étant légalement affiliée aux Premières Nations ou aux bandes indiennes où vivent des Indiens inscrits et des membres des Premières Nations. Deux des participantes avaient des enfants et toutes les femmes se sont déclarées célibataires, sauf une, qui était divorcée. Toutes les participantes, à l’exception de l’une d’entre elles, ont indiqué éprouver un problème de santé mentale ou physique qui a eu une incidence sur leur fonctionnement quotidien.Thèmes généraux
Thème général |
Thèmes secondaires |
Cheminement dans l’industrie du sexe |
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Bien-être |
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Contrôle coercitif (facteurs de pression et d’attraction) |
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Intervention et services |
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Protection et application de la loi |
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COVID-19 |
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Cheminement dans l’industrie du sexe
Le premier thème général est intitulé « cheminement dans l’industrie du sexe » et rend compte des expériences vécues par les participantes lorsqu’elles ont commencé à travailler dans l’industrie du sexe, de la durée et du type de travail du sexe auquel elles se sont livrées et de leurs expériences lorsqu’elles ont abandonné ce travail. Selon une statistique souvent citée, l’âge moyen d’entrée dans l’industrie du sexe est de 13 ans (Cunningham et Jacquin, 2018). Cette statistique est souvent utilisée pour inspirer et inciter les décideurs politiques à créer une législation protectrice pour les femmes et les enfants victimes d’exploitation sexuelle, mais elle peut conduire à des hypothèses sur les travailleuses du sexe et l’exploitation sexuelle qui sont nuisibles et finissent par créer des [traduction] « obstacles à la justice, aux services sociaux et aux soins de santé » (Cunningham et Jacquin, 2018 p. 1). Selon une étude menée par O’Doherty (2011), la majorité des travailleuses du sexe ont fait leur entrée dans l’industrie du sexe alors qu’elles étaient âgées entre 19 et 24 ans. Selon une étude canadienne de 2014 commandée par les Instituts de recherche en santé du Canada, l’âge moyen d’entrée dans l’industrie du sexe était de 24 ans, et, selon un examen systématique de 2013 sur les corrélats de la violence contre les travailleuses du sexe, l’âge moyen d’entrée dans l’industrie du sexe était de 20 ans (Deering, Amin, Shoveller, Nesbitt, Garcia-Moreno, Duff, Agento et Shannon, 2013; Benoit, Atchison, Casey, Jansson, McCarthy, Phillips, Reimer, Reist et Shaver, 2014).La majorité des participantes à cette étude ont commencé à travailler dans l’industrie du sexe alors qu’elles étaient âgées de plus de 18 ans, et trois d’entre elles ont déclaré avoir été victimes d’exploitation sexuelle dans leur enfance.
Les participantes ont rapporté ce qui suit :
[traduction] « Mes parents, mes parents adoptifs, avaient adopté les autres enfants avant moi, et mon frère, je suppose, a commencé à vouloir avoir des relations sexuelles. Et il me payait pour ça. Un de mes grands-pères, qui était le père de ma mère, m’a agressé sexuellement pendant quelques années et me donnait de l’argent pour que je me taise […] Je pense que je devais avoir cinq ou six ans. Je n’ai aucun souvenir. Je ne me souviens même pas de la première fois. »
[traduction] « 16 ans, c’était quand j’allais au bar avec mes tantes et ma mère […] plus le talon était haut, plus la jupe était courte, plus il y avait d’hommes. »
[traduction] « J’avais 13 ans. J’ai commencé à fréquenter des hommes plus âgés, l’un d’eux était en quelque sorte mon petit ami […] il avait environ 22 ans. Puis il m’a présenté à son groupe d’amis. Je ne sais pas, c’était en quelque sorte de l’exploitation pédopornographique et d’autres choses. »
Pour les quatre autres femmes de l’étude, l’entrée dans le travail du sexe et l’exploitation sexuelle se sont produites à l’âge adulte.
Les participantes ont décrit des expériences telles que celles-ci :
[traduction]« […] au début, c’est un de mes petits amis qui m’a poussé à me prostituer. Il m’a en quelque sorte manipulée pour que je le fasse. […] J’avais 22 ans. »
[traduction] « J’avais 18 ans. Et un de mes amis m’a suggéré de faire du strip-tease […] C’est comme ça que j’ai commencé. »
[traduction] « Mon ex m’avait quittée, j’avais deux emplois et j’étais très stressée. Ma plus grande peur était de ne pas pouvoir payer le loyer. J’ai appris que j’allais perdre mon emploi à plein temps. Et j’ai paniqué. Alors, je me suis dite autant commencer à travailler comme escorte, j’étais une p*** quand j’étais petite. Donc, aussi bien être payé pour ça ».
[traduction] « […] à 19 ans, j’ai pris de la meth pour la première fois […] je faisais n’importe quoi pour en avoir. Donc, le gars qui m’en a vendu pour la première fois, je suis allée vivre avec lui et, pour vivre avec lui, je n’avais pas à payer de loyer. Je couchais avec lui pour pouvoir vivre avec lui. Et je couchais avec lui pour avoir de la drogue ».
Les recherches sur le nombre moyen d’années d’activité d’une travailleuse du sexe varient de 13,6 ans à moins d’un an (Potterat, Woodhouse, Muth et Muth, 1990; Ward et Day, 2006). Dans le cas des participantes à l’étude, le nombre d’années d’activité dans l’industrie du sexe variait d’un an à 31 ans, le nombre moyen étant de 11 ans.
Harcourt et Donovan (2005) ont classé le travail du sexe en deux grandes catégories, à savoir le travail direct et le travail indirect. Le travail direct du sexe se caractérise généralement par l’échange de services sexuels contre de l’argent. Le travail direct du sexe peut comprendre le travail du sexe de rue, les maisons de prostitution, les escortes, les clients privés, les clubs et la sollicitation. Le travail indirect du sexe n’est parfois pas reconnu comme tel parce qu’il ne comprend ni rémunération pour le service ni toucher réel des organes génitaux. Ce type de travail du sexe peut consister à échanger des services sexuels contre de la nourriture, un abri, des drogues, etc., ou à faire du strip-tease et à créer du contenu pornographique pour des films ou des caméras en direct. Au Canada, où vivent les participantes à cette étude, pour les adultes, la plupart des formes de travail indirect du sexe sont légales, alors que le travail direct du sexe s’inscrit dans un cadre législatif plus solide, tel qu’il a été mentionné précédemment. Toutes les formes de travail du sexe qui relèvent de l’exploitation selon le cadre établi par le projet de loi C-36 du Canada sont illégales. En Alberta, au Canada, où vivent l’ensemble des participantes, selon la Protection of Sexual Exploited Children Act (loi sur la protection des enfants victimes d’exploitation sexuelle) (2020), toute personne âgée de moins de 18 ans est considérée comme victime d’exploitation sexuelle, peu importe le type de travail du sexe ou l’existence du consentement.
Les participantes à cette étude se sont livrées à différents types de travail du sexe, la majorité d’entre elles ayant pratiqué plus d’un type de travail du sexe en fonction de leurs besoins au moment de s’y livrer, de la coercition qu’elles subissaient et de leur sentiment d’agentivité personnelle. Une seule participante s’est livrée uniquement à un travail indirect du sexe en tant que strip-teaseuse dans différents clubs.
[traduction] « J’ai commencé à faire du strip-tease dans une ville de taille moyenne en Colombie-Britannique […] mon plan était de rester strip-teaseuse jusqu’à mes 30 ans, puis d’essayer de faire des études de médecine […] Je n’ai jamais voulu être payé pour des relations sexuelles. J’aime le sexe. Et si je veux avoir des relations sexuelles, j’en ai. »
Une autre participante a décrit ci-dessous son expérience de travail direct du sexe :
[traduction] « Je me souviens de la fille qui m’a initié à l’échange de services sexuels contre de l’argent. Ça, je m’en souviens. Et je me souviens aussi que je ne voulais pas faire ça. Mais elle m’a fait croire que ce serait très, très facile. Tout ce que tu as à faire c’est de coucher avec ce gars et tu auras de l’argent. C’est comme si c’était ton petit ami. C’est ce qu’elle a laissé entendre. Ce n’était pas quelque chose que je voulais faire, parce que j’étais effrayée à l’idée que ces gens puissent me faire du mal, et qu’ils me volent, mais ce n’est jamais arrivé. Il ne s’est rien passé de mal avec ces gens. J’ai eu de la chance. Mais les gens avec qui j’échangeais de la drogue contre des services sexuels, ces gens-là n’étaient pas gentils… Tout ça n’était qu’un long cycle du genre, oh, je peux coucher avec un trafiquant de drogue ou je peux avoir des relations sexuelles avec quelqu’un pour de l’argent. »
Une autre participante a évoqué ses expériences de travail direct du sexe :
[traduction] « Mais à un jeune âge, j’ai appris que le corps pouvait être un instrument puissant. Donc, quand j’ai commencé à vivre en ville, j’étais plongée dans la dépendance. Et c’est comme ça que j’ai survécu dans ce monde [en échangeant des services sexuels contre de l’argent] […] Je suppose que je trouvais que le fait de vendre des photos de moi en ligne était, je ne veux pas dire avantageux, mais je ne sais pas vraiment quel mot utiliser. Mais c’était une technique de survie que j’ai apprise très jeune. »
Une autre participante a décrit ses expériences de travail direct du sexe, combinées à d’autres moyens de gagner de l’argent :
[traduction] « […] c’était un peu comme, oh, nous avons besoin d’argent. Et puis ça a commencé avec des papas gâteaux. Il [mon petit ami-proxénète] m’a dit, “Bon, tu peux juste lui faire une p***. Je ne serai pas en colère contre toi. Mets juste une protection, tu sais, un condom”. J’ai donc commencé à faire ça. […] Puis j’ai commencé à faire des appels où je volais les clients des passes. Et il a dit : “Eh bien, c’est trop dangereux, couche avec eux”. Alors, j’ai fini par coucher avec eux. »
Enfin, cette participante a fait part de la raison qui l’a poussée à se lancer dans le travail direct du sexe :
[traduction] « Je trouvais toujours un homme riche qui se droguait. Ils s’occupaient de moi […] après plusieurs années passées à fumer du crack. Je me suis dit, “putain, ce truc coûte cher, c’est ridicule, je ne peux pas faire ça sans s**er des q****s”. »
En outre, certaines des participantes à l’étude, seulement après avoir abandonné l’industrie du sexe, ont considéré rétrospectivement leur participation à divers aspects du travail du sexe comme de l’exploitation sexuelle, alors qu’elles l’avaient perçue comme quelque chose de différent au moment de l’expérience.
[traduction] « J’ai déjà échangé, genre, coucher avec des gens contre de la drogue. Mais cela revient à échanger de la drogue contre du sexe, pas de l’argent pour du sexe […] Je considère maintenant [que c’est du travail du sexe] depuis mon arrivée au [programme de traitement en établissement]. Je ne l’ai jamais vu de cette façon avant. »
Une autre participante a décrit la façon dont elle commençait à comprendre la situation dans laquelle elle s’était trouvée :
[traduction] « Je ne savais pas que j’étais victime de la traite des personnes jusqu’à l’année dernière, en fait […] J’ai commencé à sortir avec ce type que je trouvais très bien. Et je pensais qu’il m’aimait. Bien sûr, je ne savais pas vraiment ce qu’était l’amour. Je ne le savais pas et je ne me doutais pas que je faisais l’objet de la traite. Je ne savais même pas que ça existait. Je pensais que j’accordais volontairement des faveurs à ce gars qui, je croyais, m’aimait […] et, parce que je l’aimais […] Je suis entrée dans un refuge pour femmes après avoir été violemment battue un jour [par mon petit ami‑proxénète]. Mon histoire a basculé. Et c’est là que [le personnel du refuge pour femmes] m’a dit que c’était de la traite des personnes. »
Le cheminement et la décision de quitter le travail du sexe pour chacune des participantes étaient motivés par des facteurs tels que leur sécurité et leur santé mentale et physique. Pour certaines d’entre elles, le cheminement vers la sortie était lié à leur cheminement vers la sobriété face à la toxicomanie. Mayhew et Mossman (2007) reconnaissent que la décision d’abandonner le travail du sexe repose souvent plus sur le risque qu’il comporte que sur des raisons économiques, d’autant plus que le travail du sexe, comme l’ont souligné certaines participantes à la recherche, peut être avantageux dans la mesure où il offre à la fois des rétributions financières et de la souplesse. Heinz (2020) constate que les compensations financières élevées obtenues dans le commerce du sexe sont les « menottes dorées » qui retiennent les femmes dans cette industrie. Pour trois des participantes à l’étude, cette situation correspondait à leur réalité, puisqu’elles estimaient chacune gagner plus de 85 000 $ par année. Le processus d’abandon du travail du sexe est par conséquent complexe, et il n’est pas rare que les femmes fassent plusieurs tentatives avant de réussir à s’en sortir. Les recherches ont reconnu qu’il était difficile de quitter le travail du sexe et que bon nombre des facteurs qui poussent les femmes à s’y lancer sont les mêmes facteurs qui font obstacle à son abandon (Mayhew et Mossman, 2007; Menezes, 2019; Heinz, 2020).
Dans l’étude, une participante a raconté ce qui suit au sujet de son expérience liée à l’abandon du travail du sexe :
[traduction] « La dernière fois que je suis allée en prison, j’ai appelé [le programme d’abandon du travail du sexe] et j’ai dit : “Je dois changer”. Je dois faire quelque chose. Ça ne marche plus pour moi. J’ai tout perdu cette fois. Tout, tout. Mon fils, j’ai perdu ma famille. »
Pour une autre, c’est un événement traumatisant qui l’a amenée à abandonner le métier et à se sevrer des substances également :
[traduction] « Une de mes sœurs s’est suicidée l’été dernier. Et j’étais déprimée, je suppose, dans un monde très sombre […] après le suicide de ma sœur, j’ai commencé à prendre des drogues dures, de l’héroïne et des trucs comme ça. Tous les membres de mon réseau de soutien dans cette ville moyenne de l’Ontario ont commencé à craindre pour ma vie, car c’est vers la mort que je me dirigeais. Ils sont intervenus pour m’amener à l’hôpital contre ma volonté et ont fait appel aux services de police. On m’a donc conduite à l’hôpital, vraiment malgré moi. J’y suis restée pendant neuf jours, dans un état de sevrage complet, et ils ont décidé que je devais suivre un traitement. La décision m’a été imposée. »
Une autre participante a décrit un autre événement qui l’a amenée à abandonner :
[traduction] « Alors, il [petit ami-proxénète] est allé en prison et c’est là que j’ai arrêté. C’était facile, parce que je n’avais pas besoin d’excuse. Je n’ai pas eu à m’expliquer. Et je le faisais pour qu’il soit content de moi, parce qu’il se plaignait tout le temps […] mais oui, le fait qu’il aille en prison a rendu les choses tellement plus faciles. J’étais juste genre, OK, c’est fini pour moi et je n’avais pas à craindre d’avoir des ennuis. Ou de ne pas pouvoir subvenir à ses besoins. Et aux miens. »
Pour l’une des participantes, qui a été retenue contre son gré, le processus d’abandon a été une question de chance.
[traduction] « Alors, il [le proxénète] m’avait laissée avec ça, comment le dire d’une manière politiquement correcte, une toxicomane dans une petite ville de l’Ontario, pendant environ cinq jours. J’étais juste, genre, défoncée tout le temps. Et […] il m’a laissé un téléphone pour qu’il [le proxénète] puisse me joindre. Heureusement, je me souvenais du numéro de téléphone de ma mère par cœur, et je l’ai appelée. Je lui ai dit, “Maman, tu dois me sortir d’ici. Voici ce qui se passe” […] Elle a donc immédiatement pris sa voiture et s’est rendue à l’adresse que je lui ai donnée […] Elle est venue me chercher et j’ai couru. Je me rappelle m’être enfuie de cet endroit avant que quelqu’un ne puisse m’attraper et avoir couru pieds nus dans la rue jusqu’à ma mère. »
Trois des sept femmes de l’étude ont tenté à plusieurs reprises de s’en sortir et chacune d’entre elles a exprimé qu’elle était convaincue que leur expérience actuelle d’abandon du travail du sexe serait plus réussie que les précédentes en raison des programmes de soutien dont elles bénéficient dans le cadre des programmes d’abandon du travail du sexe en établissement auxquels elles participent.
[traduction] « […] les fois précédentes [où j’ai quitté le travail du sexe], c’était juste en quelque sorte parce que j’étais encore une adolescente, c’était un peu, vous savez […] pour me sortir de la situation dangereuse dans laquelle je me trouvais, dans laquelle j’étais en fait piégée et forcée de faire ces choses, puis de me mettre à l’abri. Et c’est en quelque sorte ce qui m’a permis de m’échapper. Mais une fois arrivée à l’âge adulte, c’était comme si ces ressources n’existaient pas. »
Bien-être
Le thème général suivant relevé dans le cadre de la présente étude est le bien-être. Il est lié aux conclusions précédentes selon lesquelles les femmes victimes d’exploitation sexuelle présentent une santé mentale et physique inférieure à la moyenne et les taux plus élevés de dépression, d’anxiété, de stress, de trouble de stress post-traumatique (TSPT), de handicaps et d’autres facteurs qui contribuent à de piètres résultats en matière de santé mentale et physique. Selon une étude menée par Benoit et coll. (2014), 29 % des travailleuses canadiennes du sexe ont des antécédents de traumatismes infantiles liés au fait d’avoir été prises en charge par les services à l’enfance, et seulement 38 % des travailleuses du sexe ont déclaré avoir une bonne santé mentale, 53 % ont déclaré avoir une bonne santé physique et 35 % ont déclaré avoir une invalidité de longue durée. Il s’agit de chiffres nettement inférieurs à ceux de la population générale du Canada : 75 % des personnes interrogées déclarent avoir une bonne santé mentale, 69 %, une bonne santé physique et 14 %, une invalidité de longue durée.L’ensemble des participantes avaient des problèmes de dépendance qui étaient intimement liés à leur expérience en tant que victimes d’exploitation sexuelle, soit comme mécanisme qui les a poussées vers le travail du sexe, soit comme mécanisme d’adaptation pour offrir des services sexuels contre rémunération.
[traduction] « Je ne pouvais pas le faire en étant sobre. J’étais tout le temps ivre. »
[traduction] « Je souffrais de dépendance, de dépendance active, et je n’avais pas d’argent pour acheter de la drogue. Une fille qui travaillait dans l’industrie du sexe m’a dit que je pouvais obtenir de l’argent pour payer mes drogues, si je faisais ce qu’elle faisait. Et elle m’a initié à ça. Je n’avais pas réalisé à l’époque qu’elle agissait comme proxénète. Elle prenait la majeure partie de l’argent. C’est comme ça que j’ai été initiée. Mais je voulais juste de l’argent pour acheter de la drogue. »
Cinq des sept participantes à l’étude ont déclaré souffrir d’un handicap quelconque qui nuisait à leurs activités quotidiennes. Il s’agit notamment de difficultés à entendre, de troubles déficitaires de l’attention avec hyperactivité (TDAH), de dyslexie, de problèmes gastro-intestinaux et d’obésité. Six des sept participantes ont indiqué avoir un problème de santé mentale qui avait une incidence sur leur fonctionnement. Il s’agit notamment du TSPT, du trouble bipolaire, du trouble de la personnalité limite, de l’anxiété et de la dépression, du trouble sexuel compulsif, de l’agoraphobie et de l’hypersomnie. En particulier, certaines participantes, faisant écho à la recherche de Roe-Sepowitz (2014), ont constaté que leur traumatisme complexe les rendait plus vulnérables au contrôle coercitif dans le contexte de l’exploitation sexuelle. Cinq d’entre elles ont réfléchi aux conséquences des traumatismes subis pendant l’enfance sur leurs expériences de l’exploitation sexuelle et ont désigné ces expériences de l’enfance comme des facteurs potentiels de pression vers travail du sexe. La plupart des participantes ont expliqué que leur handicap était antérieur à leur expérience dans le commerce du sexe, tandis que les problèmes de santé mentale étaient en partie attribuables à leur expérience de l’exploitation sexuelle ou avaient été aggravés par celle-ci.
[traduction] « C’était presque comme si, vous savez […] comme si les hommes pouvaient presque voir […] c’était écrit sur moi […] que j’avais des antécédents de traumatisme sexuel […] des hommes ou un groupe d’hommes qui auraient le pouvoir et c’était [l’exploitation sexuelle] pour me contrôler et contrôler ce que je faisais avec mon corps. »
[traduction] « Quand je menais ce mode de vie, j’avais une image très négative de moi-même. Je ne vaux rien, personne ne se soucie de moi. Personne ne m’aime. Tout le monde s’en fout. Je suis toute seule. En fait, j’étais aussi suicidaire […] il y a eu des moments où […] je voulais juste mourir. Parce que je ne voyais aucun espoir de me sortir de ce que je faisais. »
Deux des participantes ont raconté que leur proxénète ne tenait pas compte de leurs limites physiques et les obligeait à travailler, quel que soit leur état de santé.
[traduction] « J’ai des problèmes gastro-intestinaux et j’ai eu la diarrhée une fois […] il [le proxénète] m’a juste donné de l’Imodium et m’a dit de prendre sur moi ».
[traduction] « Plusieurs fois, j’ai eu la chlamydia, la gonorrhée, la syphilis, l’herpès et d’autres choses du genre. Et, malgré tout cela, je continuais à le faire [le travail du sexe]. »
Les participantes ont également évoqué la façon dont leur sentiment de sécurité physique était menacé en raison du contrôle coercitif et du manque d’agentivité personnelle, elles ont souvent été battues, meurtries et traumatisées.
Une participante a raconté une expérience de mort imminente qui a mis sa sécurité en péril :
[traduction] « Je me souviens d’une fois, où nous [elle et son proxénète] avons été pris dans une fusillade au volant, et le gars m’a utilisé comme bouclier humain, et je me souviens qu’une balle […] m’a effleuré le front […] c’était terrifiant. »
Une autre participante a décrit une agression sexuelle qui lui a fait craindre pour sa vie :
[traduction] « Je savais que j’étais foutue. Parce que la traite des personnes est un truc complètement dingue. Et c’était effrayant parce qu’ils m’ont tous violée. J’étais dans une pièce, ils ne voulaient pas me laisser partir. »
Une autre participante a décrit les voies de fait qu’elle a subies de la part d’un partenaire intime :
[traduction] « J’ai fini par retourner chez ce type [petit ami-proxénète] et jusqu’à ce que je sois battue à un point tel que mon visage était complètement couvert de bleus ».
Contrôle coercitif
Le contrôle coercitif, le thème général suivant ayant été relevé, peut être défini comme un mécanisme qui prive une personne de son identité, de ses liens avec les ressources de soutien et de son agentivité personnelle (Stark, 2010). L’identité de la cible du comportement coercitif et contrôlant est colonisée par l’auteur, ce qui amène la victime à rompre avec ses niveaux d’identité secondaires et personnels (Dubrow-Marshall, 2016). Arnold (2009) décrit le mieux ce phénomène comme la destruction de [traduction] « l’autonomie des femmes, de leur capacité de prendre des décisions et d’agir en leur propre nom » (p. 1435). Comme l’ont souligné Sepowitz et coll. (2014), et comme l’ont illustré les participantes à cette étude, l’expérience de l’exploitation sexuelle vécue par les femmes résulte d’un contrôle coercitif et se caractérise par des schémas de comportement qui les privent de leur agentivité personnelle. L’une des caractéristiques dominantes de l’exploitation sexuelle est la coercition psychologique (Dando, Walsh et Brierley, 2016). En outre, les femmes victimes d’exploitation sexuelle sont contraintes d’échanger des services sexuels contre des biens ou des services, que ce soit par un facteur d’attraction tel qu’un agresseur pour qui la femme est une source de revenus ou par un facteur de pression résultant de la violence structurelle (O’Brian, Hayes et Carpenter, 2013; Stanjoska et Patrevski, 2012). Il est important de noter que les facteurs de pression et d’attraction s’appliquent bien différemment aux travailleuses du sexe involontaires et exploitées, par rapport aux travailleuses du sexe volontaires. Dans le cas des travailleuses du sexe involontaires et exploitées, l’expérience des facteurs de pression et d’attraction est semblable dans la mesure où ils compromettent l’expérience de l’autonomie de la personne, [traduction] « sa capacité de prendre des décisions et d’agir en son propre nom » (Arnold, 2009, p. 1435). L’une des participantes à l’étude a parfaitement exprimé ce concept lorsqu’elle a expliqué qu’elle s’était elle-même exploitée sexuellement.[traduction] « En fait, je suis retournée [au travail du sexe après en être sortie]. Pas à cause de la drogue, juste parce que j’étais stressée à propos de l’argent […] Genre, je me suis moi-même exploitée sexuellement. »
Dans le cas des travailleuses du sexe volontaires, il est possible que les facteurs de pression ne soient pas vécus dans un contexte de contrôle coercitif. Pour certaines des participantes dont le parcours a commencé de façon volontaire, le travail du sexe était une bonne réponse aux facteurs de pression tels que la pauvreté, l’itinérance et l’absence de possibilités d’emploi.
La solution d’une participante aux défis économiques a été décrite comme suit :
[traduction] « Mes parents m’ont mise à la porte. Je n’avais pas d’argent. Qu’allais-je faire? J’ai abandonné l’école secondaire. »
Pour une autre participante, le travail du sexe était une affaire de famille :
[traduction] « Ma mère disait toujours, si tu as cinq papas gâteaux, tu leur factures 1 000 dollars par semaine chacun : c’est 5 000 $ par semaine. C’est tout ce dont tu as besoin, tu sais, tu ne cherches midi à quatorze heures. »
Les facteurs de pression les plus souvent évoqués par les participantes sont les dépendances, la pauvreté et l’itinérance. Dans la plupart des cas, le fait de travailler dans l’industrie du sexe en raison uniquement de ces facteurs de pression n’a pas donné lieu à une expérience d’exploitation sexuelle chez les participantes. C’est lorsque des facteurs d’attraction, tels qu’un tiers comme un proxénète ou un petit ami, exigeaient qu’elles se livrent au travail du sexe pour faire face à la pauvreté ou à des problèmes de dépendance, que leur expérience devenait une expérience de coercition.
La description, faite par une participante, d’un tiers qui l’a contrainte à travailler dans l’industrie du sexe était la suivante :
[traduction] « Je l’ai fait par choix au début, jusqu’à ce que je me trouve dans une relation de violence, puis j’ai eu l’impression que je devais le faire, parce qu’il ne voulait pas se trouver d’emploi. Il dépensait tout notre argent pour acheter de l’alcool. Et il disait toujours, il détestait que je fasse ce boulot. Pourtant, il était du genre à dire : “Oh, va publier une annonce”. Il faut de l’argent, sauf qu’il allait dépenser tout cet argent. Donc, je n’avais pas d’autre choix que de le faire. C’était surtout quand j’étais dans cette relation de violence que j’avais l’impression que j’étais obligée de le faire. »
Une autre participante a décrit la contrainte exercée sur elle par un tiers de la façon suivante :
[traduction] « Si je dois de l’argent à, disons […] ma mère, parce qu’elle prend soin de mon fils, elle me pousse à travailler [en faisant référence au travail du sexe]. »
Une troisième participante a décrit le contrôle coercitif qu’elle subissait de la part d’un tiers, son petit ami-proxénète, en ce qui a trait à sa capacité de se livrer en toute sécurité au travail du sexe.
[traduction] « Je n’avais pas le droit d’avoir des relations sexuelles avec eux, mais j’avais le droit de leur faire une p*** […] c’était stressant parfois, parce que […] et s’ils [les clients] voulaient avoir des relations sexuelles? Je ne peux pas aller acheter de condoms. »
La coercition exercée par des tiers qui exploitaient les participantes à des fins financières constituait le principal facteur d’attraction ayant une influence sur la participation de ces dernières. Dans le cas des participantes à l’étude, les tiers étaient des trafiquants de personnes à des fins sexuelles, des proxénètes, des partenaires intimes et, dans un cas, un parent. Les tiers ont eu recours à diverses tactiques de coercition et de contrôle pour créer un sentiment de peur chez les participantes et les réduire à l’exploitation sexuelle.
Une participante a décrit la façon dont la menace physique a agi comme un mécanisme coercitif pour elle :
[traduction] « Je l’ai aimé dès le premier instant où je l’ai vu. Alors, c’était juste l’espoir que ça [le fait qu’il la prostitue] s’améliorerait […] et il faisait toutes ces promesses en l’air [d’arrêter de la prostituer]. Je pense qu’il m’aurait vraiment fait du mal. »
Une autre participante a fait part d’une expérience très semblable :
[traduction] « Je n’avais pas le choix. Non seulement cela, il m’est arrivé d’être obligée de prendre deux types en même temps, et il regardait ou parfois je ne voyais même pas la couleur de l’argent, qui allait tout droit dans ses poches […] le gars [petit ami-proxénète] se fâchait si je […] disais quelque chose. Ou une raclée, ou beaucoup de choses dites pour me rabaisser […] »
Deux des participantes ont discuté de la façon dont l’économie pétrolière et gazière en Alberta avait joué un rôle déterminant dans l’exploitation sexuelle. Il existe un lien bien documenté entre les industries extractives telles que le pétrole et le gaz et l’exploitation et les agressions sexuelles (Département d’État des États-Unis, 2017; Finn, Gadja, Perin et Fredricks, 2017). En Alberta, le boom économique fourni par le secteur pétrolier et gazier, avant 2018, a entraîné une croissance démographique rapide dans les collectivités situées à proximité des sites d’extraction de pétrole et de gaz, une population de passage, un déséquilibre entre les sexes où les hommes sont plus nombreux dans la collectivité, et des salaires élevés : les hommes plus jeunes disposaient alors d’un revenu disponible (Hill, Alook, Hussey, 2017). Tous ces facteurs ont mené à un facteur d’attraction économique supplémentaire exerçant une influence sur l’exploitation sexuelle.
[traduction] « C’est à cause de l’argent du pétrole et du gaz. Oui, si vous allez à [ville à proximité d’un site d’extraction de pétrole et de gaz], je peux y aller […] et me faire 2 000 $ à 3 000 $ et des pourboires pour la semaine. »
Interventions et services
Le troisième thème général qui a été relevé est celui des interventions et des services. Il a déjà été reconnu que, pour être efficaces auprès des femmes, les services doivent tenir compte de leurs expériences de l’exploitation sexuelle et qu’une conception ciblée des programmes est essentielle (Gerassi, Edmond et Nichols, 2016). Oselin (2014) a constaté que les services qui offraient du soutien à long terme étaient plus à même d’aider les femmes victimes d’exploitation sexuelle à rester à l’écart du commerce du sexe. La réussite d’une intervention repose notamment sur des interventions à long terme (Gerassi et Nichols, 2018). Les femmes victimes d’exploitation sexuelle ont du mal à croire que le système peut les aider et les soutenir parce qu’elles se sont senties abandonnées par celui-ci et qu’elles ont subi des traumatismes complexes (Lange, 2010). Les expériences vécues par les participantes à l’étude au sujet des interventions et des services ont fait écho à la conclusion de Gerassi et Nichols (2018), selon laquelle la complexité du traumatisme et le besoin que cette population éprouve nécessitent des services particuliers axés sur l’exploitation sexuelle et des interventions à long terme pour garantir un changement à long terme. De même, bon nombres des participantes à cette étude ont indiqué que la participation à des services à long terme liés à l’exploitation sexuelle a été ce qui leur a permis de s’affranchir à la fois du travail du sexe et des dépendances.[traduction] « Il faut d’abord se sentir en sécurité avant de pouvoir parler de ses traumatismes […] Quand j’ai commencé à me sentir en sécurité, mon corps a commencé à arrêter d’être en mode survie et à guérir. [Je suis ici] depuis 13 mois. »
Les participantes ont également évoqué la nécessité d’avoir des services qui traitent le bon problème. Pour certaines participantes, l’accès aux services s’est fait au moyen d’un traitement des dépendances, lequel, bien qu’il ait permis de résoudre les problèmes de toxicomanie, n’a pas abordé le traumatisme sous-jacent subi à la suite de l’exploitation sexuelle, de sorte que les participantes ont eu du mal à se sentir concernées par les programmes et les services.
[traduction] « Eh bien, je sais que lorsque je consommais, plus de la moitié des femmes que je connaissais […], elles avaient toutes été victimes d’exploitation sexuelle. Ces personnes que je connaissais, elles étaient victimes d’exploitation sexuelle. Et qu’il s’agisse de s’échanger ou de se prostituer en tant qu’escorte. Donc, si autant de personnes font ça et qu’elles vont ensuite dans des centres de traitement [des dépendances], si elles finissent dans des centres de traitement, et que l’on n’en parle pas dans les centres de traitement, alors comment quelqu’un est-il censé obtenir de l’aide ou des soins pour ce problème qui se produit à l’extérieur, et comment quelqu’un est-il censé guérir d’avoir été victime d’exploitation sexuelle, si personne n’en parle jamais dans les centres de traitement [des dépendances]? »
Trois des participantes ont fait état de traumatismes causés par le réseau des services sociaux, en particulier lorsqu’elles étaient enfants. L’une d’entre elles a raconté l’expérience suivante d’une conversation avec son intervenant en services d’aide sociale à l’enfance après avoir exprimé des idées suicidaires à l’adolescence :
[traduction] « […] à l’adolescence, alors que j’étais pupille du gouvernement de l’Alberta, je me souviens qu’on m’avait dit à un moment donné que si j’essayais de me suicider, on allait m’accuser de destruction de biens du gouvernement, parce que j’étais la propriété du gouvernement. »
Six participantes ont indiqué que la violence de la part d’un partenaire intime était un aspect de leur expérience d’exploitation sexuelle et, dans certains cas, qu’elle constituait le point d’entrée dans les services. Toutefois, elles ont également fait remarquer que, dans certains cas, les programmes axés sur la violence conjugale les avaient refusées, car elles ne correspondaient pas au profil type de la femme victime de mauvais traitements.
[traduction] « La plupart des refuges pour femmes battues ne voulaient même pas m’accueillir. Ils m’ont dit, “eh bien, vous avez une dépendance au fentanyl, vous avez des antécédents de prostitution, vous ne convenez pas pour notre établissement”. »
Protection et application de la loi
Le thème général de la protection et de l’application de la loi a également été relevé, qui fait écho au fait que les femmes victimes d’exploitation sexuelle se heurtent à une multitude d’obstacles au moment d’accéder au système de justice, tant auprès de la police que dans les cadres législatifs (Gerassi et Nichols, 2018). Les obstacles auxquels se heurtent les femmes victimes d’exploitation sexuelle sont leur méfiance générale à l’égard des politiques et de l’application de la loi, la crainte de subir des répercussions juridiques en raison de leur participation à l’industrie du sexe, le manque de fonds pour accéder à la représentation appropriée au sein du système de justice, entre autres. Le cadre qui consiste à considérer l’exploitation sexuelle principalement sous l’angle de la traite des personnes a mené les organismes d’application de la loi à déformer [traduction] « le problème, ce qui a eu pour effet de culpabiliser et de stigmatiser les personnes se livrant au commerce du sexe qui ne correspondent pas à l’image de la victime idéale » (p. 215). Nichols et Heil (2014) ont constaté que certaines affaires font l’objet d’une enquête pour des infractions liées à la violence familiale et/ou au viol qui coïncident avec l’exploitation sexuelle, sans que ce dernier aspect des événements fasse l’objet d’une enquête. Deux des participantes à l’étude ont fait état d’une intervention de la police concernant leurs expériences de violence familiale, sans que la police se soit penchée sur l’exploitation sexuelle qui faisait partie de l’expérience de contrôle coercitif au sein de la relation de violence.[traduction] « Il m’a étranglée. Et ne me lancez pas sur le système de justice […] il a été accusé de voies de fait causant des lésions corporelles, ce qui a été ensuite réduit à des voies de fait, et il n’a été condamné qu’à 43 jours de prison. Si c’était un proxénète, il aurait été accusé de ça [exploitation sexuelle]. Alors, pourquoi est-ce différent dans une situation de violence familiale? Parce qu’ils [les petits amis qui contraignent leurs partenaires à l’exploitation sexuelle] font à peu près la même chose que les proxénètes ».
Le contrôle coercitif dont fait l’objet cette population peut pousser une femme à agir comme agent de son partenaire dans tous les domaines, de l’exploitation sexuelle au trafic de stupéfiants, en passant par d’autres actes illégaux (Eriksson et Ulmestig, 2017; Moe, 2004). Pour trois des femmes de l’étude, il s’agit exactement de ce qui les a amenées à avoir des démêlés avec la justice et a donné lieu à l’emprisonnement dans certains cas. Les participantes ont notamment pris part au trafic de stupéfiants et d’armes et se sont livrées à des activités frauduleuses pour le compte de leur partenaire dans le contexte de l’expérience globale du contrôle coercitif.
[traduction] « Il m’a fait faire d’autres choses que juste du travail du sexe, comme transporter de la drogue et faire la contrebande d’armes à feu. Des trucs comme ça, qui me donnaient l’impression que […] si je ne les faisais pas […] il allait vraiment me faire du mal. »
[traduction] « Je finissais par être arrêtée […] pour possession de drogues. Je veux dire que les flics m’ont toujours traité avec, genre, aucun respect […] la violence psychologique comme “espèce de pute stupide”, vous savez, le dénigrement. »
COVID-19
Parmi les mesures de santé publique manifestes qui ont été prises pour lutter contre la COVID-19 depuis mars 2020 et les conséquences imprévues des restrictions liées à la pandémie, telles que l’accroissement des taux de violence familiale, l’augmentation des surdoses d’opioïdes et la décroissance économique, (gouvernement de l’Alberta, 2020; Usher, Bhullar, Durkin, Gyamfi et Jackson, 2020), figure l’incidence peu étudiée de la COVID-19 sur les femmes victimes d’exploitation sexuelle. Bien que ce point ne faisait pas partie de la portée initiale de l’étude, certaines participantes ont fait part des répercussions de la COVID-19 sur leurs expériences du travail du sexe et de l’exploitation sexuelle, ce qui a permis de le dégager comme autre thème général. Ces répercussions comprennent un isolement accru, une réduction de l’accès aux interventions, une augmentation de la demande de travail et des conséquences supplémentaires sur la santé mentale et physique. Il s’agit d’un domaine qui mériterait d’être examiné de plus près.Pour l’instant, il convient de noter que les participantes ont déclaré ce qui suit :
[traduction] « Je pense que la raison qui explique que [j’ai dû travailler plus] pour cela, c’était la COVID, et c’était plus difficile de trouver des clients à ce moment-là. Mais ils poussaient à travailler autant que je le pouvais et à certaines heures de la journée. Si je dormais, ils [les proxénètes] se mettaient en colère. »
[traduction] « Surtout avec la COVID, parce que le nombre de cas est si élevé et que certaines filles se sentent tellement piégées. »
Une participante, faisant référence aux tests de dépistage des ITS auxquels elle devait se soumettre dans le cadre de l’exploitation, a déclaré ce qui suit :
[traduction] « Ils n’arrêtaient pas de dire, oh nous devrions, nous allons te faire tester […] et puis ils ne l’ont jamais fait. C’était pendant la COVID […] Alors tout était fermé […] »
Recommandations
Cette étude a mis en évidence cinq domaines sur le traitement des besoins des femmes victimes d’exploitation sexuelle au Canada. Parmi ces domaines, quatre sont ressortis des thèmes généraux et un autre a recoupé tous les thèmes et a eu une incidence sur eux : i) la compréhension du continuum du travail du sexe, ii) les conséquences de la conflagration de la traite des personnes et de l’exploitation sexuelle, iii) le contrôle coercitif qui se manifeste par des facteurs de pression et d’attraction, iv) les pratiques exemplaires en matière d’intervention, et v) la législation qui tient compte des expériences de contrôle coercitif. Il y a un dernier thème général qui n’a pas été mis en évidence dans l’étude, soit les répercussions de la COVID-19 sur les femmes victimes d’exploitation sexuelle. Ce thème n’a pas été inclus, car il nécessite un examen et une recherche plus approfondis.Recommandation no 1 : Reconnaître le continuum du travail du sexe dans les politiques, la législation et les pratiques
Toutes les participantes à l’étude ont exprimé leur expérience du travail du sexe en tant que continuum allant du travail du sexe volontaire au travail du sexe involontaire. Dans certains cas, les participantes, en fonction du jour et de l’expérience, ont fait des va-et-vient dans ce continuum. Cela correspond aux conclusions d’une récente étude canadienne portant sur la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation du Canada (LPCPVE – C-36). Selon cette étude, les femmes qui travaillent dans le commerce du sexe ne se voient pas dans un cadre binaire de travailleuses du sexe volontaires ou de victimes involontaires d’exploitation sexuelle; elles se perçoivent plutôt comme entrant et sortant de transactions génératrices d’argent pour répondre à des besoins économiques et autres (Orchard, Salter, Bunch et Benoit, 2020).- 1.1 Les mesures législatives et les politiques relatives au travail du sexe doivent reposer sur la compréhension des enjeux en tant que continuum d’expériences, allant de volontaires à involontaires (y compris l’exploitation sexuelle et la traite des personnes), étant entendu que la plupart des personnes qui se livrent au travail du sexe se trouvent à plusieurs endroits du continuum tout au long de leurs expériences.
- 1.2 La modification immédiate des définitions pratiques de l’exploitation sexuelle et de la traite des personnes à des fins sexuelles dans un continuum d’expériences allant de volontaires à involontaires doit être effectuée.
- 1.3 La pratique et les interventions offertes aux personnes qui se livrent au travail du sexe doivent tenir compte de la diversité des expériences vécues par celles-ci, qu’elles soient volontaires ou involontaires. Les personnes devraient être habilitées à définir elles-mêmes leurs expériences grâce à des interventions tenant compte des traumatismes. Les diverses expériences ou compréhensions des expériences liées au continuum du travail du sexe ne doivent pas servir à déterminer les critères d’admissibilité ou la disposition à participer au programme.
Recommandation no 2 : Mettre à jour les définitions relatives à la traite des personnes dans les lois, les politiques et les pratiques
Les aspects préjudiciables de la conflagration de la traite des personnes et de l’exploitation sexuelle ont fait l’objet d’un nombre important d’écrits et de recherches (Kelly et Regan, 2000; Askola, 2007; AFAC, 2014; Nijhoff, 2014). Toutefois, l’aspect le plus préoccupant de cette conflagration réside dans le fait que les victimes qui ne correspondent pas parfaitement au cadre de la traite des personnes sont susceptibles de passer à travers les mailles de la législation et des services. Cela transparaît dans deux des expériences vécues par les participantes, qui ont fini par obtenir de l’aide parce que leurs expériences ont été déterminées comme étant de la traite des personnes, mais qui ont fait remarquer qu’elles ne se percevaient pas comme des victimes de la traite des personnes et qu’elles n’auraient donc pas eu accès au soutien et aux services destinés à ce type de victimes. Comme l’a souligné Askola (2007), si les solutions qui abordent la question de l’exploitation sexuelle sont envisagées sous un seul angle, c’est-à-dire celui de la traite des personnes, la question migratoire, etc., alors ces solutions seront trop étroites pour être efficaces. Les pratiques et les interventions qui exigent que les participantes se déclarent victimes de la traite des personnes créent des obstacles à l’entrée ou obligent les personnes à alterner les codes et à se définir selon les critères établis par le service afin d’accéder aux programmes et services dont elles ont besoin.- 2.1 La législation et les politiques relatives au travail du sexe devraient s’éloigner des définitions axées sur la traite des personnes pour adopter les définitions élargies mentionnées précédemment, qui fournissent le contexte du continuum du travail du sexe volontaire au travail du sexe involontaire.
- 2.2 La législation et les politiques devraient adopter des définitions concises de la traite des personnes pour décrire l’expérience de la traite des personnes à des fins sexuelles ou de travail forcé.
- 2.3 Les pratiques et les interventions devraient éliminer l’accent mis sur la traite des personnes et adopter des définitions du travail du sexe qui comprennent le continuum du travail du sexe volontaire au travail du sexe involontaire.
- 2.4 Les pratiques et les interventions auprès des personnes victimes de la traite des personnes à des fins sexuelles ou de travail forcé devraient adopter des définitions concises de la traite des personnes.
- 2.5 Les pratiques et les interventions devraient modifier les critères d’entrée, l’admissibilité aux programmes et le contenu des programmes, le cas échéant, pour qu’ils s’appliquent à l’ensemble des définitions du continuum du travail du sexe volontaire et involontaire.
Recommandation no 3 : Inclusion du travail du sexe dans les définitions du contrôle coercitif et la pratique
L’exploitation sexuelle a souvent été comprise dans le cadre de facteurs de pression et d’attraction. Ces facteurs sont des éléments tels que la pauvreté, l’itinérance, le colonialisme et les dépendances qui poussent une femme vers l’exploitation et l’exploitation par des tiers en fonction de facteurs économiques qui attirent les femmes dans des situations d’exploitation. Bien qu’il s’agisse d’un cadre utile pour comprendre l’exploitation sexuelle, cela ne permet pas de reconnaître pleinement le rôle joué par le contrôle coercitif dans les facteurs de pression et d’attraction. Toutes les participantes ont parlé d’expériences de contrôle coercitif et chacune de ces expériences pouvait être associée à un facteur de pression ou d’attraction. Pour les participantes, l’important n’était pas la pression ou l’attraction, mais l’expérience de la perte d’agentivité personnelle et les répercussions de cette perte sur leur liberté émotionnelle et physique.- 3.1 Mettre en œuvre une nouvelle définition pratique du travail du sexe à l’échelle nationale afin de tenir compte du contrôle coercitif dans le continuum du travail du sexe volontaire au travail du sexe involontaire.
- 3.2 Élargir les définitions pratiques du contrôle coercitif pour les politiques et la législation afin d’inclure le travail du sexe involontaire.
- 3.3 Les pratiques et les interventions devraient renforcer la capacité de comprendre les recoupements entre le contrôle coercitif et le travail du sexe involontaire.
- 3.4 Appuyer la recommandation no 1 du rapport du Comité permanent de la justice et des droits de la personne intitulé La pandémie de l’ombre : Mettre fin aux comportements coercitifs et contrôlants dans les relations intimes (2021), qui reconnaît les préjudices importants causés par les comportements coercitifs et contrôlants dans les relations entre partenaires intimes et l’exploitation sexuelle.
Recommandation no 4 : Le financement de la prestation des services et de l’aide et leur accessibilité
Toutes les participantes à l’étude ont eu recours à au moins un service ou à une intervention, voire à plusieurs. Le degré de réussite de ces services par rapport aux résultats souhaités par les participantes dépendait de l’approche du service, de la durée de l’offre de celui-ci et de sa spécialisation. L’expérience des participantes fait écho à la recherche de Gerassi et Nichols (2017), lesquels ont constaté que les services destinés aux femmes victimes d’exploitation sexuelle devaient viser le long terme, être fondés sur les forces, être exempts de jugement, s’attaquer aux problèmes de dépendance, offrir des interventions spécialisées liées aux expériences d’exploitation sexuelle et traiter les traumatismes complexes. Pour les victimes d’exploitation sexuelle, il est préférable de traiter les traumatismes complexes et la méfiance au moyen d’interventions à long terme qui offrent la possibilité d’établir des relations chronophages avec les prestataires de services, d’une intervention thérapeutique à long terme axée sur les traumatismes complexes, et d’une gestion intensive des cas qui comprend le logement, les besoins fondamentaux, l’assistance juridique, les soins médicaux et la formation professionnelle (Peled et Cohavi, 2009; Edinburgh et Saewyc, 2008; Roe-Sepowitz, Gallagher, Hickle, Perez et Tutelman, 2014; Sloss et Harper, 2010). Cela nécessite souvent une approche multiorganismes. La recherche a reconnu le lien entre la toxicomanie et le travail du sexe, en comprenant que la toxicomanie est à la fois un moyen de faire face aux expériences du travail du sexe et un moyen de faciliter ce travail (Young, Boyd et Hubbell, 2000). La question souvent posée par la recherche pour comprendre l’intersection entre la toxicomanie et le travail du sexe est un débat qui renvoie au problème de la poule et de l’œuf, dans lequel certains chercheurs avancent que la toxicomanie précède le plus souvent le travail du sexe, tandis que d’autres affirment que le travail du sexe précède la toxicomanie. (Frischer, Haw, Bloor, Goldberg, Green et McKeganey, 1993; Miller, 1995; Cusick et Martin, 2003). Adler (1975) considère que le travail du sexe et la toxicomanie sont des événements qui se produisent de façon simultanée. Les expériences de certaines participantes reflétaient cette réalité : elles ont constaté l’échec des services visant uniquement à lutter contre les dépendances et ont déclaré avoir besoin d’interventions qui traitent à la fois la dépendance et les expériences de l’exploitation sexuelle.- 4.1 La prestation de services aux personnes qui se livrent au travail du sexe doit être financée à long terme et de manière globale (p. ex. des services qui abordent tous les problèmes sociaux et de santé qui se recoupent).
- 4.2 Des modèles de programmes diversifiés (critères d’admissibilité et contenu des programmes) devraient être largement disponibles aux personnes qui se livrent au travail du sexe afin qu’elles puissent choisir des interventions qui répondent à leurs besoins uniques et diversifiés.
- 4.3 Les personnes qui se livrent au travail du sexe ne devraient pas être contraintes de recourir à des programmes qui ne correspondent pas à leurs expériences personnelles du travail du sexe, qu’elles soient volontaires ou involontaires.
Recommandation no 5 : Inclusion du travail du sexe dans la législation canadienne sur le contrôle coercitif
Parmi les participantes à l’étude, trois ont eu des démêlés avec la justice, qui n’étaient toutefois pas directement liés à des accusations découlant du droit canadien sur la prostitution. Les expériences de conflit avec la loi étaient le résultat d’un contrôle coercitif dans lequel un tiers, qui les contraignait à l’exploitation sexuelle, les forçait également à se livrer à d’autres activités illégales pour lesquelles elles ont été accusées, comme le trafic de stupéfiants, le trafic d’armes et la fraude. L’absence de compréhension juridique et de cadre législatif en matière de contrôle coercitif signifiait, pour les participantes, que ces actes étaient considérés comme des incidents isolés, sans rapport avec le contrôle coercitif global que les femmes subissaient, dont faisait partie l’exploitation sexuelle. Les chercheurs ont pu clairement établir le lien entre les femmes victimes de contrôle coercitif de la part d’un tiers et l’activité criminelle. Il est impératif que la législation tienne compte de ces connaissances (Singer, 1995; Moe, 2004; Ericksson et Ulmestig, 2017; Heil, 2017).- 5.1 Conformément aux recommandations du rapport du Comité permanent de la justice et des droits de la personne intitulé La pandémie de l’ombre : Mettre fin aux comportements coercitifs et contrôlants dans les relations intimes (2021), les lois pénales canadiennes doivent être modifiées pour tenir compte des préjudices causés par les comportements coercitifs et contrôlants qui ne sont pas actuellement visés par celles-ci.
- 5.2 Inclure le travail du sexe involontaire dans les modifications recommandées ci-dessus aux lois pénales canadiennes pour criminaliser les comportements coercitifs et contrôlants.
- 5.3 Appuyer la recommandation no 3 du rapport du Comité permanent de la justice et des droits de la personne intitulé La pandémie de l’ombre : Mettre fin aux comportements coercitifs et contrôlants dans les relations intimes (2021), soit mettre en œuvre des mesures pour lutter contre les obstacles auxquels sont confrontées les victimes de contrôle coercitif dans le système de justice, en particulier les personnes en quête d’équité.
- 5.4 Promouvoir et financer une campagne de sensibilisation publique sur les comportements coercitifs et contrôlants dans le travail du sexe involontaire et soutenir la formation de tous les acteurs du système de justice.
Conclusion
L’objectif de la présente étude était d’accroître et de favoriser la compréhension contextuelle de la façon (le cas échéant) dont le cadre de contrôle coercitif devrait et pourrait être appliqué aux femmes victimes d’exploitation sexuelle. La présente étude a examiné cette question dans des contextes de pratiques législatives et d’intervention dans l’espoir que les résultats serviront à éclairer la législation canadienne et les pratiques d’intervention en approfondissant la compréhension des expériences vécues par les femmes victimes d’exploitation sexuelle. Une méthodologie qualitative fondée sur une AIP a permis d’examiner en profondeur les expériences des sept participantes à l’étude, qui peuvent être comprises en parallèle avec l’examen de la législation et des pratiques. L’ensemble des participantes ont indiqué qu’une partie de leur motivation à prendre part à l’étude était de faire entendre leur voix dans le cadre de la recherche, afin que leurs expériences puissent avoir une incidence sur les services et la législation.Pour aborder de manière adéquate les expériences du travail du sexe et de l’exploitation sexuelle, il est nécessaire d’aller au-delà d’un modèle binaire de travail du sexe volontaire et involontaire assorti de définitions et de solutions étroites. De plus, il est essentiel que cette question soit examinée non pas sous l’angle de la moralité, mais sous celui des droits de la personne et de la santé publique, à l’aide de données probantes. Les politiques, y compris les cadres législatifs et la réponse du système de justice, devraient reconnaître la nature coercitive et contrôlante de l’exploitation sexuelle, et inclure ce cadre de compréhension dans le Code criminel. Le fait d’envisager l’exploitation sexuelle sous l’angle étroit de la traite ou de la prostitution revient à ne pas tenir compte des véritables expériences vécues par les femmes victimes d’exploitation sexuelle, qui se trouvent souvent à la croisée de la criminalité, de la violence familiale, de la prostitution ou de la traite. Les considérations relatives à la pratique devraient également aller au-delà d’une compréhension binaire de la question et reconnaître que les interventions doivent être suffisamment larges pour aborder les recoupements mentionnés ci-dessus, s’assurer de prendre également en compte le contrôle coercitif et adopter des approches multiorganismes à long terme, fondées sur les forces, complètes et traitant des traumatismes complexes. Enfin, il convient de mettre en place une solide stratégie de prévention permettant de s’attaquer aux facteurs de pression et d’attraction et de les neutraliser, afin de mettre fin à l’exploitation sexuelle avant même qu’elle ne commence. Les expériences et les répercussions du travail du sexe et de l’exploitation sexuelle sur la personne et la société sont complexes, et les solutions élaborées doivent tenir compte de cette complexité en adoptant une approche à trois volets, soit la prévention, la protection et les poursuites.
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