Comparution devant le Comité permanent de la sécurité publique et nationale (SECU)
Discours
Le 16 avril 2018
Ottawa (Ontario)
Déclaration prononcée par Daniel Jean
Conseiller à la sécurité nationale et au renseignement du Premier Ministre
(Le texte prononcé fait foi)
Introduction
Monsieur le Président et distingués membres du Comité, je vous remercie pour votre temps. Je me réjouis d’avoir la possibilité de discuter avec vous des faits entourant la controverse suscitée par l’invitation de M. Atwal à la réception organisée par le Haut-commissariat du Canada à Delhi dans le cadre de la visite récente du premier ministre en Inde, ainsi que de la séance d’information que j’ai offerte aux représentants des médias canadiens les 22 et 23 février derniers.
Je souhaite préciser que l’information que je vais vous donner aujourd’hui, tout comme celle que j’ai fournie aux médias canadiens lors de la séance d’information organisée à leur intention, n’est pas classifiée. Même si j’ai accès à des renseignements classifiés qui peuvent éclairer des séances d’information non classifiées, je fais toujours preuve de prudence quant à l’information que je divulgue dans un contexte non classifié.
Chronologie des événements
Le 21 février 2018
La première notification que j’ai reçue à l’effet que M. Atwal figurait sur la liste des invités à la réception organisée par le Haut-commissariat du Canada à Delhi dans le cadre de la visite du premier ministre en Inde m’est venue du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS). Le 21 février 2018, vers 8 h 00, le SCRS a été informé que le nom de M. Atwal figurait sur la liste par une source qui suggérait que la présence de celui-ci pourrait embarrasser le gouvernement canadien.
Dès que le directeur du SCRS m’a informé de la situation, juste avant 10 h 00, j’ai immédiatement demandé à notre équipe de la Sécurité et du renseignement (S et R) du Bureau du Conseil privé (BCP) de communiquer avec la Gendarmerie royale du Canada (GRC) pour valider l’information. Peu de temps après, nous avons informé les responsables compétents au Bureau du Conseil privé, au Cabinet du premier ministre (CPM) ainsi que les représentants du BCP accompagnant le premier ministre à Delhi. Dans l’après-midi, la GRC a confirmé que M. Atwal avait bel et bien été condamné pour une tentative de meurtre contre un ministre d’État de l’Inde qui était en visite en 1986. Étant donné que M. Atwal n’est plus considéré comme une menace à la sécurité par nos services de sécurité, le problème était que sa présence aurait pu susciter une controverse en raison de la nature de sa condamnation passée.
À peu près au même moment, des photos de M. Atwal en compagnie de membres de la délégation du premier ministre prises la veille à la réception de Mumbai, et une photo de son invitation à la réception de Delhi ont commencé à circuler dans les médias indiens. À 19 h 46, CBC a publié un article avec ces photos.
L’invitation de M. Atwal a été annulée par le Haut-commissariat du Canada à Delhi plus tard en soirée.
22 février 2018
Vers le milieu de la matinée du 22, nous avions fait le point sur ce que nous savions déjà au sujet de l’incident en nous appuyant sur la séquence des événements, l’information non classifiée accessible à ce moment-là et les renseignements classifiés :
- M. Atwal avait participé à la réception à Mumbai et des photos de lui en compagnie de membres de l’entourage du premier ministre avaient été publiées dans les médias.
- M. Atwal avait été invité à la réception donnée au haut-commissariat du Canada.
- Le premier ministre avait déclaré publiquement que l’invitation n’aurait pas dû être faite et qu’un député du Canada, M. Randeep Sarai, en avait assumé la responsabilité.
- Parallèlement à cela, nous avions vu de l’information inexacte dans les médias et différentes fausses allégations selon lesquelles les institutions fédérales avaient été informées avant le voyage que M. Atwal avait reçu une invitation, qu’elles en avaient informé le personnel du CPM et qu’aucune mesure visant à la réexaminer n’avait été prise.
Objectif de la séance d’information à l’intention des médias canadiens
À ce moment-là, j’ai pris la décision de fournir une séance d’information aux médias canadiens concernant ce que nous savions afin de clarifier les faits, de répondre à des questions urgentes des médias et de les alerter au sujet de l’information inexacte qui circulait.
Auparavant, comme je le fais habituellement dans ces circonstances, j’avais discuté avec mes collègues du BCP et des représentants du CPM, d’une part, de ma proposition d’offrir une séance d’information et, d’autre part, des messages que je souhaitais communiquer. Les services des Communications du CPM ont suggéré une liste de journalistes avec qui je pourrais communiquer à Ottawa cet après-midi ou ce soir-là, outre les médias canadiens qui accompagnaient le premier ministre en Inde, qui recevraient une séance d’information le jour suivant.
Séance d’information
Dans les séances d’information, j’ai confirmé que j’offrais de l’information contextuelle non classifiée (c.‑à‑.d. sans attribution) et j’ai évoqué les points suivants.
L’invitation
- J’ai indiqué que le premier ministre avait reconnu que M. Atwal n’aurait pas dû être invité et que le député M. Sarai avait assumé la responsabilité de cette invitation.
- J’ai dit que le premier ministre et le député M. Sarai avaient publiquement discuté de ces faits et que je ne formulerais pas d’autres commentaires à ce sujet.
Moment où nous avons reçu l’information, manière dont nous l’avons reçue et justification de l’annulation
- J’ai dit – à la lumière de l’information dont je disposais à ce moment‑là – que le premier avis nous informant que M. Atwal figurait sur la liste des invités de la réception donnée à Delhi provenait d’une source non médiatique qui avait communiqué avec le SCRS tôt le matin du 21 février.
- J’ai confirmé que nous nous sommes empressés de consulter la GRC, l’organisme chargé des affaires criminelles, et que nous avons averti des fonctionnaires du BCP et des représentants du CPM à Ottawa et à Delhi.
- J’ai confirmé que nos organismes de sécurité ne considèrent plus M. Atwal comme une menace pour la sécurité et que l’invitation avait été annulée en raison de la controverse qu’aurait pu susciter sa conviction passée.
Filtrage de sécurité
- J’ai répondu à un certain nombre de questions portant sur le filtrage de sécurité des invités aux réceptions auxquelles assiste le premier ministre.
Information inexacte
J’ai déclaré aux représentants des médias que de l’information inexacte sur l’invitation de M. Atwal circulait.
- Je les ai renvoyés au titre d’un article d’Indian Express publié le 22 février, qui laissait entendre qu’un citoyen canadien était entré en Inde en tant que membre de la délégation du premier ministre, après une interdiction de voyager de 38 ans. J’ai indiqué que cette information était trompeuse, car l’individu n’était pas membre de la délégation officielle pour la visite.
- J’ai fait remarquer que, bien que le Gouvernement du Canada soit satisfait lorsqu’un citoyen canadien peut résoudre une interdiction de voyager, le gouvernement n’était intervenu auprès du gouvernement de l’Inde afin de lui demander de lever une interdiction de voyager dans ce pays pour aucun membre de la délégation officielle.
- J’ai dit que les questions relatives aux interdictions de voyager en Inde devraient être adressées au gouvernement de l’Inde.
- En ce qui concerne M. Atwal, j’ai dit que nous croyions comprendre que, après avoir eu des difficultés à voyager en Inde pendant plusieurs années, il avait vu son nom retiré de la soi-disant « liste noire » en 2017, et avait reçu la permission de voyager dans ce pays l’année dernière, vraisemblablement en tant que personne qui n’est plus considérée comme une menace et n’adhère plus à la cause d’un Khalistan indépendant. M. Atwal rencontre maintenant des diplomates au Canada et des responsables indiens. Les articles publiés par la suite dans l’Indian Express (24 février) (anglais seulement) et le Times of India (9 mars) (anglais seulement) font référence à des faits qui confirment ces informations.
J’ai également décrit deux allégations non fondées faites aux médias suggérant que le CPM avait été informé, des jours avant le voyage, de la présence de M. Atwal sur la liste des invités, mais qu’aucune mesure n’avait été prise pour annuler l’invitation. Il a effectivement été rapporté que le SCRS avait été alerté des jours à l’avance et avait informé le CPM. Le SCRS n’a ni document ni souvenir d’une alerte aussi hâtive. Le SCRS a confirmé que la première notification qu’il a reçue est arrivée le 21 février vers 8 h du matin. Il a aussi été allégué que le détachement de la GRC de Surrey avait été alerté plusieurs semaines avant le voyage que M. Atwal figurait sur la liste des invités et avait alerté le CPM. En prenant connaissance de cette allégation, le BCP a contacté des hauts fonctionnaires à l’Administration centrale de la GRC, qui ont à leur tour contacté le détachement de la GRC de Surrey et le Peloton de protection du Premier ministre (PPPM), qui ont alors confirmé qu’aucune alerte du genre n’avait été reçue.
Attribution
Comme l’ont rapporté des journalistes qui ont assisté à la séance d’information – incluant, le 26 février, Tonda MacCharles et Alex Ballingall du Toronto Star (anglais seulement) et John Ivison, le 28 février, du National Post (anglais seulement) – j’ai insisté sur le fait que je ne suggérais d’aucune manière que le gouvernement de l’Inde était derrière l’invitation controversée de M. Atwal.
J’ai dit que nous étions préoccupés par le fait qu’il semblait y avoir une désinformation coordonnée produite par des intervenants, possiblement pour exacerber le faux-pas (c.-à-d. l’invitation) afin de renforcer la notion que le Canada est complaisant à l’égard des risques d’extrémisme, une perception qui a été soulevée à l’occasion par les services de renseignement indiens et que nous ne partageons pas.
Vous trouverez ci-dessous deux citations dignes d’intérêt :
Article du 26 février 2018 publié dans le Toronto Star: « Lorsque le Star a posé ces mêmes questions la semaine dernière à un haut fonctionnaire canadien qui a préféré gardé l’anonymat, la réponse a été : “Je veux que les choses soient très claires : je ne dis pas que nous avons été victimes d’un coup monté de la part du gouvernement de l’Inde.” Toutefois, le haut fonctionnaire a suggéré qu’il y a des “gens en Inde” pour qui il serait avantageux d’alimenter la controverse sur la question à savoir si le gouvernement Trudeau est “complaisant à l’égard du terrorisme”— une allégation que le gouvernement libéral nie catégoriquement. » [Traduction]
Article du 28 février 2018 publié dans le National Post : « J’ai assisté à une séance d’information d’une source haut placée dans le domaine de la sécurité la semaine dernière (j’ai convenu à ce moment de protéger son anonymat et j’honore cet accord) (…). La source n’a pas allégué que l’invitation de M. Atwal avait été orchestrée par le gouvernement indien. En fait, ma source a dit que M. Sarai était à l’origine de l’invitation et a soit ignoré la déclaration de culpabilité de M. Atwal parce qu’elle datait de 30 ans ou n’était pas au courant de son vil passé. Mais il a toutefois suggéré que M. Atwal avait été retiré de la liste noire par le gouvernement indien --- un fait aussi rapporté par le Times of India et d’autres médias indiens (…) qui se serait fait en juillet 2017. (Des journalistes de la Presse canadienne, à qui Mr. Atwal a montré son passeport, ont reporté avoir vu des tampons de visites en Inde datant de janvier 2017 et d’août 2017). » [Traduction]
Après que j’ai eu effectué les séances d’information par téléphone avec les médias canadiens à Delhi le matin du 23 février, les Communications du BCP/CPM ont porté à mon attention un article publié ce matin-là qui suggérait qu’un organe de presse pendjabi de Surrey avait envoyé un tuyau anonyme au Haut-commissariat du Canada pour l’informer que M. Atwal allait assister à la réception de Mumbai et que, s’il avait donné suite immédiatement à l’information fournie, toute la controverse aurait pu être évitée. Nous avons immédiatement interrogé le Haut-Commissariat à Delhi, qui a confirmé qu’un tel courriel anonyme avait en effet été reçu le 21 février à 11 h 43 du matin, heure de Delhi (c.-à-d. 1:13, heure d’Ottawa), mais qu’il ne faisait référence qu’à la présence possible de M. Atwal à la réception de Delhi. Le tuyau a été reçu à Delhi après la réception de Mumbai, mais avant celle de Delhi, et quelques heures avant que les hauts fonctionnaires à Ottawa ne soient avisés.
Relation avec l’Inde
Je tiens à insister sur le fait que nous prenons la relation avec l’Inde très au sérieux. Outre les efforts soutenus pour élargir la relation en matière de politique étrangère et faire croître le commerce bilatéral, nous nous efforçons aussi d’être de bons partenaires en matière de sécurité. Le Canada n’a pas été épargné par les gestes d’extrémisme violent. Nous demeurons vigilants à l’égard de toute menace potentielle et travaillons en étroite collaboration avec nos partenaires indiens dans le cadre législatif canadien, dont la Charte.
Dans la dernière année, nos agences de sécurité et de renseignement ont travaillé de manière constructive pour améliorer la coopération avec leurs homologues indiens. Avant la visite du premier ministre en Inde, des hauts fonctionnaires de la GRC et du SCRS se sont rendus à Delhi pour rencontrer leurs homologues afin d’améliorer la coopération. J’ai aussi rencontré mon homologue conseiller en sécurité nationale à Delhi la semaine avant la visite du premier ministre. Cela a été une rencontre très cordiale où il a reconnu que les organismes partenaires indiens lui avaient dit à quel point ils étaient satisfaits de la coopération de la part du SCRS et de la GRC.
Concernant l’invitation de M. Atwal, j’aimerais indiquer que pendant l’incident, j’ai essayé à plusieurs reprises de communiquer avec mon homologue indien, par téléphone et par courriel, pour le remercier des échanges fructueux la semaine précédente, lui dire que nous étions désolés de la controverse suscitée par l’invitation et lui expliquer que cette dernière avait été annulée.
Conclusion
J’ai eu l’occasion de vous faire part de toute l’information non classifiée pertinente à laquelle j’ai accès concernant cette affaire.
Comme vous pouvez le constater, la séance d’information que j’ai offerte a fourni une description fidèle du déroulement des événements et répondu à un certain nombre de questions pressantes de la part des médias. J’estimais qu’il était important d’aviser les médias canadiens que des informations erronées circulaient, notamment quant aux allégations non fondées selon lesquelles des institutions publiques (le SCRS, la GRC et le Haut-commissariat du Canada à Delhi) auraient été informées avant la réception à Mumbai que le nom de M. Atwal figurait sur la liste des invités, et auraient transmis l’information au CPM à temps pour empêcher la controverse, mais que rien n’a été fait pour annuler l’invitation.
Enfin, je tiens à remercier les représentants de la collectivité de la sécurité, du renseignement et des affaires internationales qui, comme vous avez pu le constater, n’a ménagé aucun effort durant ces 48 heures intenses.
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