Un appel à l'action pour aller au-delà de la hiérarchie

Portrait de Abe Greenspoon
Abe Greenspoon, fonctionnaire hors cadre

Lors du Sondage auprès des fonctionnaires fédéraux de 2018, 42 % des fonctionnaires fédéraux ont dit ne pas avoir confiance en la haute direction et 41 % ont décrit leur environnement de travail comme étant malsain sur le plan psychologique. Ces résultats devraient nous inquiéter, particulièrement dans la perspective où une recherche menée par Google révèle que la sécurité psychologique est le principal facteur qui fait qu’une équipe est remarquable (en anglais seulement).

Selon certains travaux de recherche intéressants menés récemment, notre structure hiérarchique pourrait être à blâmer, du moins en partie, pour ce manque de confiance et ce sentiment de sécurité lacunaire sur le plan psychologique. En 2017, la Stanford Graduate School of Business a fait fond sur deux études universitaires dans le domaine de la conception organisationnelle (en anglais seulement). Les chercheurs se sont penchés sur les différences qui opposent les équipes « égalitaires », dans lesquelles tous ont voix au chapitre, et les équipes « hiérarchiques », caractérisées par un pouvoir centralisé. Ils ont constaté que les équipes égalitaires étaient davantage axées sur le groupe, alors que les membres des équipes hiérarchiques sentaient le besoin de se débrouiller seuls, vraisemblablement aux dépens des autres. Les chercheurs ont conclu que les équipes hiérarchiques qui avaient l’impression d’être en compétition avec d’autres équipes affichaient généralement un rendement laissant à désirer, ce qui n’était pas le cas des équipes égalitaires. À ce sujet, on peut penser à l’explication de la Harvard Business Review (en anglais seulement), selon laquelle le cerveau traite comme une question de vie ou de mort les provocations émanant d’un supérieur, d’un collègue concurrent ou d’un subordonné méprisant. C’est ainsi que nous pouvons voir se dessiner les liens possibles entre hiérarchie et sécurité psychologique, ce qui nous ramène également à la confiance.

L’architecture hiérarchique de nos organisations convenait peut-être bien à l’ère industrielle, mais elle semble beaucoup moins efficace pour résoudre les problèmes complexes à l’ère numérique. Les dirigeants du secteur public le disent souvent : la nature des problèmes à résoudre change constamment. Or, comme je le mentionnais récemment dans un billet de blogue (en anglais seulement), les paradigmes sur lesquels nous nous appuyons depuis des décennies ne sont pas équipés pour faire face à la complexité.

Le Center for Public Impact (CPI), une fondation à but non lucratif d’envergure mondiale qui s’intéresse à l’efficacité du secteur public, explore d’autres paradigmes guidant le fonctionnement des organisations du secteur public. Récemment, l’organisme a publié un rapport intitulé The Shared Power Principle (« Le principe du pouvoir partagé ») dans lequel il résume ses constats concernant les stratégies qui permettent de s’attaquer le plus efficacement aux problèmes complexes dans le secteur public. Ces stratégies ont deux grandes caractéristiques, à savoir : 1) elles donnent du pouvoir aux entités compétentes au plus bas échelon possible entre les organisations et au sein de celles-ci, et 2) elles créent un environnement dans lequel ce pouvoir partagé peut être utilisé pour élaborer des solutions efficaces et légitimes. Dans cet esprit, nous devrions nous demander si nos organisations du secteur public sont bien conçues compte tenu des principaux problèmes que nous devons régler.

Il est peut-être venu le temps d’examiner de plus près les systèmes et les processus que nous avons créés, dont certains il y a des décennies, et de nous demander quelle pourrait être leur incidence sur l’efficacité de la fonction publique.

Comment pourrions-nous arriver à concevoir des organisations de la fonction publique de manière à favoriser une plus grande confiance et une sécurité accrue sur le plan psychologie, à accroître l’agilité et à faire en sorte que nous soyons plus efficaces pour résoudre les problèmes complexes? Je réfléchis à cette question depuis longtemps, et j’ai commencé à l’explorer dans le cadre de mon travail de direction d’un nouveau modèle novateur pour mobiliser les employés de la fonction publique du Canada.

Bâtir une collectivité d’agents libres

Les membres du Programme des agents libres prennent la pose.
Les membres du Programme des agents libres prennent la pose

Au cours des quatre dernières années, j’ai contribué à bâtir un nouveau programme dans la fonction publique du Canada, à savoir le Programme des agents libres du Canada. Pour en savoir plus sur ce programme et son fonctionnement, vous pouvez lire cet article (en anglais seulement) ou encore écouter ce balado où j’en parle. Au départ, nous voulions faire en sorte que les fonctionnaires soient plus libres de choisir leur travail et aussi faciliter la tâche des employeurs qui voudraient les embaucher. Ces objectifs ont été atteints en majeure partie, nous rendons compte des avantages de ce modèle, et je suis extrêmement fier de ce que nous avons accompli.

Cela dit, je tire ma plus grande fierté de la façon dont nous avons tenté de mettre à l’essai de nouveaux paradigmes organisationnels hors norme. À mesure que le programme prenait de l’ampleur, nous avons tenté d’éviter de bâtir à nouveau une organisation misant sur un leadership descendant. Comme je l’expliquais dans un billet de blogue récent (en anglais seulement), nous avons plutôt cherché à bâtir une communauté. Nous avons mis l’accent sur la responsabilité partagée de la réussite du programme, sur un pouvoir partagé à la faveur d’un leadership distribué et sur la rétroaction comme mode d’apprentissage continu, en plus de miser sur la bienveillance pour favoriser la confiance et la sécurité psychologique.

J’insiste sur le fait que nous avons essayé, car soyons clair : nous n’avons pas toujours réussi. Créer de nouvelles habitudes, de nouvelles normes et une nouvelle culture n’est pas chose facile. Je pense que nous apprenons beaucoup sur ce qui pourrait fonctionner ou non. Nous apprenons aussi au sujet de l’inertie institutionnelle et de l’attraction gravitationnelle de la bureaucratie. Personnellement, j’en ai aussi beaucoup appris sur moi-même, sur mes biais et mes faiblesses, sur les limites que je m’impose à moi-même.

Les membres du Programme des agents libres discutent autour d’une table

En juin, j’annonçais mon départ du Programme des agents libres du Canada. Au moment de dire au revoir au programme que j’ai contribué à concevoir, à bâtir et à déployer, je suis grandement reconnaissant de toutes les connaissances que j’ai acquises et qui me seront utiles pour la suite des choses au travail. Tout en me préparant à ce qui m’attend, je réfléchis beaucoup au secteur public en tant que système, et à la façon dont il pourrait évoluer.

Perspectives d’avenir

Récemment, quelqu’un m’a parlé de la théorie du changement systémique dite des « deux boucles » (two loops) proposée par le Berkana Institute (en anglais seulement). Cette théorie du changement est particulièrement intéressante pour la description qu’elle fait de la croissance et du déclin des systèmes. En gros, selon cette théorie, lorsqu’un système dominant approche l’apogée, d’autres systèmes naissent et prennent de l’ampleur, et le système dominant amorce un déclin. Si, au cours de cette période, les gens qui créent ces nouveaux systèmes peuvent également se repérer et créer des connexions entre eux, ils commenceront à donner naissance à un nouveau système.

De nouveaux modèles d’organisation du travail émergent dans le monde entier. Nous avons assisté à la naissance du modèle d’holacratie dans des entreprises comme Zappos (en anglais seulement) et à la création des escouades, tribus et guildes chez Spotify (en anglais seulement). Globant, une entreprise de TI et de développement de logiciels, a recours aux équipes auto-organisées pour favoriser l’autonomie et la mobilité interne de ses employés (en anglais seulement). Morning Star, une entreprise qui produit de la sauce tomate, fonctionne sans patrons (en anglais seulement) depuis des lustres. Il est temps pour la fonction publique de s’inspirer de ces modèles pour réinventer les organisations et pour commencer à mettre à l’essai de nouveaux modèles de son cru.

J’ai un défi à vous lancer. Êtes‑vous prêts à agir, le voulez-vous? Si vous occupez un poste de pouvoir dans la haute direction et souhaitez explorer les modèles de pouvoir partagé ou distribué, si vous êtes un professionnel du changement systémique qui croit pouvoir insuffler de l’énergie pour bâtir des systèmes organisationnels différents ou si vous vous intéressez tout simplement à cette idée et souhaitez en parler, communiquez avec moi sur Twitter ou par courriel. Engageons la conversation. Commençons à agir.

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