Transcription
(Extrait sonore du début : Janice Edgar)
« C’est incroyable qu’un pays que j’aime tant en tant que Canadienne…; j’estime que notre pays est fondamentalement bon. Et, vous savez, j’ai maintenant des doutes. Je me demande ce que mon identité canadienne signifie réellement pour moi. »
(Musique : « Hoka » de Boogey The Beat)
« Tansi. »
Dans le nord du Manitoba, où j’ai vu le jour et j’ai étudié de la maternelle à l’université, il s’agissait de la formule de salutation utilisée. En cri, cela signifie « bonjour » et « comment allez-vous? ».
« M’on ana’ntaw », j’espère.
Ceci est Perspectives Autochtones, un programme dans le cadre duquel nous comptons explorer les expériences et les points de vue de fonctionnaires autochtones, en plus de découvrir ce que la réconciliation signifie pour eux et ce qu’elle peut représenter pour le Canada.
La chanson que vous entendez, « Hoka », nous a été donnée par le DJ et producteur Boogey The Beat. « Boogey », aussi connu sous le nom de Les Boulanger, est Anishinaabe et vit à Winnipeg. Il mélange d’une main de maître la musique traditionnelle de pow wow avec le hip hop, ce qui donne un résultat à la fois puissant et majestueux. Je le remercie d’avoir mis gracieusement son talent au service du programme.
Même si la réconciliation est un sujet d’actualité au Canada et fait l’objet de cette série audio, il ne s’agit pas d’un nouvel enjeu; la conversation à ce sujet a commencé il y a longtemps.
Le 1er juillet 1967, à l’occasion du centenaire du Canada, le chef Dan George a prononcé son discours intitulé « Lamentation sur la Confédération » devant 32 000 personnes réunies à l’Empire Stadium…
Le chef est connu sous le nom de Dan George, mais ce n’était pas son vrai nom. On lui a donné ce nom lorsqu’il a été pris en charge par le système des pensionnats à l’âge de cinq ans.
Son nom est seulement l’une des nombreuses choses qu’on lui a enlevées. Il s’agissait du sort que l’on réservait à tous les Autochtones pendant cette période sombre de l’histoire canadienne.
Il a toutefois accepté son nouveau nom et est devenu une personne admirable en dépit des circonstances; malgré tout ce qu’il a perdu.
Il a été débardeur pendant 27 ans avant qu’un accident le force à changer de métier. Il est donc devenu travailleur de la construction et chauffeur d’autobus scolaire, puis, dans la soixantaine, il s’est réorienté complètement, devenant un acteur de renom à la télévision et au cinéma.
Quand j’étais enfant, je l’écoutais parler attentivement. Sa voix douce était empreinte de passion et de sagesse. Je me rappelle avoir souhaité qu’il soit mon grand-père. J’aurais aimé qu’il me raconte des histoires.
Et je n’étais pas le seul. En sa qualité d’acteur, de poète, d’auteur et de militant, il a été le visage de son peuple pendant toute une génération. Il est devenu l’Aîné. Il n’a pas gâché les occasions que sa gloire lui a procurées. Il n’a jamais laissé la célébrité lui monter à la tête. Il n’a jamais oublié qui il était et d’où il venait. Il n’est jamais parti. Même après être devenu une vedette, il a continué d’habiter la même maison avec sa femme et ses enfants, dans la réserve de Burrard à North Vancouver.
Il travaillait beaucoup. Et ce jour là en 1967, il a tout risqué.
Il s’était exercé à prononcer le soliloque devant sa famille, qui l’avait beaucoup aimé. Mais le Canada l’aimerait-il, l’accepterait-il ou le tolérerait-il? Allait-il pouvoir quitter le stade en vie?
John F. Kennedy et Malcolm X avaient été assassinés pour avoir exprimé leurs opinions.
Et après avoir prononcé les derniers mots, le silence a régné pendant plusieurs secondes dans le Empire Stadium, où 32 000 personnes étaient réunies.
Les gens sont restés en silence jusqu’à ce qu’ils se lèvent dans un élan d’émotion; ils ont applaudi et acclamé le chef haut et fort pendant près de 10 minutes. Les applaudissements ont duré aussi longtemps que le discours lui-même.
Et le chef Dan George s’est mis à pleurer, tout comme sa famille qui se tenait derrière lui.
Pendant un moment, tout semblait possible.
Et au cours des années qui ont suivi, avant son décès en 1981, certains de ses rêves pour l’avenir se sont réalisés; et d’autres encore au cours des décennies suivantes.
Mais dans quelle mesure les choses ont-elles changé ou sont-elles restées les mêmes au cours des 50 années qui se sont écoulées depuis ce discours historique?
Qu’est-ce que la réconciliation signifie, et quelle distance nous reste-t-il à parcourir?
Voilà ce que nous voulons couvrir dans cette série.
Et maintenant, des fonctionnaires canadiens nous font part de leurs réflexions et de leurs sentiments, dans leurs propres mots.
(musique : Greg Reiter)
TODD :
En vous appuyant uniquement sur votre propre expérience et perception, qu’est-ce que la réconciliation représente pour vous?
TIM :
C’est une bonne question. C’est un concept assez vaste, mais qui inspire aussi, je crois. Ce que je veux dire c’est que « les personnes qui comprennent ne jugeront jamais et les personnes qui jugent ne comprendront jamais ». Vous devez créer un espace qui permettra à la réconciliation de s’intégrer à votre quotidien, à votre vie personnelle ou encore à votre perception de l’autre, dans le cas présent, votre perception des peuples autochtones. Vous pouvez soudainement comprendre que votre façon de penser a évolué comparativement à ce qui vous a été enseigné lorsque vous étiez enfant. Vous arrivez maintenant à « comprendre l’autre » et c’est ça la réconciliation. Ce sentiment de « Ah, maintenant, je comprends ». Et je crois que ça peut s’appliquer dans d’autres situations, par exemple les enjeux liés à la communauté LGBT, dans votre façon d’interpréter les autres. « Ça y est, maintenant je comprends. Hier, ce n’était pas le cas, mais aujourd’hui, si ». Voilà ce qu’est la réconciliation.
ANDREA :
La réconciliation est un terme avec lequel je compose difficilement. J’ai passé beaucoup de temps à y réfléchir au cours des dernières années. Lorsque je travaillais pour AADNC, plusieurs personnes m’en parlaient. J’ai fait partie d’un groupe d’employés autochtones et nous avons eu toutes sortes de discussions sur la réconciliation. On m’a demandé « Mais qu’est-ce que ça veut dire pour toi? ». Pour moi, la réconciliation c’est le moment où nous n’aurons plus à en parler. Il sera alors tout simplement question de respect mutuel et de compréhension. Aller ensemble de l’avant sera quelque chose de naturel. Nous n’aurons plus besoin de terme pour décrire cette réalité. Nous devons toujours parler de ce qui se passe. Bien entendu, la réconciliation signifie quelque chose de différent pour tous.
JEANNETTE :
La réconciliation parle de résilience. Elle nous invite à honorer la vérité et à nous réconcilier avec le futur. Les langues représentent un instrument de réconciliation et j’ai d’ailleurs rédigé un petit poème à ce sujet :
Parler notre langue
C’est bâtir nos communautés
Parler notre langue
C’est renforcer nos familles
Parler notre langue
C’est renouer avec nos racines
Parler notre langue
C’est recréer nos traditions et notre culture
Parler notre langue
C’est assurer notre survie et la continuation de la vie
L’apprentissage de sa langue sacrée est une responsabilité personnelle, familiale et communautaire
PAMELA :
Pour moi, la réconciliation signifie que peu importe où je me trouve au Canada, je vais entendre des langues autochtones, voir des monuments historiques autochtones, manger des plats autochtones et entendre de la musique autochtone. Tout comme c’est le cas pour les Italiens en Italie, les Allemands en Allemagne et les Indiens en Inde. Voilà ce que représente la réconciliation. En partageant ma conception de ce terme avec les personnes non autochtones, j’aimerais les inciter à entreprendre ce qui doit être fait, c’est-à-dire entamer une réconciliation intérieure, ce que les peuples autochtones ont déjà lentement commencé à faire. Qu’est-ce que cela veut dire? Cela signifie que vous devez commencer le processus de guérison.
JANICE :
En tant que Canadienne, je trouve stupéfiant que nous parlions souvent de notre merveilleux pays et que nous soulignions à quel point nous aimons notre terre… pour ensuite nous retourner et la massacrer. Nous avons perdu notre lien avec elle. Nous ne la respectons plus. Nous ne prenons plus soin d’elle. Nous la pillons. Nous la mettons à feux et à sang. J’éprouve maintenant beaucoup de difficulté avec cette réalité, vous savez? Je ne sais plus trop quoi faire avec mon sentiment d’appartenance et je ne sais plus ce qu’être Canadienne veut véritablement dire pour moi à présent. Je suis le genre de personne qui pleure lorsqu’elle entend l’hymne national. À l’époque où j’habitais en Arabie, j’étais fière d’être Canadienne et de partager mes connaissances de ce magnifique pays avec les autres. Maintenant, plus je découvre notre passé avec les Autochtones et notre traitement de ces peuples, plus je me demande si j’ai toujours de quoi être fière. Quand j’entends « Oh, c’est du passé tout ça, tu devrais passer à autre chose », je me dis qu’il est impossible de parvenir à se réconcilier en passant tout simplement à autre chose. Tout comme il m’a été impossible de concilier ma dépression et mon traumatisme sans prendre le temps de retirer les couches qui masquaient ma souffrance et de comprendre plus profondément la cause. Après avoir finalement découvert ce qui me rendait si triste, j’ai affronté la situation pour la surmonter. En parvenant à comprendre mon passé, j’ai réussi à faire la paix avec moi-même et à aller de l’avant. Je crois que c’est ce qui explique pourquoi j’arrive à établir des parallèles entre chacun d’entre nous et le processus de guérison de notre pays.
PAMELA :
Comme je l’ai déjà mentionné, nous pouvons tous ressentir cette douleur qui est omniprésente autour de nous. C’est pourquoi, en tant qu’adultes, nous devons reconnaître l’existence de cette douleur afin d’être en mesure de la soigner, et ainsi devenir de meilleurs parents et employés qui apporteront de plus riches contributions à nos petites collectivités, peu importe l’endroit où nous nous trouvons. Nous favoriserons alors le mieux-être de notre grande nation. Nous devons tout d’abord nous réconcilier avec nous même avant d’être en mesure de le faire à l’échelle de notre famille, de nos amis et de notre collectivité. Plus nous travaillerons pour y parvenir, plus nous arriverons à nous réconcilier avec notre nation. Mais pour cela, nous devons tous travailler ensemble. Voilà ce qu’est la réconciliation pour moi; c’est une question de liens. Des liens avec moi-même et avec les gens autour de moi. J’ai débuté mon processus de guérison en faisant preuve d’introspection et je vous invite tous à en faire de même. C’est la responsabilité de chacun de commencer par soi-même.
ANDREA :
Aucun membre de ma famille n’a été dans un pensionnat. Je sais que « réconciliation » signifie quelque chose de différent pour les familles dont c’est le cas. La génération de mes grands-parents excellait dans l’art de se cacher des agents des Indiens alors je ne connais personne qui a été contraint d’y aller. Je trouve ça génial! Pour moi, nous arrivons à l’étape où nous pouvons en discuter et aller de l’avant ensemble. Cependant, je vois que bien que nous en parlons beaucoup, nous agissons peu. Je ne sais pas trop quoi en faire. Comment allons-nous mesurer nos gestes? Comment allons-nous mesurer la réconciliation? Comment allons-nous être en mesure de dire « En 2020, notre progrès vers la réconciliation a cheminé de X »? Mais qu’est-ce que cela signifiera? Si je n’arrive pas à le voir, alors quelle est la perception du reste de la population autochtone? Qu’est-ce que ça signifie pour le gouvernement du Canada et les Canadiens? Je n’en sais rien. Si j’éprouve autant de difficulté, je me demande alors ce qu’il en est pour les autres.
TOONEEJOULEE :
Pour moi, cela signifie que l’on reconnaît qu’il y a du travail à faire et qu’il y a des problèmes du passé qui doivent être rectifiés, qui sont en cours d’être rectifiés et qui seront rectifiés à l’avenir. Tout récemment, les Inuits de Terre-Neuve-et-Labrador ont reçu des excuses de la part du gouvernement du Canada dans le cadre de son processus de pardon auprès des survivants des pensionnats autochtones. La province n’avait pas été incluse dans les excuses initiales présentées il y a dix ans. À l’époque, le gouvernement fédéral avait déclaré que l’école était une responsabilité provinciale et que par conséquent, il n’avait aucune obligation à l’égard des résidents de cette région géographique. Voici ici un exemple d’une réconciliation venant rectifier un problème lié à certaines des anciennes politiques ou des anciennes décisions stratégiques ou politiques.
LEESIE :
En guise d’exemple, j’aimerais utiliser les dernières excuses présentées par le premier ministre aux survivants des pensionnats autochtones du Nunatsiavut qui avaient été exclus au départ. Un Inuit a bien voulu accepter ces excuses et a ainsi fait preuve d’une grande sagesse en illustrant que les Inuits doivent continuer d’aller de l’avant. Cet évènement s’inscrit dans le cadre de la réconciliation. En revanche, la Nation des Innus n’a pas accepté ces excuses, ce qui signifie que le processus de réconciliation demeure en suspens jusqu’à ce que cette nation soit prête. Donc pour un Inuit, les excuses représentent une étape essentielle de la réconciliation. Pour aller de l’avant, il est nécessaire qu’il y ait une reconnaissance des faits, une présentation d’excuses puis une acceptation de ces excuses avant de passer à autre chose.
RYAN :
Selon mon expérience au sein de la fonction publique fédérale, l’atmosphère me semble bel et bien différente, surtout depuis le changement de gouvernement. Mais j’arrive tout de même à comprendre pourquoi plusieurs personnes ont [inaudible] envers le succès puisqu’il n’y aura pas beaucoup de résultats tangibles. Je crois que les gens arrivent aussi à percevoir cela au gouvernement, où plusieurs processus sont exécutés machinalement. C’est quelque chose que j’ai tout d’abord découvert alors que je tentais d’y obtenir un poste par l’entremise du processus d’équité puisque je suis Autochtone. Il est intéressant de noter qu’il y a toutes ces politiques et mesures en place, mais personne ne sait vraiment comment relier le tout et personne ne s’y intéresse vraiment de toute façon. Il n’y a aucun système de soutien. Je crois que c’est un peu le même sentiment que celui que ressentent les gens lorsqu’ils parlent de la réconciliation. Ils craignent que cela ne mène à un interminable manège où des conversations auront lieu et des arguments seront présentés, mais où on ne fera que tourner en rond lorsqu’il sera question d’agir.
JEANNETTE :
À l’heure actuelle, le terme « réconciliation » est sans cesse brandi d’un côté et de l’autre à un tel point qu’on ne sait plus ce qu’il signifie. En anglais, les comptables l’utilisent pour décrire leurs tableaux ou encore lorsque le budget est équilibré, les carnets de chèques correspondent ou les relevés bancaires confirment les documents comptables des entreprises ou des particuliers (en français, il est plutôt question de « conciliation », un terme de la même famille). En théologie, ce terme désigne le pardon d’un pêcheur et son retour à l’Église. La réconciliation peut désigner des idées, des récits, des gens et des groupes. Ce terme peut aussi être utilisé lorsqu’il est question d’un processus visant à atteindre un résultat ou un objectif positif. Dans le cadre des 94 appels à l’action du Rapport sur la vérité et la réconciliation, le mot a été répété plus de 65 fois. Mais qu’est-ce que la réconciliation peut véritablement signifier pour les peuples autochtones canadiens (Premières nations, Métis et Inuits)? Que font les employés du gouvernement pour atteindre les objectifs, et tout particulièrement respecter l’appel à l’action nº 57? Le gouvernement du Canada, pour lequel j’ai le plaisir de travailler, est l’un des plus importants employeurs au pays et il dispose de toutes les ressources lui permettant de mener à bien son programme. Les fonctionnaires peuvent faire une véritable différence pour ce qui est de la réconciliation. C’est d’ailleurs pourquoi il y a 34 organismes fédéraux chargés de faire respecter les engagements et les responsabilités constitutionnelles du gouvernement envers les peuples autochtones.
JANICE :
Il s’agit d’un immense défi auquel j’ai l’impression que nous avons déjà été confrontés. Vous savez, lorsque le rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones a été publié. Un article avait alors paru dans le Globe and Mail à ce sujet, par Elisia Elliot, je crois, une Mohawk des Six-Nations. Il était fascinant. Elle y parlait de la frustration éprouvée par les peuples autochtones qui n’avaient pas été consultés par le gouvernement alors que celui-ci avait annoncé la mise sur pied de deux nouveaux ministères pour se pencher sur les problèmes à résoudre : le ministère des Relations Couronne-Autochtones et Services aux Autochtones Canada. Elle avait dit la chose suivante : « Vous savez, c’est ce qui se passe toujours ». Elle expliquait comment le ministère des Affaires autochtones a souvent changé de nom (principalement en anglais) au cours des années et qu’il s’agit d’un changement purement bureaucratique. Bref, de la poudre aux yeux. Alors, est-ce bien du sérieux cette fois? Sommes-nous prêts à mettre la main à la pâte? C’est comme demander à un alcoolique s’il est prêt à s’engager à ne plus boire. C’est terriblement difficile et éprouvant. Ou encore, comme demander à un toxicomane de retirer toutes les couches de douleurs et de souffrance afin de comprendre ce qui se cache véritablement derrière cette dépendance et de reconnaître la source de son problème. C’est douloureux. Toute personne pour qui la croissance personnelle a été un processus long et pénible comprendra. Selon moi, c’est par ce même processus que le pays passera. Nous devons cesser d’embellir la vérité pour ne pas souffrir. Mais peut-être tentons-nous de fuir la vérité?
TOONEEJOULEE :
Dans le cadre de la réconciliation, je crois qu’il est également important de créer un espace où les personnes qui ne sont pas Autochtones pourront en apprendre plus au sujet des Premières Nations, des Inuits, des Métis et des collectivités autochtones en général. Chacun doit faire des efforts et se renseigner.
TIM :
J’aimerais avancer que bien qu’il pourrait être, enfin j’hésite à employer ce terme, « dangereux » d’écarter certaines interprétations du terme réconciliation, il pourrait tout de même être plus sage d’en éliminer certaines. J’utilise le terme « réconciliation » pour désigner « la compréhension de l’autre ». J’offre des présentations permettant aux gens de comprendre une partie de notre histoire et de découvrir que les pensionnats n’ont pas seulement eu des répercussions négatives sur les Autochtones (survivants et survivants intergénérationnels), mais aussi sur nous tous. C’est notre pays au complet qui en souffre. La réconciliation peut être définie de différentes manières selon votre façon de voir les choses. Si vous allez à l’église, votre interprétation peut être différente. Si vous êtes le gouvernement du Canada ou un enseignant, elle peut également varier. Toutes ces interprétations sont bonnes. J’essaie tout simplement d’informer les gens afin qu’ils puissent mieux comprendre « l’autre » puisque leur réalité n’a pas été enseignée dans nos manuels d’histoire. Très peu de Canadiens connaissaient les pensionnats et leur triste héritage. C’est pourquoi il serait judicieux de créer un espace dans le cadre duquel les Canadiens pourraient comprendre notre histoire dans l’optique de la réconciliation.
ANDREA :
J’aime ce qui peut être mesuré, mais il est difficile de mesurer le progrès social puisqu’il existe d’innombrables façons de le faire. Si nous désirons démontrer aux Nations Unies, aux pays du Commonwealth et aux Canadiens que nous avons réalisé de grands progrès vers une réconciliation, nous devons définir ce terme avec les peuples autochtones. Je ne sais pas trop comment y parvenir puisqu’il n’existe pas une définition universelle de ce terme et de ce que la réussite en matière de réconciliation représente. Pour certains, il pourrait s’agir de la pleine mise en œuvre des traités historiques et pour d’autres, des traités modernes. Je ne saurais dire moi-même ce que la réconciliation signifie pour moi. Je dirais qu’il s’agit d’un respect mutuel, du fait de reconnaître que des choses se sont produites par le passé et de la mise en place de mesure de soutien qui permettront aux Autochtones de vivre comme tous les autres Canadiens. À l’heure actuelle, il y a un important écart entre les deux groupes. Toutefois, cela représente un enjeu de taille qui était déjà présent avant que la notion de réconciliation ne soit mise de l’avant. Je crois qu’il faut combler les écarts socio-économiques. Si nous y parvenons, alors il ne sera plus nécessaire de tenir des discussions sur la réconciliation puisqu’il n’y aura plus de problème. Les règles du jeu seront les mêmes pour tous et nous travaillerons de concert pour atteindre un même objectif. Il n’y aura plus d’écart.
JEANNETTE :
D’autres organismes commentent désormais la réconciliation. Le Conseil national de développement économique des Autochtones a souligné d’importants écarts entre les Autochtones et les autres Canadiens non autochtones pour ce qui de l’obtention d’un diplôme d’études secondaires, de l’obtention d’un diplôme d’études universitaires, du taux d’activité, du taux d’emploi et du revenu annuel moyen. D’ailleurs, la citation suivante du chef Terrance Paul, membre du Conseil et chef de la Première Nation de Membertou, est présentée dans le rapport : « Offrir aux Autochtones une égalité d’accès aux opportunités économiques aidera le Canada à relever les défis économiques que posent la faible productivité et le changement démographique d’une population vieillissante ». Il s’agit d’assurer le même accès à l’éducation, à la formation et aux opportunités économiques sur une plus grande échelle, allant de l’accès à de nouveaux emplois à des conditions d’emploi équivalentes, en passant par les ressources pour favoriser la création d’une nouvelle entreprise. Toujours dans ce rapport de réconciliation, le Conseil estime que combler l’écart de productivité entraînerait une hausse du PIB canadien de 27,7 milliards de dollars par année qui serait en partie attribuable à une augmentation des revenus d’emploi des Autochtones à l’échelle des provinces et territoires. De plus, il est estimé que la réduction de la pauvreté, un plus faible recours aux soins de santé et à l’aide sociale et de moindres coûts pourraient mener à des gains annuels estimés à huit milliards de dollars en dividendes. Tout cela signifie que si les Autochtones recevaient la même éducation et disposaient des mêmes possibilités économiques, si leur taux de pauvreté chutait et si l’écart en ce qui a trait aux possibilités pour les collectivités autochtones à l’échelle du pays était comblé, alors l’économie canadienne observerait une hausse de 27,7 milliards de dollars par année, soit 1,5 %.
JANICE :
Lorsque j’ai présenté ma demande dans le cadre du programme des agents libres, je savais déjà que je désirais travailler sur le dossier de la réconciliation et du mieux-être. La réconciliation est un bien grand mot. Pour moi, cela signifie aider les gens à comprendre qu’il existe d’autres façons d’être et à reconnaître que cette compréhension est importante. Je coordonne des Exercices des couvertures depuis les quelques dernières semaines pour Pêches et Océans. Il s’agit d’une formidable expérience d’apprentissage puisque les gens peuvent s’immerger et, dans l’espace d’une heure, découvrir 500 ans d’histoire à travers les yeux d’un Autochtone. Cette expérience vous permet de mieux comprendre leur vécu. Je sais que la première fois que j’ai participé, j’ai été bouleversée. Dans mon scénario, je demeurais dans un endroit et on m’a déplacé ailleurs sans se préoccuper de ce que je ressentais. C’était très tumultueux. Tout était fait selon la volonté des colons. Je n’étais qu’un pion que l’on déplaçait. C’était l’un des principaux sentiments que j’ai ressentis au cours de l’activité. J’ai également joué le rôle d’une Autochtone affranchie ce jour-là et cet exercice m’a profondément touchée. Je suis devenue enseignante et j’ai perdu mon statut d’Autochtone. Lorsque c’est arrivé et que nous nous sommes assis par la suite pour en discuter, je me suis effondrée. Je me demandais si ça s’était réellement produit, si certains de mes ancêtres avaient connu cette expérience et perdu leur statut, ou quelque chose comme ça. Je ne sais pas. Il y a tellement de mystères entourant mes ancêtres. Parfois, plus je pose de questions à ce sujet, plus je découvre à quel point les Autochtones étaient rejetés et dénigrés par le passé. Je comprends pourquoi certains ne voulaient pas admettre leur statut ou le cachaient. Ils ne voulaient pas que les gens le découvrent. Ils se laissaient donc assimiler pour se protéger.
JEANNETTE :
À l’heure actuelle, nous offrons des activités visant à promouvoir la sensibilisation à la culture autochtone. Il s’agit d’une priorité pour notre gouvernement. L’École de la fonction publique travaille d’arrache-pied pour présenter des activités favorisant la réconciliation. Une série d’apprentissage sur les cultures autochtones a été mise au point et je vous invite tous à participer aux prochains ateliers. Je ferai moi-même partie de l’équipe de facilitateurs. Cette série comprendra entre autres des évènements, des cours, des vidéos et même des emplois. Les ateliers nous aideront à comprendre nos tâches et nos obligations et nous permettront de comprendre l’histoire des peuples autochtones, leurs expériences contemporaines et leurs droits. J’espère que tout cela mènera à l’établissement de relations reposant sur le respect et à une collaboration efficace. Et moi? Que puis-je faire pour la réconciliation? Ry Moran, le directeur du Centre national pour la vérité et la réconciliation à Winnipeg, a posé cinq questions. Est-ce que je connais des Autochtones? Si ce n’est pas le cas pourquoi? Est-ce que j’ai déjà pris part à une cérémonie? Si ce n’est pas le cas pourquoi? Est-ce que je peux nommer le territoire traditionnel où je me trouve? Si ce n’est pas le cas pourquoi? Est-ce que j’ai déjà pris part à des conversations enrichissantes avec des Autochtones? Si ce n’est pas le cas pourquoi? Et, finalement, est-ce que j’ai déjà lu des livres rédigés par des auteurs autochtones? Si ce n’est pas le cas pourquoi? Selon moi, les livres représentent un excellent point de départ pour entamer une conversation, tout comme un bon repas ou une bonne tasse de café. Il serait merveilleux que des Autochtones et des personnes non autochtones s’assoient en cercle pour discuter, partager un repas et participer à des cérémonies pendant une journée entière. Le processus de guérison prend place lorsque nous forgeons de nouvelles amitiés et continuons de partager nos repas ensemble au fil des ans.
TIM :
Vous savez, la dimension humaine est limitée à plusieurs niveaux. Le juge Sinclair a d’ailleurs expliqué que les pensionnats ont touché sept générations d’Autochtones et je suis entièrement d’accord. Nous ne pouvons pas tout simplement nous excuser, modifier une politique et nous en laver les mains. Notre pays en entier est blessé. Si on regarde les indicateurs sociaux de santé, les indicateurs des Autochtones sont au plus bas niveau dans bien des domaines. Nous pourrons nous féliciter pour un travail bien fait uniquement lorsque les niveaux des indicateurs, que ce soit le taux de suicide, le niveau de scolarité, les niveaux moyens de revenu, seront les mêmes que ceux des autres groupes démographiques, ou presque identiques. Il reste beaucoup de chemin à parcourir. Plusieurs enjeux font désormais les manchettes, comme peuvent le constater les gens qui lisent les nouvelles. Les pensionnats n’en représentaient qu’un seul. Il existe plusieurs politiques qui ont été utilisées au détriment des peuples autochtones. Il y a tout juste deux semaines, nous avons pu observer des annonces concernant, entre autres, la « rafle des années soixante » et le non-respect des traités. Il y a donc plusieurs enjeux sur lesquels le Canada doit se pencher. Pour ce qui est des peuples autochtones, ils doivent entamer le processus de guérison. Tout comme le juge Sinclair, je crois que cela touchera de cinq à six générations. Il s’agira d’un long processus, mais selon moi, le pays peut y arriver. Dès que le segment le plus vulnérable de la société reviendra au centre, je crois qu’il sera véritablement temps de commencer le processus de réconciliation qui devra être soutenu à plusieurs niveaux. En ce qui concerne les 94 appels à l’action, je suis d’avis que tous les Canadiens peuvent se retrouver dans au moins l’un d’eux. La lecture du sommaire du rapport final de la Commission de vérité et de réconciliation, ce qui comprend tous les appels à l’action, représente un excellent point de départ sur lequel les Canadiens peuvent s’appuyer pour déterminer comment ils peuvent contribuer à la réconciliation.
Perspectives Autochtones : Récits des employé(e)s Autochtones est une production d’Emploi et Développement social Canada.
Toutes les opinions exprimées dans le cadre de la série sont strictement celles des personnes qui les expriment et ne sont pas nécessairement partagées par leur employeur.
Les fonctionnaires que vous avez entendus dans cet épisode sont : Andrea Dykstra, Janice Edgar, Jeannette Fraser, Ryan Jeddore, Tooneejoulee Kootoo-Chiarello, Pamela Kupeuna, Tim O’Loan et Leesie Naqitarvik..
Notre musique thème est signée Boogey the Beat, et vous avez également entendu la musique de Greg Reiter.
Mon nom est Todd Lyons. Je suis animateur, auteur et directeur technique pour la série Perspectives Autochtones.
Merci de votre écoute.