Perspectives autochtones : Histoires de fonctionnaires autochtones Enjeu 6 - Les apparences

La baladodiffusion Perspectives autochtones d’EDSC traite des réalités des employés autochtones dans la fonction publique ainsi que de la signification de la réconciliation pour eux et de ce qu’elle pourrait représenter pour le Canada. Des fonctionnaires y témoignent de leurs expériences en tant qu’Autochtones et des difficultés qu’ils doivent surmonter à cet égard.

la durée : 16:38 minutes

Transcription

(Extrait sonore : Jeannette Fraser)

« Quand on a mon apparence, c’est à-dire que l’on n’a aucune caractéristique particulière, on se fait poser des questions du genre : “Tu n’en as jamais parlé, es-tu certaine que tu l’es?”, “Comment est-ce possible?”, “Comment peux-tu le savoir?” ou “As-tu un document?”. C’était le genre d’attitude avec laquelle j’ai dû composer au début. »

(Musique : « Hoka » de Boogey The Beat)

Perspectives Autochtones. Récits des employé(e)s Autochtones.

« Tansi. »

Ceci est Perspectives Autochtones, un programme dans le cadre duquel nous comptons explorer les expériences et les points de vue de fonctionnaires autochtones, en plus de découvrir ce que la réconciliation signifie pour eux et ce qu’elle peut représenter pour le Canada.

(Musique : « Dance of the Hummingbird » de Greg Reiter)

Personne ne prétendrait que le racisme n’est pas problématique. Son omniprésence troublante, dans une société de plus en plus éduquée, est choquante. Pire encore, il arrive que les victimes intériorisent le phénomène et le perpétuent au sein de leurs collectivités.

Le colorisme s’entend de la discrimination fondée sur la pigmentation au sein même des communautés de couleur. Les personnes qui ont la peau plus foncée peuvent être jugées moins attirantes ou raffinées, et être exclues socialement. Lorsqu’elles font l’objet de tels préjugés au sein de leur propre race, les personnes peuvent même commencer à croire qu’elles sont inférieures en raison de leur couleur. Elles peuvent ainsi souffrir d’autostigmatisation, de dépression et d’autres problèmes de santé mentale. Une telle discrimination peut être plus préjudiciable quand elle est commise par les pairs, car l’identité profonde de la victime et le sentiment d’appartenance de celle-ci à son groupe sont alors touchés. Des recherches plus poussées s’imposent dans ce domaine. Les universitaires feraient bien de se pencher sur cette question importante.

J’ai été témoin de ce type de classement, non seulement dans la société, mais dans mon propre foyer. Mes enfants sont biraciaux, et je me souviens clairement de la première fois où je suis entré dans une pièce et je les ai vus, manches retroussées, mettre leurs avant-bras côte-à-côte afin de comparer leur pigmentation en se demandant qui était le plus blanc. J’étais horrifié. Mes enfants, eux, n’ont pas trop compris ma réaction. Quel est le problème, papa?
Je leur ai longuement expliqué, sans grand succès.

J’ignore comment, mais mon adolescent et mes préadolescents avaient été endoctrinés par la société et croyaient en quelque chose qu’ils n’avaient jamais vu dans leur propre maison. Une croyance contre laquelle l’union même de leurs propres parents aurait dû les prémunir. Je croyais avoir tout vu.

Ce que j’ai appris en m’entretenant avec les fonctionnaires dans le cadre de cette série est que cette discrimination va dans les deux sens. On peut non seulement vous exclure parce que votre pigmentation est trop foncée, on peut également vous tenir à l’écart parce que vous êtes trop blanc.

Et maintenant, des fonctionnaires canadiens nous font part de leurs réflexions et de leurs sentiments, dans leurs propres mots, au sujet des apparences. Ils abordent les avantages de passer inaperçu, la tristesse associée à l’exclusion et le sentiment d’incertitude lié au fait de savoir que l’on se trouve dans deux mondes, mais que l’on n’appartient à aucun d’eux.

(Musique : Greg Reiter)

ANDREA :
L’une des choses que vos auditeurs ne seront pas en mesure de constater à mon sujet est que j’ai une allure très hollandaise. J’ai les mêmes caractéristiques physiques que celles de la famille de mon père. La famille de mon père est hollandaise, et celle de ma mère est des Premières Nations.

FANNIE :
Tant du côté de ma mère que du côté de mon père, il y a des origines autochtones qui remontent à très, très loin, d’accord? Ma famille compte également des membres blancs, donc je dirais que si l’on regarde mon pourcentage, mes origines autochtones ne sont probablement pas très importantes. Toutefois, je suis consciente du fait que j’ai une certaine ascendance autochtone, et je préfère la célébrer qu’en faire simplement fi.

JEANNETTE :
Et c’était également : « Es-tu certaine d’en être une? Comment peux-tu en être une? Comment peux-tu le savoir? As-tu un document? ». Voilà donc le genre d’attitude auquel j’ai d’abord été confrontée. C’est différent, mais au début c’était : « Eh bien, tu ne l’as jamais mentionné. ». Vous savez, au début je le disais puis ils… C’était correct, j’imagine, mais lorsque vous avez mon allure, je n’ai rien de différent en apparence. Je ne m’habille pas différemment.

FANNIE :
Je me sens un peu ridicule, surtout parce que lorsque je me suis jointe au comité, je me suis jointe au cercle – le cercle des employés – à la suite d’un effort de sensibilisation et pour faire partie de la solution, et ils m’ont demandé si j’accepterais de représenter la région de l’Atlantique parce qu’ils n’avaient pas – ils avaient besoin de deux représentants et ils en avaient seulement un. J’ai donc accepté, mais je me sens un peu ridicule lorsque je vois mon nom au bas des courriels à titre de représentante de la région de l’Atlantique, puisque je n’ai pas l’air autochtone et je n’ai jamais eu à subir les difficultés auxquelles sont confrontés les Autochtones. C’est parfois une situation qui me rend mal à l’aise.

JEANNETTE :
Mais il y a simplement des choses que je sais… et je les mentionne lentement. Peu à peu, on partage. Mais au départ il n’y a pas de réelle reconnaissance – il s’agissait de le prouver, vous savez. Ensuite, on a commencé la campagne ou le gouvernement a commencé la déclaration volontaire. J’ai travaillé là-dessus; je faisais le tour et je demandais aux gens : « Vous êtes-vous auto-identifié? Avez-vous indiqué qui vous étiez? ». Cela aidait. Maintenant, c’est différent. Je dirais qu’au cours des six dernières années, les choses ont changé.

ANDREA :
Il ne fait aucun doute que j’ai hérité d’une bonne partie des caractéristiques physiques de la famille de mon père, et j’ai utilisé cela à mon avantage. Donc, quand je participe à des réunions, je suis consciente du fait que j’ai l’air blanche, mais qu’en réalité, je suis autochtone. Je peux donc comprendre d’où proviennent les partis pris ou l’incompréhension, les préjugés et ce genre de choses. J’affirme mon origine autochtone seulement lorsque cela me convient. Donc, c’est… ma mère dit que je suis « une Indienne qui porte un camouflage de femme blanche »; cela me fait bien rire.

TODD :
Cela pique vraiment ma curiosité, à savoir ce que cela signifie réellement que d’être autochtone.

FANNIE :
Je ne sais pas si, du point de vue de l’organisation, la définition est claire. On nous demande de nous auto-identifier, mais l’on ne définit aucunement ce dont il devrait s’agir. Lorsque l’on présente notre candidature dans le cadre d’un processus de sélection et que l’on s’auto-identifie comme employé autochtone, on nous demande souvent de signer une déclaration sous serment attestant que l’on est réellement autochtone. Je veux me définir comme une Autochtone non inscrite. Mes oncles possèdent tous leur certificat. Je regarde les besoins de l’organisation en matière de représentation, et je ne veux pas obtenir un poste au détriment d’une personne qui le mériterait plus que moi. Parallèlement, je me considère acadienne, parce j’ai une ascendance acadienne, et de la même façon, je veux quand même reconnaître mes racines. Je veux dire, je peux retracer ma généalogie jusqu’à la famille qui a signé le Traité de souveraineté. Donc, je trouve cet élément spécial et je veux le reconnaître. Je n’ai pas été en contact avec tout cela de toute ma vie, mais cela ne veut pas dire que je ne souhaite pas rattraper le temps perdu et conscientiser mes enfants, et peut-être même les générations futures, à leurs origines.

JEANNETTE :
Oui, tout à fait. Certains Métis ont les cheveux blonds et les yeux bleus. Comme vous avez également pu le constater chez les femmes disparues, celles qui sont blondes et ont le teint clair se font remarquer davantage que celles qui ont les cheveux et le teint plus foncés et sont moins attirantes. Il s’agit d’une discrimination subtile, mais les caractéristiques sont ce qu’elles sont et l’on ne peut rien y faire. Dans notre âme et notre cœur, nous savons qui nous sommes. Je ne peux être autre chose que ce que je suis. Je ne connais pas tout de mon histoire familiale, mais j’en connais une partie, et je n’ai pas de document. Je n’ai pas besoin d’un document. Je n’ai pas besoin de porter une enseigne disant « Je le suis ». Je sais que je le suis.

FANNIE :
J’ai toutefois l’impression de ne pas avoir de réelle place, parce que j’ai peut-être trop l’air blanche, et que ma culture et mon mode de vie ne sont pas suffisamment autochtones. À ce moment-là, je voulais reconnaître mes racines et faire partie de la solution, donc je me suis portée volontaire, mais je me sens encore un peu…comme si cela était parfois inapproprié ou jugé inapproprié que j’utilise réellement ce titre.

ANDREA :
Mon expérience est très différente. J’ai grandi hors réserve. Comme je suis biculturelle, cela me donne un point de vue intéressant. J’ai eu une enfance intéressante. J’ai été témoin des préjugés et du racisme, mais en me trouvant en quelque sorte derrière les lignes ennemies, ce qui est fascinant d’un point de vue sociologique. Cela m’a toutefois mise dans une position où je ne suis pas acceptée à 100 % par l’une ou l’autre des communautés. Je dois composer avec cette réalité, mais c’est parfois difficile.

FANNIE :
À un moment donné, je me suis jointe à divers groupes sur Facebook et, dans l’un d’entre eux, j’ai appris qu’il y avait un débat dans la région de Campbellton, car un médecin y avait donné un autocollant jugé offensant à un enfant autochtone. Il s’agissait d’un autocollant du film d’animation En route!, dans lequel un extra-terrestre salue les humains et les appelle « les Sauvages »; l’autocollant portait la mention « Salutations, Sauvage! » ou « Sauvages », et cela a créé tout un tollé. Lorsque j’ai essayé d’exprimer mon opinion au sein du groupe Facebook qui en débattait, je me suis fait dire que j’étais diluée et que je devrais me taire. Une autre fois, lorsque j’ai exprimé le désir de participer au Programme de développement autochtone, un programme de mentorat, mon supérieur m’a demandé si je m’auto-identifiais réellement comme Autochtone et si je ne croyais pas que cette identité s’était diluée au fil des ans. Donc, dans un sens, comme je l’ai mentionné, peu importe ce que je fais, le fait que je m’identifie de cette façon est jugé inapproprié par certains. Je m’identifie comme une femme blanche, mais également comme une descendante de la tribu autochtone qui a signé le Traité de souveraineté. Ce fut donc une découverte intéressante pour moi et j’en suis très fière, même si je sais que je n’ai pas vraiment entretenu de lien avec cette identité de toute ma vie.

JEANNETTE :
Nous faisons simplement notre travail. Nous savons qui nous sommes, et cela vaut pour toutes les Premières Nations ainsi que pour les Métis et l’ensemble des Autochtones, partout au pays. Nous le savons dans notre cœur et notre âme. Nous appartenons à ce territoire. Nous en provenons et nous ne faisons qu’un avec lui. Nous étions les premiers ici.

TODD :
Donc, quand vous commencez à douter ou quand quelqu’un dit quelque chose de négatif, qu’est-ce que vous vous dites pour vous motiver à bien représenter les intérêts de votre région?

FANNIE :
J’essaie toujours de me concentrer sur le bien commun, je crois que c’est la seule façon. Si une autre approche consistait à rester dans l’ombre, cela ne me permettrait pas de faire partie de la solution autant que je le voudrais. J’estime que la cause mérite que je m’y investisse.

ANDREA :
Cela nous met dans une situation où nous devons souvent… où nous devons souvent justifier à d’autres employés autochtones ou à des employés non autochtones la raison pour laquelle nous occupons notre emploi. Il y a une perception selon laquelle je n’aurais pas eu les possibilités que j’ai eues si ce n’avait été de mon origine autochtone. C’est donc un défi intéressant. Je crois toujours que nous avons beaucoup de travail à faire en matière d’éducation et de sensibilisation, tant au sein de la fonction publique fédérale que dans la population canadienne en général. Toutefois, si je pouvais me rendre à un point où je ne me sens plus jugée inutilement par ma culture, j’estime qu’il s’agirait d’une forme de réconciliation. Cela signifierait que nous avons, collectivement, abandonné tous les partis pris et les préjugés qui nous avaient été inculqués dès notre plus jeune âge.

Perspectives Autochtones : Récits des employé(e)s Autochtones est une production d’Emploi et Développement social Canada.

Toutes les opinions exprimées dans le cadre de la série sont strictement celles des personnes qui les expriment et ne sont pas nécessairement partagées par leur employeur.

Les fonctionnaires que vous avez entendues dans cet épisode sont : Fannie Bernard, Andrea Dykstra, et Jeannette Fraser.

Notre musique thème est signée Boogey the Beat, et vous avez également entendu la musique de Greg Reiter.

Mon nom est Todd Lyons. Je suis animateur, auteur et directeur technique pour la série Perspectives Autochtones.

Merci de votre écoute.

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Lien de téléchargement (MP3, 11,4 Mo) Enjeu 6 - Perspectives autochtones : Histoires de fonctionnaires autochtones

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