Cher ministre : Lettre à un vieil ami sur les moyens de réussir comme ministre

Titre official : Notes pour l’allocution de L'Honorable Gordon F. Osbaldeston, Conseil privé, Officier de l'Ordre du Canada. Cher ministre : Lettre à un vieil ami : Comment réussir comme ministre - Association professionnelle des cadres supérieurs de la fonction publique du Canada (APEX). Ottawa, le 22 janvier 1988

Cher ministre

Je vous félicite de votre nomination au poste de ministre et de membre du Conseil privé. J’ai reçu votre lettre hier. Comme nous nous connaissons depuis nos années d’université et que j’ai maintenant pris ma retraite de la fonction publique, je pense être en mesure de vous offrir ce que vous m’avez demandé : une analyse franche et honnête de ce qui assure la réussite d’un ministre. De plus, comme vous le souhaitez, je vous transmets avec plaisir quelques règles empiriques pour vous aider à relever le défi que représentent les attributions de ce poste important.

Je m’attends à ce que vous receviez cette lettre quelques heures après que vous et vos homologues aurez été assermentés à la résidence du gouverneur général. Il m’a été donné d’assister à plusieurs de ces cérémonies et, chaque fois, j’ai été profondément impressionné par l’importance et la signification qui s’attachent aux serments prêtés par les ministres. Ils symbolisent en effet la responsabilité personnelle et collective des ministres et la mettent en exergue. Ils illustrent aussi à quelle profondeur ces traditions s’enracinent dans notre régime de gouvernement où le pouvoir est exercé conjointement par le Parlement et le Cabinet.

En prêtant ce serment, ainsi que votre serment d’office, vous êtes devenu ministre du Conseil privé et vous avez accepté les lourdes responsabilités associées au portefeuille qui vous est confié, y compris l’obligation d’assumer la responsabilité législative de conduire et de diriger votre ministère. Vous avez consenti, du même coup, à travailler au sein d’une équipe, le Cabinet, et avez juré de respecter le secret concernant les délibérations du Cabinet. Cet engagement constitue une tradition séculaire dans notre régime de gouvernement (parlement-cabinet). II a permis aux gouvernements successifs de maintenir une cohésion suffisante pour survivre à un vote de confiance à la Chambre des communes et de pouvoir ainsi gouverner.

Vous verrez que ce serment impose aux ministres un poids parfois lourd à porter.

En devenant membre du Conseil privé, vous êtes entré dans un club très select.

De toute l’histoire, le gouvernement fédéral a compté seulement 592 membres du Conseil privé. De ce nombre, seulement 220 sont encore vivants aujourd’hui. Jadis, le Conseil privé conseillait réellement la Reine. Le Cabinet est devenu son pendant moderne. En effet, le Conseil privé est maintenant une institution essentiellement symbolique, qui se réunit en de rares occasions, comme lors de la visite de la Reine en 1967, l’année du Centenaire. Comme vous l’apprendrez, le seul privilège qui reste aux membres du Conseil privé est la mise en berne du drapeau sur l’édifice du Parlement à leur décès. Privilège, il va sans dire, dont personne n’est pressé de bénéficier.

Pour ne pas trop m’égarer dans cette réponse, je m’efforcerai de suivre un certain ordre logique. En premier lieu, je décrirai votre rôle à l’égard du premier ministre, du Cabinet, du Parlement et de votre ministère. Puis, je toucherai certains points particuliers que vous avez soulevés dans votre lettre.

Rôle du ministre à l’égard du premier ministre, du Cabinet et du Parlement

Un ministre joue plusieurs rôles. Il doit prêter attention aux besoins de ses électeurs, alors qu’il exerce ses fonctions comme membre du Parlement et comme ministre de la Couronne. II s’agit là de 3 rôles distincts et exigeants.

Comme ministre de la Couronne, vous faites partie d’une équipe et, en outre, vous êtes personnellement responsable devant le Parlement d’un ministère particulier. De temps à autre, cette double responsabilité vous posera des problèmes. Vous voudrez prendre des initiatives audacieuses et novatrices, mais du même coup, vous sentirez l’obligation de consulter vos collègues et d’en venir peut-être à des compromis difficiles à accepter. Cela fait partie du métier : concilier nouveauté et loyauté.

En raison de vos multiples fonctions, vous subirez une pression constante de consacrer du temps à telle ou telle tâche importante. Vous devez donc établir des priorités, déterminer les délais pour les réaliser et organiser votre temps en conséquence. Faute d’agir ainsi, avec efficacité, vous vous sentirez dépassé.

Non seulement devrez-vous équilibrer vos priorités et votre temps, mais aussi vos devoirs multiples de loyauté. Il vous faudra appuyer les priorités et les objectifs stratégiques du premier ministre. Mais, vous devrez aussi demeurer fidèle à vos vues personnelles et accomplir ce que, vous, vous voulez faire, de façon à réaliser les objectifs premiers qui vous ont conduit à la politique.

Vous devrez rendre des comptes à la Chambre des Communes, l’essence même de la responsabilité ministérielle. Vous devrez comparaître devant les membres des comités permanents de la Chambre, des personnes qui convoitent toutes votre place comme ministre de la Couronne. Ils aimeraient, eux aussi, exercer une influence sur les politiques publiques. La différence avec vous, c’est qu’ils ne sont pas responsables des résultats de leurs recommandations.

Je vous exhorte à apprendre comment utiliser l’expertise en tout genre que vous trouverez au sein de votre ministère. Entre autres, l’expérience de votre sous-ministre, à son poste et dans sa profession, et l’expérience de votre chef de cabinet en matière de politique de parti. Ces deux types d’expertise sont différents et ne devraient pas se mêler. Mais, attention! Les deux sont nécessaires.

Devenir ministre, c’est apprendre à équilibrer vos différents rôles en fonction des requêtes multiples qui vous seront adressées. Mais, si vous tenez à réussir, ce qui importe souverainement dans tous ces efforts d’équilibre et de conciliation, c’est de ne jamais oublier qui vous êtes et pourquoi vous êtes venu en politique.

L’un des problèmes les plus difficiles que les ministres ont à affronter est l’organisation de leur temps. Si vous constatez que vous travaillez de 70 à 80 heures par semaine, dites-vous que vous êtes en bonne compagnie. Il n’y a pas de ministre qui n’éprouve pas de difficulté à établir un équilibre dans ses multiples rôles : membre du Parlement, ministre du Cabinet, membre du parti, député élu d’une circonscription électorale. Dès lors, il devient impossible pour les ministres de consacrer plus d’un tiers ou de la moitié de leur temps aux affaires de leur ministère. Et les études montrent qu’ils passent rarement plus de 3 heures par semaine avec leur sous-ministre. Aussi, pour s’acquitter convenablement de toutes leurs fonctions, les ministres doivent compter largement sur leur sous-ministre et leur chef de cabinet, déterminer rapidement comment ils entendent se rapporter au Cabinet, au Parlement, aux clients et à leur ministère et décider combien de temps ils veulent consacrer à chacun. Un bon sous-ministre rappellera à l’ordre le ministre qui se surmène. Un ministre épuisé est un ministre dangereux, pour lui-même et pour le gouvernement. Un bon conseil, réservez-vous du temps pour des exercices physiques réguliers et accordez-vous suffisamment de repos. À l’occasion, vous devrez ne faire ni une ni deux, dire NON et rentrer chez vous vous coucher.

Le premier ministre et le Cabinet

Dès que le Cabinet a été assermenté commence la tâche de gouverner. La plupart des ministres avec lesquels j’ai travaillé ont trouvé à la fois passionnante et éreintante l’expérience des 4 à 6 premières semaines à la tête d’un nouveau portefeuille, pour un nouveau gouvernement. Après une longue période comme simple député ou en campagne électorale, ils ressentent habituellement une certaine ivresse d’arriver au pouvoir et de prendre les rênes d’un ministère qu’ils pourront « faire fonctionner ». Cependant, pour les ministres qui, comme vous, ne possèdent aucune expérience au Parlement ou au Cabinet, il est difficile de discerner les lourdes responsabilités du poste et de comprendre quels rôles ils ont à remplir. Cela est d’autant plus complexe lorsque plusieurs des autres ministres se trouvent dans la même situation.

Autrefois, la coutume voulait que les ministres aient d’abord travaillé quelques années comme simples députés, pour devenir ensuite secrétaires parlementaires et, enfin, ministres en second. Lorsqu’ils accédaient au poste de ministre, ils avaient déjà acquis une bonne dose d’expérience au Parlement et au gouvernement. Le genre de défi que vous devez relever est relativement inhabituel dans l’histoire du gouvernement fédéral. Il vous demandera d’apprendre sur plusieurs fronts à la fois, tout en assumant la responsabilité du portefeuille qui vous est confié. Je n’envie pas votre sort.

Les premiers mois seront cruciaux pour vous. Beaucoup de personnes, en particulier les bureaucrates et la clientèle du ministère, vous presseront de prendre les décisions demeurées en suspens avant votre nomination. C’est normal. Toutefois, faute d’être au courant des affaires du ministère, vous ne saisirez pas pleinement les problèmes en jeu et vous ne serez pas à même de porter un jugement éclairé sur les questions portées devant vous d’un point de vue politique. Ne prenez donc pas plus de décisions qu’il est nécessaire dans les premières semaines.

Rappelez-vous que vous avez assumé un énorme fardeau en acceptant la responsabilité des tâches et des obligations actuelles de votre ministère. Commencez par bien maîtriser les réalités présentes du ministère avant de vous lancer dans des voies nouvelles. La plupart des décisions peuvent attendre quelques semaines, jusqu’à ce que vous puissiez décider en connaissance de cause.

Par ailleurs, nul besoin de vous mentionner que vos affaires personnelles doivent être en ordre et que vous devez être libre de tout conflit d’intérêts, réel ou apparent. Et, pour l’amour du ciel, n’allez pas refaire à neuf votre bureau ni commander une nouvelle voiture. Vous verrez le coût dans les journaux du lendemain. À ce propos, n’autorisez jamais un achat sans en connaître le coût. Autrement, vous risquez de constater qu’un adjoint, parmi vos admirateurs, a commandé pour vous un bureau de 5 mille dollars. Essayez, après coup, d’expliquer la chose à vos électeurs! Vous trouvez peut-être que les journalistes s’attardent trop à ces détails relativement futiles. Mais, souvenez-vous, les gens estiment que si vous faites preuve de jugement dans les petites choses, vous ferez sans doute de même dans les grandes.

La façon générale de gouverner et de prendre des décisions au Cabinet dépend largement du style de gestion du premier ministre et de ses ministres influents. Cependant, voici quelques remarques générales qui semblent s’appliquer à la plupart des gouvernements.

On s’attend généralement à ce qu’un ministre juge par soi-même ce qu’il convient de faire de son portefeuille, en respectant les orientations du parti, les priorités préconisées par le premier ministre et les opinions générales du Cabinet et du caucus. Comme le premier ministre est normalement submergé de travail et que ses homologues sont occupés à essayer de comprendre leur ministère et de réaliser leur propre programme, chaque ministre est généralement livré à lui-même et doit se fier en bonne partie à son jugement. Le ministre du Cabinet doit réussir du premier coup, et il y a peu de place à l’erreur.

Du fait de votre longue expérience dans le secteur privé, vous pourriez vous étonner que le premier ministre nomme une personne à la tête d’un ministère pourvu d’une enveloppe dépassant le milliard de dollars sans lui donner de directives particulières ou presque. Dans le monde des affaires, il y aurait des discussions préalables concernant le plan d’affaires, les prévisions à long terme sur le rendement du capital investi, la diversification, etc. Même à supposer que la chose soit souhaitable dans le gouvernement, elle serait tout simplement irréalisable. Le gouvernement fédéral équivaut, en somme, à une société de 100 milliards de dollars, c’est-à-dire une société plus considérable et plus complexe que les vingt plus grandes compagnies du Canada réunies. Il est donc impensable que le premier ministre puisse percevoir ce que chaque ministère requiert, si ce n’est dans les grandes lignes. En dehors de quelques secteurs clés qui revêtent plus d’importance pour le premier ministre et du fonctionnement général du gouvernement, il revient en définitive au ministre de déterminer ce qui s’impose et de soumettre des propositions au premier ministre et au Cabinet.

Un défi majeur pour les ministres est de tracer la ligne de démarcation entre, d’une part, la nécessité de prendre des initiatives à l’intérieur de la sphère d’action qui leur est réservée et, d’autre part, la nécessité de consulter le Cabinet et le premier ministre et d’obtenir leur approbation. Particulièrement dans un nouveau gouvernement, il n’est pas facile de tracer cette frontière, car tous les autres s’efforcent, eux aussi, de délimiter leurs rôles. Le meilleur conseil que je peux vous donner, c’est d’éviter le piège des deux excès suivants : i) lancer, sans consultation suffisante, des politiques ou des programmes qui influeront sur le gouvernement ou sur d’autres ministères; et ii) à l’inverse, consulter sur tout et sur rien au point de paralyser la marche du ministère. Surtout, résistez à la tentation de penser qu’un bon moyen de réussir est de contourner adroitement le ministre des Finances ou de prendre à l’improviste les collègues opposés à vos projets. Cela fonctionnera peut-être une ou deux fois, mais, à la longue, c’est une recette pour un échec assuré. En communiquant régulièrement avec vos collègues du Cabinet et en observant avec soin les priorités du premier ministre, vous apprendrez relativement vite quand il convient ou non de recourir au Cabinet ou au premier ministre.

L’une des attributions maîtresses d’un poste au Cabinet est d’établir des rapports avec les clients du ministère. On s’attend à ce que le ministre suscite la confiance et l’appui de ces clients, qu’il s’agisse de pêcheurs, d’agriculteurs, de gens d’affaires ou d’artistes. Faute de bonnes relations avec votre clientèle, votre réputation et votre crédit à la table des ministres déclineront rapidement. Cela entraîne un autre problème épineux : maintenir l’équilibre entre le devoir de défendre les intérêts des clients devant le Cabinet, comme réclamer les politiques et les ressources nécessaires, et le devoir de répondre aux visées du gouvernement, comme la diminution des dépenses ou la réduction du déficit. Plusieurs ministres se sont vus pris dans cet étau, sans pouvoir s’en libérer. Il serait instructif, à ce sujet, d’étudier les talents de funambule de certains ministres au cours des dernières décennies.

Le Parlement

L’un des thèmes de votre campagne portait sur la nécessité d’accroître le rôle des députés, en particulier des simples députés, au sein des comités. Je souscris à ce souci de leur assigner un rôle plus important. Les récentes réformes parlementaires ont accordé aux comités plus de pouvoir pour convoquer des témoins, mener des recherches sur les questions débattues et présenter des rapports. Votre poste vous permettra rapidement de percevoir l’importance du Parlement pour les ministres. Selon notre régime de gouvernement, où le pouvoir est détenu par le Parlement et le Cabinet, les ministres doivent rendre compte au Parlement et, de concert avec le premier ministre, ils doivent conserver la confiance du Parlement durant l’exercice de leurs fonctions, en vue de demeurer au pouvoir.

Je vous incite à demeurer ouvert avec vos collègues du Parlement et votre caucus. Tenez-les au courant de ce que vous faites et des problèmes que vous rencontrez. Il importe, cependant, de prendre conscience que les comités parlementaires n’ont pas mission de vous décharger de vos responsabilités. Le rôle de la loyale opposition de Sa Majesté, en dernière analyse, est de s’opposer au gouvernement, ainsi que de critiquer et d’embarrasser les ministres. Les comités parlementaires peuvent jouer un rôle utile en étudiant les questions que vous avez à régler, mais il est plus probable que leurs membres suivront leur propre programme en fonction de leurs propres objectifs. Aussi, prenez garde de ne pas tomber dans un filet dont vous ne pourrez plus vous dégager. À mon avis, il serait à la fois sage et pratique d’essayer de collaborer avec votre Comité dans l’esprit d’une réforme. Mais, de grâce, demeurez fidèle à votre propre programme. C’est vous, en dernier ressort, qui êtes responsable de votre ministère, et non pas le Comité parlementaire. C’est vous qui aurez à répondre de l’exercice de vos fonctions devant le premier ministre, votre caucus, le Parlement et le peuple. Si les choses vont mal, vous ne pourrez pas blâmer le Comité parlementaire ni qui que ce soit. C’est vous le responsable. Exercez donc votre autorité et assumez vos responsabilités, tout en tirant profit des travaux et des vues que le Comité parlementaire peut apporter sur les questions à résoudre.

Une dernière remarque en ce qui concerne le Parlement. Vous serez tenté de déléguer à vos subalternes le rôle de vous représenter aux audiences des comités parlementaires. C’est normal et inévitable, étant donné le temps énorme qui vous sera réclamé. Toutefois, vous devez faire comprendre clairement aux membres des comités et à vos représentants que c’est vous le ministre et qu’il vous appartient de vous prononcer, au nom du ministère, sur les questions de gestion et de politiques. Si vos subalternes se trouvent placés dans une situation où ils ont l’impression d’être responsables devant les comités parlementaires, ils seront divisés entre des fidélités divergentes. Cela vous rendra la tâche difficile lorsque vous voudrez qu’ils suivent une ligne d’action donnée. Vous devrez rappeler aux personnes concernées, y compris les membres du Comité parlementaire, que vos subordonnés travaillent pour vous.

Le rôle du ministre à l’égard du sous-ministre et du chef de cabinet

Les ministres qui ont réussi savent la nécessité d’utiliser efficacement les deux personnes qui se rapportent à eux directement : le sous-ministre et le chef de cabinet. Il vous faudra un certain temps pour déterminer votre façon de fonctionner et de travailler avec ces deux acteurs. Voici quelques remarques sur leurs rôles respectifs et quelques conseils sur la meilleure façon d’en tirer profit.

Le choix du chef de cabinet

L’une des décisions les plus importantes que vous aurez à prendre au cours des 2 prochaines semaines sera de choisir votre chef de cabinet. Celui-ci constituera un élément essentiel de votre équipe de gestion. L’existence de ce poste découle principalement du fait que le ministre a besoin de conseils politiques partisans en provenance d’une source indépendante, qui ne peut être la fonction publique, compte tenu de sa tradition d’impartialité politique.

Le rôle du chef de cabinet est de délester le ministre, en assurant le bon fonctionnement de son cabinet : traitement efficace du courrier, organisation des voyages, planification des réunions, rappel des priorités, etc. On pourrait croire qu’il s’agit de tâches administratives d’importance mineure, mais les exigences nombreuses auxquelles le ministre est astreint risqueraient vite de le submerger sans une organisation efficace du bureau sous le contrôle du chef de cabinet.

Voici 3 qualités maîtresses d’un chef de cabinet : i) la capacité de collaborer avec le ministre et de l’assister dans l’élaboration et l’exécution de son programme; ii) un jugement politique avisé et la capacité de travailler avec les acteurs politiques au gouvernement, au caucus et au sein de la clientèle du ministère; et iii) la capacité de diriger le cabinet du ministre et de travailler en collaboration avec le sous-ministre et les hauts fonctionnaires du ministère. En plus de ces 3 qualités, le fait de posséder déjà une bonne connaissance du gouvernement ou du champ d’activité de votre ministère constitue un autre atout.

Lorsque le ministre peut former une équipe tripartite, soit lui-même, le chef de cabinet et le sous ministre, où chaque membre met à profit ses talents et son expérience pour résoudre les problèmes, le succès est pratiquement assuré. Par contre, si le chef de cabinet essaie de diriger le ministère ou de jouer un rôle de pseudo sous-ministre ou d’intermédiaire, des problèmes graves pourraient nuire au rendement du ministère.

Attendez-vous à subir des pressions pour nommer à cette fonction importante des soutiens du parti ou des conseillers de votre campagne électorale. Il faut bien le reconnaître, cela fait partie de la vie politique. Mais, il importe fortement de vous rappeler que mener une campagne électorale et gouverner sont 2 choses bien différentes. Un chef de cabinet incompétent peut avoir un effet malheureux sur votre rendement. Je connais des cas où le chef de cabinet, ou son adjoint administratif, a constitué un facteur déterminant dans la chute du ministre. Certains de vos collègues plus anciens se feront un plaisir de confirmer ces propos sur l’importance de choisir un chef de cabinet efficace. À votre place, je demanderais à un chef de cabinet expérimenté et qui a fait ses preuves de vous conseiller dans le choix d’un candidat.

Le rôle du sous-ministre

Si vous n’avez pas déjà rencontré votre sous-ministre, il vous appellera probablement aujourd’hui, vous offrira de vous renseigner sur le ministère et tentera de répondre aux demandes administratives que vous pourrez formuler. J’ignore qui est ou qui sera votre sous-ministre. Je peux, cependant, vous parler de sous-ministres types à Ottawa. La plupart des sous-ministres sont âgés de 40 à 45 ans. Ils possèdent une expérience de 20 à 25 années environ dans divers ministères du gouvernement fédéral. Presque tous ont l’expérience du travail au sein d’un organisme central. Ils ont une longue scolarité, ils sont intelligents et ils sont bien informés des politiques et des méthodes administratives au gouvernement et ils connaissent bien le fonctionnement des organismes centraux, tels que le Conseil du Trésor et le Bureau du Conseil privé.

Sans doute avez-vous entendu dire beaucoup de choses, de la part de vos collègues, au sujet de sous-ministres. Laissez-moi simplement vous inciter à entrer en relation avec votre sous-ministre avec un esprit ouvert. Partez du principe qu’il est là pour vous aider et qu’il ne demande qu’à vous servir et à vous appuyer. Prêtez-lui aussi les meilleures qualités, comme vous le feriez pour d’autres : supposez au départ qu’il est honnête, dévoué au travail et respectable. Si, après quelques mois, vous découvrez qu’il n’accomplit pas convenablement son travail, ce qui me surprendrait, je vous encouragerais à en parler au secrétaire du Cabinet. En fait, vous n’avez tout simplement pas le loisir d’avoir des problèmes avec votre sous-ministre : il vous serait d’autant plus difficile de bien accomplir votre travail. De son côté, le sous-ministre ne peut davantage se permettre d’avoir des problèmes avec vous : il serait dans l’impossibilité de faire exécuter quoi que ce soit.

Peut-être avez-vous entendu dire par vos collègues que les sous-ministres ont fatalement une allégeance politique et que, par conséquent, on ne saurait leur faire confiance pour servir sous un nouveau gouvernement. C’est de la foutaise! Excusez-moi l’expression. La très grande majorité des sous-ministres ont l’ambition de servir leur ministre d’une façon purement professionnelle, sans esprit de parti. Ils s’efforcent de se sensibiliser aux priorités du ministère et de les promouvoir. Je ne voudrais pas, cependant, vous leurrer. Les sous-ministres ne sont pas payés pour être des béni ouis. Ils sont, ou sont censés être, des experts en politiques. Ils savent comment fonctionne le Cabinet, ils connaissent les rouages des organismes centraux, et ils sont familiers avec les méthodes d’action stratégique. Pour ces raisons, ils apporteront souvent, peut-être, un point de vue différent du vôtre sur les décisions à prendre et vous trouverez parfois exaspérante cette divergence. Vous serez tenté de vous demander : « Pourquoi ce type-là est-il sans cesse à me dire ce que je ne dois pas faire et à m’indiquer les problèmes qui risquent de surgir si j’agis de telle ou telle façon? Pourquoi est-il si préoccupé de ce que pense le Conseil du Trésor? Ne travaille-t-il pas pour moi? »

La réponse à ces questions est simple. C’est précisément sa fonction, comme sous-ministre, de s’en préoccuper. Il ne tient pas, pas plus que son ministre, à s’attirer des ennuis. Une part de son rôle, au service du ministre et du premier ministre, est d’adresser des conseils sur les exigences administratives du gouvernement et de signaler les problèmes stratégiques susceptibles de naître.

C’est aussi sa fonction de vous aider à opérer les choix qui répondent à vos objectifs et à naviguer sans ennui entre les récifs et les hauts-fonds qui ont occasionné le naufrage d’un bon nombre de carrières de ministre.

Un bon sous-ministre sera sensible aux priorités préconisées par le ministre et s’emploiera à les appuyer. En même temps, il apportera son expérience à la direction, à l’élaboration des politiques et aux relations avec les organismes centraux, de façon à permettre au ministre d’atteindre ses objectifs.

Les sous-ministres sont formés pour servir leurs ministres. Ils font tout leur possible pour les appuyer et les aider à remplir efficacement leurs fonctions. Le gouvernement fédéral a sans doute connu des problèmes attribuables à des sous-ministres lambins. Mais, en règle générale, un sous ministre ne demeure pas longtemps en fonction s’il ne sert pas bien son ministre. J’ai remarqué que les bons ministres n’ont aucune difficulté à faire en sorte que le sous-ministre travaille pour leur compte. Ils consacrent uniquement le temps requis pour lui demander conseil et lui indiquer, ainsi qu’au personnel de direction, leurs priorités et leurs directives.

Vous aurez inévitablement des désaccords avec votre sous-ministre, même des désaccords graves. Mais rappelez-vous, peu importe si un sous-ministre s’est opposé farouchement à un plan d’action donné, le ministre pourra quand même compter sur lui lorsqu’il s’agira de mettre en œuvre les politiques ou les programmes qui ont fait l’objet d’une décision politique. La plupart des ministres acceptent que le sous-ministre rende des comptes au premier ministre aussi bien qu’au ministre puisque c’est le premier ministre qui l’a nommé. Il arrive, dans des cas rares, que le sous-ministre juge de son devoir d’informer le premier ministre que telle ligne de conduite est malavisée, contraire à la loi ou inconvenante. Évidemment, le ministre se sentira alors menacé par ce sous ministre qui s’adresse ainsi au premier ministre, que ce soit directement ou par l’intermédiaire du secrétaire du Cabinet. C’est compréhensible. De toute façon, sauf dans des cas extrêmes, la chose n’arrive pas. Le conseil que je vous donne, c’est que si votre sous ministre vous signale qu’il estime devoir s’adresser au premier ministre, voyez-y un avertissement que quelque chose ne tourne pas rond, du moins à ses yeux. Si, après un examen approfondi, vous voulez quand même aller de l’avant avec votre projet, présentez-le alors au premier ministre, ou bien demandez conseil au secrétaire du Cabinet ou au cabinet du premier ministre.

Votre première rencontre avec votre sous-ministre devrait sonner le départ d’une relation féconde. J’espère qu’il en sera ainsi. Un ancien ministre m’a raconté qu’après avoir assumé la responsabilité d’un ministère, il a regardé autour de lui en se demandant qui pourrait bien l’aider. Il se disait que les membres du Parlement avaient d’autres chats à fouetter et que, de toute façon, ils ne connaissaient pas grand-chose en ce domaine. Quant à ses collègues du Cabinet, ils avaient leurs propres problèmes à traiter. Son personnel politique était aussi nouveau que lui. La seule personne-ressource était son sous-ministre. Aussi a-t-il décidé de travailler de concert avec lui, et il a réussi à opérer des changements de cap majeurs en matière de politiques.

Ainsi, votre sous-ministre peut devenir pour vous une ressource humaine capitale. Malgré tout, il y a des tâches que le sous-ministre ne saurait bien remplir et qui lui sont d’ailleurs interdites en vertu de la loi et des traditions de la fonction publique. Comme vous le savez, la grande majorité des sous-ministres sont des professionnels sans allégeance politique, qui possèdent une expérience en gestion et en administration. Leur rôle est de servir le gouvernement et leur ministre, mais non le parti au pouvoir. 

En vue d’assurer la pérennité d’une fonction publique professionnelle au service du public, il ne revient pas au sous ministre de donner des conseils sur des questions partisanes. En fait, au cours de ma carrière, je m’absentais régulièrement des réunions où de telles questions partisanes surgissaient. De plus, les sous-ministres ne font pas la promotion publique d’une position dans le cadre d’un débat politique partisan afin de protéger leur neutralité et de maintenir une responsabilité ministérielle claire en matière de politiques. Les nouveaux ministres trouvent souvent ces distinctions exaspérantes et ne se mettent à les apprécier qu’après quelques années d’expérience. Certains ministres ont cependant commis l’erreur d’interpréter la résistance d’un sous-ministre à prendre la parole en public sur une question controversée ou à donner des conseils partisans comme un manque de loyauté. Ce n’est pas le cas. Cela devrait vous montrer que les sous-ministres ne se livrent pas et ne se livreront pas à ce genre d’activité partisane pour aucun ministre d’aucun gouvernement. Votre sous-ministre se doit de faire preuve de diplomatie sur le plan politique, sans être partisan. Vous devriez vous fier à votre chef de cabinet pour obtenir les conseils partisans dont vous avez besoin.

Un bon sous-ministre développe un excellent sens du jugement qui lui permet d’évaluer rapidement une décision en fonction des intérêts ou des priorités du ministre.

Afin de peaufiner cette qualité, il doit avoir des contacts réguliers avec vous. Il ne peut pas savoir comment agir en votre nom, comme il est légalement autorisé à le faire, à moins qu’il ne vous connaisse et ne sache comment vous pensez. Vous serez tenu responsable de vos décisions, comme il se doit. Mais, vous devriez tenir votre sous-ministre responsable de la qualité de ses conseils – comme il se doit.

Comme tous les êtres humains, les sous-ministres ont leurs défauts. Toutefois, n’oubliez pas qu’ils ont gravi les échelons de la fonction publique, en grande partie, sinon uniquement, grâce au mérite. La fonction publique du Canada est une méritocratie. Les sous-ministres possèdent de 20 à 25 années d’expérience. Leurs erreurs sont exposées au grand jour et eux aussi vivent et travaillent constamment sous les projecteurs. Les critiques d’une fonction publique impartiale prennent plaisir à pointer du doigt les rares exceptions où des sous-ministres se sont permis des ingérences politiques. Lorsque le gouvernement change, ces « exceptions » ressortent invariablement. Le premier ministre doit y voir, avec raison. Malheureusement, on accuse souvent d’ingérence politique des sous-ministres qui ont apporté leur soutien professionnel à leur ancien ministre devant les comités parlementaires, ou qui ne sont pas d’accord avec leur nouveau ministre sur les mesures qu’il propose. Comme je l’ai dit, l’accusation voulant que les sous ministres sont, en général, partisans est dénuée de fondement. Mais, dans les cas particuliers où le reproche s’avère fondé, il appartient au premier ministre de régler la question.

Conformément au principe de Peter, les sous-ministres sont parfois des hiérarques ayant atteint leur niveau d’incompétence. Là encore, c’est une question que vous devrez traiter avec le secrétaire du Cabinet. Si votre sous-ministre est vraiment incompétent, il serait étonnant que le secrétaire du Cabinet n’ait pas déjà été saisi du problème.

Je vous recommande de ne pas écarter trop vite les avertissements de votre sous-ministre en les mettant au compte de son allégeance ou de son incompétence. Il importe, d’abord, d’examiner soigneusement le fond de la question. Nous ressentons tous de l’exaspération lorsque nous demandons à un subalterne une chose, et qu’en réponse, il nous donne cinq excellentes raisons pour lesquelles on ne doit pas la faire. Cependant, rappelez-vous que les sous-ministres sont payés pour indiquer aux ministres les pièges à éviter. Et, lorsque le ministre décide de passer outre à leurs objections, ils se font un devoir de suivre fidèlement ses instructions.

J’en arrive, maintenant, à quelques défis particuliers concernant la gestion et la direction de votre ministère.

L’établissement du programme

Le premier problème que vous aurez à affronter viendra de l’amoncellement des dossiers touchant des questions qui ne vous sont que vaguement familières. Certains ministres m’ont fait comprendre à quel point c’est une expérience dépitante. Consolez-vous en songeant que, même après des dizaines d’années d’expérience au gouvernement, les sous-ministres considèrent aussi leur apprentissage dans un nouveau ministère comme l’une des épreuves les plus pénibles. La plupart doivent attendre au moins 6 mois avant de se sentir à l’aise dans les affaires du ministère.

Il importe de tout apprendre sur les tâches et le travail courant de votre ministère. Rappelez-vous que vous êtes devenu juridiquement et politiquement responsable de tout ce qui s’y passe, dès que vous avez été assermenté. Les « scandales » et les « problèmes » en rapport avec le travail courant risquent d’occulter la qualité de vos initiatives. Le personnel du ministère compte sur vous pour apporter à son travail les orientations stratégiques essentielles.

Les politiques nouvelles prennent leur source, normalement, dans l’expérience acquise à partir des politiques anciennes. Si vous ne comprenez pas ce qui s’est passé et ce qui se passe dans votre ministère, il vous sera difficile d’élaborer votre propre programme.

Ce que j’ai pu observer au cours des années m’a enseigné 2 choses sur l’élaboration du programme. D’abord, vous devez établir un programme de 3 à 5 points environ et le faire dans les 2 ou 3 premiers mois. Autrement, quelqu’un d’autre vous imposera un programme, un programme dont, peut-être, vous ne voudrez pas ou que vous n’aimerez pas. Ensuite, même s’il y a plusieurs façons d’établir un programme, vous devez faire en sorte au final que plusieurs joueurs clés prennent connaissance de votre programme, de manière qu’ils puissent collaborer avec vous et vous appuyer pour le réaliser. Ces joueurs comprennent le premier ministre, le Cabinet, votre chef de cabinet et votre sous-ministre.

Il existe plusieurs façons d’établir un programme. Certains ministres arrivent au ministère avec un programme qu’ils ont déjà conçu comme critiques de l’opposition ou à partir de leur expérience antérieure dans ce secteur particulier. D’autres, en arrivant au ministère, étudient attentivement les dossiers et les options, jusqu’à ce qu’ils découvrent ce qu’ils entendent promouvoir. Certains veulent opérer des changements, mais se rendent à l’évidence que le ministère n’est pas en mesure de répondre rapidement à une orientation nouvelle dans tel ou tel secteur particulier. Souvent, ils font alors appel à des conseillers de l’extérieur ou à leur chef de cabinet pour les aider à formuler un nouveau plan d’action.

J’ai connu des ministres qui ont réussi dans chacune de ces voies. En réalité, ceux qui réussissent le mieux sont ceux qui sont capables de modifier leur point de vue en fonction des exigences du portefeuille.

Une constante dans la mise en place d’un programme, c’est qu’un ministre ne saurait réussir s’il ne fait pas preuve de discernement politique et s’il ne révise pas avec soin les avis des conseillers du ministère ou du gouvernement, aussi bien que ses propres opinions antérieures, à la lumière des réalités politiques et des besoins du moment. Les problèmes les plus aigus, dans l’établissement du programme, proviennent du fait que les principales personnes concernées, soit le ministre, le chef de cabinet et le sous-ministre, ne collaborent pas étroitement pour analyser les aspects politiques, administratifs, parlementaires et publics d’un point particulier.

Les ministres les plus efficaces élaborent leur programme après avoir prêté une attention minutieuse à un ensemble de considérations politiques, personnelles et bureaucratiques. Si vous observez le rendement des ministres qui ont mené à bien leurs programmes au cours des 15 dernières années, vous conclurez que le même scénario se répète. Ont réussi les ministres qui ont élaboré des programmes à la fois solides et souples, ont entretenu de bonnes relations de travail avec leurs sous-ministres et, enfin, ont travaillé d’arrache-pied pour obtenir l’appui du ministère, des autres ministres du Cabinet, du caucus et des clients.

Venant du secteur privé, vous serez surpris de la somme d’énergie et d’effort que vous devrez dépenser pour changer une politique ou un programme. C’est pourquoi je vous conseille, comme nouveau ministre, de circonscrire votre programme et de le faire converger sur les questions vraiment capitales au plan politique et administratif. Enfin j’espère que vous suivrez ma recommandation de déléguer à d’autres les fonctions qui ne sont pas importantes pour votre programme, tout en rendant ces délégataires comptables envers vous de leur rendement.

La gestion du ministère

Évitez de régenter votre ministère. Sinon, vous vous transformerez en bureaucrate. Cependant, il vous appartient d’édicter, en ce qui a trait à l’administration, les programmes et les normes générales que le sous-ministre devra suivre pour diriger le ministère. Si vous réussissez à établir une solide relation de travail avec votre sous-ministre, vous pouvez lui déléguer une grande part de responsabilité avec la certitude que vos projets sont entre bonnes mains.

Les tiraillements entre ministre et sous-ministre naissent, le plus souvent, de ce que le ministre n’a pas de programme défini, connaît mal les affaires du ministère et nourrit de la méfiance à l’égard de la fonction publique, mais intervient méticuleusement dans des questions accessoires et aléatoires telles que les contrats, la dotation et les dépenses de programme. Un tel comportement entraîne souvent des problèmes de communications et finit par engendrer des problèmes graves dans la gestion du ministère.

Voici une vieille citation des années Nixon qui décrit bien la situation : « Quand les technicalités tiennent le haut du pavé, les politiques sont en reste ». Plus un ministre s’engage dans les décisions d’administration courante, plus on lui demandera d’intervenir. Et lorsque des décisions politiques teintent régulièrement les décisions administratives, il devient impossible, pour le sous ministre et les hauts fonctionnaires, de se prononcer sans faire appel au ministre. Dans un ministère de grande ou moyenne envergure, cela conduit rapidement à une chose : une surcharge de travail pour le ministre. Celui-ci devient au final si débordé de travail qu’il ne dispose plus du temps nécessaire pour établir le programme, définir les politiques essentielles et déterminer les orientations administratives pour le ministère. Cela crée un vide dans la direction stratégique du ministère, qui sera comblé éventuellement par les fonctionnaires, contraints en quelque sorte de se prescrire à eux-mêmes des orientations. Les ministères ont horreur du vide. Si le ministre n’assume pas la direction, ses subordonnés s’en chargeront, par défaut.

Ne craignez pas de déléguer des responsabilités. Contrairement à la croyance, la dernière fois où un ministre a été contraint à la démission en raison des erreurs administratives commises par les fonctionnaires de son ministère remonte à plus d’un siècle. Font exceptions les cas où le ministre s’est immiscé personnellement dans la décision administrative ou a manqué de jugement dans les directives données à ses subalternes. Le ministre doit aviser les fonctionnaires du ministère de porter à son attention toute question délicate. Il spécifiera clairement les types de démarches administratives qu’il tient à approuver personnellement. Enfin, on s’attend à ce que le ministre intervienne sans retard pour corriger toute erreur commise par les employés.

Malgré tout, les ministres ne doivent pas prendre à la légère leurs responsabilités à l’endroit de la bonne marche administrative du ministère. Dans le secteur public, il est vrai, une bonne administration n’est pas une fin en soi. Comme la Commission Glassco l’a souligné il y a quelques années, une bonne administration ne signifie pas nécessairement une bonne politique. Il n’en convient pas moins d’apporter à l’administration une sensibilité appropriée aux besoins des clients et aux politiques du gouvernement.

Comme vous le savez, les ministres qui ont enfreint les règles sur l’octroi des contrats ou qui ont accordé des subventions contraires aux normes établies ont eu à subir un feu nourri de questions, parfois brutales, à la Chambre des Communes. Je sais que l’un de vos motifs pour entrer en politique a été de « faire le nettoyage » au sein du gouvernement. Aussi, je me sens parfaitement à l’aise en vous signalant que vous pourrez éprouver la tentation de favoriser les gens qui ont appuyé votre parti, ou d’aider telle personne dans le besoin qu’il vous a été donné de connaître par hasard. Toutefois, le public ne tolère pas, de la part des ministres, ce type de comportement qu’il associe vaguement à du « patronage ». J’ai vu des ministres rejeter les mises en garde de leurs fonctionnaires dans des cas semblables, puis payer leur geste par la perte de leur poste quelques mois plus tard, quand la chose a été rendue publique. Prenez chaque décision en gardant en tête que vous en lirez le compte rendu complet dans le journal du matin!

En raison de leurs longs états de service au gouvernement, les sous-ministres connaissent les rouages du système bureaucratique complexe des organismes centraux, les règlements concernant la dotation en personnel et l’établissement du budget et les processus de présentation des documents au Cabinet. Ils ont aussi longuement aidé les ministres à élaborer des politiques et à les modifier. Mais, chose étonnante, ils ignorent souvent les rouages de leur propre ministère, en raison de leur passage fréquent d’un ministère à l’autre. Heureusement, ils savent où trouver dans le ministère l’expertise requise.

Il arrive, à l’occasion, que les sous-ministres ou les fonctionnaires du ministère recommandent des orientations qui reflètent leurs préoccupations bureaucratiques, mais qui ne répondent pas à vos priorités politiques ou qui risquent de vous susciter des problèmes avec le caucus ou avec vos électeurs. C’est là que vous devez exercer votre jugement politique. Votre chef de cabinet peut alors vous être d’un grand secours, en départageant ce qui est une priorité du ministère et ce qui est votre priorité comme ministre. Votre sous-ministre doit comprendre que gouverner ne rime pas seulement avec efficacité.

Pour résumer, j’aimerais vous présenter cinq recommandations capitales qui peuvent contribuer à votre réussite comme ministre dans le gouvernement fédéral :

  • Élaborez un programme de 3 à 5 points, un programme avec lequel vous vous sentirez à l’aise, un programme qui rejoint les exigences du ministère, du gouvernement et de vos clients. Consacrez votre temps à réaliser ce programme, en déterminant bien votre rôle comme ministre.
  • Établissez une relation solide et ouverte avec votre sous-ministre et votre chef de cabinet, de manière à bâtir une équipe de travail efficace, dont les membres se respectent mutuellement, une équipe capable de concilier les intérêts de l’administration et de la gestion avec les préoccupations du parti et vos besoins et exigences comme ministre.
  • Évitez l’erreur de vouloir régenter le ministère ou de recruter un personnel politique qui devine les intentions et se méfie de la bureaucratie. À long terme, tout cela ne peut que vous occasionner des ennuis.
  • Inspirez-vous des dossiers de quelques anciens ministres et renseignez-vous sur le ministère et sur ce qui le fait marcher. Ensuite, essayer de trouver les leviers à actionner pour obtenir l’aide requise à la réalisation de votre programme. Certains ministres ont accompli des efforts considérables pour rencontrer le personnel régional et les fonctionnaires du ministère, précisément à cette fin. De telles initiatives sont de nature à engendrer, au sein du personnel, un enthousiasme et un dévouement qui ne peuvent qu’aider le ministre à faire avancer les choses.
  • Établissez clairement le cadre d’action à l’intérieur duquel vous désirez voir le sous ministre gérer le ministère en votre nom. Et tenez-le responsable de ses décisions.

Je vous souhaite de réussir dans votre carrière de ministre et j’espère vous rencontrer lors de votre prochaine visite à l’université. Je serais très intéressé d’entendre parler de vos expériences. Si je peux encore vous être utile, n’hésitez pas à me téléphoner.

P. S. J’espère ne pas vous avoir blessé par ma franchise. Vous devriez voir les lettres que j’envoie aux sous-ministres nouvellement nommés!

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