Puissance aérienne de « grande guerre » pour opérations de « petite guerre » (La Revue de l'ARC - ÉTÉ 2015 - Volume 4, Numéro 3)

Par le Commandant d’escadre David Glasson, Royal Australian Air Force

Réimpression tirée de La Revue de l’Aviation royale canadienne, vol. 3, no 1, hiver 2014

Note du rédacteur : Les opinions exprimées dans le présent texte n’engagent que l’auteur et ne représentent pas nécessairement la politique ou la position officielle du ministère de la Défense, de la Royal Australian Air Force, du gouvernement de l’Australie ou de toute autre autorité à laquelle il est fait référence dans le texte. Le Commonwealth d’Australie ne sera pas tenu responsable de façon contractuelle, délictuelle ou de toute autre façon pour toute déclaration faite dans le présent document.

La mission première de toute force aérienne est la défense du pays contre des agressions étrangères. Or, dans le contexte mondial actuel, cette éventualité de grands conflits entre États semble peu probable. Au contraire, ces 60 dernières années, les forces aériennes ont surtout combattu dans le cadre de petites guerres moins conventionnelles. Afin de trouver le bon équilibre quant à la structure d’une force aérienne, il est essentiel de connaître les scénarios les plus probables de l’emploi d’une puissance aérienne. Souvent, ces opérations moins conventionnelles sont passées d’une phase initiale de grande guerre classique, comme une participation à la chute d’un régime, à une phase plus longue de guerre non conventionnelle, notamment des opérations de contre-insurrection. Cette réalité dictera non seulement les types d’aéronefs et plates-formes d’armes employés, mais aussi leur utilisation.

Compte tenu de leur nature, les guerres irrégulières se déroulent dans des situations et opposent des adversaires qui ne sont jamais pareils d’une fois à l’autre. Il y a bien sûr des expériences et leçons communes, mais il est primordial que les forces aériennes ne soient pas structurées de manière à livrer la dernière guerre. C’est pourquoi nous estimons qu’une puissance aérienne conventionnelle doit continuer de servir d’assise aux forces aériennes et que ces dernières doivent être en mesure de s’adapter aux impératifs des guerres irrégulières.

Au temps de la guerre froide, le Canada préparait sa puissance aérienne à combattre la menace d’une grande guerre posée par le bloc soviétique. Depuis, la taille des Forces canadiennes a été réduite de façon importante, et un accent accru a été mis sur les actions interarmées.[1] Toutefois, malgré les nombreuses opérations qui ont été menées au cours de cette période et qui visaient à soutenir des conflits de petite envergure, la doctrine de la puissance aérienne continue d’être axée sur la mission première qui consiste à protéger les citoyens et les intérêts nationaux.[2] Or, c’est la doctrine qui dicte la méthode de commandement et contrôle, la structure de la force et le concept d’opérations. La doctrine aérospatiale dicte également les types de plates-formes d’armes et, surtout, d’aéronefs à acheter, ainsi que leur mode d’emploi.

L’Aviation royale canadienne (ARC) définit trois fonctions essentielles de la puissance aérienne : le Commandement, l’Action et la Détection. Ces fonctions essentielles sont illustrées entourées des fonctions habilitantes à la figure 1[3]. La fonction du Commandement comprend le commandement et contrôle, y compris les systèmes, procédures et structures permettant au commandant d’exercer son autorité.[4] Les pratiques de commandement traditionnelles sont basées sur la structure hiérarchique du concept européen d’état-major.[5] La fonction de la Détection inclut la collecte et le traitement de données qui, traditionnellement, visent le niveau stratégique de la « connaissance de la situation des approches terrestres, aériennes et maritimes ».[6] La fonction de l’Action inclut les opérations exigeant des manœuvres, une puissance de feu et la collecte d’information et se divise en deux sous-fonctions, soit l’Acquisition de l’avantage et la Projection.[7] La sous-fonction de l’Acquisition de l’avantage, soit la maîtrise de l’espace aérien, est la pierre angulaire de la guerre conventionnelle. Elle comprend le soutien des forces terrestres et maritimes grâce à l’appui aérien rapproché et aux capacités d’interdiction et de frappe. La Projection a trait à la mobilité aérienne et à la récupération du personnel. Ces deux domaines ont été forgés et structurés pour des scénarios de guerre conventionnelle.

Figure 1. Fonctions de l’Aviation royale canadienne

Le Canada est tenu de maintenir certaines fonctions essentielles de puissance aérienne conventionnelle afin de s’acquitter de ses obligations de contribuer au Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord et à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et de remplir son rôle unique de protection de l’Arctique.[8] Il est essentiel que le Canada maintienne sa force conventionnelle, qui lui a valu des succès par le passé et continuera d’être essentielle à l’avenir.[9]

Le Centre de compétences en matière de puissance aérienne interarmées de l’OTAN prévoit qu’il y aura trois types de conflit armé à l’avenir : les grandes guerres, les guerres de longue durée et les guerres circonscrites. Les grandes guerres s’entendent de confrontations conventionnelles entre États. Les guerres de longue durée sont celles « visant à lutter contre les activités irrégulières », et les guerres circonscrites se résument entre autres choses aux « opérations d’interdiction, de blocus et d’interdiction de vol[10]. » [Traduction] Les opérations de petite guerre sont une combinaison des deuxième et troisième types de conflit armé – lutte contre les activités irrégulières et opération limitée d’une guerre circonscrite.

Les guerres irrégulières ne sont pas nouvelles; elles sont documentées dans l’histoire ancienne sous forme de rébellions et sont courantes dans les conflits modernes. Tout au long de l’histoire, les méthodes de combat employées ont été diverses, notamment la guérilla, l’insurrection et le terrorisme.[11] Il est difficile d’adapter une puissance aérienne pour répondre à ces divers scénarios, puisqu’il n’y a pas d’approche unique convenant en toutes circonstances.[12] D’où la conclusion que les forces aériennes doivent déterminer le fondement de leur doctrine en matière de puissance aérienne puis maintenir une capacité d’adaptation pour relever les défis des situations propres aux guerres irrégulières. Selon Steven Metz, les opérations de contre-insurrection doivent être menées moins à titre de pays belligérant et plus en qualité de « médiateur et artisan de la paix neutre ». Il fait aussi valoir que la meilleure option est toujours de réduire « la souffrance humaine associée à la violence[13]. » [Traduction] La puissance aérienne peut jouer un rôle important à cet égard et devrait faire partie d’une approche tous azimuts à la guerre irrégulière.[14] Cela laisse entendre qu’il est impossible de concevoir une force aérienne fondée sur une possibilité précise de petite guerre. Les forces aériennes doivent donc cerner le meilleur moyen d’adapter leur puissance aérienne aux petites guerres et conserver la souplesse nécessaire pour réagir aux exigences opérationnelles changeantes.

Une guerre circonscrite constitue un moyen efficace de venir en aide à une population locale, soit contre des insurgés ou des gouvernements au pouvoir. La récente aide de l’OTAN aux rebelles en Libye est un exemple type de l’utilisation de la puissance aérienne dans le cadre d’une guerre circonscrite. L’établissement d’une zone d’interdiction de vol a empêché le gouvernement libyen d’employer sa puissance aérienne contre son propre peuple, ce qui, essentiellement, a mis les rebelles sur un pied d’égalité.[15] Des forces spéciales de transport par voie aérienne ont permis d’évacuer le personnel occidental afin de le mettre à l’abri du danger. Ces opérations envoyaient un message clair d’appui aux insurgés et un message de dissuasion au régime établi. Par contre, le blocus et la zone d’interdiction de vol en Iraq contre l’administration de Saddam Hussein n’ont pas été aussi efficaces en vue de faire respecter le mandat des Nations Unies en Iraq. Toutefois, ces deux exemples illustrent bien l’utilité d’une puissance aérienne conventionnelle, ainsi que son armement, dans le cadre des petites opérations de guerre.[16]

La puissance aérienne confère souvent un avantage asymétrique essentiel sur les forces irrégulières en assurant vitesse, souplesse et portée.[17] Les forces conventionnelles ont de la difficulté à s’adapter aux tactiques anti-insurrectionnelles et doivent modifier leurs actions en fonction de la menace et de l’environnement en jeu. Par exemple, le succès conventionnel de la campagne de « choc et stupeur » en Iraq a été suivi d’années d’opérations de contre-insurrection et de reconstruction. La campagne en Afghanistan nous a montré qu’on pouvait atteindre de meilleurs résultats grâce à des « unités terrestres mobiles plus légères, soutenues par une puissance aérienne de précision[18]. » [Traduction] Sous le « modèle afghan », un petit nombre de forces spéciales agissent de façon intégrée avec une puissance aérienne et des troupes locales.[19] Cette façon de faire permet le recours plus fréquent à des opérations facilitées par réseau dans le cadre desquelles de petites unités sont capables de réagir rapidement, fortes d’une bonne connaissance de l’environnement local. Pour soutenir ces opérations, la puissance aérienne peut exécuter ces fonctions grâce « à un contrôle centralisé et à une exécution décentralisée »,[20] ce qui permet d’optimiser l’allocation des ressources aériennes limitées et onéreuses. La puissance aérienne peut offrir diverses capacités de lutte contre les forces insurgées : frappes aériennes, opérations d’information et mobilité aérienne.

La pensée traditionnelle veut que la puissance aérienne offre la possibilité de « frapper le centre de gravité de l’adversaire » à l’aide d’une activité cinétique de précision.[21] Or, en général, les forces irrégulières sont très dispersées et ne présentent pas les mêmes cibles à cet égard que les forces conventionnelles. Cela dit, la capacité de frappe de précision offre tout de même de nombreuses possibilités dans le cadre des petites guerres, par exemple la destruction de centres d’opérations, l’interdiction de l’accès aux refuges et la dispersion continue des forces insurgées. En plus de ce rôle stratégique de frappe de précision, l’appui aérien rapproché permet de jouer un rôle tactique essentiel, notamment un éventail d’options pour réagir rapidement aux besoins des forces terrestres au moyen d’engagements de précision pour la destruction physique des forces insurgées. Les avions de frappe et de chasse conventionnels peuvent demeurer au-dessus d’un champ de bataille, prêts à frapper des cibles désignées de façon précise grâce à des méthodes comme le marquage laser.[22]

L’un des arguments employés contre l’utilisation des aéronefs de combat rapides conventionnels fait valoir qu’ils sont habituellement déployés à partir de bases de soutien sécuritaires de l’échelon arrière situées à quelque distance des premières lignes, ce qui exige que l’on déploie les avions en avance des opérations terrestres prévues ou que leur temps de réaction aux demandes de soutien des forces terrestres soit plus long.[23] Une solution de rechange aux aéronefs conventionnels serait un aéronef petit, conçu spécialement pour les opérations de contre-insurrection. Les appareils petits, spécialisés et pilotés (comme les Skyraider employés au Vietnam) représentent une option spécialisée, mais ils sont vulnérables aux armes légères et aux systèmes portatifs de défense aérienne. Les véhicules aériens sans pilote (UAV) sont bien adaptés à ce rôle puisqu’ils peuvent être déployés à l’avant, réagir rapidement aux besoins des forces terrestres et employer des munitions très précises, bien que de calibre inférieur à celles transportées par les appareils pilotés.[24] Les UAV ont fait leurs preuves comme puissance complémentaire au cours de grandes guerres, comme l’opération DESERT STORM, mais aussi dans le cadre de petites guerres comme au Kosovo. Les aéronefs conventionnels, quant à eux, sont toujours utiles pour leur grande force de frappe nécessaire pour soutenir des opérations prévues.

La capacité de frappe aérienne peut présenter plusieurs problèmes dans une petite guerre. Le premier objectif des forces armées américaines et de coalition dans le cadre des opérations actuelles au Moyen-Orient était la protection de la population locale.[25] Or, les frappes aériennes « peuvent aggraver une situation d’insurrection »[26] [traduction] par leurs dégâts collatéraux ou tout simplement en terrorisant la population civile. Il est donc essentiel de prendre des décisions de ciblage sages et réfléchies, à l’aide d’information aussi précise et récente que possible.

L’exactitude de l’information et sa disponibilité en temps utile sont cruciales pour lutter efficacement contre des forces insurgées. La fonction de la Détection de l’ARC comprend plusieurs opérations d’information comme le renseignement, la surveillance, l’acquisition d’objectifs et la reconnaissance (ISTAR) ainsi qu’une capacité de commandement et contrôle aérienne. Les ressources aéroportées peuvent recueillir et diffuser toutes sortes d’information, y compris des transmissions, des communications et des images de cibles fixes et mobiles.[27] Cette information peut être diffusée rapidement aux commandants ou directement aux forces terrestres, ce qui rend possibles les opérations facilitées par réseau. Afin d’éviter les doubles emplois et d’assurer la hiérarchisation des besoins dans un contexte de ressources limitées, il est plus efficace de contrôler ces éléments de la puissance aérienne à partir d’un commandement centralisé.[28]

Les forces irrégulières sont souvent dispersées sur un vaste territoire et intégrées à la population civile locale. Or, la puissance aérienne s’est révélée essentielle en vue de repérer, d’identifier et de surveiller des insurgés et leurs chefs,[29] puisqu’elle autorise la surveillance de périmètres, de routes et de lieux suspects jour et nuit. La technologie aéroportée actuelle permet de retracer l’origine d’un engin explosif improvisé jusqu’à son lieu de fabrication et de repérer le lieu de lancement de roquettes et d’obus.[30]

En Afghanistan, ces fonctions ont été assurées grâce aux plates-formes conventionnelles et spécialisées. Les plates-formes ISTAR conventionnelles (comme les E-3D Sentry, Sentinel R1, Nimrod R1 ou Tornado GR4 équipés de RAPTOR) ont été déployées contre des adversaires irréguliers en Iraq ainsi qu’en Afghanistan, et les résultats ont été positifs.[31] Ces plates-formes conventionnelles sont souvent adaptées pour répondre aux besoins particuliers des opérations de contre-insurrection. Par exemple, le CP140 Aurora de l’ARC et le P3-C Orion de la Royal Australian Air Force avaient été acquis à titre de plate-forme de surveillance maritime et anti-soumarine. En plus de leur rôle de lutte contre des forces maritimes irrégulières, ces plates-formes ont toutefois été modifiées pour qu’elles puissent mener des opérations terrestres ISTAR en Afghanistan en vue de fournir de l’imagerie et une foule d’autres techniques de surveillance.[32] D’autres aéronefs conventionnels conçus à des fins particulières (comme les chasseurs et bombardiers B-1 et B-52) et non habituellement considérés comme des plates-formes ISTAR ont également démontré « une grande capacité à recueillir du renseignement[33]. » [Traduction]

Les UAV se sont avérés particulièrement utiles à assumer un rôle ISTAR. Les Forces canadiennes ayant déterminé que des véhicules sans pilote devaient assumer ce rôle, elles se sont procuré le Heron à « une vitesse record »,[34] ce qui illustre l’importance qu’une force aérienne puisse s’adapter pour répondre aux besoins d’une technologie et d’un environnement stratégique en constante évolution.

La puissance aérienne assure l’importante capacité de mobilité aérienne dans les petites guerres. Le général Norton Schwartz affirme que la mobilité aérienne est « la plus importante contribution de la puissance aérienne à la contre-insurrection » [traduction] et qu’elle joue un rôle crucial dans les opérations de contre-insurrection.[35] En effet, la puissance aérienne permet de transporter un grand volume de troupes et de matériel sur de grandes distances en très peu de temps. La mobilité aérienne permet aux forces de manœuvrer comme le veut la sous-fonction de la Projection de la fonction de l’Action de l’ARC. Par ailleurs, elle appuie la fonction subsidiaire du Maintien en puissance.

La mobilité aérienne donne aux forces armées la portée nécessaire pour agir en territoire étranger. En effet, les forces anti-insurrectionnelles sont souvent déployées en région reculée, où c’est la mobilité aérienne qui permet l’infiltration, l’exfiltration et le soutien logistique en continu. Toutefois, en plus de cet appui physique, le transport par voie aérienne fournit un soutien moral important, ce qui a un effet extrêmement positif en réduisant le sentiment d’isolement des forces anti-insurrectionnelles et en les rassurant qu’elles « recevront des renforts et du matériel et seront évacuées au besoin[36]. » [Traduction]

L’un des nombreux avantages de la mobilité aérienne dans le cadre des opérations de contre-insurrection est qu’elle permet de surmonter les problèmes touchant les transports terrestres. Les lignes de communication intrathéâtre empruntent souvent des réseaux de transport locaux de piètre qualité en terrain difficile. Qui plus est, les convois de transport terrestre représentent des cibles aussi irrésistibles que vulnérables.[37] La mobilité aérienne offre le moyen de contourner ces problèmes en plus de fournir l’élément de manœuvre critique. En Afghanistan, les convois routiers sont particulièrement vulnérables aux attaques des talibans qui emploient des kamikazes, des mines et des engins explosifs improvisés, ce qui a amené le lieutenant-colonel Ian Hope, ancien commandant de la Force opérationnelle Orion, à dire : « Ceci a produit un risque qui serait réduit si nous pouvions nous déplacer en hélicoptère[38]. » [Traduction] À la suite des recommandations du rapport Manley, l’ARC a procédé à un achat initial de six CH147D Chinook des États-Unis et a entamé un long processus d’amélioration de sa flotte d’hélicoptères de transport lourd.[39]

En plus de soutenir les forces anti-insurrectionnelles, la mobilité aérienne peut exercer une influence sur la psychologie de la population civile en appuyant le nouveau gouvernement et en offrant une aide humanitaire et médicale. Ce rôle de reconstruction d’une nation est immédiatement visible et améliore la qualité de vie de la population en général.[40]

La mobilité aérienne est également une force habilitante conjointe, puisqu’elle permet aux petites unités terrestres d’étendre leur rayon d’action sur un terrain plus vaste[41], ce qui a eu un effet multiplicateur de la force dans diverses situations anti-insurrectionnelles. Par exemple, pour combattre les forces irrégulières en Algérie, l’armée française a misé sur la mobilité aérienne afin d’éviter les grandes concentrations de la force, choisissant plutôt de disperser de petites unités dont les niveaux de commandement sont inférieurs.[42] Cette stratégie de multiplier la force grâce à la mobilité aérienne a également été employée avec succès par la Grande-Bretagne au Kenya, en Malaisie et en Oman.[43]

En menant cet éventail d’opérations, la force aérienne peut compter sur ses capacités générales de transport par voie aérienne en n’apportant que de légers ajustements au mode d’emploi, à la doctrine et à l’instruction.[44] Du point de vue tactique, les guerres conventionnelles et non conventionnelles peuvent être essentiellement identiques, mais les planificateurs et opérateurs doivent modifier leurs tactiques en fonction du contexte particulier de la menace, par exemple en établissant un calendrier aléatoire des vols et en changeant les itinéraires et les profils des vols à mesure que le renseignement concernant les armes et les zones d’opérations des insurgés est mis à jour.

La mobilité aérienne anti-insurrectionnelle intrathéâtre exigerait toutefois un autre équilibre quant au type d’aéronef employé, contrairement à la situation dans le cas des guerres entre États. En effet, la proportion du transport par voie aérienne lourd serait moindre, et le nombre de petites missions de réaction rapide serait accru, ce qui exigerait donc un aéronef capable de satisfaire à ces objectifs.[45]

Tout en maintenant sa doctrine, sa structure, ses tactiques et ses aéronefs qui constituent une assise fondée sur les concepts d’une guerre conventionnelle, une force aérienne doit savoir s’adapter pour répondre aux besoins particuliers des petites guerres. Robert Owen fait instamment valoir que les forces aériennes doivent pouvoir s’adapter à tout type de guerre plutôt que de porter toute leur attention sur un type de guerre en particulier.[46] Cette affirmation découle du principe selon lequel les opérations aériennes de contre-insurrection, bien que présentant des exigences particulières, ne sont par très différentes des opérations aériennes conventionnelles. Selon le chef d’état-major de la force aérienne de la Grande-Bretagne, le maréchal en chef de l’Air sir Stephen Dalton, « le modèle afghan pourrait ne pas convenir aux scénarios futurs » [traduction], et la puissance aérienne doit conserver la souplesse nécessaire pour agir « contres des adversaires rompus aux rouages militaires et technologiques » dans des opérations futures.[47]

Pour pouvoir s’adapter au contexte d’une petite guerre, une force aérienne doit maintenir un centre d’expertise sur la guerre anti-insurrectionnelle et assurer la formation et le perfectionnement de son personnel relativement aux concepts des petites guerres.[48] De plus, il faut continuer de développer une doctrine commune sur l’utilisation de la puissance aérienne et intégrer des spécialistes de l’aviation aux processus de planification interarmées et de décision.[49] Enfin, les processus d’approvisionnement doivent être allégés pour s’assurer que les aéronefs spécialisés correspondant à la nature de la menace puissent être achetés en temps opportun. À cet égard, il suffira de copier le processus d’approvisionnement des C17 et des Heron.[50]

Bien que toutes les petites guerres présentent certaines caractéristiques communes, jamais deux ne présenteront le même environnement stratégique ou les mêmes scénarios tactiques. Ainsi, une force aérienne ne doit pas être structurée afin de se préparer à livrer la dernière guerre. La mission première de toute force de défense d’une nation est la protection du territoire national et des intérêts du pays, et le Canada a plusieurs obligations qui exigent le maintien d’une force aérienne conventionnelle. La puissance aérienne doit donc avoir une doctrine, une structure et des types d’aéronefs constituant son assise basée sur la conduite conventionnelle de la guerre. Toutefois, étant donné la nature même des guerres et la situation mondiale en constante évolution, cette assise doit permettre la possibilité de réagir aux nouveaux défis et de s’adapter en conséquence.

La puissance aérienne offre un avantage asymétrique essentiel dans les opérations de contre-insurrection, notamment en ce qui concerne les frappes aériennes, les opérations d’information et la mobilité aérienne. Les capacités de frappe aérienne conventionnelles ont pu être adaptées aux besoins de la guerre anti-insurrectionnelle grâce à une compréhension du besoin de disposer d’information exacte et de cibles précises. Le Canada s’est vite adapté en misant sur les véhicules aériens sans pilote pour assumer ce rôle. Les aéronefs conventionnels se sont également avérés utiles dans les opérations d’information moyennant quelques modifications à la technologie et aux tactiques d’opérations. La mobilité aérienne s’est avérée être cruciale dans les petites guerres, même si les opérations sont essentiellement les mêmes que le conflit soit conventionnel ou non. Une fois de plus, l’adaptation à l’environnement opérationnel est la clé du succès d’une puissance aérienne. Il importe donc que les forces aériennes maintiennent une assise basée sur une puissance aérienne conventionnelle, tout en étant en mesure de s’adapter pour répondre aux défis des guerres irrégulières.


Le commandant d’escadre David Glasson est un pilote de transport chevronné de la Royal Australian Air Force, ainsi qu’un pilote-instructeur qualifié. Il vient de terminer le Programme de commandement et d’état-major interarmées du Collège des Forces canadiennes et sert actuellement dans la réserve active, dans le domaine du développement des capacités, au sein du groupe de transport par voie aérienne du quartier général.

ARC―Aviation royale canadienne
ISTAR―renseignement, surveillance, acquisition d’objectifs et reconnaissance
JAPCC―Centre de compétences en matière de puissance aérienne interarmées
MDN―ministère de la Défense nationale
OTAN―Organisation du Traité de l’Atlantique Nord
UAV―véhicule aérien sans pilote

[1]. Canada, ministère de la Défense nationale (MDN), B-GA-400-000/FP-000, Doctrine aérospatiale des Forces canadiennes, 2e éd., Trenton, ON, Centre de guerre aérospatiale des Forces canadiennes, 2010, p. 19, http://airforceapp.forces.gc.ca/CFAWC/CDD/Doctrine_f.asp) (consulté le 8 juillet 2013). (retourner)

[2]. Australie, Royal Australian Air Force, Australian Air Publication (AAP) 1000D, The Air Power Manual, Canberra, ACT, Air Power Development Centre, 2007, p. 53. (retourner)

[3]. Canada, MDN, B-GA-400-000/FP-000, p. 37. (retourner)

[4]. Canada, MDN, B-GA-400-000/FP-000, p. 39-40. (retourner)

[5]. Allan English, Command and Control of Canadian Aerospace Forces: Conceptual Foundations, Trenton, ON, Centre de guerre aérospatiale des Forces canadiennes, 2008, p. 24, http://airforceapp.forces.gc.ca/CFAWC/eLibrary/pubs/C2_Conceptual_Foundations.pdf) (consulté en anglais le 8 juillet 2013). (retourner)

[6]. Canada, MDN, B-GA-400-000/FP-000, p. 40. (retourner)

[7]. Canada, MDN, B-GA-400-000/FP-000, p. 40. (retourner)

[8]. Organisation du Traité de l’Atlantique-Nord (OTAN), Centre multinational interarmées de compétences en matière de puissance aérienne (JAPCC), « Air Power in Countering Irregular Warfare », Kalkar, Allemagne, Centre multinational interarmées de compétences en matière de puissance aérienne, juin 2008, p. 18, http://www.japcc.de/fileadmin/user_upload/projects/expeditionary_security/080609_Air_Power_in_Countering_Irregular_Warfare.pdf (consulté en anglais le 8 juillet 2013). (retourner)

[9]. Allen Peck, « Air Power’s Crucial Role in Irregular Warfare », Air and Space Power Journal, été 2007, p. 11, http://www.isn.ethz.ch/isn/Digital-Library/Publications/Detail/?ots591=cab359a3-9328-19cc-a1d2-8023e646b22c&lng=en&id=120059 (consulté en anglais le 8 juillet 2013). (retourner)

[10]. Organisation du Traité de l’Atlantique-Nord (OTAN), Centre multinational interarmées de compétences en matière de puissance aérienne (JAPCC), « Air Power in Countering Irregular Warfare », Kalkar, Allemagne, Centre multinational interarmées de compétences en matière de puissance aérienne, juin 2008, p. 4. (retourner)

[11]. Colin S. Gray, « Irregular Warfare: One Nature, Many Characters », Strategic Studies Quarterly, vol. 1, no 2, hiver 2007, p. 37. (retourner)

[12]. Allan English, Command and Control of Canadian Aerospace Forces: Conceptual Foundations, Trenton, ON, Centre de guerre aérospatiale des Forces canadiennes, 2008, p. 18, http://airforceapp.forces.gc.ca/CFAWC/eLibrary/pubs/C2_Conceptual_Foundations.pdf) (consulté en anglais le 8 juillet 2013). (retourner)

[13]. Steven Metz, « New Challenges and Old Concepts: Understanding 21st Century Insurgency », Parameters, vol. 37, no 4, été 2007-2008, p. 31. (retourner)

[14]. Organisation du Traité de l’Atlantique-Nord (OTAN), Centre multinational interarmées de compétences en matière de puissance aérienne (JAPCC), « Air Power in Countering Irregular Warfare », Kalkar, Allemagne, Centre multinational interarmées de compétences en matière de puissance aérienne, juin 2008, p. 1. (retourner)

[15]. Christian Anrig, « Allied Air Power over Libya », Air and Space Power Journal, hiver 2011, p. 104. (retourner)

[16]. Mark Tobin, « Operation IRAQI FREEDOM Air Campaign: A Tactical Military Success, or a Strategic Information Failure? », Air Power Review, vol. 14, no 3, automne/hiver 2011, p. 109. (retourner)

[17]. Norton Swartz, « Airpower in Counterinsurrection and Stability Operations », PRISM, vol. 2, no 2, mars 2011, p. 128. (retourner)

[18]. Mark Tobin, « Operation IRAQI FREEDOM Air Campaign: A Tactical Military Success, or a Strategic Information Failure? », Air Power Review, vol. 14, no 3, automne/hiver 2011, p. 102. (retourner)

[19]. Richard Andres, « The Afghan Model in Northern Iraq », Journal of Strategic Studies, vol. 29, no 3, juin 2006, p. 395-422. (retourner)

[20]. Allen Peck, « Air Power’s Crucial Role in Irregular Warfare », Air and Space Power Journal, été 2007, p. 12, http://www.isn.ethz.ch/isn/Digital-Library/Publications/Detail/?ots591=cab359a3-9328-19cc-a1d2-8023e646b22c&lng=en&id=120059 (consulté en anglais le 8 juillet 2013). (retourner)

[21]. Allen Peck, « Air Power’s Crucial Role in Irregular Warfare », Air and Space Power Journal, été 2007, p. 11, http://www.isn.ethz.ch/isn/Digital-Library/Publications/Detail/?ots591=cab359a3-9328-19cc-a1d2-8023e646b22c&lng=en&id=120059 (consulté en anglais le 8 juillet 2013). (retourner)

[22]. Norton Swartz, « Airpower in Counterinsurrection and Stability Operations », PRISM, vol. 2, no 2, mars 2011, p. 131. (retourner)

[23]. Major Arthur Davis, « Back to the Basics: An Aviation Solution to Counterinsurgent Warfare », rapport de recherche, Air Command and Staff College, United States Air Force, Air University, décembre 2005, p. 7. (retourner)

[24]. Organisation du Traité de l’Atlantique-Nord (OTAN), Centre multinational interarmées de compétences en matière de puissance aérienne (JAPCC), « Air Power in Countering Irregular Warfare », Kalkar, Allemagne, Centre multinational interarmées de compétences en matière de puissance aérienne, juin 2008, p. 19. (retourner)

[25]. Norton Swartz, « Airpower in Counterinsurrection and Stability Operations », PRISM, vol. 2, no 2, mars 2011, p. 130. (retourner)

[26]. B. Raman, « Counter-Insurgency: Use of Air Power Vs Use of Air Force », South Asia Analyst Group Paper No. 3756, avril 2010, p. 1, http://www.southasiaanalysis.org/papers38/paper3756.html (consulté le 5 avril 2012, site supprimé). (retourner)

[27]. Allen Peck, « Air Power’s Crucial Role in Irregular Warfare », Air and Space Power Journal, été 2007, p. 13, http://www.isn.ethz.ch/isn/Digital-Library/Publications/Detail/?ots591=cab359a3-9328-19cc-a1d2-8023e646b22c&lng=en&id=120059 (consulté en anglais le 8 juillet 2013). (retourner)

[28]. Allen Peck, « Air Power’s Crucial Role in Irregular Warfare », Air and Space Power Journal, été 2007, p. 13, http://www.isn.ethz.ch/isn/Digital-Library/Publications/Detail/?ots591=cab359a3-9328-19cc-a1d2-8023e646b22c&lng=en&id=120059 (consulté en anglais le 8 juillet 2013). (retourner)

[29]. Norton Swartz, « Airpower in Counterinsurrection and Stability Operations », PRISM, vol. 2, no 2, mars 2011, p. 131. (retourner)

[30]. Allen Peck, « Air Power’s Crucial Role in Irregular Warfare », Air and Space Power Journal, été 2007, p.13, http://www.isn.ethz.ch/isn/Digital-Library/Publications/Detail/?ots591=cab359a3-9328-19cc-a1d2-8023e646b22c&lng=en&id=120059 (consulté en anglais le 8 juillet 2013). (retourner)

[31]. Stuart Evans, « Combat-ISTAR: A New Philosophy on the Battle for Information in the Future Operating Environment », Air Power Review, vol. 14, no 3, automne/hiver 2011, p. 4. (retourner)

[32]. Roy Braybrook, « Looking Down from a Great Height », Armada International, http://readperiodicals.com/201112/2536740831.html (consulté en anglais le 8 juillet 2013). (retourner)

[33]. Norton Swartz, « Airpower in Counterinsurrection and Stability Operations », PRISM, vol. 2, no 2, mars 2011, p. 134. (retourner)

[34]. Capitaine Kyle Welsh, « La Force opérationnelle Erebus : un appui essentiel à la mission du Canada en Afghanistan », Revue de la Force aérienne du Canada, vol. 3, no 2, printemps 2010, p. 19, http://epe.lac-bac.gc.ca/100/201/301/revue_force_aerienne/2010/v3no2.pdf) (consulté le 8 juillet 2013). (retourner)

[35]. Norton Swartz, « Airpower in Counterinsurrection and Stability Operations », PRISM, vol. 2, no 2, mars 2011, p. 128. (retourner)

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[37]. Norton Swartz, « Airpower in Counterinsurrection and Stability Operations », PRISM, vol. 2, no 2, mars 2011, p. 128. (retourner)

[38]. Defence Industry Daily, « On the Verge: Canada’s $4B+ Program for Medium-Heavy Transport Helicopters », Defence Industry Daily, http://www.defenseindustr4ydaily.com/on-the-verge-canadas-47b-program-for-mediumheavy-transport-helicopters-02390/ (consulté le 8 juillet 2013). (retourner)

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[40]. Allen Peck, « Air Power’s Crucial Role in Irregular Warfare », Air and Space Power Journal, été 2007, p. 14, http://www.isn.ethz.ch/isn/Digital-Library/Publications/Detail/?ots591=cab359a3-9328-19cc-a1d2-8023e646b22c&lng=en&id=120059 (consulté en anglais le 8 juillet 2013). (retourner)

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[49]. Alan Vick and others, « Air Power in the New Counterinsurrection Era: The Strategic Importance of USAF Advisory and Assistance Missions », Santa Monica, RAND, 2006, p. 137. (retourner)

[50]. Capitaine Kyle Welsh, « La Force opérationnelle Erebus : un appui essentiel à la mission du Canada en Afghanistan », Revue de la Force aérienne du Canada, vol. 3, no 2, printemps 2010, p. 19-20, http://epe.lac-bac.gc.ca/100/201/301/revue_force_aerienne/2010/v3no2.pdf) (consulté le 8 juillet 2013). (retourner)

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