La maîtrise professionnelle de la culture de la puissance aérienne et l'Aviation royale canadienne : Repenser l'éducation et le perfectionnement professionnel en matière de culture de la puissance aérienne (La Revue de l'ARC - HIVER 2016)
Un article parrainé par le commandant de l’Aviation royale canadienne
Collaborateurs :
M. Brad Gladman, Ph. D.
M. Richard Goette, Ph. D.
M. Richard Mayne, Ph. D.
Colonel Shayne Elder
Colonel Kelvin Truss
Lieutenant-colonel Pux Barnes
Major Bill March
Note de la rédaction : Cet article a été rédigé avec des paragraphes numérotés comme un document militaire. Malgré que ce ne soit pas habituellement dans nos pratiques d'utiliser des paragraphes numérotés, nous avons choisi de procéder ainsi par souci de commodité à la suite de commentaires de notre lectorat.
En tant que commandant de l'Aviation royale canadienne, j'ai la chance de compter sur un effectif à haut niveau de capital intellectuel et je considère qu'il est de mon devoir de mobiliser ce potentiel afin de maximiser le rendement de la composante conceptuelle de la culture de la puissance aérienne. Conséquemment, je compte me dévouer à la recherche de nouvelles façons d'accroître notre corpus de connaissances professionnelles, d'encourager le perfectionnement personnel et de fournir des occasions d'apprentissage expérientielles. Il est également nécessaire d'évaluer constamment l'instruction et l'éducation à tous les grades, pour déterminer si elles sont conçues de façon à enseigner ce dont on a besoin dans le contexte actuel. Dans ce but, j'ai récemment parrainé un article du Centre de guerre aérospatiale des Forces canadiennes qui examine l'instruction en matière de culture de la puissance aérienne et le perfectionnement professionnel comme une série de modules pédagogiques qui sous-tendent le programme professionnel de maîtrise de la culture de la puissance aérienne. Un tel programme assurera une expertise de la culture de la puissance aérienne et une capacité à l'employer efficacement, au besoin. Cet article ne donne donc pas toutes les réponses, mais il constitue un excellent point de départ pour le travail à accomplir. Je vous en recommande la lecture, comme je vous encourage à participer au débat sur la maîtrise professionnelle de la culture de la puissance aérienne.
Lieutenant-général Michael J. Hood, CD
Commandant, Aviation royale canadienne
L'objectif de la composante conceptuelle, directement liée aux composantes morale et physique, est de fournir un bagage intellectuel pour les forces armées, qui justifie leur existence et leur utilisation, ainsi que de préserver et de faire avancer notre mémoire institutionnelle, notre expérience et nos connaissances. La composante conceptuelle est pertinente tant au niveau tactique qu'au niveau stratégique.
L'environnement opérationnel actuel est plus exigeant qu'il ne l'a jamais été. Au niveau stratégique, il est à prévoir que l'Aviation royale canadienne (ARC) devra faire face à la concurrence pour obtenir un investissement en capital, des fonds opérationnels et des ressources humaines dans le futur. Le personnel des forces armées responsable de prendre ces décisions devra être expert du domaine. Du point de vue des opérations, l'accent constant mis sur les actions interarmées et multinationales exigera des dirigeants de la Force aérienne une compréhension exhaustive de la culture de la puissance aérienne en général ainsi que des forces et limites de la puissance aérienne du Canada en particulier.
Par évolution naturelle plutôt que par objectif de création, l'ARC est une force qui génère et emploie la puissance aérienne au niveau tactique. C'est la raison pour laquelle l'ARC dirige invariablement et depuis longtemps des opérations tactiques de haut niveau. Cependant, cet accent porté sur l'exécution des missions a peut-être conduit à un désinvestissement dans l'acquisition du savoir, des aptitudes et des compétences nécessaires aux niveaux opérationnels et stratégiques.
Plus tôt dans l'histoire de l'ARC, on entretenait volontiers la composante conceptuelle. Après la Deuxième Guerre mondiale, l'ARC a conçu un programme de perfectionnement professionnel et d'éducation militaire qui misait sur les exigences fondamentales de la culture de la puissance aérienne. Ces programmes furent cependant de courte durée. Dans les années suivant l'unification des services militaires canadiens en 1968, on a vu des changements considérables s'opérer sur l'ensemble du contrôle qu'exerçait l'ARC sur le perfectionnement professionnel de son personnel. Dans le but d'adopter une approche plus interarmées, les Forces armées canadiennes (FAC) ont adopté un modèle d'éducation militaire général, aux dépens de l'expertise spécialisée de la culture de la puissance aérienne.
Pour compenser le déficit en matière d'éducation, il est nécessaire de promouvoir une meilleure compréhension de la culture de la puissance aérienne en contexte interarmées, multinational ou ministériel ainsi que d'approfondir les aptitudes requises afin de pouvoir compter sur cette compréhension.
Cette étude examine le contexte historique, la situation actuelle, ainsi que les pistes d'actions possibles pour faire des avancées importantes en fait de perfectionnement professionnel au sein de l'ARC, principalement en ce qui concerne l'éducation. Le principe de base sur lequel s'appuie cet article est le suivant : pour être en mesure d'obtenir du succès dans l'avenir, l'ARC doit tirer davantage parti du capital intellectuel de son personnel, investir dans ses fondements conceptuels et viser la maîtrise de son domaine.
1. Au cours de près d'un centenaire d'existence, les forces aériennes du Canada ont évolué pour devenir l'Aviation royale canadienne : une force moderne qualifiée et qui a fait ses preuves lors de combats. Après des décennies d'expérience acquise lors d'opérations variant de la sécurité nationale et des secours d'urgence, aux missions de maintien de la paix des Nations Unies, en passant par des opérations de combats d'intensité supérieure (golfe Persique, Balkans, Afghanistan, Libye et Irak), l'ARC a développé un mode d'opération efficace défini par son professionnalisme au niveau tactique, le succès des missions, des instructions d'opération éprouvées et un leadership efficace.
2. Le confinement au poste de pilotage, au sens métaphorique, a pu cependant circonscrire l'avancée intellectuelle et institutionnelle de l'ARC au niveau tactique, par mégarde. Le résultat final a été le suivant : la mise sur pied d'un corps des officiers apte à réfléchir et agir, à analyser et résoudre des problèmes et à communiquer de façon efficace lorsqu’il est confronté aux défis peu complexes et souvent linéaires qui se présentent au niveau de l'escadron. Au niveau opérationnel, grâce à une exposition ciblée et à la formation en cours d'emploi, nous avons un rendement acceptable. Toutefois, au niveau stratégique, où les problèmes sont plus ambigus et où les énigmes insolvables sont la norme, des aptitudes différentes sont requises et elles doivent être acquises avec le temps. Dans ce domaine, l'ARC semble obtenir un moins bon rendement. Particulièrement au niveau du ministère, la Force aérienne peine à expliquer les nouvelles doctrines ou les nouveaux concepts d'opération aérienne pour justifier les demandes en matière de personnel ou convaincre du besoin de ressources en s'appuyant sur des arguments logiques.
3. On peut avancer que les officiers d’état-major de toutes les armées doivent répondre aux mêmes exigences pour être efficaces et que, dans ce sens, la situation de l'ARC n'est pas unique. Les questions relatives à la culture de la puissance aérienne, cependant, doivent être traitées par l'expertise du domaine. Puisque les décisions relatives à ces questions doivent être fondées sur la connaissance, il incombe à la Force aérienne de garantir que son personnel offre la meilleure recommandation professionnelle possible. Par conséquent, l'ARC doit approfondir sa compréhension de son fonctionnement et de son mode d'opération, afin de justifier sa pertinence au sein des politiques gouvernementales fédérales et de la stratégie totale. Grâce au façonnement d'une culture qui valorise l'apprentissage, encourage l'acquisition de savoir et adopte l'esprit critique ainsi que le débat constructif, l'ARC sera plus efficace au niveau de la stratégie, de sa crédibilité institutionnelle et, de façon plus importante, sur le plan de la défense.
4. Ce changement de culture peut s'effectuer de plusieurs façons. Une solution regroupant l'instruction, l'éducation, l'incitation à l'apprentissage, l'accès à des sources d'information, et la création de forums de la culture de la puissance aérienne sera sans doute nécessaire. Le cadre de perfectionnement des professionnels de la FAC reconnaît le rôle de l'apprentissage par l'expérience, et ce pilier du perfectionnement ainsi que la gestion soigneuse des compétences ne doivent pas être négligés. L'objectif de cet article, toutefois, est l'éducation formelle et structurée de la culture de la puissance aérienne.
5. Avant de trouver des solutions, il faut retourner aux sources du problème actuel. Il est important de comprendre les origines du problème et de tenir compte du chemin parcouru par l'ARC comme institution pour avoir le contexte nécessaire qui aidera à déterminer la direction à prendre.
6. Il faut tout d'abord définir quelques termes et concepts-clés qui seront non seulement au cœur du débat, mais qui deviendront des composantes essentielles des opérations quotidiennes et du lexique de l'ARC. Les définitions suivantes ne sont pas encore définitives ; elles sont plutôt offertes à titre de point de départ, afin de cultiver un modèle de pensée commun quant aux objectifs de l'ARC.
- Puissance aérienne et culture de la puissance aérienne. On peut penser à la puissance aérienne comme le résultat obtenu par la force aérienne (essentiellement, les réalisations physiques de l'ARC : ses os, ses muscles et ses organes). La notion de culture de la puissance aérienne est plus générale et comprend les aspects physiques (composante physique), les éléments conceptuels et intellectuels (composante conceptuelle) et la boussole morale (composante morale) qui guide et alimente la puissance aérienne.
- Maîtrise professionnelle de la culture de la puissance aérienne. Le degré à atteindre de sophistication de culture de la puissance aérienne, qu’est la maîtrise professionnelle de la culture de la puissance aérienne, peut être appliqué aussi bien à une personne qu'à l'ensemble de l'institution. Par conséquent, il représente pour l’ARC, l’exigence institutionnel, qui lui permet de maintenir une expertise de compréhension de la culture de la puissance aérienne; l'habileté de voir la culture de la puissance aérienne dans le futur et d'en débattre ainsi; une compréhension de la théorie organisationnelle et des fonctions institutionnelles; une conscience professionnelle des environnements interarmées, interalliés et interorganismes; et l’habileté de mettre en application les structures de décision opérationnelles, stratégiques et gouvernementales. Tout cela dans le but d'obtenir une compréhension exhaustive de la culture de la puissance aérienne, en plus d'appliquer efficacement l'art nécessaire de façon à être compté parmi les experts du domaine de la culture de la puissance aérienne et de la guerre.
- Mentalité de la culture de la puissance aérienne. La mentalité de la culture de la puissance aérienne renvoie à une attitude ou un état d'esprit, en mettant l'accent sur la personne. Fondée sur une compréhension globale et profonde de l'ensemble de connaissances de la culture de la puissance aérienne acquise à l'aide d'instruction, d'éducation, d'analyse et de débat, la mentalité de la culture de la puissance aérienne permet à l'individu d'identifier immédiatement les occasions et les problèmes relatifs à la culture de la puissance aérienne. La clé de la mentalité de la culture de la puissance aérienne ne réside pas simplement dans une compréhension des concepts théoriques qui la sous-tendent, mais aussi dans un besoin de compréhension approfondie des systèmes (de planification, d'exécution, des plateformes et de l'instruction, des techniques et des procédures), afin d'assurer la prestation pratique de la puissance aérienne.
7. L'ARC s'est constituée graduellement au cours de la période suivant la Première Guerre mondiale (1918-1923) sur une fondation instable qui, quoique riche en expérience de combat, misait essentiellement sur les exigences nationales de l'aviation civile. Par conséquent, lors de l'entre-guerre, l'ARC pensait, se développait et agissait comme une force aérienne tactique avec peu de considération pour le concept de « culture de la puissance aérienne », dans une société qui idéalisait le pilote de brousse en uniforme. En tant qu'institution, l'ARC a recruté des individus dotés d'une bonne éducation, du moins en termes techniques. Cependant, l'instruction en service et l'expérience au niveau de l'escadron, et au-dessous, sont devenus les repères du perfectionnement professionnel au lieu d'une instruction et d'une éducation de l'ensemble du personnel.
8. De plusieurs façons, l'ARC a été créée par John Armistead Wilson, un fonctionnaire d'expérience qui détenait une compréhension intuitive des besoins du pays en matière de culture de la puissance aérienne et de ce que le gouvernement considère acceptable. Conscient de la relation symbiotique entre l'aviation militaire et civile, il a consacré sa carrière à appuyer la première et à promouvoir la seconde. [1] Collaborateur fréquent à la Revue canadienne de défense avec des articles sur la culture de la puissance aérienne, Wilson utilise le terme « mentalité aéronautique » dans un article de 1928 qui souligne l'aide du gouvernement pour mettre sur pied des aéroclubs un peu partout au pays, afin de « promouvoir la connaissance et l'utilisation de l'aviation auprès de la nouvelle génération et encourager les municipalités à maintenir des champs de vol » [traduction].[2] Ces aéroclubs auront fourni de nombreux pilotes à l'ARC et formé la base du Programme d’entraînement aérien du Commonwealth lors de la Deuxième Guerre mondiale.
9. De 1924 à 1939, l'ARC a misé sur les opérations aériennes du gouvernement civil (patrouilles forestières, appui aux autres ministères du gouvernement, etc.), l'instruction et ses responsabilités de défense aérienne. Une instruction et une éducation de la culture de la puissance aérienne de haut niveau étaient fournies chaque année à une ou deux personnes qui étaient sélectionnées pour fréquenter le Royal Air Force Staff College, au Royaume-Uni. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, une ARC considérablement agrandie (plus de 250 000 membres du personnel en 1944) est fonctionnelle au niveau tactique par l'acquisition d'aéronefs, de personnel et d'escadrons sur tous les théâtres d’opérations à l'étranger.
10. Malgré cette orientation généralement tactique dont était responsable la défense aérienne du Canada lors de la Deuxième Guerre mondiale, les commandements aériens de l'ouest comme de l'est considéraient l'ARC comme engagée au niveau opérationnel de la planification de la guerre aérienne et responsable de la coordination et de la mise en œuvre des campagnes aériennes avec les autres forces et services militaires aériens alliés.[3] Confronté à une pénurie de personnel formé et d'officier d'état-major éduqués maîtrisant leur profession au niveau opérationnel, on a créé le Collège d'état-major de guerre de l'ARC et offert des cours d'une durée de 10 semaines qui mettaient l'accent sur quelques autres éléments pédagogiques.
11. Le Collège d'état-major de guerre de l'ARC offrait 7 cours avant la fin de la guerre, ce qui a été considéré comme un succès. Alors, malgré la décision de réduire la taille des Forces d'après-guerre à moins de 12 000 personnes, elle a non seulement maintenue l'institution ouverte, retirant simplement le terme « guerre » de son appellation, mais elle a aussi prolongé la durée des cours à 6 mois. L'instruction du personnel, tout comme des thèmes éducatifs plus généraux, plus diversifiés ont alors été offerts. Le commandant, Commodore F. G. Wait, a formulé les 4 objectifs du Collège d'état-major de l'ARC: (1) Enseigner à penser clairement, à exprimer ses opinions avec concision et à développer des aptitudes en analyse critique; (2) Former le personnel à utiliser des méthodes et des habiletés bonifiées; (3) Fournir de l'information contextuelle sur des organisations et des opérations de forces armées; et (4) Communiquer une meilleure compréhension des applications correctes de la puissance aérienne et la façon de maximiser leur intégration avec la puissance maritime et la puissance terrestre.[4] Ces objectifs sont restés sensiblement les mêmes depuis l'unification.
12. Même si une petite proportion du personnel a fréquenté des collèges des Forces aériennes alliées, la plupart de l'instruction et de l'éducation fournies l'ont été dans le cadre de cette approche institutionnelle envers la maîtrise professionnelle de la culture de la puissance aérienne. Le Collège d'état-major de l'ARC a continué à viser les objectifs fixés en 1945 et à favoriser les échanges en promulguant le R.C.A.F. Staff College Journal, dès 1956. Il a également reconnu le besoin de fournir de l'instruction au personnel d’état-major aérien et de l'éducation relative à la culture de la puissance aérienne aux échelons inférieurs, par la mise en place des écoles de perfectionnement professionnel parallèlement au Collège d'état-major de l'ARC. L'école de perfectionnement professionnel de l'ARC a également permis de suivre des cours universitaires grâce à un accord avec l'Université de Toronto. En 1962, une réorganisation du système éducatif de l'ARC a mené à la création du Collège des forces aériennes de l'ARC, qui regroupait le Collège d'état-major, l'École d'état-major et l'École de perfectionnement professionnel. Au total, le personnel d'instruction était composé d'environ 59 personnes, militaires et civils, pour les 3 composantes du Collège.[5] Avec le recul, cet investissement dans le capital intellectuel de l'ARC, avec concentration sur l’étude de la culture de la puissance aérienne, est perçu comme une mesure exceptionnelle en comparaison avec l'approche actuelle.
13. Au-delà du grade de commandant d'escadre (lieutenant-colonel), il n'y avait aucune disposition au sein de l'ARC relativement à une instruction ou une éducation avancée de la culture de la puissance aérienne, mis à part ce qui pouvait être tiré d'institutions nationales telles que le Collège de la Défense nationale (1948-1994) ou de la fréquentation d'institutions semblables à l'étranger. Pour les officiers généraux, l'approche adoptée était généralement celle de l'apprentissage sur le tas, expérience en prime.
14. Depuis sa création en 1924, l'Aviation canadienne a mis l'accent sur le contrôle de l'instruction tactique. Par contre, pour une brève période, l'institution a contrôlé l'éducation et l'instruction de l'état-major de la Force aérienne et l'éducation relative à la culture de la puissance aérienne a un plus haut niveau : jusqu'au grade de lieutenant-colonel. La période comprise entre 1945 et 1966 (alors que l'Aviation canadienne avait le contrôle sur l'enrichissement du capital intellectuel de ses officiers grâce à un programme de perfectionnement) pourrait être considérée comme une époque charnière pour l'ARC. La perte de contrôle sur l'enrichissement du capital intellectuel de l'ARC et la possibilité d'accroître la maîtrise professionnelle de la culture de la puissance aérienne au niveau de l’institution observées au moment de l'unification est maintenant une évidence.
Le niveau selon lequel une organisation interarmées ou un groupe professionnel militaire commun à toutes les armées peut s'attacher à améliorer les attitudes, valeurs et croyances de son personnel et de ses officiers est problématique.[6]
– Peter W. Gray, commodore de l'air (Aviation canadienne), et Jonathan Harvey
15. Avec l'unification, l'ARC a perdu le contrôle de l'instruction supérieur au personnel aérien et de l'éducation relative à la culture de la puissance aérienne lorsque les nouvelles FAC ont adopté le modèle éducatif de l'ARC. Le Collège d'état-major de l'ARC est devenu le Collège de commandement et d'état-major de l'Armée canadienne; l'École d'état-major de l'ARC est devenue l'École d'état-major de l'Armée canadienne; et l'École de perfectionnement professionnel de l'ARC a progressivement évolué jusqu'à devenir le Programme de perfectionnement professionnel des officiers.[7] Dorénavant, les notions de « culture de la puissance aérienne » qui seraient enseignées seraient déterminées par les exigences interarmées plutôt que celles de la force aérienne; le niveau étant établi par le Collège d'état-major, sans égards, ou peu pour l'avis de la Force aérienne. Il n'y a aucun doute quant à l'importance des demandes interarmées en matière d'éducation et d'instruction, surtout en regard de la complexité des opérations militaires contemporaines, mais il est fort probable que l'objectif premier devrait être de former un officier de l'aviation à devenir expert dans le domaine de la culture de la puissance aérienne avant d'être un expert en exigences interarmées. Cela bien sûr, est l'objectif principal de l'instruction, jusqu'au deuxième point de développement. Le fait que le niveau d'expertise soit atteint ou non constitue le point en question.
16. L'éducation spécialisée relative à la culture de la puissance aérienne est devenue encore plus problématique avec le temps; elle n'était disponible que par cours universitaires occasionnels dans des universités civiles ou au Collège militaire royal du Canada (CMRC). Cependant, son accès y était limité par un processus de sélection annuel ayant lieu au Quartier général de la Défense nationale (QGDF) et ses domaines d'études comprenaient surtout les domaines techniques ou de spécialité. À l'époque, la croyance répandue était que l'éducation était un acte intéressé et aucunement un substitut à l'expérience tactique. Le manque de reconnaissance marquée de la part des commissions d'évaluation ainsi que le manque de planification du personnel à long terme, qui aurait permis la sélection de meilleurs candidats plus utiles dans l’optique de la culture de la puissance aérienne, ont mené au choix, après coup ou en tant que prix de consolation, de candidats qui se situaient tout en bas du tableau d'honneur.[8] En 1997, le ministre de la Défense nationale, Douglas Young, a décrété que tous les officiers des FAC devaient détenir un diplôme universitaire de premier cycle. Il n'a cependant jamais précisé le domaine d'étude de ce diplôme et la nouvelle directive en matière d'éducation ne favorise pas plus l'accès au deuxième cycle universitaire.
17. L'approche de leadership et de gestion axée sur les affaires qui a prévalu dans les années 1990 et au début des années 2000, a fait de la maîtrise en affaires ou en administration publique, le billet d'entrée dans les Forces.[9] Un nombre accru de possibilités d'études, axées sur l'élément militaire, a été créé dans plusieurs universités civiles avec des fonds publics, pour appuyer la mise sur pied de centres pour l'étude de la défense. Au CMR, le département responsable des études sur la conduite de la guerre a été créé pour offrir une approche multidisciplinaire de l'étude de la profession des armes.
18. La revitalisation du programme d'apprentissage individuel est venue soutenir ces initiatives pour permettre aux militaires actifs de poursuivre leurs études dans leur temps libre. Une fois de plus, même si la Force aérienne a offert cette occasion à son personnel, il n'y a eu aucun effort concerté visant à en tirer profit. La Force aérienne semblait se satisfaire de sa contribution réduite dans la conception et l'administration de l'éducation supérieure, la laissant reposer entre les mains du QGDN ou de celles de l'Académie canadienne de la Défense alors nouvellement créée. Les possibilités d'études supérieures ont stagné ou ont profité aux membres des services de soutien, tels que les branches techniques et le personnel militaire qui s'étaient dotés d'un semblant de programme éducatif à long terme.[10]
19. C'est lors de la même période que la Force aérienne a forgé sa vision, qui comprenait la création d'un Centre de guerre responsable dans une certaine mesure des trois principaux piliers de la composante conceptuelle : la doctrine, l'innovation conceptuelle et l'exposition des principes de guerre qui se rapportent aux opérations aériennes. L'École d'études aérospatiales des Forces canadiennes (EEAFC), fondée en 1987, possède depuis lors le mandat de répondre aux besoins de perfectionnement professionnel de l'ARC, une autre voie par laquelle on peut s'attendre à atteindre la maîtrise professionnelle de la culture de la puissance aérienne. En dépit de la création d'institutions telles que l'EEAFC et le Centre de guerre aérospatiale des Forces canadiennes (CGAFC), il semble qu'il n'y ait pas eu de politique principale chapeautant les activités de ces institutions pour qu'elles répondent au besoin de la Force aérienne. De plus, les mécanismes mis en place pour livrer leurs produits et services au sein de la Force aérienne étaient inefficaces. Lorsqu'il y avait des plans, un manque constant de leadership institutionnel est venu faire en sorte qu'ils n'ont pas abouti. Par exemple, l'idée de faire de l'EEAFC une unité subordonnée au CGAFC, ce qui aurait donné une approche plus coordonnée et cohérente au perfectionnement professionnel, n'a pas été envisagée. Malgré le fait que les FAC affirment que tous leurs membres doivent « maîtriser l'art de la guerre dans leur propre discipline pour devenir des professionnels accomplis dans un contexte interarmées, combiné et interorganisme », la Force aérienne semble se satisfaire non seulement du niveau tactique de pensée et d'action, mais aussi d'une approche fragmentée et déconnectée de la composante conceptuelle.[11]
20. Même si à partir des années 2000, les Forces canadiennes ont continué à créer des possibilités éducatives de perfectionnement (dont le programme professionnel de maîtrise en études de la défense au Collège d'état-major, ainsi que des occasions dans les centres d'études de la défense des universités civiles et le programme d'études sur la conduite de la guerre du CMRC), les occasions que constituent ces programmes ne sont pas mis à profit au niveau institutionnel par l'ARC alors qu'elle pourrait rehausser délibérément la maîtrise professionnelle de la culture de la puissance aérienne ou la mentalité individuelle de la culture de la puissance aérienne grâce à une supervision du commandement.
21. De toute façon, les occasions offertes au Canada ne sont pas exhaustives et ne répondraient pas à tous les besoins institutionnels. Au Canada, par exemple, il n'y a pas d'équivalent au cours de stratégie aérienne offert au niveau du doctorat à la Air Force School of Advanced Air and Space Studies des États-Unis. Même si on peut affirmer que, sur les plans pédagogique et potentiellement technique, l'ARC a peut-être augmenté le niveau d'éducation de ses membres au cours des dernières années, cela ne s'est pas traduit efficacement en fait d'optimisation institutionnelle de la maîtrise professionnelle de la culture de la puissance aérienne. Pour dire vrai, avec l'inclinaison naturelle et culturelle de l'ARC vers l'aspect tactique, compte tenu de l’accélération du rythme opérationnel depuis l'an 2000, et avec le vif intérêt récent pour le développement des forces, le souci d'atteindre une maîtrise professionnelle accrue de la culture de la puissance aérienne (dans la définition la plus générale du terme), n'a pas vraiment été au cœur des préoccupations au cours des 10 ou 15 dernières années.
22. Il est intéressant de remarquer que si l'on se fie au dernier Rapport final de l’étude sur le Système de perfectionnement professionnel des Forces armées canadiennes, il y a eu pas moins de 8 examens détaillés du perfectionnement professionnel des officiers dans les forces militaires depuis l'unification. Cependant, pas un seul ne s'est arrêté au point de vue spécifique de l'ARC ou à la perspective de la culture de la puissance aérienne. Pour paraphraser le général Jean Victor Allard (chef d'état-major de la défense, 1966-1969) : « il importe peu que [l'ARC dispose de son] effectif et de son budget actuels ou de la moitié d’entre eux ou du double; sans un corps des officiers bien formé et bien entraîné, [l'ARC] est condamnée au mieux à la médiocrité et au pire, au désastre ».[12]
23. Il existe au sein de l'ARC la perception grandissante que l'institution ne répond pas à la demande d’accroissement de la maîtrise professionnelle de la culture de la puissance aérienne. Le major-général Coates, commandant adjoint (Continental) au Commandement des opérations interarmées du Canada, dans un article intitulé La mentalité aéronautique : un élément essentiel de la puissance aérienne avance qu'il y a plus à faire pour « préparer l'ARC et autres à appliquer la puissance aérienne pour atteindre l'objectif désiré ».[13] Plus important encore, il affirme que le contexte interarmées n'est pas suffisant pour cultiver la mentalité aéronautique parmi les membres de la Force aérienne, un avis partagé par le chef d'état-major de la défense, le général Jon Vance : « il est essentiel que les autres planificateurs possèdent une mentalité aéronautique, car la planification ne serait pas efficace si elle se résume aux propos du type de la Force aérienne qui dit après coup : “N’oubliez pas l’aviation” ».[14] Ces avis doivent être pris en considération lorsque nous tentons de corriger les lacunes en termes de perfectionnement professionnel au sein de l'ARC, afin qu'elle soit inclusive plutôt qu'exclusive.
24. Les évaluations du niveau de la maîtrise professionnelle de la culture de la puissance aérienne dans l'ARC sont forcément subjectives et doivent être fondées sur les besoins institutionnels. Dans quelle mesure le besoin de la maîtrise professionnelle de la culture de la puissance aérienne se fera-t-il donc sentir à l'avenir au sein de l’ARC? On souligne plus haut qu'on peut compter sur l'ARC pour atteindre des résultats de mission à haut calibre, alors nous faisons déjà correctement certaines choses. On doit toutefois garder en tête que les responsabilités de l'ARC ne consistent pas uniquement à livrer la puissance aérienne actuelle (programme de maintien). Il faut aussi songer à bâtir l'ARC de demain (programme de changement) tout en remplissant nos responsabilités organisationnelles de section. Ces trois rôles demandent de l'agilité intellectuelle, un bon jugement, des capacités d'analyse critique et un savoir professionnel bien ancré. Voici un récapitulatif des problématiques actuelles :
- Les fonds sont insuffisants et ne peuvent couvrir à la fois les besoins des forces aérienne, navale et terrestre et des forces spéciales en matière d'acquisition. « Messieurs, nous sommes à court de fonds, maintenant il faut réfléchir. »[15] La même pression s'applique aux structures, aux niveaux de dotation et aux budgets de fonctionnement. L'ARC doit être en mesure d'articuler des besoins valides et de façon convaincante.
- La puissance aérienne a été au cœur des trois opérations les plus récentes. Pourtant, la représentation de l'ARC au sein du Commandement des opérations interarmées du Canada, de l'état-major interarmées stratégique et du personnel du vice-chef de l'état-major de la défense reste, bien sûr, bien moindre que celle de l'Armée canadienne. Il est par conséquent essentiel que les membres de la Force aérienne comprennent leur domaine et le système à l'intérieur duquel ils travaillent, pour pouvoir argumenter en faveur de la culture de la puissance aérienne requise, de façon à être compris par tous.
25. Par exemple, les types de questions qui ont récemment posé problème à des membres de l'ARC avaient pour sujet le commandement et le contrôle des opérations aériennes expéditionnaires, la structure optimale des forces en temps de paix, la disponibilité de la capacité et les relations entre les heures de vol et le dispositif de forces. Ce ne sont pas des questions très difficiles pour une Force aérienne qui a bien établi sa maîtrise professionnelle de la culture de la puissance aérienne. Pourtant, de façon anecdotique du moins, l'ARC a souvent été incapable d'expliquer clairement sa position sur ces questions. Cela est insuffisant. Si une future étude sur la défense, ou une alternative à la Stratégie de défense Le Canada d’abord soulevait des questions plus existentielles (Pourquoi l'armée ne contrôle-t-elle pas l'aviation tactique? Pourquoi le Canada a-t-il besoin d'une capacité expéditionnaire d'attaque?), il y a un risque que cette incapacité à fournir des avis stratégiques probants cause un dommage irréversible à l'institution et à la sécurité nationale. La formation d'experts de la guerre, spécialistes de la force aérienne, grâce à une plateforme compréhensible et avec l'application de la puissance aérienne, dépend de notre capacité à cultiver une mentalité individuelle de la culture de la puissance aérienne et une maîtrise professionnelle accrue de la culture de la puissance aérienne au niveau de l’institution.
26. Si la maîtrise professionnelle de la culture de la puissance aérienne au niveau de l’institution se construit autour de la mentalité individuelle de la culture de la puissance aérienne de ses officiers et militaires de tous les grades et que la mentalité individuelle de la culture de la puissance aérienne est la somme du savoir et de la compréhension de la théorie et de la pratique de la puissance aérienne de chacun, en plus du savoir et des connaissances des processus et des compétences des membres. Alors, le premier pas pour améliorer le rendement de l'ARC semble évident. Tracer un parcours pertinent pour l'avenir impliquerait des changements au système de perfectionnement professionnel de l'ARC pour s'assurer qu'un niveau suffisant de compétence au chapitre de la culture de la puissance aérienne est atteint au moyen de l'instruction et de l'éducation, lequel complète l'expérience pratique relative à la puissance aérienne qu'un membre peut acquérir au cours d'une carrière.
27. Dans ce processus, le rôle de la haute direction est essentiel à la transformation de la mentalité individuelle de la culture de la puissance aérienne en maîtrise professionnelle de la culture de la puissance aérienne au niveau de l’institution C'est en redéfinissant à chaque instant la vision durable de l'institution de l'ARC et en l'adaptant à chaque fois pour qu'elle reste harmonisée avec ses grands objectifs stratégiques dans le but de fournir l'orientation nécessaire à assurer des opérations efficaces que nous y parviendrons.
28. L'objectif de l'éducation et des programmes de perfectionnement professionnels de l'ARC doit être soulevé afin de mobiliser la base de capital intellectuel pur que l'ARC possède. Ce faisant, le modèle de perfectionnement (dont une des composantes-clé est l'éducation), adopté devrait être distinct de « l'instruction fondamentale requise dans les forces militaires » et devrait plutôt « présenter un continuum réel des grades subalternes jusqu'aux grades supérieurs » [traduction].[16] Différemment posés, les changements ne devraient pas seulement viser la très haute direction de l'ARC. Le développement de la mentalité individuelle de la culture de la puissance aérienne est quelque chose qui doit commencer tôt et qui doit se poursuivre tout au long de la carrière militaire.
29. Le type de pensée critique et de compétences analytiques dont nous avons besoin n'est pas facile à acquérir, pas plus que ne l'est une compréhension globale de la théorie et de la pratique de la culture de la puissance aérienne. D'ailleurs, ces compétences se perdent sans remise en question constante, sans mise en pratique et sans formation continue. Alors une reconnaissance de la valeur de l'étude et de l'analyse critique de la culture de la puissance aérienne (autant du point de vue de l'histoire que de la théorie de sa pratique et des raisons qui sous-tendent ses succès et ses défaites) doit être offerte de la part de l'ARC à tous les niveaux afin d'assurer le succès des changements apportés au système de perfectionnement professionnel de l'ARC.
30. Récemment, un universitaire faisait remarquer la nécessité de se doter de petites forces aériennes, afin que leurs membres acquièrent une maîtrise professionnelle supérieure, ce qui se traduit autant par une mentalité individuelle de la culture de la puissance aérienne que par une maîtrise professionnelle de la culture de la puissance aérienne au niveau de l’institution, puisqu'elles « fonctionnent au point critique presque en permanence, surtout dans le cadre d'opérations ».[17] [Traduction] Cela demande un plus haut degré d'aptitude de commandement et de compréhension de l'institution, lesquelles sont construites sur une mentalité individuelle de la culture de la puissance aérienne qui assure l'emploi optimal des forces; prévient la fatigue opérationnelle; et poursuit l'amélioration, l'instruction et le maintien des forces en opérations.
31. Il existe cependant une dichotomie entre les demandes posées à une force aérienne opérant à un rythme opérationnel rapide et le développement à la fois d'une mentalité individuelle de la culture de la puissance aérienne et de la maîtrise professionnelle de la culture de la puissance aérienne au niveau de l’institution. Le perfectionnement professionnel est l'un des facteurs principaux qui assurent la compétence et la pertinence de petites forces aériennes, par contre, à cause des demandes exercées sur le personnel, ces programmes sont souvent les premiers à être coupés. C'est seulement en soulignant l'importance du perfectionnement professionnel et en devenant de véritables « organisations apprenantes » que les petites forces aériennes seront aptes à façonner l'environnement de sécurité plutôt que de s'occuper à éteindre des feux. Ainsi, il est essentiel pour le succès de l'ARC en tant qu'institution de l'avenir de continuer à exercer la puissance aérienne requise au niveau tactique; d'améliorer sa capacité à définir son rôle principal associé à la culture de la puissance aérienne au niveau stratégique; et de faire avancer le rendement de l'institution. Accomplir tout cela demandera un système de perfectionnement professionnel qui soutiendra une grande compréhension de la culture de la puissance aérienne et qui enrichira les aptitudes de pensée critique qui germeront de ce perfectionnement.
32. La place importante faite à l'étude de l'histoire et de la théorie de la culture de la puissance aérienne (tendances de guerre depuis le dernier siècle ou analyse rigoureuse des leçons tirées des opérations militaires récentes) comme sujet principal du programme d'éducation militaire révisé de l'ARC est plus utile et fournit une meilleure préparation pour les membres de l'ARC afin d'assurer une continuité entre l'emploi de la force, la mise sur pied de la force et le développement de la force. L'étude de l'histoire de la puissance aérienne peut particulièrement aider à comprendre le changement, ou à l'inverse, la continuité des tendances militaires. Elle fournit un cadre théorique ou un cadre de pensée qui sert à analyser le changement sur une certaine période et constitue également une méthode efficace pour analyser les leçons tirées d'expériences opérationnelles précises.
33. Pour ce qui est de la compréhension du changement, la façon dont on aborde les incertitudes futures peut dépendre de la façon dont on conçoit le passé et de la façon dont il a contribué à modeler le présent. L'histoire peut aider à éduquer autant les militaires professionnels que les analystes à propos des victoires et défaites passées, des principes durables et des données changeantes relatives à la guerre aérienne et interarmées. Tout cela devrait aider ces militaires à orienter leurs discussions et à éclairer leur jugement sur les façons de remplir les exigences futures en termes de force aérienne. De telles études poursuivies au cours de toute une carrière développent et forment la pensée critique tout en fournissant une compréhension contextuelle essentielle requise pour réagir aux problèmes actuels relatifs à la guerre et à la culture de la puissance aérienne.
34. De plus, la compréhension contextuelle fournie par l'étude de l'histoire et de la théorie évolutive de la culture de la puissance aérienne inspire généralement un sentiment d'humilité approprié à propos des nouveaux concepts censés résoudre tous les problèmes militaires. Donc, toute évolution du système de perfectionnement professionnel de l'ARC devrait mettre l'étude de l'histoire de puissance aérienne au premier plan. Comme l'affirmait le spécialiste de la guerre blindée britannique, le major-général J. F. C. « Boney » Fuller : « comprendre le passé et analyser le présent, c'est connaître l'avenir ».[18] [Traduction] Seulement à l'aide de l'étude constante et d'une réflexion poussée de l'histoire et de l'application contemporaine de la puissance aérienne pourra-t-on développer l'expertise requise et pourra-t-on régler les problèmes actuels et futurs liés à la culture de la puissance aérienne et ce faisant améliorer le rendement institutionnel de l'ARC. En d'autres mots, le développement d'une base de connaissances sur la culture de la puissance aérienne et une éducation théorique et pratique répartie tout au long d'une carrière au sein de l'ARC se révèlent de loin des plus utiles pour affronter les problèmes très actuels auxquels font face le développement et l'emploi de la puissance aérienne militaire canadienne.
35. Avec le temps, l'accent porté sur ce type d'études sur la théorie et la pratique de la culture de la puissance aérienne rapportera sur le plan des compétences analytiques au sein de l'ARC. Ces compétences seront très utiles à la résolution des problèmes actuels. La somme de ces efforts viendra mettre en valeur l'énorme capital intellectuel présent au sein de l'ARC; une ressource sur laquelle fonder ce que le théoricien militaire prussien du XIXe siècle, Carl von Clausewitz, appelait « un jugement adapté et perspicace... C'est-à-dire une intelligence apte à mettre le doigt sur la vérité ». Ces efforts viendront également dissiper les doutes qui planent sur les opérations et sur la planification stratégique militaire. [19]
36. Malgré le fait que cet article ne constitue pas un plan d'action, il est important de savoir qu'à ce point-ci, tous les morceaux du casse-tête sont en place. Par exemple, l'EEAFC, le CMRC, le Collège des Forces canadiennes, le commandement unifié et le programme d'état-major fournissent des cours d'histoire et de culture de la puissance aérienne militaire qui pourraient être bonifiés et orientés vers une intention de commandement. De plus, plusieurs publications du CGAFC, en particulier les rapports de recherche opérationnelle et d'analyse; la doctrine de l'ARC; les rapports sur les leçons retenues; la Revue de l'Aviation royale canadienne; de pair avec les études portant sur l'histoire et le patrimoine de l'ARC sont des ressources inestimables qui ne sont pas utilisées à leur plein potentiel.
37. Avec la supervision nécessaire et un investissement probablement minimal, ces ressources pourraient être améliorées par l'ajout d’une documentation et d’une pensée scientifique, appuyées de colloques sur l'avenir de la culture de la puissance aérienne militaire et orientées vers une intention de commandement en vue d'assurer une approche globale. Tandis qu'une analyse rigoureuse du système de perfectionnement professionnel actuel peut conduire au recensement des lacunes pédagogiques, ces dernières devraient être comblées grâce à des cours additionnels de différents niveaux, portant sur l'histoire et la théorie de la culture de la puissance aérienne. Ces ressources additionnelles nécessaires à la correction des lacunes ne seraient pas si nombreuses, puisque nous disposons déjà de cette expertise au sein de l'ARC.[20] Peu importe la forme finale que prendra ce système de perfectionnement professionnel, un modèle d'éducation permanente commence par un cours élémentaire sur l'histoire et la théorie de la culture de la puissance aérienne. L'étude poussée ou un programme de subvention de recherche destiné aux meilleurs stagiaires devraient être l'objectif ultime pour former de réels experts de la culture de la puissance aérienne, soit les futurs cadres supérieurs de l'ARC.
38. Pour une Force aérienne qui a fait montre d'un professionnalisme sans pareil et qui a obtenu d'excellents résultats dans ses divers rôles tactiques durant plusieurs décennies d'opérations aériennes, l'ARC s'apprête maintenant à développer son plein potentiel grâce au capital intellectuel de la plus précieuse de ses ressources : ses membres. En mettant l'accent sur un perfectionnement professionnel étalé sur toute une carrière qui permet aux meilleurs éléments de faire des études poussées, mettant en valeur son riche et fier héritage, l'ARC peut atteindre la maîtrise professionnelle de la culture de la puissance aérienne au niveau de l’institution et, par cette compréhension, pourra assurer un rôle plus actif et de premier plan dans les discussions de la défense sur le rôle de l'ARC dans le cadre d'opérations militaires actuelles et futures pour appuyer les objectifs politiques du gouvernement du Canada.
39. Admettre la lacune au niveau de la maîtrise de la culture de la puissance aérienne est une première étape cruciale. Maintenant, il est urgent de nourrir et d'institutionnaliser cette évolution intellectuelle au sein même de l'ARC. Cela est dû au fait que les problèmes associés à cette lacune au niveau de la culture de la puissance aérienne ne feront que croître et se complexifier avec le temps, vu l'avancée de la technologie et le besoin de s'adapter à l'évolution rapide des environnements opérationnels. Nous devons trouver une approche cohérente et spécialisée favorisant l'amélioration; le statu quo n'est plus acceptable. Ce processus constitue une occasion pour l'ARC d'augmenter sa part de responsabilités, d'assurer une protection aérienne souveraine et de jouer un plus grand rôle dans un contexte d'opérations interarmées.
40. Si l'ARC ne peut mettre immédiatement en place un programme de changements sur le plan transformationnel et intellectuel, elle restera une force qui peinera à offrir des effets tactiques aériens, de haut calibre certes, et ne maîtrisera jamais vraiment la culture de la puissance aérienne en elle-même. On ne saurait trop insister sur ce point. À cause de sa force réduite, l'ARC doit trouver des façons de s'assurer que ses officiers et ses membres adoptent la mentalité de la culture de la puissance aérienne et la maîtrise professionnelle de la culture de la puissance aérienne, pour son bien et celui de la nation. Il y aura toujours des moments où l'ARC devra rivaliser avec la Force terrestre, la Marine et les autres ministères fédéraux pour obtenir des ressources nationales limitées, particulièrement en temps d'austérité économique. Mais ces périodes requièrent une vivacité d'esprit et une capacité d'adaptation, auxquelles s'ajoute une maîtrise professionnelle de la culture de la puissance aérienne afin de faire avancer la culture de la puissance aérienne militaire canadienne. De plus, la rapidité avec laquelle l'environnement de sécurité évolue à l’heure actuelle, et plus important encore, la vitesse à laquelle les États-Unis et autres alliés de taille adoptent une technologie de pointe et de nouveaux concepts opérationnels avec lesquels nous aurons à travailler en temps de crise rend le sujet d'autant plus impératif.
41. À moins que l'ARC ne dispose de membres (particulièrement d'officiers supérieurs) capables de comprendre, ou encore mieux d'effectuer la prouesse intellectuelle d'expliquer la valeur d'une culture de la puissance aérienne canadienne pour souscrire aux objectifs des politiques nationales, il est indéniable qu'elle finira par voir sa pertinence, et peut-être même son existence, remise en question.
M. Brad Gladman est analyste en recherche opérationnelle. Il travaille actuellement pour le commandant de l'ARC au CGAFC.
M. Richard Goette est actuellement membre du personnel au Collège des Forces canadiennes à Toronto.
M. Richard Mayne, CD est le directeur – Histoire et patrimoine de l'ARC.
Le colonel Shane Elder est membre de l'état-major aérien est actuellement déployé dans le cadre de l'opération IMPACT.
Le colonel Kelvin Truss est le commandant du CGAFC.
Le lieutenant-colonel Pux Barnes, CD est chef du Service de l'éducation de la guerre aérienne du CGAFC.
Le major Bill March, CD est historien spécialiste de l'histoire et du patrimoine de l'ARC.
ARC―Aviation royale canadienne
CGAFC―Centre de guerre aérospatiale des Forces canadiennes
CMRC―Collège militaire royal du Canada
EEAFC―École d’études aérospatiales des Forces canadiennes
FAC―Forces armées canadiennes
QGDN―Quartier général de la Défense nationale
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[1]. Hugh Halliday, « Fathering Civil Aviation: Air Force, Part 8 », Legion Magazine, 1er mars 2005, https://legionmagazine.com/en/2005/03/fathering-civil-aviation/ (consulté le 6 janvier 2015). (return)
[2]. J. A. Wilson, « Civil Aviation in Canada, 1928 », Revue canadienne de défense, vol. 6, no 3, avril 1929, p. 307. (return)
[3]. Les commandements aériens de l'ouest et de l'est de l'ARC ont fourni commandement et contrôle sur le plan opérationnel : le commandement aérien de l'ouest, dans la campagne des Aléoutiennes, et de façon plus globale, le commandement aérien de l'est dans la bataille de l'Atlantique. (return)
[4]. William R. Shields, Canadian Forces Command and Staff College, a History: 1797–1946, p. 4 à 27. Il s’agit d’un document d'ébauche inédit préparé au Collège des Forces canadiennes, à Toronto, en 1987. Une copie en est conservée à la Direction – Histoire et patrimoine de l'ARC de la 8e Escadre Trenton. (return)
[5]. Canada, Aviation royale canadienne, A. R. C. Staff College Journal, Armour Heights, Ontario, ARC, Collège d'état-major, 1964, p. 90. Le commandant du Collège des forces aériennes était un commodore de l'air (brigadier-général) disposant d'un quartier général doté de 12 membres du personnel comprenant 1 civil détenteur d'un doctorat. Le directeur du Collège d'état-major était un colonel d'aviation (colonel) avec une équipe de 15 membres du personnel, sans civil. Le directeur de l'école de perfectionnement professionnel de l'ARC était un commandant d'escadre aux commandes d'une équipe de 6 membres du personnel comptant un civil détenteur d'une maîtrise en art. Le directeur de l'École d'état-major était un colonel d'aviation aux commandes d'une équipe de 22 militaires, sans civil. (return)
[6]. Peter W. Gray, commodore de l'air (Aviation canadienne) et Jonathan Harvey, « Strategic Leadership Education », In Pursuit of Excellence: International Perspectives of Military Leadership, publié sous la direction du colonel Bernd Horn et du lieutenant-colonel Allister MacIntyre, Kingston, Presse de l'Académie canadienne de la Défense, 2006, p. 81. (return)
[7]. Allan English et colonel (à la retraite) John Westrop, Canadian Air Force Leadership and Command: The Human Dimension of Expeditionary Air Force Operations, Trenton, Centre de guerre aérospatiale des Forces canadiennes, 2007, p.49. (return)
[8]. Colonel Bernd Horn, « Education – The Key Component to the Development of the Next Generation of Military Leaders », Developing the Next Generation of Military Leaders: Challenges, Imperatives and Strategies, publié sous la direction du major Julie Bélanger et du lieutenant-colonel Psalm Lew, Kingston, Presse de l'Académie canadienne de la Défense, 2011, p. 26 et 27. (return)
[9]. Ronald G. Haycock, « Les labeurs de Minerve et des Muses: Dimensions historiques et contemporaines de l’éducation militaire au Canada » Revue militaire canadienne, vol. 2, no 2, été 2001, p. 11. (return)
[10]. Ronald G. Haycock, « Les labeurs de Minerve et des Muses: Dimensions historiques et contemporaines de l’éducation militaire au Canada » Revue militaire canadienne, vol. 2, no 2, été 2001, p. 12. (return)
[11]. Canada, MDN, Servir avec honneur : la profession des armes au Canada, Kingston, Académie canadienne de la Défense, 2003, p. 74. (return)
[12]. Canada, MDN, The Report of the Officer Development Board, Ottawa, mars 1969, p. 1, iv. Le comité qui a rédigé le rapport était présidé par le major-général Roger Rowley et est communément appelé « rapport Rowley ». (return)
[13]. Christopher J. Coates, alors brigadier-général « La mentalité aéronautique : un élément essentiel de la puissance aérienne ». La Revue de l’Aviation royale canadienne, vol. 3, no 1, hiver 2014, p. 70. (return)
[14]. Christopher J. Coates, alors brigadier-général « La mentalité aéronautique : un élément essentiel de la puissance aérienne ». La Revue de l’Aviation royale canadienne, vol. 3, no 1, hiver 2014, p. 76. Citation tirée d'une entrevue entre Coates et Jonathan Vance, qui était à l'époque major-général, le 28 janvier 2013. (return)
[15]. Attribué à Winston S. Churchill et quelques fois, dans d'autres mots, à Ernest Rutheford (Sans argent on se doit de penser). (return)
[16]. Sanu Kainikara, The Predicament of Small Air Forces, Canberra, Air Power Development Centre, 2011, p. 146. (return)
[17]. Sanu Kainikara, The Predicament of Small Air Forces, Canberra, Air Power Development Centre, 2011, p. 147. M. Kainikara se penche autant sur l'étude des petites que des grandes forces aériennes dans son analyse. Le terme « petite force aérienne » est utilisé délibérément et ne présuppose aucunement une incapacité d'assurer un effet stratégique. (return)
[18]. Michael Evans, The Continental School of Strategy: The Past, Present and Future of Land Power, Duntroon, Australian Capital Territory, Land Warfare Studies Centre, 2004, p. 1. (return)
[19]. Carl Von Clausewitz, De la guerre, édité et traduit par Michael Howard et Peter Paret, Princeton, NJ, Princeton University Press, 1976, p. 101. (return)
[20]. La poursuite du modèle élaboré par M. Brad Gladman et le lieutenant-colonel Pux Barnes du CGAFC va dans le sens de la philosophie « pensée globale, action locale ». Une « société Barker » a été fondée en 2014 pour rapprocher les officiers, les militaires du rang et les civils afin de discuter de lectures assignées portant sur la culture de la puissance aérienne. Cette approche mise à l'essai dans plusieurs escadres partout au Canada a été bien reçue. C'est une initiative complètement volontaire, mais elle facilite la discussion entre pairs sur la théorie ou l'histoire de la culture de la puissance aérienne et améliore la compréhension des membres de l'ARC, civils et militaires, à ce sujet. (return)
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