La genèse du Commandement aérien

Par le lieutenant-général (retraité) William Keir « Bill » Carr

On attribue au lieutenant-général Bill Carr le titre de « père du Commandement aérien ». Voici l’histoire de la création du Commandement aérien, racontée par le lieutenant-général Carr.

L’intégration des forces a pris fermement racine le 1er août 1964 et l’unification, la réalisation de l’objectif de consolidation, a été entérinée par l’adoption de la Loi sur la réorganisation des Forces canadiennes, le 1er février 1968. La Marine royale canadienne, l’Armée canadienne et l’Aviation royale canadienne (ARC) ont été abolies afin de former un seul service, appelé les Forces armées canadiennes.

L’intégration des forces était attendue depuis longtemps et s’est enfin concrétisée pour deux raisons : le bon sens politique et des compressions budgétaires. Lorsqu’il est entré en fonction en 1963, le ministre de la Défense nationale Paul Hellyer a rapidement été agacé par la « prise de décisions au sein de comités » en vigueur au Quartier général de la Défense nationale, le manque de coordination entre les trois chefs d’armées, l’impuissance du président du Comité des chefs d’état-major et la multiplication par trois des activités de soutien militaire au sein du comité. Bien qu’on ait jugé que ses prises de position subséquentes étaient principalement politiques, il existe bien des preuves que ses décisions étaient des étapes évolutives logiques dans un contexte de compressions budgétaires et un manque d’intérêt du public pour les besoins militaires.

La nouvelle organisation « unifiée » de 1968 comprenait un Quartier général de la Défense nationale et six commandements fonctionnels. Cette structure a remplacé les trois quartiers généraux nationaux distincts et onze commandements opérationnels qui existaient auparavant. Les cinq commandements fonctionnels de l’Aviation royale canadienne, à savoir la Défense aérienne, le Transport aérien, la Division aérienne, les commandements de l’instruction et du matériel aéronautique, ont été abolis, tout comme le bureau du chef d’état-major de la Force aérienne. À partir de ce moment, les commandements de la Défense aérienne et du Transport aérien ont plus ou moins poursuivi leurs activités comme auparavant, sauf qu’ils ne disposaient d’aucune autorité supérieure de la Force aérienne à laquelle ils pouvaient rendre compte ou faire appel.

Le reste de l’ancienne ARC, l’aéronavale et les ressources aériennes de l’Armée de terre ont été réparties entre la Force mobile et le Commandement maritime. L’absence d’un chef dirigeant la « Force aérienne » dans la nouvelle structure de Quartier général national a duré plusieurs années et l’histoire montre qu’il s’est agi d’une lacune coûteuse. Le dernier officier supérieur de la « Force aérienne » reconnu a été le Directeur général - Forces aériennes. C’était un poste de commodore de l’air.

Le commandant de la Force mobile était un lieutenant-général, tandis que les commandants du Commandement maritime, de la Défense aérienne, du Transport aérien et de l’Instruction militaire étaient des majors-généraux. Le chef des opérations et de la Réserve du Quartier général était un major-général, mais le vice-chef d’état-major de la défense (VCEMD) était un lieutenant-général. Il ne faisait aucun doute que le commandant de la Force mobile s’adressait directement au chef d’état-major de la défense, maintenant un général, lorsqu’il était en désaccord avec le VCEMD, ce qui s’est produit à de nombreuses reprises, tandis que toute tentative des majors-généraux allait rarement au-delà du champ de compétence du VCEMD.

Toutefois, la faiblesse inhérente de la nouvelle structure de commandement, qui ne prévoyait aucun porte-parole haut gradé pour la « Force aérienne », est vite devenue péniblement évidente et les conséquences néfastes de cette lacune sur l’efficacité opérationnelle ne pouvaient pas être cachées ou niées. Le soutien opérationnel aérien de toutes les activités de la Force navale et de la Force mobile était aussi essentiel qu’il l’était auparavant. Toutefois, parce que le transport aérien tactique, les chasseurs et les ressources d’hélicoptères tactiques relevaient de la Force mobile, et en raison de l’absence d’une autorité centrale en matière de doctrine et de normes relatives aux opérations aériennes, tout comme c’était le cas pour les moyens aériens de la Force navale, plusieurs problèmes ont surgi, le nombre d’accidents a augmenté et le moral des militaires en a souffert gravement.

Au début de 1974, il est devenu évident qu’il fallait regarder bien en face l’état de morcellement et d’abus des moyens aériens militaires des Forces canadiennes. On faisait mauvais usage des aéronefs, certaines unités ne maintenaient pas des niveaux acceptables de compétence et, à plusieurs reprises, on a découvert que des commandants gardaient les aéronefs au sol pour pouvoir utiliser les fonds attribués pour le carburant et les lubrifiants de l’aviation, à des fins qui correspondaient davantage à leurs préoccupations et à leurs objectifs. Cette insuffisance de fonds provoquée a entraîné une réduction de la poursuite essentielle de l’entraînement au vol en permanence. Du même coup, elle a réduit l’importance du soutien que les unités des opérations aériennes pouvaient leur fournir.

Lorsque j’ai été nommé sous-chef d'état-major de la défense (SCEMD) en 1973, je savais que j’occupais enfin un poste où je pouvais régler certains des problèmes concernant les opérations aériennes. D’autres collègues également ont pris soin de me le rappeler et m’ont même poussé à agir. Tous ceux avec qui j’ai discuté du plan étaient d’avis que la principale difficulté consisterait à bien orchestrer notre action et à choisir le moment propice pour tenter de changer les choses, pour éviter toute objection émotive ou subjective susceptible de faire obstacle à notre logique. Nous devions tenir compte de qui occupait quel poste dans la hiérarchie, et nous devions également nous assurer de ne pas poser de questions pouvant entraîner un veto de la part des autorités, ce qui pourrait facilement nuire à l’avancement du projet.

De plus, aussi vrai que les changements structurels dans l’organisation devaient être réussis en soi, ils devaient aussi comporter d’autres avantages précis que les améliorations à la gestion des moyens aériens. Compte tenu des compressions budgétaires, qui visaient, entre autres, à réduire l’effectif des Forces canadiennes de 83 000 à 79 000 militaires, toute réduction de l’effectif que nous pourrions proposer constituerait un boni additionnel pour nos efforts.

Nous étions convaincus que si nous arrivions à montrer comment les améliorations que nous recommandions entraîneraient des réductions de coûts, nous mettrions un frein aux tentatives de nos opposants visant à saboter nos efforts. Nous pensions aussi qu’il n’était pas certain que le CEMD et le sous-ministre de la Défense nationale retiendraient les objections, ce qui pourrait signifier qu’ils préféraient le statu quo au changement qui réduirait les coûts et améliorerait presque à coup sûr l’efficacité et la capacité opérationnelles.

Ayant soupesé ces facteurs et avant de m’attaquer au problème au niveau du « commandement », j’étais d’avis qu’il fallait rassembler les organismes d’état-major variés et opposés des organisations des chefs d’état-major d’armées du Quartier général de la Défense nationale. Ma première démarche a consisté à consolider l’état-major de l’aviation de la Force navale et de l’Armée de terre du Quartier général de la Défense nationale sous le contrôle du chef des opérations aériennes. On en avait déjà discuté avant mon arrivée, mais le SCEMD qui m’avait précédé, un lieutenant-général de l’Armée de terre, s’opposait entièrement à l’idée; il y voyait une tentative sournoise d’affaiblir le contrôle du commandant de la Force mobile sur ses avions et ses hélicoptères.

Cette restructuration de l’état-major a provoqué du remue-ménage et des réactions émotives à l’interne, mais elle a eu lieu. Le personnel navigant de tous grades de l’organisation du SCEMD était ouvertement enthousiaste par rapport au changement, même si les chefs d’état-major ne l’étaient pas nécessairement. J’ai aussi fait l’objet de critiques de mes supérieurs, mais après avoir été réprimandé par le CEMD pour avoir mis en œuvre le changement avant de lui en faire part, ce dernier m’a offert discrètement son soutien à condition que j’évite d’affronter ouvertement ceux qui avaient besoin d’être convaincus pour devenir objectifs quant à la décision et qui se demandaient où cela pouvait mener. Je l’avais échappé belle, mais maintenant, au moins, j’avais le soutien tacite des chefs d’état-major. Le VCEMD n’était pas présent à cette discussion et le CEMD m’a demandé de l’informer que nous allions donner suite au projet. Après avoir transmis le message, il était évident pour moi que le VCEMD trouverait le moyen de faire obstacle aux prochaines démarches visant à résoudre les problèmes des opérations aériennes en procédant à des changements organisationnels majeurs. À partir de ce moment, je suis demeuré vigilant et j’étais peu enclin à l’informer des événements à venir.

Une fois la poussière retombée concernant la consolidation de l’état-major de l’aviation, nous avons pu réfléchir sérieusement à la prochaine étape, qui devait avoir des répercussions sur la façon dont les opérations aériennes seraient organisées et contrôlées à l’avenir. Mon expérience antérieure du récent service « unifié » dans la Force mobile, en tant que chef d’état-major – Opérations et Instruction et commandant du Commandement de l’instruction par la suite, où j’étais responsable de toutes les écoles d’instruction militaire, m’ont aidé à prévoir d’où viendrait l’opposition, et pour quelles raisons.

À ce stade, il était évident pour moi qu’il y avait désormais trois obstacles importants à surmonter : premièrement, je devais convaincre le CEMD que le moment était venu de poser ouvertement un geste important; deuxièmement, il fallait que les deux autres éléments, l’Armée de terre et le Commandement maritime reconnaissent le besoin; et troisièmement, je devais faire approuver par le gouvernement cette étape cruciale dans la réorganisation des Forces canadiennes par n’importe quel moyen.

Après bien des discussions discrètes et une planification clandestine, le CEMD a accepté de façon privée que le major-général Ken Lewis, commandant du Commandement du transport aérien et l’une des personnes les plus habiles à donner des séances d’information que j’aie rencontrées, et le major-général Hugh Mclaughlin, chef des opérations aériennes attitré et officier le plus astucieux et doué pour discuter des questions politiques délicates du Quartier général de la Défense nationale, travaillent à temps partiel sur le projet pour élaborer les objectifs et établir le calendrier qui devait mener à la mise en œuvre d’un Commandement aérien unifié.

Mes instructions étaient claires : le projet devait être mené discrètement sans attirer la critique émotive de ceux qui pourraient être tentés d’essayer d’empêcher tout changement important dans la structure actuelle de commandement et de contrôle des Forces canadiennes. Nous n’étions pas au bout de nos peines. J’étais convaincu cependant que si nous faisions bien notre devoir et comprenions nos opposants et leur raisonnement, nous pourrions éviter un conflit prématuré en évitant de tomber dans leurs marottes.

D’entrée de jeu, nous devions concentrer nos efforts sur les besoins pressants de réparer des erreurs évidentes sur lesquelles personne ne trouverait à redire, même ceux qui manquaient le plus d’impartialité. La maternité en est un bon exemple. Pour débuter, la fusion des commandements de la Défense aérienne et du Transport aérien et la formation des équipages d’aéronefs par un commandement aérien plutôt que par le commandement de l’instruction, en quelque sorte, provoqueraient peu d’agitation chez l’un ou l’autre des deux principaux commandements d’armées.

J’ai été stupéfait de constater qu’ils étaient favorables à l’idée. Nous avons découvert plus tard que pour certains cela ternissait l’image du personnel navigant qui relevait de deux commandements, tandis que les marins et les soldats relevaient d’un seul commandement. Mon groupe s'entendait pour dire que nous devions faire en sorte que « nos opposants » connaissent notre objectif dès le début.

Du même coup, sachant que l’information était un pouvoir que nous n’étions pas prêts à livrer à profusion, nous avons distribué la drogue à petites doses, à l’interne, et gardé notre plan final sous le contrôle étroit d’un petit nombre d’intervenants clés. Bien que notre calendrier de travail soit disponible à tous, la façon dont nous allions nous prendre pour atteindre nos objectifs a été révélée seulement au moment où chaque pièce du casse-tête glissait fermement à sa place. Mon choix personnel afin d’éviter des discussions prolongées lors des conférences s’est avéré utile et nous avons pu réfuter bien des objections lors de discussions en tête-à-tête.

Notre stratégie était d’avancer pas à pas, c’est-à-dire d’entreprendre une étape à la fois. Au début, nous évitions les sujets délicats comme le commandement et le contrôle, les uniformes, la structure et la nomenclature des grades, et les principes de puissance aérienne bien appréciés par le personnel navigant (et le Collège d’état-major de l’ARC). Nous avons plutôt concentré nos efforts sur les domaines qui exigeaient une attention immédiate et qui, s’ils n’étaient pas corrigés, continueraient d’entraîner des dépenses inutiles et de nuire aux opérations. Par exemple, même le commandant de la Force mobile savait qu’un taux d’accidents d’aéronefs élevé donnait une piètre image de la façon dont il dirigeait son organisation, et le fait que cette image soit ternie par du « personnel navigant » était inexcusable, quelles qu’en soient les raisons fondamentales.

Le moment choisi était également important, et comme mentionné ci-dessus, notre projet pouvait réussir ou échouer selon les titulaires des postes influents dans la hiérarchie, leurs préoccupations concernant la Force aérienne et les rapports qu’ils entretenaient les uns avec les autres. Devions-nous éviter de tenir compte des points de vue exprimés par quelques-uns de nos critiques potentiels ou rater l’occasion d’exploiter les points de vue de ceux qui étaient d’accord avec nous, en principe, quant à nos plans? Nous risquions de devenir vulnérables à l'assaut d’un groupe puissant et bruyant qui retiendrait l’attention et soulèverait des discussions inutiles à ce stade de notre travail.

Je crois fermement aussi que ma crédibilité personnelle auprès de certains opposants à notre projet, bien que difficile à mesurer, a probablement contribué à réduire les problèmes potentiels. La plupart des collègues de l’autre armée se rappelaient et m’ont rappelé comment j’avais dû faire face à des forces obstructionnistes lorsque j’étais commandant du Commandement de l’instruction, en tant que major-général, de 1968 à 1971. À la fin des années 60 et au début des années 70, le Commandement de l’instruction ne suscitait pas l’admiration pour deux raisons : premièrement, il était le commandement des Forces canadiennes le plus important quant à son effectif et au budget qui lui était attribué; et deuxièmement, il était organisé selon le modèle de l’ancien Commandement de l’entraînement aérien de l’ARC.

Lorsque j’ai pris le commandement, je suis devenu celui qui devait consolider les ressources en matière d’instruction des trois armées et éliminer le chevauchement entre les métiers traditionnels et les écoles professionnelles, c’est-à-dire fusionner les écoles (trois pour les cuisiniers, trois pour la police militaire, trois pour l’administration, trois pour l’approvisionnement, etc., réunies en une seule).

J’ai aussi dirigé les bases militaires où se déroulait la majorité de l’entraînement, notamment à des endroits réputés comme Cornwallis, en Nouvelle-Écosse, Saint-Jean-sur-Richelieu, au Québec, Chilliwack, en Colombie-Britannique, base d’appartenance du Corps royal du génie canadien, Shilo, au Manitoba, base d’appartenance de l’artillerie, les bases des Forces canadiennes Rivers, au Manitoba, Gimli, au Manitoba, Portage, au Manitoba, Moose Jaw, en Saskatchewan, Cold Lake, en Alberta, etc. Les écoles des Armes de combat de l’Armée de terre au camp Borden, en Ontario, ainsi que les Écoles navales de l’Atlantique et du Pacifique faisaient également partie de l’empire.

J’étais le « héros à tunique bleu clair » chargé de terrasser les dragons de la tradition et des réactions émotives. Un événement qui a permis de rétablir ma crédibilité a été le nettoyage de l’« empire de l’instruction des équipages d’aéronefs », auquel personne n’avait osé s’attaquer depuis la Seconde Guerre mondiale. Pour le « personnel chargé de l’instruction aérienne », j’étais un « étranger » qui n’avait aucune expérience en ce domaine et qui ne souhaitait sans doute pas se renseigner sur le sujet.

Dans mes efforts pour en apprendre davantage sur l’organisation, je me suis heurté au plus grand « monopole d’embauche » présent dans les Forces canadiennes. Ça dépassait l’entendement, c’était extravagant, démodé et subjectif. Nous avons pu informer sans tarder les QG que nous avions besoin de deux bases d’instruction aérienne de moins, de moins de personnel et d’aéronefs et de beaucoup moins d’argent. Le personnel navigant autre que les responsables de l’instruction aérienne a répandu la nouvelle et les responsables de l’Armée de terre et du Commandement maritime ont laissé tomber leurs soupçons quant à un Commandement de l’instruction centralisé dirigé par un membre de l’aviation.

Pour couronner le tout, j’ai nommé un brigadier-général de l’infanterie chef d’état-major et deux capitaines de vaisseau (Okros et Collier) responsables de l’instruction générale. Mon service dans la Force mobile m’a également été utile. Mon expérience passée m’a permis d’établir de bonnes relations avec divers officiers supérieurs du Commandement maritime et de la Force mobile. J’en ai connu un grand nombre personnellement et professionnellement, beaucoup plus que je n’ai connu d'officiers supérieurs de l’Aviation. J’étais content de savoir de quoi il fallait discuter avec eux, et à quel moment, et ce qui devait être mis de côté jusqu’à ce d’autres pièces du casse-tête soient placées au bon endroit.

Les tentatives antérieures en vue de « réunifier » la Force aérienne avaient avorté pour un certain nombre de raisons, ce qui peut effectivement avoir retardé son évolution finale. Dans leurs efforts, le major-général Dave Adamson et le major-général Norm Magnussen ont cependant souligné les problèmes, ce qui a obligé certains officiers supérieurs à les écouter. Cela a peut-être aussi donné à d’autres officiers supérieurs le temps de trouver des arguments solides pour défendre leur position contre tout changement substantiel.

De plus, on ne disposait pas d’une analyse précise et objective pouvant justifier un changement et sur le plan politique, peu de politiciens en poste à ce moment étaient prêts à admettre que la politique d’unification assez récente ne fonctionnait pas aussi bien que le ministre de la Défense Paul Hellyer l’avait garanti. Le prédécesseur du général Jacques Dextraze comme CEMD, le général Fred Sharpe, militaire de la Force aérienne, n’était pas prêt à porter une oreille attentive à un projet de Commandement aérien « unifié ».

Je croyais également, en raison de mes contacts personnels avec lui lorsque j’étais à la tête du Commandement de l’instruction, à Winnipeg, que notre ministre libéral actuel, James Richardson (pilote de bombardier lors de la Seconde Guerre mondiale), appuierait ouvertement nos efforts si je parvenais d’abord à lui présenter en privé un plan bien conçu et discret (qui par pure coïncidence favoriserait les « régions du Pacifique » en temps opportun); il pourrait devenir un allié très puissant. Les événements qui ont suivi ont confirmé mes attentes.

La grande visibilité potentielle du projet a mis un contrôle prépondérant sur la façon dont nous avons exécuté notre tâche. Le projet devait être hermétique, dépourvu d’émotion et totalement logique et rentable. Et de toute évidence, aucune apparence de rancœur au sein du service ne devait transparaître.

Le CEMD, que l’on nommait affectueusement (?) « JADEX », grâce à qui j’occupais le poste de SCEMD, et moi-même, nous « rendions service » régulièrement. Je le connaissais bien, j’admirais honnêtement sa réussite durant la Seconde Guerre mondiale et la guerre de Corée et son leadership charismatique, et j’étais conscient également de la fierté justifiée que lui inspirait sa carrière en tant que militaire professionnel. Si je n’avais pas été sensible à son tempérament changeant, je n’aurais jamais atteint mon but. Ses attitudes par rapport à certaines politiques et idées n’étaient plus un mystère ou une surprise pour moi. Il avait confiance en moi et je ne lui ai jamais donné de raison de douter de ma loyauté.

La première fois que j’ai discuté avec lui de l’état pitoyable de la Force aérienne, ses réactions ont été celles d’un CEMD véritablement dévoué au mieux-être et aux capacités de « ses » Forces canadiennes. Il a été fort ennuyé d’être informé et convaincu de l’inefficacité avec laquelle « ses » moyens aériens étaient distribués et dispersés et de la façon dont l’effectif professionnel, les hélicoptères et les aéronefs très coûteux étaient maltraités et mal utilisés.

Après m’avoir dit (une fois de plus) de ne pas trop « laisser voir mes sentiments », avec une lueur dans les yeux, il a admis que nous ne pouvions plus éviter de voir le problème en face et m’a dit que je pouvais maintenant parler ouvertement du projet. Il m’a demandé de rédiger une proposition qui permettrait de résoudre nos problèmes et d’être prêt à la présenter au Comité de la Défense en octobre (1974), la date d’échéance pour la présentation de la proposition de compressions budgétaires au MDN, conformément aux directives du ministre. Je devais éviter tout conflit à l’interne.

Peu après que j'aie obtenu cette faveur, le CEMD m’a appris que le ministre avait officieusement approuvé la formation du Commandement aérien. Mais, rusé comme il l’était, le chef m’a relancé la balle; il m'a dit qu’il y avait un prix à payer pour avoir obtenu le consentement du ministre. Croyez-le ou non, en échange du service rendu, il me demandait, en tant que SCEMD et, « de toute évidence », en tant que militaire de la Force aérienne, de m’attaquer de façon prioritaire à l’obtention de chars d’assaut pour l’Armée de terre. Il ne pouvait supporter l’idée qu’on puisse penser qu’il n’en avait que pour les « verts » et qu’il pourrait favoriser le programme d’une armée au détriment de celui des deux autres armées. Le projet de remplacement des chars d’assaut de l’Armée devait donc occuper la première place sur ma liste de « choses à faire ».

(Quand j’y pense, après toutes ces années, cet accord semble incroyable même pour moi, l’auteur. Mais en y réfléchissant bien, « la vieille clique » a atteint des objectifs que n’ont pas pu atteindre les canaux et procédures officiels.)

En raison de beaucoup de manipulations et de maquignonnage en coulisse, ces deux ententes ont fini par se concrétiser : l’Armée de terre a eu ses chars d’assaut Leopard et le personnel navigant a eu sa nouvelle Force aérienne!

En y repensant, je constate que, tout au long du projet de renaissance de la Force aérienne, des obstacles dignes de mention ont nui à la progression de notre projet. Les deux principaux opposants étaient le commandant de la Force mobile et le VCEMD. Notre ténacité à faire face à l’obstruction que cela représentait était due, entre autres, au fait que j’étais au courant de leur antipathie professionnelle l’un contre l’autre. Nous pouvions facilement les prendre à revers!

En temps voulu, le commandant de la Force mobile a, à contrecœur, donné son accord au CEMD, et admis le besoin de consolider les moyens aériens des Forces canadiennes; il voulait cependant que son commandement conserve la « propriété » et le contrôle opérationnel des hélicoptères et des chasseurs F-5. Le VCEMD, d’autre part, semblait ne pas avoir d’opinion sur qui était propriétaire des moyens aériens, mais il demeurait inflexible sur sa position selon laquelle les avions et les hélicoptères maritimes étaient des éléments fondamentaux et inséparables du Commandement maritime, tous sans exception.

Plus notre travail progressait, plus les personnalités et les préoccupations parfois subjectives des représentants de la Marine et de l’Armée nous causaient des maux de tête. Par contre, le manque d’intérêt de chacun pour les problèmes et les inquiétudes de l’autre nous a été favorable, parce qu’ils ont omis de s’unir pour faire front commun contre l’avancement de notre projet et sa stratégie, dont, allez donc savoir pourquoi, ils n’avaient jamais entendu parler.

Les personnalités de chacun ont aussi eu des conséquences sur la façon dont nous avons élaboré notre plan et réussi à mettre les éléments en place petit à petit. Le commandant du Commandement maritime, qui n’était pas vraiment en bons termes avec le VCEMD, même si ce dernier était un collègue amiral, avait déjà été convaincu par son officier supérieur, le brigadier-général Al MacKenzie, qu’il serait bien avisé de mettre de côté tous les aspects de l’aéronavale sauf son utilisation à des fins opérationnelles. Le VCEMD a été très vexé que son groupe de « marins » adopte une telle position.

Lors de notre présentation finale au Comité de la défense, nous avons évité de pointer du doigt qui que ce soit, mais nous avons bien précisé que certains des compromis inclus dans le projet, bien qu’acceptables à court terme, n’étaient pas la meilleure solution. Le CEMD l'avait déjà constaté. Au cours de cette réunion importante, le lieutenant-général Stanley Waters, commandant de la Force mobile, a malencontreusement choisi de mentionner au CEMD que toute l’idée d’un Commandement aérien n’était pas nécessaire et ne servirait qu’à réduire l’efficacité de son commandement et à paralyser davantage sa capacité d’accomplir son travail. Il l’a fait, bien qu’il ait été au courant que le ministre avait préalablement donné son appui au projet, de même que le CEMD.

Cette intervention a échoué lorsqu’un CEMD pas mal outré a déclaré que notre proposition au conseil des ministres concernait le transfert de tous les moyens aériens des Forces canadiennes au nouveau Commandement aérien. Le lieutenant-général Waters nous avait involontairement et bien avant le moment prévu donné la structure de commandement que nous espérions obtenir en temps et lieu.

Je pourrais, bien sûr, suggérer que nous avions fait en sorte que la présentation provoque cette réaction (et que le brigadier-général Jim West, un membre intelligent, astucieux, malin, qui jouait un rôle important dans notre petit groupe, avait rassemblé la documentation avec cette intention), mais le tempérament du CEMD et le manque d’affinité bien connu entre lui et le commandant de la Force mobile ont fait en sorte que ce dernier a été blâmé et que son objection a été rejetée, même les ajustements que nous avions apportés pour lui plaire. Tous les gens présents à la réunion ont réalisé, une fois de plus, que personne, je dis bien personne, ne devait essayer de tenir tête à JADEX dans un forum ouvert, et surtout pas devant des dirigeants civils, notamment le sous-ministre.

Nous avons quitté la réunion avec l’approbation de présenter au ministre une proposition d’organisation que nous, en tant que militaires de la Force aérienne, espérions atteindre, sans penser que notre proposition serait approuvée sur-le-champ, sans modification. Nous avions, en fait, préparé quelques compromis, au cas où notre objectif final devrait être atteint graduellement.

Comme suggéré précédemment, le VCEMD n’a jamais été un fier partisan de notre projet. Il désapprouvait la majorité du concept d’un Commandement aérien comme nous l’avions conçu et sa réticence semblait être liée partiellement à une antipathie fondamentale pour plusieurs aspects de la « Force aérienne ». Son attitude était peut-être motivée par le fait qu’il n’avait pas été choisi pour faire partie de la Force aérienne intérimaire de 1945-1947. Il a été profondément blessé, il le prenait comme une insulte et il semble qu’il n’ait jamais réussi à faire le deuil de ce qui, selon lui, était un affront à sa fierté et à son image de soi.

Bien qu’il n’ait pas servi outre-mer comme la majorité d’entre nous qui avions été choisis, je n'ai aucun doute qu’il croyait qu’il était aussi compétent, sinon plus que plusieurs d’entre nous qui avions été sélectionnés pour continuer à servir dans l’ARC. Bien que je partage cet avis, je n’arrivais pas à comprendre, si vraiment c’était le cas, que le fait d’entretenir de la rancœur pour un événement qui datait de tellement longtemps ait pu l’aider à projeter l’image qu’il aurait souhaité projeter, surtout pour quelqu’un qui détenait le deuxième grade en importance dans les Forces canadiennes.

Lorsqu’on nous a demandé de préparer les documents définitifs qui seraient présentés au ministre, il fallait que ceux-ci fassent l’objet d’une « coordination » entre les gens concernés par la mise en œuvre de la décision que nous espérions et attendions. Par conséquent, l’une des étapes finales de la préparation des documents, avant de les livrer, consistait à les faire parapher par le VCEMD, qui était, en fait, le gestionnaire responsable de toutes les activités liées à l’orientation stratégique du Quartier général de la Défense nationale.

Peu après la livraison des documents en main propre, du bureau du VCEMD au bureau du ministre, son cadre supérieur militaire (à ce moment), le brigadier-général Gus Cloutier, m’a appelé. En examinant le document avant de le présenter à son patron, il avait noté une modification importante du concept et de la structure du Commandement aérien proposés lors de nos contacts officieux avec le ministre et qu'il approuvait.

Plutôt que de mentionner que les moyens aériens de la Force aérienne devaient faire partie de la structure du Commandement aérien, quelqu’un avait modifié le corps de la proposition et ajouté « sauf les moyens aériens appartenant au Commandement maritime et à la Force mobile ». Bien qu’on ne possède aucune preuve concernant l’identité de la personne qui a modifié le texte, le VCEMD avait signé la version du document comprenant cet extrait. Le CEMD n’avait pas été consulté et, pour couronner le tout, les employés du VCEMD avaient oublié de modifier les annexes qui résumaient la décision et les directives que nous avions reçues du CEMD.

La vigilance de Gus Cloutier et sa relation d’amitié étroite avec Jim West ont évité ce qui aurait pu être une situation très embarrassante pour le CEMD et les Forces canadiennes. Tout au long de la route qui nous a menés au succès, nous savions hors de tout doute qui appuierait nos efforts et qui nous empêcherait de progresser. Aussi immature que ça puisse paraître, les relations personnelles et les préoccupations ont bel et bien joué un grand rôle.

Par exemple, le commandant du Commandement maritime et le VCEMD, deux amiraux, n’ont pas manifesté la chaleur à laquelle on s’attend de la part de « vrais amis ». Certains d’entre nous avaient constaté auparavant que lors de discussions ouvertes, les deux amiraux semblaient souvent vouloir avoir le dernier mot. Aussi, le commandant de la Force mobile à ce moment n’était pas vraiment en bons termes avec le CEMD. Le premier était un officier de l’Armée de terre très catégorique, parfois nerveux, et le second était un soldat de carrière avec une fiche exceptionnelle en temps de guerre, qui était très conscient de son poste au sommet de la hiérarchie.

En fait, lors des réunions du Comité de la Défense, les divisions entre les divers « hauts gradés » étaient si évidentes que je pouvais voir « les points faibles » de chacun, dont nous avons pu tirer profit, avec de la planification, à mesure que les événements se déroulaient. Puisque nous avions un VCEMD dont les opinions différaient souvent de celles des commandants opérationnels, sur lesquels il n’avait pas de pouvoir réel en tant que gestionnaire des quartiers généraux, un CEMD qui était un « aspirant aviateur » de diverses façons, et un ministre, membre d’équipage d’aéronef de l’ARC durant la guerre que j’avais connu personnellement durant mon séjour à Winnipeg en tant que commandant du Commandement de l’instruction, il était évident que nous pouvions utiliser ces trois intervenants importants à notre avantage, à condition de bien jouer nos cartes.

Il semble que nous l’ayons fait. Le résultat de toute cette démarche a été le Commandement aérien qui, contrairement à son vénéré prédécesseur, l’ARC, avait sa propre devise, son insigne approuvé, sa structure des grades, son uniforme et ses symboles de service. L’ARC avait emprunté tout ça à la Royal Air Force, et bien que tous ces symboles aient fait l’objet d’un grand respect sur le plan historique, seuls la Prière de l’aviateur et le Défilé subsistent.

Finalement, contrairement aussi à l’ARC, la nouvelle organisation commandait tous les moyens aériens des Forces canadiennes, y compris les services de l’aviation du Commandement maritime et de l’Armée de terre, qui étaient distincts auparavant.

Le document finalement approuvé par le ministre (et noté par le conseil des ministres) et qui devait entrer en vigueur le 2 septembre 1975, contenait l’énoncé suivant : le rôle du Commandement aérien consiste à fournir des forces aériennes de la Force régulière et de la Réserve opérationnelles pour répondre aux engagements en matière de défense au Canada, sur le continent et à l’étranger et à des engagements régionaux dans la région des Prairies*. [traduction]

* La région des Prairies s’étendait de Thunder Bay à Vancouver, et existait, de même que les régions de l’Atlantique, du Centre et du Pacifique, pour attribuer des responsabilités de soutien par les forces armées au pays en cas d’inondations, de tempêtes de verglas et de feux de forêt, lorsque les ressources civiles étaient débordées. Les responsabilités comprenaient également l’« aide aux autorités civiles » et l’« aide au pouvoir civil ». Peu importe qui était « propriétaire » des ressources militaires dans une région, le commandant désigné était autorisé à utiliser les forces militaires dont il avait besoin pour l’intervention d’urgence.

Sans un « aspirant aviateur », qui était un CEMD charismatique, patriote et audacieux, et un ministre vraiment soucieux de l’efficacité des Forces canadiennes, le Commandement aérien, tel qu’il a été créé finalement, n’aurait jamais vu le jour.

Et sans des collègues professionnels tout à fait objectifs comme certains membres de mon équipe, je n’aurais jamais réussi à mener ce projet à terme.

Il existe deux sources historiques intéressantes qui renferment des renseignements approfondis sur la création du Commandement aérien. Il s’agit de The formation of Air Command: A struggle for survival, par le major Stephen L. James, publié par le Département d’histoire du Collège militaire royal de Kingston, en avril 1989, et de The Organization of Air Command 1973 - 1976, par Catherine Eyre, distribué au MDN le 7 novembre 1979. (Renferme de nombreuses données statistiques et des organigrammes.)

Rédigé le 20 décembre 2005 et révisé le 20 janvier et le 28 février 2006.

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