Willa Walker a ouvert la voie aux aviatrices de l’ARC
Article de nouvelles / Le 7 mars 2019
Par Elinor Florence
À l’occasion de la Journée internationale des femmes, le 8 mars, nous vous présentons l’histoire de Willa Walker, qui a ouvert la voie aux femmes dans l’Aviation royale canadienne pendant la Seconde Guerre mondiale.
Wilhelmina Magee naît à Montréal le 3 avril 1913. Elle est l’une des quatre enfants du président de banque Allan Magee et de Madeline Smith de Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick. Les Magee vivent à Montréal, mais les enfants aiment passer l’été au chalet loué à la famille Smith à Saint Andrews, au Nouveau-Brunswick.
Willa, comme elle préférait qu’on l’appelle, reçoit une excellente éducation dans une école privée pour filles appelée The Study et développe une conscience sociale aiguë. Elle est l’une des premières à soutenir le célèbre médecin canadien Norman Bethune, qui deviendra une figure marquante de la guerre civile chinoise.
Après avoir terminé ses études, Willa se rend à Paris pour apprendre la langue et la culture françaises. À son retour au Canada en 1933, âgée seulement de 20 ans, cette courageuse jeune femme parcourt le monde comme maîtresse de poste à bord du célèbre paquebot Empress of Britain du Canadien Pacifique.
De retour à Montréal, travaillant pour une agence de presse, Willa accompagne les photographes qui prennent des photos de débutantes et de célébrités locales. Cependant, apprenant l’accession de sir Herbert Marler au poste de ministre canadien à Washington, D.C., Willa s’offre comme secrétaire sociale de sa femme, lady Beatrice Marler, et passe les deux années suivantes à Washington avec les Marler avant de revenir au Canada.
En 1939, Willa est invitée à une fête à la résidence du gouverneur général du Canada, à Ottawa, où elle rencontre David Walker, jeune capitaine écossais de la 51e division des Highlands du Black Watch britannique et aide de camp du gouverneur général lord Tweedsmuir, le romancier John Buchan. La première rencontre du couple est toutefois loin d’être prometteuse : Willa demande à David un xérès, mais lui, lui apporte plutôt un scotch corsé!
Malgré un début incertain, des étincelles finissent par jaillir entre les deux jeunes gens, qui se marient le 27 juillet 1939. Quelques jours seulement après leur lune de miel dans l’Écosse natale de David, la guerre éclate, forçant le mari à rejoindre sa division.
Lorsque David part en guerre avec son régiment en France en 1940, Willa reste chez ses beaux-parents à Cupar, au sud de Dundee, non loin de Saint Andrews, en Écosse. Peu avant l’évacuation des soldats alliés à Dunkerque, en juin 1940, toute la division de David se retrouve coincée à Saint-Valery, en Normandie. David passe les cinq années suivantes dans un camp de prisonniers. Il réussit à s’échapper trois fois, mais il est recapturé. Finalement, on l’incarcère au tristement célèbre château de Colditz, en Allemagne, une forteresse qui accueille des détenus incorrigibles qui se sont échappés à plusieurs reprises d’autres camps.
Ce n’est qu’après la capture de David que Willa découvre qu’elle est enceinte. Elle rentre au Canada pour y accoucher de son fils Patrick en novembre 1940, mais, tragiquement, celui-ci meurt au berceau en février 1941, à l’âge de trois mois. Le chagrin qu'engendre la mort de l'enfant minera toute l’existence de Willa, et David n’aura jamais pu voir son fils.
Ce n’est qu’en juillet 1941 que le Parlement cède finalement aux pressions du public et adopte un décret autorisant les femmes à s’enrôler. L’Aviation royale du Canada forme immédiatement le Service féminin, dont la devise est : « We Serve That Men May Fly » (Nous servons pour que les hommes puissent voler).
Son bébé mort et son mari en prison, Willa décide de se joindre elle-même à l’effort de guerre. En octobre 1941, elle obtient son diplôme avec le premier groupe de recrues de la force aérienne et récolte les meilleures notes à la formation des officiers. Trois mois plus tard, en janvier 1942, elle se voit confier la responsabilité des nouvelles recrues féminines au Canada, qui sont toutes arrivées au 7e Dépôt des effectifs, à Rockcliffe, en Ontario, pour suivre l’instruction de base. En février 1943, Willa assume le commandement du Service féminin au Canada, remplaçant Kathleen Oonah Walker (sans lien de parenté), officière estimée partie en Angleterre pour y agir à titre de chef du Service féminin. Les deux femmes portent le grade d’officier d’escadre, et, à partir de ce moment, les militaires se mettent à appeler Willa « The Wing » (escadre se traduit par « wing » en anglais).
Willa a un talent inné de chef. Elle est responsable non seulement de l’établissement de centres de formation partout au Canada, mais aussi de la discipline et de l’efficacité du Service féminin. Il lui incombe également d’inciter davantage de femmes à s’enrôler, et son enthousiasme convainc sans aucun doute de nombreuses jeunes femmes de suivre ses traces.
À l’époque, de nombreux Canadiens croient que les femmes n’ont pas leur place dans les forces armées, qu’elles doivent plutôt s’occuper du foyer – tricoter des chaussettes, rouler des bandages et cultiver les jardins de la Victoire. Ils craignent que la réputation d’une femme souffre si celle-ci s’éloigne des yeux vigilants de ses parents. Or, c’est le travail de Willa de les persuader du contraire. Pendant deux ans, elle sillonne le pays par voies terrestre et aérienne, s’adressant à des groupes et à des organisations, même à des congrégations religieuses, afin de changer la perception du public à l’égard des femmes en uniforme.
En mai 1943, Willa entreprend un long voyage dans l’Ouest canadien, visitant 33 bases aériennes entre Winnipeg et l’île de Vancouver en cinq semaines, recrutant de jeunes femmes et rencontrant autant de leurs parents que possible. « Vous considéreriez que c’est la bonne chose à faire pour vos fils, et vous devriez aussi sentir que c’est la seule chose à faire pour vos filles », insiste-t-elle. L’un de ses arguments les plus convaincants est que la vie dans la force aérienne est une bonne formation pour les futures ménagères!
« La vie dans la force aérienne est un cadre merveilleux pour le mariage, dit-elle. Un tel mariage signifierait bien plus, grâce à l’expérience partagée par l’homme et la femme en uniforme. Une fille qui a servi dans l’armée pourra mieux comprendre son mari, parce qu’elle saura ce qu’il a vécu. »
Les femmes canadiennes seraient de meilleures citoyennes après une période de service, avance-t-elle. « Personne n’a à craindre que ces femmes ne puissent jamais s’installer confortablement chez elles en temps de paix. Elles le feront, avec reconnaissance, mais elles seront de meilleures personnes – elles seront plus adaptables et auront une meilleure compréhension. Elles auront grandement bénéficié d’un peu de discipline! »
La majorité des femmes, explique-t-elle, s’enrôlent pour des raisons intensément patriotiques. Certaines ont perdu leur mari, leur père ou leur frère, et sont déterminées à prendre leur place. « Elles ne cherchent pas à faire la vedette, insiste-t-elle. Elles veulent que ce soit dur. Elles veulent éprouver dans une certaine mesure ce que leurs proches ont vécu. »
Lors de cette tournée, Willa est accompagnée d’une autre officière de renommée, Jean Flatt Davey, première femme médecin de sa division médicale. Toutes deux soutiennent que les femmes de la force aérienne sont en meilleure santé que la moyenne parce qu’elles mangent de la bonne nourriture, font beaucoup d’exercice et obtiennent d’excellents soins médicaux.
Willa met également l’accent sur l’instruction que les femmes reçoivent dans une quarantaine de métiers différents, notamment ceux de météorologue, de mécanicienne, de radiotélégraphiste et de commis aux opérations. Et même si les femmes ne reçoivent que les deux tiers du salaire des hommes, les anciennes combattantes touchent après la guerre les mêmes avantages que les anciens combattants masculins, y compris des pensions et la possibilité de poursuivre leurs études.
De jeunes recrues enthousiastes d’un bout à l’autre du pays demandent à de nombreuses reprises à Willa à quel moment les femmes iront à l’étranger, mais elle souligne sans tarder qu’on a grandement besoin d’elles ici, dans les bases aériennes canadiennes. Seulement 2 000 des 17 000 femmes de la force aérienne auront l’occasion d’aller à l’étranger pendant la guerre.
Willa visite ensuite toutes les bases aériennes du Commandement de l’Est, se rendant même au Dominion de Terre-Neuve, à l’époque où il s’agit d’un pays distinct.
Willa accorde des entrevues à des journalistes d’un océan à l’autre, mais certains d’entre eux, des hommes, ne savent pas trop comment décrire l’impressionnante officière. Un journaliste écrit : « Mme Walker est de taille moyenne et très mince, a les yeux bruns étincelants et les cheveux bruns, et elle a l’air très jeune pour le poste de très haute responsabilité qu’elle occupe. » C’est encore un monde d’hommes, mais, en privé, Willa mène une guerre pour l’égalité des femmes.
Par exemple, dans tous les centres de formation, le mess des officiers, ou salle à manger, est réservé aux hommes, de sorte que Willa n’a pas le droit de manger avec les officiers masculins. Frustrée par ce règlement, elle ordonne un jour à son chauffeur de se garer devant le mess des officiers. Malgré une température sous le point de congélation, elle reste assise dans le véhicule pendant une tempête de neige, mangeant ses biscuits froids, jusqu’à ce que les officiers masculins aient tellement honte qu’ils l’invitent à entrer.
D’un bout à l’autre du pays, les femmes officières se réjouissent, car on ne les empêchera plus jamais d’entrer dans le mess des officiers! Willa a de nouveau de quoi être fière lorsque la chef de la British Women’s Auxiliary Air Force, qui a inspiré le service canadien, la commandante en chef de la force aérienne Katherine Trefusis Forbes, visite le Canada lors d’une tournée d’inspection et déclare que le rendement des femmes est de premier ordre. « Ce qui m’impressionne, c’est leur enthousiasme, ainsi que leur attitude joyeuse et leur enthousiasme au travail. Les gens ne se rendent toujours pas à quel point c’est colossal. »
En novembre 1943, Willa accepte une coupe en or massif au nom du Service féminin, un cadeau de la British Women’s Auxiliary Air Force, offert par la princesse Alice, duchesse de Gloucester. Pour son travail de guerre, Willa est reçue membre de l’Ordre de l’Empire britannique à Londres, en Angleterre, en janvier 1944, par la reine Elizabeth, femme du roi George VI.
Pendant les longues années d’incarcération de David, Willa n’abandonne jamais l’espoir qu’il puisse s’échapper. Elle trouve un code pour communiquer des nouvelles importantes dans ce qui semble être de simples lettres à son mari, qui passent inaperçues aux yeux des censeurs canadiens et allemands.
Elle réussit également à faire passer des cartes d’évasion à David dans les semelles d’une paire de chaussures contenues dans un colis de la Croix-Rouge. Cette fois-ci, des officiers militaires canadiens interceptent le colis et trouvent les cartes.
D’abord, ils critiquent sa témérité, puis l’ingéniosité du plan finit par les séduire; ils remballent donc les chaussures et envoie le colis. Malheureusement, personne ne réussira à s’échapper du château de Colditz, pas même David.
À l’approche de la fin de la guerre, les forces armées n’ont plus besoin des femmes et commencent à les libérer. Willa quitte son poste en octobre 1944, après trois ans de service, pour attendre le retour de son mari. Ce n’est qu’en mai 1945 que la guerre prend fin et qu’ils sont réunis.
Le couple s’installe brièvement en Écosse, où naît leur fils Giles. La jeune famille se rend ensuite en Inde, où David occupe le poste de chef de cabinet de lord Archibald Wavell, puis de lord Louis Mountbatten.
En 1947, les Walker retournèrent en Écosse, où David prend sa retraite au grade de major; c’est alors que naît leur fils Barclay. L’année suivante, ils rentrent au Canada et s’établissent à Saint Andrews, au Nouveau-Brunswick.
Willa met son sens de l’organisation à contribution pour s’acquitter de la difficile tâche d’élever quatre garçons turbulents.
Elle se consacre également au service de la collectivité, se joint à de nombreuses organisations locales et écrit un livre populaire sur sa ville bien-aimée, intitulé « Summers in Saint Andrews : Canada's Idyllic Seaside Retreat ».
Elle rend l’âme en 2010, à l’âge de 97 ans. Le 16 juin 2018, on nomme et inaugure un parc de Rockcliffe, en Ontario, en son honneur. Willa Magee Walker a vraiment incarné la devise de l’Aviation royale du Canada de l’époque, « Per ardua ad astra », à travers les embûches jusqu’aux étoiles.
Détails de la page
- Date de modification :