L’ARC et « un pont trop loin »

Article de nouvelles / Le 28 août 2019

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Par le major (à la retraite) William March

L’année 2019 marque le 75e anniversaire de l’opération Market Garden, la campagne audacieuse mais infructueuse visant à capturer des ponts enjambant plusieurs rivières aux Pays-Bas afin d’ouvrir un corridor par lequel les forces terrestres alliées pourraient passer pour éventuellement mettre fin à la guerre avant Noël 1944.

Beaucoup croyaient que les « boches » ne sauraient se relever des pertes terribles qu’ils avaient subies durant la campagne de Normandie en 1944 et leur retraite en France et en Belgique. Les Alliés n’avaient plus qu’à mener une grande opération offensive pour mettre fin à la guerre avant Noël.

C’est, du moins, ce qu’on croyait.

L’opération Market Garden était une tentative audacieuse élaborée par le maréchal sir Bernard Law Montgomery visant à créer un corridor de 103 kilomètres à travers les Pays-Bas occupés et d’établir une tête de pont au-dessus du Rhin, contournant ainsi les positions défensives allemandes à l’intérieur de la « ligne Siegfried ». Menée du 17 au 25 septembre 1944, l’opération s’est déroulée en deux parties : « Market », la partie de l’opération pendant laquelle la First Allied Airborne Army, comprenant la 82e et la 101e Division aéroportée des États-Unis, et la 1re Division aéroportée britannique devaient sauter en parachute dans les environs de neuf ponts traversant diverses rivières et tenter la prise de ceux-ci, et « Garden », un assaut terrestre par le XXXe corps d’armée britannique pour relever les forces aéroportées et consolider les gains des Alliés.

L’opération était fortement tributaire de la puissance aérienne alliée, et le personnel de l’Aviation royale canadienne (ARC) était au cœur de celle-ci du début à la fin.

Le général Dwight D. Eisenhower, commandant suprême des forces alliées, a approuvé l’opération le 10 septembre, amorçant ainsi une foule d’activités de planification. Plus de 35 000 soldats devaient participer à l’attaque aéroportée, nécessitant le recours à environ 3 500 avions de transport. Toutefois, les Alliés disposaient d’un peu moins de 1 600 avions, ce qui signifiait que les parachutages devaient avoir lieu durant trois jours consécutifs (les 17, 18 et 19 septembre), suivis de missions de réapprovisionnement et de renforcement au besoin. En même temps, le XXXe corps d’armée devait avancer le long d’une voie d’accès étroite en franchissant des obstacles successifs formés par des rivières au moyen de ponts capturés par les forces aéroportées américaines et britanniques en vue de relever la 1re division aéroportée britannique, le régiment de pilotes de planeurs et la 1re brigade de parachutistes polonais dans la ville néerlandaise d’Arnhem.

Une résistance allemande tenace et inattendue a entraîné de lourdes pertes chez les Alliés, ainsi que des retards, empêchant ainsi le XXXe corps de l’armée d’atteindre Arnhem. Les forces aéroportées alliées dans la région ont été presque anéanties, déplorant la mort de 2 000 soldats et la capture de 7 000 autres.

Le pont d’Arnhem était « un pont trop loin », comme le laisse entendre le titre du film « A Bridge Too Far ».

Six quartiers généraux distincts coordonnaient les patrouilles d’escorte de chasseurs, de suppression de tir de DCA, de soutien aérien rapproché et de supériorité aérienne (barrière). Des avions du Bomber Command de la Royal Air Force (RAF), de la défense aérienne de la Grande-Bretagne, de la 2nd Tactical Air Force (2 TAF) et du Coastal Command, ainsi que des 8e et 9e U.S. Army Air Forces ont participé à l’opération. C’était un ballet aérien finement synchronisé mettant en jeu des milliers d’avions, mais compliqué par des personnalités conflictuelles, des difficultés de communication, la météo, des problèmes inattendus et, bien sûr, l’ennemi.

Bien qu’elle se remettait de ses pertes et souffrait d’un manque d’à peu près tout, y compris des pilotes formés, la Luftwaffe a mobilisé toutes les forces qu’elle a pu pour contrer la poussée des Alliés. Quelque 300 avions ont été transférés dans la région et les Allemands ont exploité au maximum les aérodromes à proximité et les réseaux polyvalents de radars et d’observation au sol déjà en place pour contrer les bombardiers alliés. Lorsqu’ils pouvaient traverser le cordon de protection, les chasseurs allemands ont infligé des dommages importants aux flottes de transport, ce qui n’a pas été suffisant pour sérieusement tenir tête à la supériorité aérienne des Alliés. Le coup le plus important que la Luftwaffe a réussi à porter a été réalisé par ses bombardiers le soir du 19 au 20 septembre, lorsque 75 avions ont ciblé Eindhoven, aux Pays-Bas, endommageant la ville et les colonnes d’approvisionnement britanniques qui s’y trouvaient, retardant davantage l’avance du XXXe corps d’armée.

Le Bomber Command et les B-17 de la 8e Force aérienne des États-Unis ont donné le coup de départ, attaquant les positions de tir de DCA et les aérodromes ennemis. Les chasseurs et les chasseurs-bombardiers ont volé continuellement, commençant environ 30 minutes avant le premier avion de transport et demeurant en poste au besoin. Puisque les radars alliés ne permettaient pas de surveiller la totalité de la zone opérationnelle, deux chasseurs Mustang P-51 des États-Unis ont effectué des barrages de patrouilles à l’est des corridors le long desquels les avions de transport volaient. Six groupes supplémentaires de Mustang des États-Unis couvraient la partie sud de la zone opérationnelle pendant que 18 escadrons de Spitfire de la RAF et deux groupes de Mustang ont fait de même pour la partie nord.

Pour prévenir les tirs amis, des missions de soutien aérien direct, menées principalement par un avion de la 2 TAF, étaient restreintes en général à soutenir l’avance du XXXe corps d’armée. En tout, plus de 8 000 sorties alliées ont eu lieu à l’appui de l’opération Market Garden.

Durant la soirée du 16 au 17 septembre, des Lancaster et des Mosquito des 1er et 8e Groupes du Bomber Command ont attaqué les positions allemandes dans la zone opérationnelle.

Durant une attaque d’une position de tir de DCA près de la ville néerlandaise de Moerdijk, l’ARC a subi ses premières pertes lorsque deux Lancaster sont entrés en collision, entraînant la mort de tous les membres des deux équipages. Cinq d’entre eux faisaient partie de l’ARC. Le lendemain, une attaque subséquente des positions de tir de DCA, près de la ville de Flushing, a eu lieu sans pertes. Pendant le reste de l’opération Market Garden, le soutien au Bomber Command s’est limité aux balayages de diversion occasionnels ayant pour but d’éloigner les chasseurs allemands.

Les chasseurs, les chasseurs-bombardiers et les avions de reconnaissance appartenant de la 2 TAF étaient en appel constant durant toute la durée de l’opération Market Garden, lorsque la météo le permettait. Le 84e Groupe soutenait la seconde armée britannique et la Première Armée canadienne, ce qui permettait aux 29 escadrons du 83e Groupe (parmi lesquels quinze faisaient partie de l’ARC) d’épauler la charge pour l’opération Market Garden. Durant l’opération, le 83e Groupe a fait voler plus de 1 700 chasseurs et a effectué 1 300 sorties de soutien offensif et de reconnaissance.

Selon le plan, l’escorte des avions de transport incombait principalement aux unités des États-Unis, les avions de la 2 TAF n’assurant seulement qu’une protection intermittente. Les chasseurs canadiens et britanniques ont effectué des patrouilles offensives engageant les avions ennemis de façon périodique et attaquant des cibles inopinées au sol. La première perte de l’ARC est survenue lorsque le capitaine d’aviation Godfrey Addison Argument (âgé de 23 ans et originaire de Toronto, en Ontario), militaire du 33e Escadron, a perdu la vie lorsque son Spitfire a été atteint par un projectile antiaérien près d’Anvers, en Belgique.

Il ne serait pas le dernier.

Le 401e et le 441e Escadron ont combattu plus de 20 chasseurs allemands le 18 septembre au-dessus de Nijmegen, revendiquant la destruction de trois avions ennemis et l’endommagement de plusieurs autres, sans aucune perte ni aucun dommage de leur côté. Cependant, le 25 septembre, la Luftwaffe a commencé à se montrer en force et les combats aériens sont devenus plus fréquents... et mortels.

Tous les escadrons canadiens de Spitfire en vol ont signalé avoir affronté des hordes de chasseurs ennemis. De nombreuses revendications d’avions ennemis détruits et endommagés ont été faites, mais trois pilotes canadiens ont perdu la vie, notamment le capitaine d’aviation Errol Hilliard Willard Treleaven (âgé de 29 ans et originaire d’Elm Creek, au Manitoba), du 416e Escadron, le capitaine d’aviation Bernard Boe (âgé de 28 ans et originaire de Vancouver, en Colombie-Britannique) et le sous-lieutenant d’aviation Osman McMillan (âgé de 21 ans et originaire de Windsor, en Ontario), tous les deux du 441e Escadron.

Les avions de reconnaissance, volant seuls ou en paires, ont également subi des pertes.

Le 17 septembre, le Mustang piloté par le lieutenant d’aviation Henry James Muir (âgé de 22 ans et originaire de Trois-Rivières, au Québec), du 65e Escadron, a été abattu par un tir antiaérien au sud d’Eindhoven. Trois jours plus tard, le 20 septembre, le capitaine d’aviation John Wesley Cowling (âgé de 29 ans et originaire de Peterborough, en Ontario), du 430e Escadron, a perdu la vie lorsque son Mustang a été détruit dans la même région.

Les chasseurs-bombardiers alliés ont fait sentir leur présence le premier jour de l’assaut terrestre en aidant à percer une voie pour les chars du XXXe corps d’armée. Les Typhoon canadiens du 438e, du 439e et du 440e Escadron, armés de bombes de 225 kilogrammes, ont effectué de nombreuses sorties le 17 septembre, frappant à la fois des positions de tir de DCA et des points de résistance ennemis. À partir de ce moment, ces escadrons de l’ARC ont principalement effectué des missions de reconnaissance armées, attaquant des cibles inopinées.

Même si de nombreux Typhoon ont subi des dommages par tir de DCA, leur seule perte mortelle est survenue le 24 septembre, lorsque le lieutenant d’aviation Richard Walter Vokey (âgé de 21 ans et originaire de Montréal, au Québec), pilotant un Typhoon, a été frappé par un tir de DCA pendant qu’il attaquait un groupe de véhicules ennemis. Cependant, un autre Canadien, le lieutenant d’aviation Tim Issie Pervin (âgé de 30 ans et originaire de Westmount, au Québec), pilote de Typhoon du 181e Escadron, a perdu la vie le 22 septembre. Accompagnant son escadron, il effectuait une attaque à la roquette et au canon contre les forces ennemies dans la région de Geaven, aux Pays-Bas, lorsque son avion a été atteint par un tir de DCA. Il était trop près du sol pour reprendre la maîtrise de son appareil, qui s’est écrasé près d’Eindhoven.

La grande majorité des militaires de l’ARC, environ 43 aviateurs, ont perdu la vie durant le pont aérien de grande envergure « Market ».

Les deux groupes affectés au Transport Command de la RAF, à savoir le 38e Groupe (pilotant des avions quadrimoteurs comme les Short Stirling) et le 46e Groupe (aux commandes de Dakota), composaient une force de 371 avions le 17 septembre. À la fin de l’opération le 26 septembre, 82 avions avaient été détruits et un autre 350 avions avaient subi des dommages à divers degrés, ce qui comprenait les avions de remplacement. Le 9e Troop Carrier Command des États-Unis a subi des pertes semblables. Neuf cent trente-deux des 1 173 avions au début de l’opération Market Garden ont subi des dommages ou ont été détruits.

Parmi les membres du personnel de l’ARC qui ont perdu la vie figure le lieutenant d’aviation George Edgar Henry (âgé de 25 ans et originaire de Flin Flon, au Manitoba), mortellement blessé aux commandes d’un Dakota du 575e Escadron. Le navigateur, le lieutenant d’aviation Henry Joseph Love McKinley, et le radiotélégraphiste, l’adjudant William Fowler, tous les deux militaires de l’ARC, ainsi que le deuxième navigateur, l’adjudant Albert E. Smith (RAF), ont tenté de terminer la mission. Cependant, lorsque le planeur qu’ils remorquaient a signalé des dommages, ils ont doucement rebroussé chemin de façon à atterrir en territoire ami. Le lieutenant d’aviation McKinley et l’adjudant Smith ont alors escorté le Dakota jusqu’en Angleterre, où ils ont pu effectuer un atterrissage en douceur. Les deux se sont vu décerner la Croix du service distingué dans l’Aviation.

Douze militaires du 437e Escadron « Husky », le seul escadron de transport de l’ARC en Europe, ont perdu la vie durant l’opération Market Garden. Le baptême de feu de l’unité, formée à peine trois jours avant le début de l’opération, a eu lieu le 21 septembre, lorsque quatre Dakota canadiens ont été abattus.

Le sergent de section Semon Lievense (âgé de 28 ans et originaire de Saint-Boniface, au Manitoba) a aussi perdu la vie; il était le mécanicien de radar responsable de la Light Warning Radar Unit 6080. Afin d’offrir aux soldats aéroportés une capacité limitée pour détecter et guider l’interception d’avions ennemis, les radars « aérotransportables » accompagnant un petit détachement du personnel de la RAF et de l’ARC devaient atterrir en planeur.

Deux planeurs, transportant au total 25 militaires, se sont détachés de leur remorqueur près d’Arnhem le 18 septembre. Endommagés par des tirs de DCA, ils ont effectué des atterrissages difficiles. Les équipes de radar ont immédiatement subi des tirs de mortier et d’armes de petit calibre et les radars n’ont jamais été installés. Les équipages, y compris le sergent de section « Blondie » Lievense, se sont plutôt battus comme des fantassins. Parmi les 25 officiers et hommes de ces unités, dix ont perdu la vie, onze ont été capturés et quatre ont réussi à s’échapper. Le sergent de section Lievense a été tué par l’artillerie allemande le 22 septembre.

L’opération Market Garden a constitué une tentative d’une ampleur épique visant à mettre fin à la guerre avant Noël 1944. Toutefois, l’opération a échoué et les Alliés ont fait face à sept autres mois de durs combats avant que les Allemands ne se rendent.

Arnhem, la ville néerlandaise où de nombreuses personnes ont perdu la vie tant au sol et que dans les airs a finalement été libérée par l’armée canadienne le 15 avril 1945.

Seize escadrons de l’ARC portent fièrement « Arnhem » comme honneur de guerre sur leurs drapeaux consacrés, un rappel du travail qu’ils ont accompli à l’appui des forces terrestres alliées pour tenter d’atteindre « un pont trop loin ».

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2022-04-28