Retour aux grades de l’Aviation royale du Canada : Un examen

Article de nouvelles / Le 26 septembre 2014

Par le lieutenant-colonel John Alexander

L'article a été publié sous une forme plus longue, avec des notes, dans l'édition « Hiver 2014 » de La revue de l’Aviation royale canadienne.

Le gouvernement du Canada a reconnu l’histoire des différentes armées des Forces armées canadiennes (FAC) en réintégrant la mention « royal » dans les appellations de la Marine royale canadienne (MRC), de l’Aviation royale canadienne (ARC) et de certaines autres unités de l’Armée canadienne. D’autres manifestations de cette reconnaissance, comme l’emploi de la boucle d’officier pour les grades de la Marine, l’utilisation du pavillon de beaupré et le retour des étoiles et des couronnes de l’Armée de terre, ont amené certains militaires à se demander si l’ARC reviendrait bientôt à ses grades traditionnels. Il importe de comprendre que les débuts de l’histoire que nous avons décidé de reconnaître n’ont pas été faciles. Beaucoup des réflexions sur le développement d’un esprit de corps au sein de l’ARC, indépendamment des autres armées, sont aussi pertinentes aujourd’hui qu’elles l’étaient à la naissance de notre Force aérienne.

Même si l’ARC a décidé que le 1er avril 1924 était sa date de constitution, l’histoire de l’Aviation canadienne (AC) remonte plus loin, soit à la création d’une escadre canadienne en Europe qui « est entrée en fonction neuf jours après la fin de la Première Guerre mondiale ».

La démilitarisation qui a suivi la Première Guerre mondiale a été le premier obstacle qu’a dû surmonter notre force aérienne déjà en plein essor. À cette époque, des « fonctionnaires de niveau intermédiaire à Ottawa » ont relevé le défi de « convertir à des fins pacifiques constructives le vaste potentiel de l’aviation, démontré de façon si évidente durant la guerre ».

« [L]e gouvernement délégua la responsabilité de l’aviation à un Conseil de l’Air [sic] autonome à l’été de 1919 ». La Commission de l’Air se préoccupait avant tout de conserver l’expérience acquise dans l’aviation pendant la Première Guerre mondiale en faisant la promotion de l’aviation civile. L’aile militaire de la Commission de l’Air, l’Aviation canadienne, a été établie sur le modèle de la milice. Le colonel Oliver Mowat Biggar, « l’un de ces quelques militaires de grade intermédiaire qui se trouvaient à Ottawa », a proposé en novembre 1919 de former l’Aviation canadienne en tant que « service non permanent » pour travailler aux côtés de la division de l’aviation civile, les deux organisations devant relever de la Commission de l’Air. En février 1920, le gouvernement souscrivait à l’argument invoqué pour la création de l’Aviation canadienne. Sir Willoughby Gwatkin est donc devenu le premier inspecteur général de l’AC en avril 1920 et le commodore de l’Air A. K. Tylee a été nommé commandant de l’aviation. L’intégration d’une aile militaire dans la Commission de l’Air ne faisait pas l’unanimité, et en fait, elle a failli ne pas se produire.Le chef de l’opposition de l’époque, William Lyon Mackenzie King, a très bien résumé la question de savoir si le Canada devait même disposer d’une force aérienne lorsqu’il a demandé en Chambre, « D’où le ministre prévoit-il une invasion? … Contre qui? »

Le concept de la Commission de l’Air n’était pas nouveau. Le Royaume-Uni avait constitué l’Air Board en 1916, qu’il a remplacée par l’Air Council en 1917. Toutefois, contrairement à la Commission de l’Air canadienne, l’Air Council au Royaume-Uni, centrait tous les progrès du commandement et du contrôle de la puissance aérienne sur les aspects militaires.Le premier quartier général de l’Aviation canadienne, entré en service le 17 mai 1920 au 529, rue Sussex, à Ottawa, était composé de six militaires : le lieutenant-colonel d’aviation R. F. Redpath, le capitaine d’aviation G. J. Blackmore, l’adjudant H. H. Atkinson, le sergent de section F. Aldridge et le sergent A. H. McKay. Étant donné la petite taille du quartier général, les premiers règlements de l’AC se sont inspirés de ceux de la Royal Air Force (RAF). La chaîne de commandement de l’Aviation canadienne établie pour le premier commandant de l’aviation était relativement directe, passant de l’inspecteur général à la Commission de l’Air.

Même si les membres du premier groupe d’officiers et de militaires du rang étaient considérés « comme étant en service continu, mais en congé sans solde et non en service actif, sauf lorsqu’ils suivaient un entraînement de recyclage », ils pouvaient reprendre les grades qu’ils avaient obtenus dans la RAF ou dans l’armée pendant la Première Guerre mondiale lorsqu’ils avaient terminé leur première période d’instruction. De ce fait, tant les grades de la RAF que les grades traditionnels de l’armée étaient acceptables et utilisés de façon interchangeable à la discrétion du titulaire.

Il semble que dans les premiers temps, les militaires choisissaient d’utiliser les grades de la RAF ou de l’armée selon qu’ils participaient à des missions de vols civiles ou militaires. Assez souvent, les militaires employaient les grades de l’armée pour des missions de la division civile de la Commission de l’Air et utilisaient ensuite le grade de la force aérienne lorsqu’ils volaient pour la division militaire. La structure établie pour l’Aviation canadienne comprenait les grades suivants : vice-maréchal de l’Air, commodore de l’Air, colonel d’aviation, lieutenant-colonel d’aviation, commandant d’aviation, capitaine d’aviation, lieutenant d’aviation, sous-lieutenant d’aviation, adjudant, sergent de section, sergent, caporal, mécanicien de l’Air (1re classe) et mécanicien de l’Air (2e classe).

Comme nous l’avons déjà mentionné, la Commission de l’Air était composée de deux divisions — la division civile et l’Aviation canadienne — et elle devait conserver cette double structure jusqu’en 1922. C’est seulement lorsqu’on l’a éliminée qu’on a pu résoudre la question de l’utilisation parallèle des grades de l’armée et de la force aérienne dans la Commission de l’Air. Les ordres courants du Camp Borden du 28 novembre 1922 sont révélateurs à cet égard :

« L’utilisation des équivalents militaires des grades de l’Aviation canadienne cessera immédiatement dans l’ensemble du service et seuls les grades mentionnés ci-dessous (c.-à-d. de colonel d’aviation à sous-lieutenant d’aviation) seront employés tant dans la correspondance que dans la conversation. »

Le 1er janvier 1923, l’ancienne Commission de l’Air (qui était jusque-là essentiellement civile) est intégrée à l’Aviation canadienne, au sein du nouveau ministère de la Défense nationale, sous la direction du chef d’état-major général. Même s’il avait déjà été question de demander la désignation « royal » avant la fusion du 1er janvier 1923, la requête n’a été présentée au secrétaire d’État aux Affaires extérieures que le 5 janvier 1923. La réponse officielle du secrétaire d’État aux colonies, en Angleterre, est arrivée au Canada le 15 février 1923. Le 12 mars 1923, l’ordre hebdomadaire no 21-23 annonçait l’adoption du nouveau titre Royal Canadian Air Force. Même si l’annonce a eu lieu en 1923, la mention « royal » n’a pas été officiellement adoptée avant le 1er avril 1924.Avant que la force aérienne ne porte officiellement le nom de Royal Canadian Air Force, les uniformes étaient librement inspirés de la tenue de l’armée tout comme les insignes qui imitaient le style de l’armée (étoiles et couronnes). Par la suite, on a décidé d’adopter la tenue et la devise de la RAF, et l’uniforme correspondait à l’uniforme du jour de la RAF. Ces changements ont persisté jusqu’à l’unification, soit le 1er février 1968.

Soit dit en passant, la question de la traduction de la Royal Canadian Air Force n’a pas été résolue avant juin 1940, qui à partir de là s’est appelée en français le Corps d’aviation royal canadien, dont l’abréviation était CARC.

Le 1er avril 1924, que nous célébrons aujourd’hui comme la date de naissance « officielle » de l’Aviation royal canadienne (ARC), était un jour important. En effet, c’est à cette date que les Ordonnances et règlements royaux applicables à l’ARC, finalement achevés après deux ans de travail d’état-major, sont entrés en vigueur. De plus, on entamait la nouvelle année financière, qui marquait le début de l’application de la nouvelle solde et des nouvelles indemnités. En outre, c’est à partir de cette date que les Ordonnances et règlements royaux permettaient l’utilisation de la mention « royal ». Toutefois, comme nous l’avons montré, la vraie date de la naissance de la Force aérienne du Canada aurait pu être fixée beaucoup plus tôt.

L’adoption des Ordonnances et règlements royaux applicables à l’ARC, largement fondés sur les Ordonnances et règlements royaux de la Royal Air Force et la United Kingdom Force Act, a entraîné les modifications suivantes aux grades des militaires du rang : adjudant de 1re classe (adj 1), adjudant de 2e classe (adj 2), sergent de section (sgt s), caporal (cpl), aviateurchef (avc), aviateur, 1re classe (av1) et aviateur, 2e classe (av2). Mis à part l’ajout des grades de maréchal de l’Air et de maréchal en chef de l’Air, aucun changement important n’a été apporté aux grades des officiers.

La Royal Air Force avait opté pour cette structure de grades afin d’établir une coupure entre la Force aérienne et les autres services. Il s’agissait « de protéger et de mettre en évidence le principe de l’indépendance et de l’intégrité de la Royal Air Force en tant que service distinct parmi les armes de combat au service de la Couronne » [traduction], tout en reconnaissant l’obligation de la force aérienne de servir les besoins particuliers de l’armée et de la marine, « en plus [d’avoir] un champ d’action stratégique et tactique indépendant des deux autres armes de combat ».

Juste au moment où la Force aérienne du Canada, en plein essor, tentait elle aussi d’obtenir son indépendance, la Royal Air Force s’efforçait de s’établir en tant que force crédible et autonome, indépendante de l’Armée britannique et de la Marine royale. Le Canada a automatiquement appliqué les grades de la Royal Air Force à l’ARC en basant les Ordonnances et règlements royaux applicables à l’ARC sur ceux de la RAF et sur l’United Kingdom Force Act.

Ces grades devaient demeurer en vigueur jusqu’à l’unification, qui a eu lieu de nombreuses années plus tard, soit en 1968. Pendant la Seconde Guerre mondiale, on a inclus des termes propres à chaque sexe pour les titres de grades, comme aviateur et aviatrice, pour tenir compte de l’intégration des femmes dans les forces armées. En même temps que se développait l’ARC, des questions concernant la possibilité d’un soutien aérien réservé à la Marine commençaient à occuper les esprits.

Avant même l’unification de 1968, l’utilisation de la structure de grades de la Royal Air Force dans l’ARC suscitait certaines controverses. L’auteur (le chef adjoint du personnel) d’une note de service, adressée au Groupe consultatif supérieur de l’ARC en février 1965, affirmait ce qui suit au sujet des titres : « dans de nombreux cas, [ils] tirent leur origine du Royal Naval Air Service, ils ont ensuite été adoptés par le Royal Flying Corps, qui est lui-même devenu la RAF en 1918 ». Selon l’un des principaux arguments invoqués, les grades employés dans l’ARC ne représentaient plus la fonction des officiers comme au moment de leur création, 40 ans auparavant. L’auteur avançait aussi, entre autres, que les grades formés de plus d’un mot portaient à confusion dans la population.

En outre, il n’était pas aisé, selon lui, de traduire en français les titres des grades de l’ARC, contrairement à ceux de l’Armée canadienne. Finalement, en 1965, on a jugé avantageux d’adopter la structure de grades de l’Armée canadienne puisqu’elle était semblable à celle de membres des Nations Unies et de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord aux côtés desquels l’ARC pouvait s’attendre à travailler. La note de service recommandait de conserver les insignes de grade, mais d’adopter les titres de grade de l’Armée canadienne puisque cette décision constituait « le meilleur compromis ».

Avant l’unification de 1968, l’Armée canadienne et la MRC avaient mis sur pied leurs propres forces aériennes, qui ne relevaient pas de l’ARC. À la lumière de ces faits, on s’interroge aujourd’hui dans les communautés de l’aviation tactique et de l’aviation maritime sur la pertinence de rétablir les grades de l’ARC. La question s’avère un peu plus compliquée puisque les liens entre ces forces aériennes et l’ARC étaient, comme nous allons le montrer, plus étroits que de nombreux aviateurs d’aujourd’hui le croient.

Au Canada, la division de l’aviation soutenant directement la Marine a évolué au fil du temps. Le Service aéronaval de la Marine royale du Canada a été créé le 5 septembre 1918 en vertu d’un décret, pour être dissous trois mois plus tard après l’armistice.

La création de ce service témoignait de l’importante contribution des aviateurs canadiens au sein du Royal Flying Corps et du Royal Navy Air Service, tout au long de la Première Guerre mondiale. Toutefois, comme le Canada ne possédait pas de navire capable de lancer et de récupérer des avions à cette époque, les chances de survie du Service aéronaval de la MRC étaient bien minces.

Le développement d’un service de soutien basé à terre destiné à la MRC s’est lentement poursuivi, si bien que le 15 septembre 1938, le Commandement de l’Est a été établi pour surveiller les eaux territoriales du Canada. Ce qui ne signifie pas qu’il n’y avait pas d’aviation à l’appui de la Marine avant 1938. En fait, la station Dartmouth de l’ARC existait alors depuis près de 20 ans, tout comme la station Vancouver de l’ARC — des hydravions décollant de ces deux endroits.

Le Groupe maritime a été formé en avril 1949 et, finalement, le Commandement aéronaval, en janvier 1951. Le Commandement aéronaval a été intégré au Commandement maritime des Forces canadiennes en janvier 1966.Dans les années d’après-guerre, un réel intérêt pour l’aviation est apparu dans les cercles de l’Armée de terre. L’ARC a développé ses projets d’acquisition pour de nouveaux avions de transport en étroite consultation avec l’Armée de terre (cette dernière craignait que les exigences de l’ARC ne correspondent pas tout à fait aux siennes).

Tout comme la MRC qui avait entrepris de se doter d’une capacité d’aviation complète, l’Armée de terre a développé des capacités d’aviation, telles que des observatoires aériens, tout au long de la période qui s’est écoulée entre 1946 et 1975, ce qui a mené, en septembre 1968, à la formation du 10e Groupement aérien tactique. Ce dernier comprenait deux escadrons de chasseurs CF-5, des avions de reconnaissance T-33, des avions de transport tactique et divers hélicoptères utilisés pour le transport ainsi que l’observation et la reconnaissance. En septembre 1975, les Forces canadiennes « s’éloignèrent un peu du concept de l’unification […] au moment de la création du Commandement aérien ». « Ainsi, les aviateurs des Forces canadiennes [trouvaient] désormais dans le Commandement aérien un cadre concret où [s’exprimaient] leurs traditions et où [s’affirmaient] les compétences professionnelles propres à leur arme. »

Le processus d’unification, qui a abouti en février 1968, avait en réalité commencé en 1964 dans le but d’éliminer les dédoublements dans le recrutement, l’instruction et d’autres aspects du soutien militaire, mais aussi de regrouper des systèmes comme celui de la solde.

Cette structure de commandement unique, relevant du chef d’état-major de la Défense, était une solution tout à fait logique. L’unification s’est traduite par l’abolition des uniformes distinctifs au profit de nouveaux uniformes, « qui furent décrits de bien des façons pas toujours très flatteuses », et par l’élimination des grades de l’ARC, entre autres changements.

Alors que les membres de la Marine s’opposaient farouchement aux aspects de l’unification qui menaçaient leur histoire et leur patrimoine, il semble que de nombreux hauts gradés de l’ARC aient discrètement pris leur retraite ou qu’ils aient appris à accepter les changements sans créer de désaccord. Néanmoins, cette interprétation de hauts gradés de l’ARC partant sans faire de vague ne fait pas l’unanimité. Le lieutenant-général (à la retraite) William Carr, qui est devenu en 1975 le premier commandant du Commandement aérien, était commodore de l’Air en 1968, au moment de l’unification. Il ne se souvient d’aucun haut gradé qui aurait pris sa retraite par suite de l’unification. La note de service rédigée en 1965 au Groupe consultatif supérieur de l’ARC confirme ses souvenirs. Il ressort, de cette source à tout le moins, que l’ARC était favorable à l’adoption des grades de l’Armée de terre, et le changement a été approuvé par la Commission de l’Air juste avant l’unification en 1968.

Ce bref survol historique de l’évolution de l’ARC nous amène à la discussion de l’heure. La dernière modification apportée à la Loi sur la défense nationale (LDN), datée du 19 juin 2013, prévoit le rétablissement d’une structure de grades propre à l’ARC. Il est à noter que le titre de « caporal-chef » ne figure sous aucune des trois armées. Toutefois, puisque le titre de « caporal-chef » est une nomination, il n’est pas considéré comme un « grade » selon la définition de la LDN. Les grades sont présentés dans le tableau.

Grades de l’unification

(colonne I)

Grades de l’ARC (Avant de l’unification)

(colonne IV)

Français Français Anglais
Général Maréchal en chef de l’Air Air Chief Marshal
Lieutenant-général Maréchal de l’Air Air Marshal
Major-général Vice-maréchal de l’Air Air Vice-Marshal
Brigadier-général Commodore de l’Air Air Commodore
Colonel Colonel d’aviation Group Captain
Lieutenant-colonel Lieutenant-colonel d’aviation Wing Commander
Major Commandant d’aviation Squadron Leader
Capitaine Capitaine d’aviation Flight Lieutenant
Lieutenant Lieutenant d’aviation Flying Officer
Sous-lieutenant Sous-lieutenant d’aviation Pilot Officer
Élève-officier Élève-officier Officer Cadet
Adjudant-chef Adjudant de 1re classe Warrant Officer Class 1
Adjudant-maître Adjudant de 2e classe Warrant Officer Class 2
Adjudant Sergent de section Flight Sergeant
Sergent Sergent Sergeant
Caporal Caporal Corporal
Soldat Aviateur Aircraftman

Aux termes de l’article 21(2) de la Loi sur la défense nationale, il est actuellement permis d’utiliser d’autres désignations de grades. En effet, le gouverneur en conseil peut tout simplement, par règlement, « fixer les cas d’emploi, par le titulaire d’un grade figurant à la colonne I de l’annexe, de la désignation énoncée aux colonnes II, III ou IV en regard de son propre grade ».

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