Un exemple de courage : un garçon de ferme de l’Alberta à la voix douce et posée
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Article de nouvelles / Le 8 novembre 2018
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Par Dave Birrell
À l’approche du jour du Souvenir, nous rendons hommage aux personnes qui ont servi et qui continuent de servir dans les Forces armées canadiennes. Étant donné que cette année marque le 75e anniversaire du célèbre raid des Briseurs de barrages, il est tout à fait opportun d’évoquer le souvenir d’un garçon de ferme de l’Alberta « à la voix douce et posée », qui était navigateur sous les ordres du lieutenant-colonel d’aviation Guy Gibson, commandant du 617e Escadron des « Briseurs de barrages » durant le raid.
Au début de l’année 1943, les Alliés ont besoin d’un héros et de quelque chose à célébrer. La Grande-Bretagne, le Canada et d’autres membres du Commonwealth sont en guerre depuis trois longues années et demie et, bien que le cours des choses semble doucement s’inverser, le Bomber Command reste la seule force offensive capable d’ébranler la forteresse européenne d’Hitler.
L’histoire du raid contre les barrages de la vallée de la Ruhr deviendra célèbre. En effet, plusieurs livres, ainsi qu’un film salué par le public dans les années 1950, évoqueront l’invention de la bombe rotative par le brillant Barnes Wallis, mais aussi l’escadron spécial, le 617e, dont l’équipage a été trié sur le volet par Guy Gibson en prévision du largage de ces bombes, et l’attaque à basse altitude menée par 19 Lancaster (spécialement modifiés pour pouvoir transporter ces bombes), qui ont ouvert des brèches dans les barrages. Le récit des exploits des Briseurs de barrages captivera longtemps les esprits, et rares seront les histoires de la Seconde Guerre mondiale qui marqueront à ce point l’imaginaire.
On a décrit le lieutenant-colonel d’aviation Guy Gibson comme un chef naturel, fougueux et tenace. À la suite du raid, il se voit décerner la Croix de Victoria, accompagnée d’une citation louant son courage sans limites et soulignant le leadership, la détermination et la bravoure extraordinaires dont il a fait preuve. Le maréchal de l’air sir Arthur Harris, commandant du Bomber Command, écrira au sujet de Gibson que celui-ci a sans aucun doute contribué plus que toute autre personne à la victoire.
Torger Harlo Taerum, un garçon de ferme du sud de l’Alberta, occupe le poste de navigateur de Gibson et de chef des navigateurs pendant le raid contre les barrages. Lorsque Gibson évoque son « grand ami » au « léger accent canadien », il dit de lui qu’il est probablement le navigateur le plus efficace de l’escadron.
Le père d’Harlo Taerum avait immigré de la Norvège et installé sa ferme près de Milo, en Alberta, à 70 kilomètres au nord-est de Nanton. Tragiquement, il s’est noyé lorsqu’Harlo n’avait que dix ans. Bien qu’il joue un rôle important à la ferme familiale et auprès de ses deux jeunes frères et de sa petite sœur, le jeune Harlo Taerum excelle à l’école; on peut même lire dans un journal qu’il s’agit de l’élève ayant obtenu le plus de réussites en un trimestre depuis la création de l’école.
Taerum a souvent entendu son père parler de son magnifique pays natal. D’après sa mère, c’est au moment où la Norvège est envahie par les Allemands et où des rapports commencent à circuler sur la manière dont on traite le peuple de son père que Taerum s’engage dans l’Aviation royale canadienne.
Il commence sa formation en février 1941, à la 1re École d’observation aérienne, à Malton, en Ontario. Harlo « Terry » Taerum poursuit ensuite sa formation à la 1re École de bombardement et de tir, à Jarvis, en Ontario, et suit un cours supérieur de navigation aérienne à Rivers, au Manitoba. Comme bon nombre de jeunes membres d’équipages d’aéronefs, il a l’honneur de se voir remettre son brevet par le maréchal de l’air Billy Bishop, décoré de la Croix de Victoria.
Taerum traverse l’Atlantique à bord d’un aéronef Lockheed Hudson, en qualité de navigateur. C’est le commandant de bord H.C. Moody qui pilote lors de cette traversée sans escale accomplie en un temps record : dix heures et 44 minutes de vol entre Gander, à Terre-Neuve, et Prestwick, en Écosse. Le 2 janvier 1942, Taerum commence à prendre part aux opérations avec le 50e Escadron, à bord de bimoteurs Hampden. Il gagne rapidement en expérience de guerre : son carnet de bord le dit pris dans la lumière des projecteurs, ou encore gravement touché par les tirs des canons antiaériens, et fait état d’un écrasement à Rose Vedne le 25 mars.
Au mois de mars, l’escadron commence à utiliser des bombardiers bimoteurs Manchester. Affecté à l’unité de conversion de l’escadron, Taerum travaille comme instructeur en navigation et poursuit les opérations de vol, mais, cette fois, à bord de Lancaster, notamment dans le cadre de deux missions à Berlin avec le capitaine d’aviation Harold « Mick » Martin.
On parle de l’Australien Mick Martin comme d’un formidable pilote, devant sa réputation à sa maîtrise du vol de nuit à basse altitude. C’est probablement en raison de ce talent qu’il est choisi par Gibson, et il est possible que ce soit Martin qui recommande ensuite Taerum à Gibson. Être choisi comme navigateur de Gibson est probablement le plus grand compliment que puisse recevoir un navigateur du Bomber Command.
Au crépuscule du 16 mai 1943, Taerum consigne l’heure du décollage de l’équipe du raid contre les barrages : 21 h 40. Les vents sont plus forts que prévu au moment où les Lancaster survolent la mer du Nord, à l’altitude la plus basse possible. Lorsqu’ils atteignent la côte, Taerum se rend compte qu’il ne se trouve pas à l’endroit prévu.
Gibson écrit : « Nous sommes remontés d’environ 300 pieds [91 mètres] afin de regarder où nous nous trouvions, puis nous avons à nouveau plongé vers le sol lorsque Terry a dit “OK, voilà le moulin à vent et ces fameux mâts sans fil. Nous avons dû dériver à tribord. Nouveau cap de 095 degrés magnétiques, et attention au village droit devant”. » La navigation est alors en partie assurée par le viseur de lance-bombes, qui utilise un rouleau spécial pour repérer des caractéristiques telles que les chemins de fer et les canaux, mais aussi pour éviter les lignes à haute tension.
Une fois que tout est prêt, Gibson manœuvre pour se mettre en position d’attaque. À l’approche du barrage, Taerum doit s’assurer que l’aéronef vole à la bonne altitude, soit 18,29 m. Il prend donc position dans la coupole de plexiglas située du côté tribord du poste de pilotage. À 00 h 25, il allume les projecteurs convergents installés sous l’avion et commence à donner ses instructions à Gibson : il s’agit dans un premier temps de réduire l’altitude, puis de la maintenir une fois que les faisceaux des projecteurs se rejoignent à la surface de l’eau.
Après le raid, Taerum se voit remettre la Croix du service distingué dans l’Aviation (DFC) par la reine Elizabeth, femme du roi George VI, au palais de Buckingham. Dans ses lettres à sa mère, Taerum évoque l’attention dont il est l’objet. « Un matin, ils m’ont réveillé et m’ont appris que j'allais recevoir la DFC. Plus tard, le ruban a été cousu sur ma tunique. M’imagines-tu ensuite afficher la médaille en me pavanant en ville? Nous étions sans cesse assaillis par des gens qui nous demandaient des autographes. Nous avons alors été rappelés à nos postes pour rencontrer le roi et la reine. J’ai eu la grande chance d’être présenté aux deux. La reine est absolument charmante, et d’une grande élégance. Quelle journée! »
Après ces jours de gloire, Taerum et les autres militaires de l’escadron retournent prendre part aux opérations.
En septembre 1943, Gibson se rend à Québec avec Winston Churchill, dans le cadre d’une visite en Amérique du Nord très médiatisée. Il voyage partout au Canada et se rend dans les installations du Programme d’entraînement aérien du Commonwealth britannique afin que les hommes dans les camps soient inspirés par son exemple. Sa visite à Calgary fait la une des journaux : il est accueilli par le maire Andrew Davison, et l’occasion donne lieu à des défilés ainsi qu’à des entrevues à des journaux et à la radio.
Lors de son passage à Calgary, Gibson rencontre Hilda Taerum, mère de Terry Taerum. « Terry est quelqu’un de bien, et un grand navigateur. C’est lui qui a conduit notre escadron au barrage », lui explique-t-il.
Mme Taerum évoque cette rencontre avec Gibson comme l’un des plus grands moments de fierté et de bonheur de son existence.
Taerum et trois autres membres de l’équipe des Briseurs de barrage de Gibson trouvent la mort le 17 septembre 1943, lorsque leur Lancaster est abattu à basse altitude durant une attaque contre le canal Dortmund-Ems. Moins d’une semaine s’est écoulée entre la visite de Gibson à la mère de Taerum et le moment où celle-ci apprend que son fils est porté disparu. Un an plus tard, le frère de Terry perd la vie à 18 ans pendant sa sixième opération : son Lancaster est abattu au-dessus des Pays-Bas.
Le capitaine d’aviation Taerum est enterré en Allemagne, au cimetière de guerre de Reichswald.
Au moment de sa mort, il n’avait que 23 ans.
Dave Birrell est bibliothécaire du Musée canadien du Bomber Command et membre du conseil d’administration de l’établissement. Le présent article a initialement paru dans le site Web du musée, qui a autorisé sa traduction et sa publication.
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