Ottawa (Ontario) Le 22 mars 2005 (SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS) Je suis très heureuse de vous rencontrer aujourd'hui. Certains d'entre vous s'en souviendront sûrement, j'ai eu l'occasion de m'adresser à vous il y a environ un an. Pour ma part, je me souviendrai longtemps de cet événement, car c'était l'un des premiers grands discours que j'ai prononcés après avoir été nommée ministre de la Coopération internationale. J'ai du mal à croire que ce discours remonte à seulement un an. Lorsque le premier ministre m'a demandé de faire partie du Cabinet, d'anciens ministres m'ont bien avertie : une année au sein du Cabinet en vaut dix en tant que député. À l'époque, je croyais qu'ils parlaient de tout ce que j'aurais à apprendre dans mes nouvelles fonctions. Mais je me demande maintenant s'ils ne voulaient pas plutôt dire que l'on vieillit dix fois plus vite... Je vous laisse le soin d'en juger. Il y a un an, je vous ai parlé de l'urgence de lutter contre la pauvreté dans le monde. J'ai fait valoir que c'était notre défi le plus important. Les 12 derniers mois n'ont fait que raffermir mes convictions à cet égard. J'ai voyagé à l'étranger : en Afrique, en Asie et dans les Amériques. Mes expériences m'ont rappelé à quel point nous devons redoubler d'efforts — j'emploie le « nous » pour désigner chacun de nous, quel que soit son pays d'origine — donc, nous devons redoubler d'efforts pour réduire les souffrances horribles mais silencieuses qu'un très grand nombre de personnes endurent jour après jour en raison d'un manque de revenu, de la maladie, de la guerre. Aujourd'hui, j'aimerais vous parler de la nouvelle orientation de l'aide canadienne au développement. Comme vous le savez, le gouvernement rendra bientôt public son énoncé de politiques internationales. Cet énoncé présentera une approche intégrée des politiques internationales, qui indiquera la voie à suivre dans les domaines de la diplomatie, de la défense, du développement et du commerce. Je ne dévoilerai pas le contenu de cet énoncé, mais je veux en aborder l'un des principaux aspects, qui dictera l'évolution de notre programme de coopération au développement. Je veux parler de l'importance de concentrer davantage notre aide. Actuellement, notre programme d'aide est réparti à une très grande échelle, et c'est tout particulièrement le cas dans les programmes bilatéraux. Nous offrons de l'aide à 155 pays, ce qui est plus que tout autre donateur. De ce nombre, seulement 18 reçoivent plus de 10 millions de dollars annuellement, tandis que près de 90 reçoivent moins de 5 millions. Il n'y a aucun doute que cette fragmentation limite notre efficacité. D'une part, il est difficile d'acquérir des connaissances pointues dans un programme-pays quand on en gère un très grand nombre. D'autre part, la multiplication des programmes à petite échelle mis en oeuvre par les donateurs alourdit la tâche des pays bénéficiaires, qui doivent en assurer la coordination. Notre budget d'aide augmente d'une année à l'autre. Mais, pour tirer le maximum de l'aide canadienne, il nous faut investir nos fonds de façon plus efficace. Je propose une approche à deux volets. Nous concentrerons notre aide dans des secteurs clés et dans des pays clés. Parlons d'abord des secteurs. Nous mettrons l'accent sur quatre secteurs en particulier, c'est-à-dire quatre domaines de programmation distincts. Soulignons avant toutes choses que la promotion de l'égalité entre les sexes et la protection de l'environnement sont deux thèmes transversaux qui continueront de faire partie intégrante de toutes nos interventions. Nos quatre secteurs prioritaires sont la bonne gouvernance, l'éducation de base, la santé et le développement du secteur privé. Vous vous demandez peut-être pourquoi nous avons retenu ces secteurs. Eh bien, chacun d'eux est crucial pour l'atteinte des Objectifs de développement du millénaire, qui sont — comme nous le savons tous — une série d'objectifs qui ont été convenus à l'échelle internationale et qui sont mesurables et établis dans le temps. Par ailleurs, chacun de ces secteurs correspond aux priorités et aux besoins que les pays en développement ont eux-mêmes définis. Et le Canada peut apporter dans chacun d'eux une valeur ajoutée. Autrement dit, ces secteurs reflètent aussi les points forts du Canada. Je dois reconnaître que j'hésitais au début à effectuer, en tant que nouvelle ministre, un virage qui pouvait être considéré comme une orientation arbitraire imposée à l'ACDI. Quand il est possible de faire fond sur des initiatives fructueuses déjà en place, je le fais. Et c'est justement ce vers quoi nous nous dirigeons. Le premier domaine crucial devait être la gouvernance. Nous savons tous que pour réduire la pauvreté, il faut des structures et des mécanismes de gouvernance adéquats. Grâce au système fédéral, au bilinguisme et au multiculturalisme qui est depuis longtemps une des caractéristiques du pays, le Canada a une précieuse expérience à mettre au service des autres. C'est pourquoi nous renforçons nos programmes de gouvernance. Certains d'entre vous ont peut-être entendu parler du Corps canadien. Cette initiative s'inscrit dans la foulée de notre engagement à concentrer nos efforts sur la gouvernance. Ce programme permet d'envoyer des spécialistes canadiens à l'étranger pour mettre à profit leurs compétences et leur expérience. La mission d'observation que nous avons envoyée en Ukraine donne une bonne idée de ce que peut accomplir le Corps canadien. En plus de la bonne gouvernance, le développement du secteur privé — le moteur de la croissance économique — est absolument essentiel pour favoriser le développement efficace à long terme. À mon avis, si nous ne stimulons pas la microéconomie et la macroéconomie des pays en développement, il sera impossible de réduire la pauvreté à long terme. Enfin, il était tout à fait logique de maintenir les orientations de l'ACDI dans les domaines de l'éducation de base et de la santé. Le Canada a une grande expérience de la mise en place, au pays comme à l'étranger, de systèmes de santé renforcés et accessibles. La priorité accordée à la santé nous a permis de créer une assise solide pour la spécialisation dans le domaine du VIH/sida. Il faut lutter sans relâche contre cette pandémie qui sème la destruction dans les pays pauvres. En ce qui concerne l'éducation, le Canada possède des compétences en matière de formation à distance, de formation des enseignants, d'élaboration de programmes d'études et de création d'écoles adaptées aux besoins des enfants, notamment des filles. Le deuxième volet de notre nouvelle approche consiste à concentrer l'aide dans quelques pays seulement. Comme je l'ai mentionné, nous menons un trop grand nombre d'interventions dans un trop grand nombre de pays, ce qui réduit notre efficacité. Alors, où l'ACDI interviendra-t-elle? Ces prochaines années, nous délaisserons notre série de programmes-pays individuels pour nous concentrer sur deux douzaines de partenaires du développement. Nous choisirons ces pays en fonction de trois grands critères. La pauvreté est le critère le plus important. Nous concentrerons nos efforts dans les pays les plus pauvres, généralement ceux où le niveau de revenu annuel est inférieur à 1 000 dollars américains. Le deuxième critère est la capacité à utiliser l'aide de façon efficace. Plusieurs études ont démontré que les fonds consacrés au développement donnent le maximum de rendement lorsqu'on les investit dans des pays dotés d'un secteur public vigoureux et d'une économie gérée de façon judicieuse. Ces conditions leur permettent de bien absorber l'aide. Bref, les pays doivent prouver qu'ils ont à coeur d'assurer une bonne gouvernance et, notamment, de lutter contre la corruption. Nous n'exigeons pas qu'ils aient déjà pris toutes les mesures qui s'imposent, mais ils doivent déjà avoir entrepris une démarche en ce sens. Le troisième critère consiste en une présence canadienne suffisante pour apporter une valeur ajoutée. Dans la pratique, cela signifie que l'aide canadienne doit être assez importante par rapport à celle des autres donateurs. Les programmes d'aide trop modestes ne sont pas efficaces pour les donateurs ni pour les bénéficiaires. Cela signifie aussi que le Canada renforcera sa présence grâce à des contributions considérables dans les secteurs prioritaires, dans les pays où nous avons déjà établi un dialogue stratégique privilégié et particulièrement efficace. Nous reconnaissons également qu'il est possible d'accroître encore l'aide canadienne dans les régions où nous avons noué des liens d'ordre historique et personnel. Voilà pour les critères qui régissent le choix de nos principaux partenaires pour le développement. Cela dit, je tiens à signaler que nous maintiendrons nos programmes bilatéraux dans un petit nombre de pays qui ne répondent pas à tous ces critères. En effet, il ne serait pas productif de mettre fin à nos programmes dans certains pays qui effectuent une transition importante sur le plan économique et politique, qui sont aux prises avec une grande instabilité ou encore qui sont déliquescents ou en sérieuses difficultés. Dans d'autres pays, le Canada continuera aussi de jouer un rôle en apportant un solide appui aux organisations multilatérales, comme le Programme des Nations Unies pour le développement, la Banque mondiale et le Programme alimentaire mondial. D'ailleurs, nous analyserons soigneusement l'efficacité des organes multilatéraux. Nous savons qu'aucun pays ne peut tout faire et c'est pourquoi nous continuons de travailler en étroite collaboration avec nos nombreux partenaires. À l'étranger, ces partenaires sont les autres pays donateurs, ainsi que le gouvernement et la société civile des pays en développement. Ici, au Canada, nous continuerons de collaborer avec les organisations non gouvernementales, les établissements d'enseignement et le milieu des affaires. Tout le bien qu'apportent les Canadiens dans le monde, que ce soit à titre individuel ou au sein d'une organisation, est remarquable. C'est pourquoi nous voulons continuer à soutenir leurs efforts. L'Énoncé de politiques internationales traduit notre volonté d'adopter une démarche cohérente et ciblée en ce qui concerne le rôle du Canada dans le monde. Cet énoncé nous permettra de définir une approche solide et intégrée des politiques internationales, pour que le Canada soit en mesure de relever les défis complexes du monde d'aujourd'hui. Il nous donnera un plan d'action qui nous permettra de renforcer nos compétences dans les domaines de la diplomatie, du développement, de la défense et du commerce. Pour pouvoir apporter une contribution de calibre mondial dans le domaine du développement, le Canada doit pouvoir compter sur un organisme de coopération au développement qui soit aussi de calibre mondial. Nous avons besoin d'un système d'aide qui soit souple et transparent, qui est tenu de rendre des comptes et dont les efforts sont ciblés. Je suis convaincue que le Canada a la capacité, les compétences et l'expérience voulues pour occuper la place qui lui revient parmi les meilleurs du monde. Ensemble, nous pouvons créer un monde meilleur pour tous.