Toronto, le mercredi 26 octobre 2011
C’est pour moi un grand honneur de m’adresser à vous à l’occasion de cet important anniversaire de l’une des prestigieuses institutions culturelles du pays que sont les conférences Massey.
Depuis 50 ans, des penseurs parmi les plus audacieux et les plus originaux de notre temps ont, par le biais de ces conférences, renforcé et même transformé la perception que nous avons de nous-mêmes, de notre pays et du monde dans lequel nous vivons.
À cette fin, ils ont utilisé la communication et le pouvoir des idées.
Mon prédécesseur, Vincent Massey, a souvent parlé de la capacité du gouverneur général d’agir en tant qu’« instrument du Canada », un sentiment qu’il éprouvait également pour cette série de conférences qui porte son nom. En songeant aux distingués conférenciers des 50 dernières années, je suis tenté de vous lire leurs noms, tellement ils brillent par leur intelligence.
Et que dire de l’éventail de sujets auxquels ces éminentes personnalités se sont attaquées, en commençant par l’étude de Barbara Ward, en 1961, sur la pauvreté dans le monde, jusqu’à l’examen d’une multitude d’enjeux clés de notre temps.
Le thème de cette année est l’un des thèmes canadiens récurrents, à la fois familier et séduisant : l’hiver.
Ce qui est omis dans cette liste partielle est la remarquable profondeur avec laquelle les conférenciers Massey ont traité ces thèmes. Il est difficile de mesurer l’impact de cette série de conférences sur une période de 50 ans. Or, en tant que forum canadien d’échange d’idées et de visions originales, il est sans pareil.
C’est également un exemple de ce que nous savons si bien faire au Canada : communiquer.
Dans mon rôle de gouverneur général, j’ai souvent observé les choses qui unissent notre pays, et j’estime que nos réalisations dans le domaine des communications figurent au haut de la liste.
Pensons aux lignes matérielles des communications — premièrement en canoë, puis en navires à vapeur — qui ont été d’une importance cruciale pour nous relier géographiquement les uns aux autres, à l’époque où s’est formé le Canada. Au 20e siècle, nous avons développé de nouvelles façons de nous rapprocher en dépit des énormes distances : tout d’abord avec la première transmission sans fil à partir de Signal Hill, à Terre-Neuve, en 1901, suivie du télégramme, du téléphone et de la radio et la télévision.
Aujourd’hui, à l’ère d’Internet, les Canadiens jouent de nouveau un rôle de premier plan en technologie des communications et créent du contenu qui est transmis sur de nouveaux types d’ondes.
De bien des manières, la communication est l’essence du Canada, la clé du succès de notre fédération diversifiée et étendue.
Comme l’a fait observer l’auteur B. W. Powe, « Grâce aux comités et aux réunions qui ont permis d’établir la carte du Canada en 1867 et à travers les controverses au sujet de la langue et les crises sur l’unité, et à travers les débats publics et les référendums qui ont caractérisé la Confédération, nous pouvons comprendre comment s’est développée cette histoire : par la dynamique de la communication. »
Si cela semble être un excès de discussions, c’est bel et bien vrai, et c’est justement la raison pour laquelle notre société, malgré ses enjeux, fait, à bien des égards, l’envie du monde entier. Nous avons en effet choisi de débattre les grandes questions, encore et encore. Il n’y a sûrement pas de meilleure façon de bâtir le pays, et le monde, dont nous rêvons.
De nos jours, la révolution mondiale des communications découlant d’Internet offre de nouvelles possibilités de dialogue and représente de nouveaux risques. Au lieu de jeter des ponts à travers de vastes distances, notre tâche la plus importante aujourd’hui est de jeter des ponts entre nos différences, aussi bien au Canada que dans le monde.
L’incroyable diversité de ce pays est à la fois un enjeu et notre plus grande force, et la mondialisation vient en amplifier les possibilités. Pour célébrer notre diversité, nous devrions limiter les différences qui nous séparent et ne pas leur accorder trop d’importance. Mettons plutôt l’accent sur ce que nous avons en commun et sur l’union autour d’une cause commune et sur l’amélioration de la compréhension entre les uns et les autres.
Chose certaine : le succès futur de notre nation reposera sur la force que génère notre diversité. Et pour comprendre notre force, nous devons prêter une oreille attentive aux autres et communiquer sans relâche. Comme nous l’avons vu, cela ne peut que donner de bons résultats.
Nous devrions en outre être conscients et fiers que le succès avec lequel nous avons bâti un pays pacifique et prospère grâce à la diversité, fait de nous une nation phare du 21e siècle, alors que tant d’autres sociétés qui ont laissé leurs différences prendre le dessus sont divisées et dysfonctionnelles.
Depuis mon installation comme gouverneur général il y a un an, j’invite les Canadiens à imaginer diverses manières de bâtir une nation toujours plus avertie et bienveillante, en vue du 150e anniversaire de la Confédération, en 2017.
Selon moi, ce merveilleux événement peut nous aider à focaliser nos efforts, tout comme la le projet de la Confédération nous a aidés à cristalliser nos espoirs pour ce pays avant même que celui-ci n’existe.
Comme le souligne Richard Gwyn dans le premier volume de sa biographie de John A. Macdonald, notre premier ministre avait compris que la Confédération était surtout un moyen pour arriver à une fin. Cette fin, c’était une nation nord-américaine indépendante dotée du cran et de la volonté nécessaires pour survivre aux côtés des grandes puissances, soit la Grande-Bretagne et les États-Unis.
Nous n’avions d’autre choix que d’être un pays ambitieux. C’est pourquoi il était inscrit dans notre constitution que nous allions commencer à construite le chemin de fer transcanadien dans les six mois suivant la Confédération, pour finalement étendre nos frontières jusqu’au Pacifique.
J’estime qu’il faut être aussi audacieux aujourd’hui et chercher de nouveaux horizons, sauf que cette fois-ci, notre défi consiste à édifier une nation toujours plus avertie et bienveillante dans un contexte mondial en rapide évolution. Pour ce faire, nous devons profiter de toutes les occasions pour communiquer nos idées les uns aux autres. Loin d’être abstraits, ces horizons de créativité et de compassion sont les clés de notre bien-être au 21e siècle.
Dans la nation bienveillante que nous envisageons, l’excellence et l’égalité des chances coexistent, et la valeur du savoir dépend toujours de sa capacité de venir en aide à autrui. Autrui signifiant aussi les déshérités et les marginalisés de notre société.
Dans la nation avertie que nous envisageons, la communication, la collaboration et la pensée innovatrice sont essentiels à nos vies. Le Canada est un pays riche en minéraux, en bois d’œuvre et en eau potable, mais notre plus grande ressource est sans contredit notre génie collectif. Alors quelle est la meilleure façon d’appliquer cette ingéniosité à l’optimisation de nos ressources et à l’amélioration de notre société?
Au cours de cette année, j’ai visité de nombreuses collectivités qui mettent à profit leurs racines et qui empruntent des voies nouvelles en matière de bienveillance et de créativité. Je me suis rendu dans l’Arctique, où des bénévoles d’Habitat pour l’humanité à Iqaluit construisent des maisons à coût abordable dans leurs temps de loisirs, et j’ai visité le nouveau Centre Stephen Hawking du Perimeter Institute et l’Institute for Quantum Computing, à Waterloo, où des cerveaux parmi les plus brillants du monde explorent la nature au niveau quantique et échafaudent les fondements théoriques d’une nouvelle forme de communication : le traitement de l’information quantique.
Il ne fait aucun doute que nous vivons une époque de changements profonds qui entraînent pour nous des défis. Or nous avons les reins aussi solides que n’importe quelle autre nation. La révolution des communications mondiales fait qu’il n’est pas nécessaire pour les individus de résider dans des centres financiers ou de grandes villes pour réussir. Ce qui importe, c’est d’apprendre les uns des autres, de forger des liens au pays et à l’étranger, et de penser d’une manière originale pour résoudre les problèmes et générer de nouvelles idées.
Cela me touche quand je pense à ces conférences qui sont diffusées dans le monde entier, à ces gens en train de les écouter, assis à côté de leur poste de radio ou branchés sur leur balado. Cette année, c’est Adam Gopnik qui nous fera part de ses réflexions sur l’hiver, réflexions qui sont le fruit de la grande attention qu’il a prêtée à d’autres écrivains et penseurs, à notre histoire et notre culture, et à la nature.
L’hiver. La saison idéale pour rêver, ne trouvez-vous pas?
Chaque année, les conférences Massey nous rappellent le pouvoir transformateur des idées. C’est là que nous nous confrontons aux idées et aux hypothèses qui détermineront nos vies, parfois sans que nous en soyons conscients. Cela me fait penser à Hugh MacLennan, qui a déjà comparé les civilisations à des jardins.
Il a écrit ceci : « Dans les relativement rares périodes du passé que nous qualifions de civilisées, les gens comprenaient qu’une civilisation est comme un jardin que l’on cultive dans la jungle. À l’instar des fleurs et des légumes qui poussent à partir de graines cultivées, les civilisations s’épanouissent grâce à des idées et des perceptions soigneusement étudiés et adéquatement examinées. Dans la nature, en l’absence d’un jardinier, les mauvaises herbes envahissent le jardin et le détruisent, car elles n’ont pas besoin d’être cultivées. »
Je tiens à remercier et féliciter la Société Radio-Canada ainsi que le Collège Massey et la maison d’édition House of Anansi Press pour ce merveilleux partenariat, grâce auquel nous bénéficions depuis 50 ans des conférences Massey.
J’en profite pour inciter chaque auditeur et lecteur de ces conférences à prendre une part active au rêve d’un Canada encore plus averti et bienveillant en 2017. Votre aide est essentielle au pays dont nous rêvons.
Merci.