DATE : 7 mai 2014
ENDROIT : Collège Algonquin, campus d’Ottawa, Ottawa (Ontario)
OBJET : Le ministre de l’Emploi et du Développement social, l’honorable Jason Kenney, reconnaît les efforts déployés par les écoles polytechniques pour doter les futurs diplômés des compétences recherchées par les employeurs, dans un discours prononcé à la conférence annuelle de 2014 de Polytechnics Canada ayant pour thème Polytechnic Education: The future we want, the difference we make.
L'hon. Jason Kenney : Je pense que le travail qu’effectuent Polytechnics Canada et tous ses collèges membres, que vous représentez ici ce soir, est sur plusieurs plans le travail le plus important réalisé dans le secteur de l’éducation postsecondaire au Canada. Et c’est ce dont je suis venu vous parler ce soir.
Le Collège Algonquin offre 159 programmes collégiaux, 21 programmes d’apprentissage et 61 programmes en ligne, pour n’en nommer que trois types dans la liste impressionnante des programmes du collège, qui sont aussi généralement offerts dans toutes les écoles polytechniques au Canada.
J’aimerais commencer par situer mes observations dans le contexte de l’économie canadienne. Sur la colline du Parlement, nous avons bien sûr nos débats partisans sur nos forces et nos faiblesses, mais je pense qu’au fond, nous pouvons tous reconnaître que l’économie canadienne se porte assez bien, voire considérablement mieux que la majorité des autres économies développées. La récession, le ralentissement mondial a été de plus courte durée et moins prononcé ici que dans presque tous les autres pays démocratiques développés. La reprise a cependant été plus vigoureuse étant donné la création de quelque 1,1 million d’emplois nets depuis le ralentissement économique de 2009. La vaste majorité de ces emplois, soit environ 90 %, sont des emplois à temps plein et 80 % sont des emplois dans des industries à rémunération élevée.
Parmi les pays développés, le Canada affiche l’une des plus solides situations budgétaires et l’un des plus faibles niveaux d’endettement public à l’échelon fédéral. Le budget fédéral sera équilibré l’an prochain, et plusieurs provinces visent également un équilibre budgétaire, avec des niveaux d’impôt relativement bas dans l’histoire. De fait, en proportion du produit intérieur brut, l’impôt fédéral est à son plus bas niveau depuis le milieu des années 1960. Cependant, la nouvelle ne s’est pas très bien répandue dans le monde, car les gens se représentent toujours le Canada comme un pays aux impôts élevés qui se trouvait encore il y a peu de temps dans une situation financière difficile.
Eh bien, nous avons renversé la vapeur. Nous prélevons maintenant les impôts les plus bas au monde sur les nouveaux investissements commerciaux, du moins parmi les grandes économies développées.
La semaine dernière encore, Bloomberg classait le Canada, pour la troisième année consécutive je crois, comme le meilleur pays au monde où faire des affaires. Selon le Forum économique mondial, nous avons le secteur des finances ou des banques le plus solide au monde. Et les bonnes nouvelles ne s’arrêtent pas là. Ce sont des choses pour lesquelles nous devrions être reconnaissants, mais ces points forts s’accompagnent aussi de certains défis.
Il faut d’abord dire que l’avenir s’annonce encore plus prometteur parce que le Canada, comme vous le savez, a toujours été une économie tournée vers l’exportation et que nous diversifions nos marchés d’exportation d’importantes façons. Pendant beaucoup trop longtemps, nous avons été très dépendants des États‑Unis, dont nous étions presque un marché captif pour nos biens et services, mais nous avons diversifié notre économie. Au cours des six dernières années, nous avons en effet augmenté de 4 à 43 le nombre de nos accords commerciaux, qui comprennent des accords avec l’Union européenne, soit 28 États membres représentant 500 millions de consommateurs, en grande partie dans des économies très développées. Nous serons le premier gouvernement au monde à avoir accès en même temps, pratiquement sans droits de douane, au marché des 300 millions de personnes vivant aux États‑Unis et au marché des 500 millions de personnes de l’Union européenne.
À cela s’ajoutera, nous l’espérons, le libre accès à l’un des marchés les plus dynamiques et les plus novateurs de l’Asie, soit le marché de la Corée du Sud, ce qui permettra d’accélérer l’accès du Canada aux énormes marchés en croissance que représentent les économies asiatiques.
Somme toute, l’avenir s’annonce brillant du point de vue financier. Notre économie intérieure se porte assez bien, et les marchés d’exportation s’ouvrent devant nous. Plus encore, l’économie canadienne est sur le point de connaître ce que certains considèrent comme une nouvelle révolution industrielle, à la suite des investissements en capitaux de centaines de milliards de dollars dans les industries de l’extraction sur une vaste étendue du Nord du Canada.
Je parle ici du pétrole et du gaz de la zone extracôtière de Terre‑Neuve, des minéraux lourds du Labrador, des métaux précieux du Nord du Québec, des travaux d’exploitation minière dans le Cercle de feu du Nord de l’Ontario, des nouveaux aménagements hydroélectriques au Manitoba, du potassium et de l’uranium en Saskatchewan, et de la fracturation hydraulique dans le Sud de la Saskatchewan, qui engendre une période de prospérité énergétique, sans oublier, bien sûr, les réserves de bitume, les ressources pétrolières et gazières et les autres ressources de l’Alberta ainsi que les nouveaux travaux d’exploitation minière dans le Nord de la Colombie‑Britannique et dans les trois territoires du Nord, qui offrent de nouvelles possibilités, surtout aux Premières Nations, aux Autochtones vivant à proximité d’un si grand nombre de nouveaux projets de grande envergure.
En fait, chacun de ces travaux, chacune de ces mines, chacun de ces projets pose un défi en matière de politique publique. Nous devons en effet veiller à ce que toutes ces initiatives respectent les exigences de durabilité et de responsabilité sur le plan de l’environnement. Même si l’on ne réalisait qu’une fraction de ces projets, on créerait quand même des centaines de milliers d’emplois très payants et de haute qualité, surtout dans les métiers spécialisés. Comme vous le savez, le problème est que nos systèmes d’éducation n’ont pas préparé suffisamment de jeunes Canadiens à occuper ces types d’emploi.
Voilà le grand défi à relever. Si nous sommes incapables de saisir pleinement les possibilités offertes par cette nouvelle révolution industrielle, c’est d’abord parce qu’il n’y a pas assez de personnes possédant les compétences nécessaires pour assurer la prospérité du pays.
Comprenons‑nous bien. C’est un sujet controversé en ce moment. Comme je l’ai dit plusieurs fois depuis que j’occupe mon poste actuel, il n’y a pas de pénurie générale de main-d’œuvre au Canada. Rien ne prouve qu’il y en a une. S’il existait une pénurie, nous assisterions à une hausse des taux salariaux plus rapide qu’elle ne l’est actuellement. Cependant, lorsqu’on examine ce qui se passe dans la réalité, quand on écoute ce que disent les employeurs et leurs représentants d’un bout à l’autre du pays, nous ne pouvons nier que nous faisons face à d’importantes et graves pénuries de travailleurs spécialisés dans certaines régions et industries.
Voici quelques estimations. Le secteur de la construction dit qu’il aura besoin de 319 000 nouveaux travailleurs au cours de la prochaine décennie. L’industrie minière du Canada dit qu’elle aura besoin de 145 000 nouveaux travailleurs d’ici 2020. L’industrie pétrolière dit qu’elle aura besoin de 130 000 travailleurs additionnels d’ici 2020. Compétences Canada, un excellent organisme que nous soutenons et qui fait la promotion des métiers, dit que nous aurons besoin d’un million de travailleurs spécialisés d’ici la fin de la décennie. Et la liste continue. Que ce soit le Conference Board ou la Chambre de commerce, tous prévoient des pénuries prononcées de main‑d’œuvre, notamment dans les métiers spécialisés.
Notre défi consiste à résoudre ce paradoxe d’une économie où il y a trop de Canadiens sans emploi et de plus en plus d’emplois vacants.
En passant, il ne s’agit pas d’un feu de paille. Ces estimations ne se fondent pas sur des observations empiriques. Il ne s’agit pas juste de données. Quand on comprend que les baby-boomers commencent à prendre leur retraite, ces estimations deviennent très évidentes et intuitives. Notre économie est en évolution. Elle croît plus rapidement dans les régions où la population est clairsemée sur une bonne partie du territoire nordique du Canada, où se trouvent les industries de l’extraction, et souvent dans les secteurs professionnels mal desservis par notre système d’éducation.
De fait, certains démographes et économistes nous disent de ne pas trop nous inquiéter au sujet du vieillissement de notre population et de la retraite des baby-boomers, qui sont issus de l’explosion démographique, parce que les gens travaillent plus longtemps, ce qui est vrai dans le cas des cols blancs. Mais les travailleurs manuels qui exécutent chaque jour un travail épuisant ne continueront pas à travailler comme soudeurs, menuisiers ou opérateurs d’équipement lourd dans un campement d’ouvriers dans le Nord du Canada à l’âge de 70 ans.
Soyons réalistes. Dans certaines professions, nous verrons toute une génération de Canadiens hautement spécialisés quitter leur poste. Cela a déjà commencé et ne fera que s’accélérer. Malheureusement, ces employés n’ont pas assez de possibilités de transmettre leur savoir aux générations plus jeunes et de leur faire profiter de leur expérience, en partie à cause des problèmes touchant nos régimes d’apprentissage.
Selon moi, la situation est urgente et nécessite l’intervention du gouvernement fédéral, des gouvernements provinciaux, des employeurs, des associations industrielles, des syndicats, des enseignants et des instructeurs dans tous les secteurs.
Ces difficultés sont importantes, mais nous comptons sur des personnes très compétentes pour trouver des solutions, particulièrement des personnes comme vous ici à Polytechnics Canada.
J’aimerais remercier Nobina, Ken et toute leur équipe à Polytechnics Canada, ici, à Ottawa, pour le soutien essentiel qu’ils nous apportent pour régler ces problèmes.
Vous proposez, en vous appuyant sur des recherches et des données probantes, des idées qui retiennent l’attention des décideurs au sein du gouvernement fédéral.
Vous mettez les représentants du gouvernement fédéral au défi d’actualiser leur façon de voir les changements en cours dans le système d’éducation canadien, et je suis le premier à admettre qu’Ottawa ne détient pas toujours les réponses. C’est pourquoi la précieuse contribution et le rôle critique de Polytechnics Canada sont importants pour nous.
Permettez‑moi de vous donner un exemple qui illustre bien ce dont je parle. Le prêt canadien aux apprentis est au cœur du plus récent budget fédéral. Cette initiative a pour but de permettre aux apprentis de demander et d’obtenir, par l’entremise du Programme canadien de prêts aux étudiants, du financement sans intérêt pendant qu’ils suivent leur formation par modules officielle. Les apprentis pourront ainsi demander des prêts sans intérêt jusqu’à concurrence de 4 000 $. Au moins 26 000 apprentis par année devraient profiter de ce programme. Et ce n’est que l’une des mesures à prendre pour chasser cette idée ridicule que la formation professionnelle, la formation axée sur les compétences et les cours appliqués sont des formes d’enseignement de deuxième niveau ou de seconde classe.
Et vous savez quoi? L’idée du prêt canadien aux apprentis vient directement de Polytechnics Canada. En fait, je me rappelle exactement quand je l’ai entendue pour la première fois. J’occupais mon poste depuis quelques semaines seulement quand j’ai entendu parler de ce tourbillon, de cette source d’idées et d’énergie qu’est Nobina Robinson. Tout le monde me disait qu’il fallait absolument que je la rencontre. Elle avait les solutions aux problèmes touchant les compétences auxquels le Canada fait face.
Nous avons donc organisé une réunion avec Nobina. Elle est arrivée, elle a pris la parole et, comme vous pouvez vous l’imaginer, il m’a été impossible de placer un mot pendant une heure, ce dont je ne me plains pas, car elle a présenté une analyse brillante des défis à relever dans notre système d’éducation postsecondaire et proposé quelques solutions fantastiques. Elle m’a aussi posé la question suivante : « Pourquoi le gouvernement fédéral accorde‑t‑il des prêts préférentiels aux étudiants qui font des études à temps plein dans des établissements conférant des grades universitaires, mais pas aux apprentis? »
Tout bien considéré, je me suis dit qu’en effet, nous avions un problème. Heureusement, de plus en plus de jeunes Canadiens s’inscrivent à des programmes d’apprentissage. Nous comptons maintenant environ 340 000 apprentis inscrits. C’est une bonne nouvelle. La mauvaise nouvelle, c’est que seulement la moitié d’entre eux terminent leur formation. C’est une situation problématique. Je crois que cette situation est due en partie au coût de renonciation très élevé que doivent assumer les jeunes qui quittent leur emploi d’apprenti bien rémunéré pour aller suivre une formation par modules officielle.
Vous savez comment ça se passe. Imaginez que vous êtes un jeune au début de la vingtaine, que vous participez à un programme d’apprenti soudeur dans la région des sables bitumineux du Nord de l’Alberta et que vous êtes payé à un taux horaire de 35 ou 45 $... vous connaissez la fin de l’histoire! Vous savez comment sont les jeunes. L’argent leur brûle les doigts. Ils dépensent chaque dollar qu’ils gagnent. Les jeunes dans la vingtaine ont une réputation de mauvais épargnants.
Les jeunes se mettent donc à dépenser sans compter. Nouvelle voiture, appartement moderne, chaque dollar gagné y passe. L’idée de réduire soudainement leurs dépenses pendant deux mois pour fréquenter le Saskatchewan Institute of Applied Science and Technology, le Northern Alberta Institute of Technology ou l’Institut de technologie de la Colombie‑Britannique pour suivre une formation par modules semble tout à coup coûteuse et risquée. Tout les incite à continuer à travailler et à gagner un revenu, et à remettre l’apprentissage à plus tard.
Il faut donc les aider à amortir le choc. Nous devons leur donner des raisons d’essayer d’obtenir un certificat de compagnon dans un métier désigné Sceau rouge pour qu’ils acquièrent les compétences exigées qu’ils pourront ensuite transmettre aux autres.
Il faut donc prendre plusieurs mesures à cet égard. Premièrement, nous avons adopté une politique permettant aux employeurs de verser aux étudiants qui suivent une formation par modules jusqu’à 95 % de leur salaire habituel, en plus des prestations d’assurance‑emploi, sans pénalité. De cette façon, les employeurs responsables peuvent conserver leurs employés pendant toute la durée de leur formation par modules.
Deuxièmement, nous avons créé le prêt canadien aux apprentis dans le cadre du présent budget. Ce prêt permet aux étudiants de recevoir des fonds pour traverser cette période d’apprentissage et payer les frais de subsistance et autres dépenses pertinentes, ce qui réduit le coût de renonciation.
Troisièmement, dans le cadre du budget, nous avons créé un projet pilote visant à soutenir des façons novatrices d’offrir la formation par modules au moyen d’Internet et de l’apprentissage à distance. Ainsi, certains apprentis peuvent continuer à travailler à leur lieu de travail en région éloignée et suivre petit à petit la formation par modules les soirs et la fin de semaine grâce aux méthodes créatives de prestation de ces programmes. Je sais que c’est ce que font déjà certains d’entre vous.
Tout ceci n’a rien de passionnant. Aucune de ces idées ne fait la manchette des journaux. Je pense même, Nathan, que personne à la Chambre des Communes ne nous a posé de questions sur les prêts canadiens aux apprentis, ce qui est probablement une bonne chose, parce que je pense que tout le monde se rallie à ces idées.
En passant, les journalistes des affaires politiques – je vous mets dans le secret – aiment la bisbille. S’il n’y a pas de controverse, ils n’ont rien à rapporter dans les journaux. Mais ces idées sont excellentes. Et devinez quoi? Elles viennent de Polytechnics Canada. C’est Nobina qui m’a appris qu’on avait essayé de faire valoir ces idées pendant des années, mais que personne n’était disposé à écouter. Quelqu’un y a finalement prêté une oreille attentive. À vrai dire, nous avons rencontré une certaine résistance. Je pense que c’est parce que, dans le passé, il fallait suivre une formation de 10 semaines dans un programme reconnu pour avoir droit de faire appel au Programme canadien de prêts aux étudiants. Nous ne voulions rien diluer.
Vous savez, je pense qu’on ne se rendait pas compte que cette décision politique reposait sur le préjugé que l’apprentissage par la pratique n’équivaut pas vraiment à des études universitaires. Quand j’ai entendu cet argument, c’est la goutte qui a fait déborder le vase. J’ai rétorqué que c’était exactement la raison pour laquelle nous devions réaliser ce projet. Nous devons le faire non seulement pour offrir une aide financière aux jeunes apprentis pour qu’ils terminent leur programme, mais aussi, ce qui est tout aussi important, pour communiquer officiellement le message que le gouvernement fédéral considère que l’apprentissage par la pratique d’un métier a autant de valeur qu’un programme d’études universitaires. C’est le message que transmet le prêt.
Merci pour le rôle constructif que vous jouez.
Il existe une autre façon de résoudre le problème des futures pénuries de compétences. Il faut examiner de près les systèmes d’éducation secondaire et postsecondaire en élargissant les perspectives.
Permettez‑moi d’illustrer mes propos en évoquant l’exemple de Polytechnics Canada. Au cas où vous ne le savez pas encore, je suis un grand admirateur de Polytechnics Canada et des travaux de vos collèges. Voici pourquoi.
Au Canada, vous comptez 280 000 étudiants inscrits dans 11 établissements d’enseignement sur 55 campus. Vous offrez une vaste gamme de programmes, dont 100 programmes de formation autonomes, 24 programmes de formation conjoints, 754 programmes menant à un diplôme, 558 programmes de certificat, 200 programmes de certificat de premier cycle et 225 programmes d’apprentissage.
Les étudiants de ces différents programmes ont une chose en commun : ils décrochent de bons emplois. En fait, environ 90 % des diplômés des écoles polytechniques au Canada se trouvent un emploi dans les six mois, et ce pourcentage est beaucoup plus élevé chez certains diplômés possédant un grade. Combien d’autres établissements d’enseignement peuvent se vanter d’obtenir de tels résultats? Franchement, nous ne le savons pas, et c’est une partie du problème, n’est‑ce pas?
Fait intéressant, de plus en plus de titulaires d’un baccalauréat général en arts ou en sciences choisissent de terminer leurs études dans une école polytechnique. Une proportion de 40 % de vos étudiants a suivi une partie d’une formation universitaire ou collégiale avant de s’inscrire à une école polytechnique. Plus précisément, 12 % de vos étudiants ont terminé un programme de baccalauréat, et 15 % un programme collégial menant à un diplôme ou à un certificat avant de s’inscrire.
Vos établissements attirent une foule d’étudiants. En passant, je sais que vous refusez beaucoup plus d’étudiants que vous ne pouvez en accueillir. Ils veulent étudier dans vos établissements parce que vous offrez des classes de petite taille, une formation pratique sur le maniement de l’équipement utilisé dans l’industrie, des professeurs ayant une expérience de l’industrie, et un apprentissage intégré grâce aux placements, aux programmes coop et aux stages, c’est-à-dire grâce à l’apprentissage appliqué. Bien sûr, vos diplômés ont un taux d’emploi de 90 % comme je l’ai déjà mentionné. Comme ministre de l’Emploi, j’aime bien voir cela.
Cet exemple montre que le modèle polytechnique connaît énormément de succès et correspond exactement au type de programmes que les gouvernements devraient soutenir beaucoup plus vigoureusement qu’ils ne le font maintenant.
C’est pourquoi je me sens tellement frustré quand j’entends dire que le financement du gouvernement provincial pour ces programmes n’est pas aussi grand que le financement accordé pour d’autres types d’études postsecondaires. De 2008 à 2013, le nombre d’étudiants éventuels, soit les Canadiens âgés de 20 à 34 ans, a augmenté de plus de 9 % dans les provinces où se trouvent des écoles polytechniques. Parallèlement, les transferts fédéraux pour les études postsecondaires qui sont versés aux provinces dans le cadre du Transfert canadien en matière de programmes sociaux ont augmenté de près de 5 %. Le financement fédéral aux provinces a augmenté de 5 % – désolé, mais il n’a pas suivi la croissance de la population –, mais voici l’attrape : les fonds provinciaux versés aux écoles polytechniques dans le cadre de vos budgets d’exploitation ont augmenté de seulement 2,8 % pendant la même période. Quelque chose ne va pas, car le financement provincial exprimé en pourcentage de vos budgets d’exploitation a diminué de 2,9 % en moyenne.
Récapitulons. Les employeurs de partout au Canada nous disent qu’il y a actuellement une demande croissante de travailleurs spécialisés dans les domaines pour lesquels vous offrez de la formation aux jeunes Canadiens. Vous affichez un taux d’emploi de 90 %, et même plus dans certains programmes. Il est clair que vous savez pour quels emplois des travailleurs sont recherchés aujourd’hui et comment préparer les étudiants à occuper ces emplois. Pourtant, les fonds que vous recevez du gouvernement provincial sont infimes comparativement au montant total des fonds que verse le gouvernement fédéral aux provinces pour soutenir les études postsecondaires. J’aimerais bien savoir où va notre argent! Je pense que le gouvernement fédéral a le droit de le savoir.
Ce n’est pas notre rôle de gérer l’éducation postsecondaire. Évidemment, nous reconnaissons entièrement l’autorité constitutionnelle des provinces et territoires quant à l’éducation, y compris l’éducation postsecondaire.
Cela étant dit, en tant que source de fonds importants pour l’éducation postsecondaire, d’après moi, le gouvernement fédéral a le droit au moins de poser la question « où vont les investissements des contribuables fédéraux? ».
Bien que nous respections la compétence des gouvernements provinciaux en matière de politique dans le domaine de l’éducation, nous croyons, en tant que source importante de fonds, que le gouvernement du Canada est tout à fait dans son droit de demander pourquoi ces fonds accrus destinés à l’éducation postsecondaire que nous versons aux provinces ne se retrouvent pas dans les budgets des écoles polytechniques du Canada pour assurer la prestation des programmes.
Oui, allez‑y, réjouissez-vous. Je ne vous dénoncerai pas à vos ministres provinciaux, c’est promis.
Cet été, je rencontre les ministres provinciaux, mon Forum des ministres du marché du travail, et ne vous y trompez pas, je mettrai cette question sur la table. La prochaine fois que les provinces me demanderont de consacrer plus de fonds aux études postsecondaires, d’augmenter leur affection pour l’immigration ou de faire venir plus de travailleurs étrangers temporaires, etc., je vais leur dire que je m’attends à ce que l’on dépense les fonds de façon profitable pour nos systèmes d’éducation et de formation, c’est‑à‑dire en orientant ces fonds vers les écoles polytechniques.
Ce n’est qu’un des aspects de notre système d’éducation secondaire et postsecondaire qu’il faut revoir. Bien entendu, il faut également trouver une meilleure façon d’encourager les jeunes Canadiens à suivre un programme d’apprentissage ou une formation appliquée ou à apprendre un métier spécialisé dans lequel ils feront carrière.
Nous nous sommes contentés pendant trop longtemps de cette approche uniformisée en matière d’emploi des jeunes, en disant essentiellement aux jeunes de rester aux études aussi longtemps qu’ils le peuvent alors que nous voyions d’un mauvais œil les écoles de formation professionnelle et de formation en apprentissage.
Les gouvernements provinciaux doivent se rendre compte qu’ils ont manqué de vision à long terme quand ils ont décidé de réduire les programmes de formation professionnelle dans les années 1970 et 1980. Il y a 40 ans, la plupart des écoles secondaires offraient des programmes de formation professionnelle. Cependant, pour une raison qu’on ignore, les ministères provinciaux de l’Éducation et les conseils scolaires ont décidé de limiter la formation professionnelle et la formation axée sur les compétences. Dans les années 1990, l’Université York a constaté que le nombre d’inscriptions aux cours de technologie dans les écoles secondaires de l’Ontario était passé de 480 000 en 1973 à 257 000 en 1996. Il serait intéressant de disposer de données plus récentes parce que tout porte à croire que ce nombre a continué à dégringoler.
L’endettement des jeunes découlant d’études plus longues, le sentiment de devoir faire ce qu’on leur disait de faire et la difficulté de trouver plus tard un emploi rémunérateur ont contribué à aggraver la situation.
N’oublions pas que certains pays, par exemple les pays européens, ont beaucoup mieux réussi que le Canada à harmoniser les études et la formation pratique avec les emplois offerts sur le marché du travail.
C’est précisément la raison pour laquelle, en mars dernier, j’ai dirigé une mission d’étude, à laquelle a participé Polytechnics Canada. Larry, du Saskatchewan Institute of Applied Science and Technology, et Ken y ont aussi participé de même que toutes les grandes entreprises canadiennes, certains de nos grands syndicats et les représentants de cinq gouvernements provinciaux. En Allemagne, nous avons appris à connaître le système phénoménal de formation professionnelle du pays. Vous le connaissez tous maintenant. Il a une renommée internationale presque légendaire. Permettez‑moi de commencer par la mise en garde habituelle : nous ne pouvons évidemment pas reproduire le système allemand, qui est ancré depuis des centaines d’années dans le système des guildes et le système juridique et politique particulier à l’Allemagne. Nous ne pouvons pas le reproduire, mais nous pouvons nous en inspirer.
Voici les leçons que j’en ai tirées. J’ai appris que près des deux tiers des jeunes Allemands entreprennent des programmes d’apprentissage rémunérés en moyenne à l’âge de 16 ans. Dans le cadre de ces programmes, ils passent généralement trois jours et demi en milieu de travail, où l’employeur leur verse une bonne allocation de mille euros par mois, et une journée et demie dans un collège professionnel, où ils apprennent la théorie appliquée des compétences qu’ils acquièrent en milieu de travail.
J’ai appris aussi que les étudiants prenaient en moyenne trois ans pour terminer ces programmes d’apprentissage. Ils reçoivent donc leur certificat en moyenne à l’âge de 19 ans. De plus, 95 % d’entre eux trouvent un emploi dans leur domaine de formation. Ils sont alors sans dette d’études, possèdent de l’expérience de travail et sont titulaires d’un certificat ayant la même valeur dans tout le pays, dans toute la fédération, un certificat auquel tous accordent la même valeur éducative, sociale et économique qu’un grade universitaire. C’est peut‑être la leçon de base que nous avons retenue.
Vous savez, ce ne sont pas seulement les défenseurs de ces métiers qui le disent. Ce ne sont pas seulement les employeurs ou les syndicats. Ce sont les universitaires eux‑mêmes. Je dois admettre que j’ai été très étonné d’entendre l’un des principaux universitaires du système d’éducation de l’Allemagne, un boursier chargé de cours titulaire de deux doctorats, dire qu’il était inquiet de voir qu’un pourcentage croissant de jeunes Allemands choisissait des programmes universitaires au lieu des programmes d’apprentissage d’un métier. J’aimerais vraiment rencontrer un universitaire du Canada qui partage cette vision des choses.
C’est peut-être pourquoi le taux de chômage des jeunes Allemands est environ deux fois moins élevé que celui des jeunes Canadiens.
Bien sûr, le sens des responsabilités des employeurs contribue de façon importante à la viabilité du système allemand. Les employeurs allemands consacrent chaque année l’équivalent de 49 milliards de dollars canadiens aux programmes d’apprentissage, ce qui contraste fortement avec les faibles investissements du secteur privé dans le développement des compétences ici au Canada.
Vous connaissez les chiffres. Nous sommes le pays de l’OCDE qui investit le plus de fonds publics dans le développement des compétences. Par contre, nous nous retrouvons au bas de la liste des pays développés en ce qui concerne les investissements du secteur privé dans le développement des compétences. Nous devons donc trouver des façons d’encourager nos employeurs à s’impliquer davantage.
J’ai participé récemment au BC Business Summit. Tous les grands employeurs de la Colombie‑Britannique étaient au rendez‑vous. Chaque fois que je les rencontre, ils me disent qu’ils ont besoin de travailleurs étrangers temporaires et de plus d’immigrants pour régler les problèmes de main‑d’œuvre. Je leur ai dit que je ne voulais plus les entendre parler de pénuries de main‑d’œuvre et de compétences avant d’avoir constaté une augmentation démontrable des investissements du secteur privé dans la formation professionnelle et la préparation des jeunes aux emplois de l’avenir.
Pour rendre justice aux employeurs, il convient de souligner que plusieurs fournissent un rendement exceptionnel et que beaucoup d’entre eux apportent une contribution. Un grand nombre d’employeurs parrainent des programmes dans vos collèges et vous aident à acquérir de nouveaux biens en équipement pour la formation. Je pense que nous arrivons à la fin du stade critique. Je crois que les employeurs comprennent qu’ils doivent investir davantage dans la main‑d’œuvre.
En fait, c’était l’idée à la base de la Subvention canadienne pour l’emploi, une idée qui est devenue source de controverse sans raison valable. Depuis ce temps, nous sommes parvenus à un accord avec l’ensemble des provinces et des territoires pour qu’ils offrent cette subvention pour l’emploi. Dans un sens, l’idée était foncièrement très simple. Elle découle du concept allemand de formation coordonnée par l’employeur et d’investissement des employeurs dans des initiatives de formation. Il s’agit d’un défi particulier pour les petites et moyennes entreprises.
Quand nous avons demandé aux petites et moyennes entreprises canadiennes pourquoi elles n’investissaient pas davantage dans la formation et n’engageaient pas plus d’apprentis, elles nous ont dit qu’elles avaient très peur du maraudage. Les petites et moyennes entreprises ne veulent pas dépenser des milliers de dollars pour la formation en apprentissage d’un apprenti lié par contrat qui, une fois qu’il a obtenu son certificat, sera recruté par un grand employeur au portefeuille bien garni qui peut lui offrir un meilleur salaire.
La Subvention canadienne pour l’emploi vise simplement à réduire l’exposition au maraudage des petites et moyennes entreprises pour qu’elles puissent sélectionner des jeunes ou un groupe de personnes à qui ils pourront offrir une formation précise menant à un emploi garanti. C’est là que nous interviendrons et paierons à peu près les deux tiers, voire les trois quarts des coûts de formation. Ces entreprises doivent toutefois apporter leur contribution. Elles doivent participer au recrutement des candidats, leur garantir un emploi et, espérons‑le, les encadrer pendant tout le programme. Nous espérons que nous pourrons ainsi commencer à recréer ici la magie du système de formation allemand.
Vous savez, ce n’est pas juste en Allemagne qu’on trouve ce système! Nous avons visité le Royaume-Uni, dont le système ressemble davantage au nôtre pour diverses raisons historiques évidentes. Fait intéressant, le Royaume-Uni a fait la même chose que le Canada dans les années 1980 : il s’est concentré uniquement sur les études postsecondaires. Il a ensuite essayé de renverser la tendance pour revenir à l’apprentissage appliqué. Dans les années 1980, toutes les écoles polytechniques d’Allemagne sont essentiellement devenues des universités conférant des grades universitaires. Le Royaume-Uni essaie maintenant de convaincre le secteur collégial d’offrir de la formation professionnelle, des programmes d’apprentissage destinés aux adolescents de façon qu’ils finissent leur formation avant l’âge de 20 ans en ayant les compétences recherchées et de très bonnes perspectives d’emploi en général.
Saviez‑vous qu’au Royaume‑Uni, une personne qui termine un programme d’apprentissage gagne l’équivalent de 275 000 $ canadiens de plus au cours de sa vie qu’un diplômé d’un programme universitaire?
En fait, nous avons besoin de données comparables ici au Canada. Nous n’en avons tout simplement pas. Certaines données utilisées dans ce débat sont, dirons‑nous, plus que trompeuses. Comparer les résultats de tous les diplômés universitaires canadiens, dont beaucoup sont des baby‑boomers dans leurs années de meilleurs revenus qui occupent les emplois les plus rémunérateurs, comparer cette moyenne agrégée avec celle de qui que ce soit d’autre n’est pas pertinent.
Commençons par comparer les revenus d’emploi, par exemple, des personnes ayant une majeure en sociologie avec ceux des soudeurs. Comparons aussi les résultats des bacheliers en communications avec ceux des mécaniciens de machines fixes. Si nous commençons vraiment à établir des comparaisons plus désagrégées fondées sur le monde réel, nous obtiendrons des données qu’il sera utile de transmettre aux jeunes.
Mais comprenez‑moi bien : je précise que notre but, mon but n’est absolument pas de dénigrer l’importante valeur des études postsecondaires offertes par nos universités, des lettres et des sciences humaines ou des arts. Ces études ont toutes une très grande valeur, et la majorité de ces programmes ont donné d’excellents résultats. Ce que je veux dire c’est que nous devons commencer à marcher dans la foulée des Européens et mettre les différents types d’études, de formation et d’emplois sur un pied d’égalité. Nous devons cesser d’envoyer aux jeunes des messages culturels par l’intermédiaire de leurs conseillers pédagogiques, de leurs parents et de leurs gouvernements donnant à penser qu’ils s’orientent d’une façon ou d’une autre vers l’échec ou ne réaliseront pas leur plein potentiel s’ils optent pour une formation technique ou un métier. Nous devons profiter de toutes les occasions qui se présentent pour leur faire savoir qu’il est tout aussi valable de fréquenter une école polytechnique et de travailler dans un domaine technique que de fréquenter l’université pour obtenir un grade universitaire.
Il y a beaucoup d’autres mesures à prendre, mais j’ai parlé assez longtemps. Permettez‑moi de récapituler. Le gouvernement du Canada essaie de remplir son rôle, c’est‑à‑dire créer les bons incitatifs en envoyant les bons messages. Par exemple, nous avons créé la Subvention incitative aux apprentis et la Subvention à l’achèvement de la formation d’apprenti qui, ensemble, offrent 4 000 $ aux étudiants qui terminent leur programme d’apprentissage. Nous avons créé le crédit d’impôt pour la création d’emploi d’apprentis à l’intention des employeurs pour les motiver à engager des apprentis. Nous avons également créé le crédit d’impôt pour l’achat d’outils.
Par ailleurs, nous avons réformé le système d’immigration afin de soutenir les travailleurs spécialisés dans ces types d’activités professionnelles. Vous savez, depuis le début des années 1970, le Canada a pratiquement fermé son système d’immigration aux immigrants cols bleus, aux gens de métier. Au cours des dernières années, nous avons ouvert une nouvelle porte pour les gens de métiers spécialisés dans notre système d’immigration dans le cadre de notre Programme des candidats des provinces. Des travailleurs hautement spécialisés peuvent maintenant venir au Canada comme résidents permanents et devenir des compagnons responsables d’apprentis. Nous devons d’ailleurs réduire les ratios compagnon‑apprentis dans les provinces où ils sont trop élevés afin de permettre aux petits entrepreneurs d’engager des apprentis.
Il est nécessaire d’harmoniser nos programmes d’apprentissage dans le pays. C’est ce que fait le New West Partnership en Saskatchewan, en Alberta et en Colombie‑Britannique. Avec notre soutien, les Provinces de l’Atlantique travaillent aussi à l’harmonisation de leurs programmes. Ce serait bien de voir les deux provinces centrales canadiennes adhérer à leur tour au programme.
Il faut évidemment continuer d’éliminer les obstacles à la mobilité interprovinciale de la main-d’œuvre et à la reconnaissance mutuelle des métiers et des professions. Nous devons déployer plus d’efforts pour reconnaître les compétences des professionnels et des gens de métiers qui ont reçu leur formation à l’étranger et qui sont trop souvent sous‑employés dans notre économie.
Nous devons tous continuer aussi à cibler certains groupes démographiques, comme les Canadiens d’origine autochtone, qui sont massivement sous‑représentés sur le marché du travail.
Voilà donc les grands défis à relever. Heureusement, je crois que nous avons commencé à observer un changement important dans le débat sur les ressources et leur affectation. Par exemple, le gouvernement de la Colombie‑Britannique a annoncé récemment qu’il avait commencé à restructurer ses systèmes d’éducation secondaire et postsecondaire, qu’il désirait suivre de près les résultats obtenus sur le marché du travail pour tous les parcours d’éducation postsecondaire et affecter les fonds là où l’on obtient des résultats. Voilà d’excellentes nouvelles. C’est un modèle que l’on peut et doit imiter dans tout le pays.
Avec les idées et les programmes novateurs que vous mettez en œuvre, le plein soutien du gouvernement fédéral à ce nouveau programme en matière de compétences, l’adhésion des gouvernements provinciaux, la compréhension par les employeurs de l’urgence d’agir et leurs investissements, surtout pour aider les Canadiens d’origine autochtone à intégrer le marché du travail, je crois que la réforme de notre système d’éducation postsecondaire nous ouvrira un nouvel horizon, car elle nous aidera essentiellement à prêter assistance aux jeunes pour qu’ils réalisent leur potentiel et contribuent à la HoHonprospérité de notre merveilleux pays.
Merci beaucoup pour votre temps et votre excellent travail.
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