Notes d'allocution
Guy Berthiaume, Bibliothécaire et archiviste du Canada
Á l’occasion du 6e Congrès des milieux documentaires 2014
Montréal (Québec)
Le 2 décembre 2014
Sous réserve de modifications
Je suis très heureux d’être parmi vous à l’occasion du 6e Congrès des milieux documentaires du Québec.
C’est toujours pour moi un honneur de me retrouver entouré de spécialistes de l’archivistique et de la bibliothéconomie et un plaisir d’échanger avec eux sur les mouvances qui orientent l’évolution d’un milieu qui est unique en tous points.
Je me sens ici en pays de connaissance. Comme vous le savez, je suis ici cette année dans le cadre de nouvelles fonctions. Après cinq années à la barre de Bibliothèques et Archives nationales du Québec, j’ai accepté de prendre les rênes de Bibliothèque et Archives Canada le 23 juin dernier.
Changer d’emploi nous force à repenser nos approches, à revoir nos façons de faire, à considérer de l’œil droit des choses que l’on avait pris l’habitude de regarder du gauche. J’en sais quelque chose, j’en suis à mon 14e emploi. Bref, on se réinvente toujours un peu à chaque nouvel emploi qu’on occupe.
Et je me suis demandé si les organisateurs de ce 6e Congrès n’avaient pas poussé le sens de l’hospitalité jusqu'à choisir le thème de cette année, « Se réinventer », en pensant à moi…
Pour m’aider à me réinventer, pour m’inspirer, j’ai la chance de pouvoir compter sur d’illustres prédécesseurs. C’est pour moi un objet de grande fierté de m’inscrire dans le lignée de Ian Wilson, de Jean-Pierre Wallot, ou encore de Sir Arthur George Doughty, trois géants de l’archivistique canadienne qui sont pour moi des sources d’inspiration permanentes.
À Sir Doughty, dont la majestueuse statue surveille la rivière Ottawa depuis la cour nord du 395 Wellington, nous sommes redevables d’avoir jeté les bases de l’institution que nous connaissons aujourd’hui. À Ian Wilson, nous devons la fusion, il y a un peu plus de 10 ans, de la Bibliothèque nationale et des Archives nationales, un geste qui reste à ce jour proprement révolutionnaire. À Jean-Pierre Wallot, nous devons la révision de la loi canadienne sur les archives et la construction du Centre de préservation de Gatineau, là où nous abritons nos collections, dans des conditions idéales de conservation.
Cet incroyable bâtiment de métal et de verre a été conçu pour durer 500 ans. C’est un pari sur la très longue durée, le temps de la conservation. Il faut dire que, si vous avez le malheur de vous perdre dans ses rayonnages, vous n’aurez pas trop de 500 ans pour vous sortir de ce dédale de documents et d’objets, le plus riche concentré d’histoire canadienne au pays.
Le 12 novembre dernier, j’ai franchi le cap des 100 jours dans mes nouvelles fonctions. J’ai pensé que ce congrès serait pour moi l’occasion parfaite pour vous livrer mes premières impressions et pour exposer les engagements que j’ai pris pour la durée de mon mandat.
Je n’ai jamais beaucoup prisé le concept des 100 premiers jours, introduit la première fois par Roosevelt au moment de la Grande dépression. Le président du New Deal avait alors fait adopter 15 projets de loi en moins de trois mois, un record !
Je n’aime pas le concept des 100 jours d’abord parce que, si on omet de mentionner « premiers », les Cent-jours renvoient, en particulier pour un auditoire francophone, aux cents « derniers » jours de Napoléon. Inutile de préciser que je ne suis pas pressé de me rendre là, si tant est que je doive m’y rendre un jour!
Mais je n’aime pas l’idée des 100 premiers jours aussi et, surtout, parce que cette borne ne me semble pas pertinente dans le domaine de la gestion. Celui qui s’impose d’agir dans les 100 premiers jours – dans une institution aussi complexe que Bibliothèque et Archives Canada – risque de prendre des décisions sur la base de ses préjugés, plutôt que sur la base de sa connaissance de la maison dont on lui a confié la gestion.
Pour gérer une institution comme BAC, il faut appuyer ses engagements sur trois fondamentaux : d’où vient l’institution, où doit-elle aller et où peut-elle aller. Voilà pourquoi, plutôt que de parler des 100 premiers jours, j’ai préféré intituler cette conférence « Une saison dans la vie de BAC », un clin d’œil au titre du roman de Marie-Claire Blais qui a remporté le Prix Médicis en 1966.
Ce fut une saison très estivale, puisque je suis entré en fonction le 23 juin. Une saison au cours de laquelle l’équipe de BAC m’a, très généreusement, accueilli et fait faire le tour du propriétaire. Et quelle propriété ! En fait, je devrais plutôt parler de terre que de propriété, car pour la petite histoire, les Archives nationales ont été fondées en 1872 comme une branche du ministère de l’Agriculture !
Aujourd’hui, 142 ans plus tard, la terre a produit des fruits pour le moins étonnants, qui ont beaucoup moins à voir avec la culture des champs qu’avec la culture, tout court. J’aurai l’occasion d’y revenir.
Mais d’abord, je veux répondre à une question que beaucoup parmi vous m’ont posée : quelle est la grande différence entre BAnQ et BAC ?
Je pourrais répondre, à la façon de Sacha Guitry, que les deux institutions sont aussi différentes que peuvent l’être la vie nocturne de Montréal et celle d’Ottawa. Mais ce ne serait pas à l’avantage de Montréal, parce qu’à Ottawa les nuits sont plus chaudes qu’à Montréal. En moyenne 0,2 degré Celsius plus chaudes selon les statistiques.
Trêve de plaisanteries. Je ne suis pas amateur du jeu des sept différences. Et fondamentalement, les deux institutions sont soumises aux mêmes défis et aux mêmes enjeux que toutes les bibliothèques nationales et les archives nationales du monde. Des défis et des enjeux qui tiennent en trois mots et que vous connaissez bien : acquisition, conservation, diffusion.
Cela étant dit, la première chose qui me vient à l’esprit quand je compare BAC à BAnQ, c’est l’absence de bibliothèque publique de la dimension de la Grande Bibliothèque. Cela ne signifie pas que BAC n’a pas de rôle à jouer auprès du grand public. Notre rôle de bibliothèque nationale est d’être gardiens du dépôt légal des quelque 45000 publications qui paraissent chaque année au Canada en d’en garantir l’accès pour tous. De plus, notre loi constitutive confie à Bibliothèque et Archives Canada la mission de contribuer à la littératie et à l’épanouissement culturel des Canadiens.
Ceux qui me connaissent un peu savent l’amour et le profond respect que je voue aux livres. On n’étudie pas l’antiquité grecque, sans aimer les textes, les vieux comme les plus récents. Dans le respect de notre mandat, j’aimerais que BAC s’associe de plus près au monde de l’édition et du livre en général, comme nous le faisons déjà en gérant le club de lecture d’été TD.
Outre la différence provenant de l’absence de bibliothèque publique dans notre portefeuille, ce qui m’a encore plus frappé lors de mon entrée en fonction, c’est la diversité et la richesse inattendue des collections de BAC.
Parlons d’abord de volume :
- 20 millions de livres, qui pèsent au total ce que pèsent 442,5 baleines bleues
- 250 kilomètres linéaires d’archives, la distance qui sépare Ottawa de Mont-Saint-Hilaire ! Et comme nous acquérons chaque année l’équivalent de 2 kilomètres d’archives gouvernementales et quelques centaines de mètres de fonds privés, on devrait arriver au Madrid d’ici 2040 !
- 3 millions de cartes
- 30 millions de photos, une par habitant du Canada, ou presque.
- 550 000 heures d’enregistrement audio et vidéo, de quoi meubler votre temps d’écoute, 24 heures sur 24, pendant 63 ans !
- Les archives complètes des timbres émis par Postes Canada depuis sa création.
- La plus grande collection de médailles au Canada, comportant plus de 14000 objets
Et enfin, peut-être le trésor le moins connu de nos collections, 425 000 œuvres d’art, dont la plus importante collection d’art canadien au monde.
Vous aurez compris que, par leur ampleur, les collections de BAC posent d’énormes problèmes de gestion d’espace de conservation. Depuis 2011, deux nouvelles installations se sont ajoutées à notre parc immobilier pour aider à l’entreposage de nos documents. La première est notre Centre de préservation de pellicule de nitrate qui est situé en périphérie d’Ottawa et qui est entièrement dédié aux archives filmiques et photographiques. Le Centre a été spécialement aménagé pour la conservation des films et photos sur support celluloïd ou nitrate qui sont particulièrement inflammables. On y trouve plus de 5500 bobines de films, dont certains remontent aux tout débuts du cinéma canadien, en 1912. C’est notre mémoire visuelle qui est stockée dans cet édifice, conçu selon des normes environnementales élevées qui nous permettent de réduire notre consommation d’énergie.
L’autre bâtiment est situé à Gatineau et il est distinct du Centre de préservation dont j’ai déjà parlé. Il s’agit d’un ancien Zellers, que nous avons entièrement converti en espace d’entreposage ultramoderne. C’est dans cette nouvelle installation que nous conservons 500 000 dossiers d’archives de la Seconde Guerre mondiale, 2,6 millions de publications diverses, 26 000 boîtes d’archives de quotidiens et de journaux.
Derrière ces chiffres, qui disent l’étendue de notre mémoire collective, il y a des trésors, plus ou moins cachés, qui reflètent la richesse de notre passé et la variété de l’occupation du territoire symbolique et culturel au Canada. C’est un autre aspect qui m’a frappé en découvrant les collections de BAC : le volume, oui, mais aussi la diversité. Trois exemples.
D’abord, les timbres. Les Archives nationales les collectionnent depuis 1900. Et lorsqu’il a fermé ses portes en 1988, le Musée canadien de la Poste nous a versé la totalité de sa collection. Ce qui fait aujourd’hui de BAC le premier pôle philatélique au pays et l’un des plus importants dans le monde. Non seulement nous avons la collection complète de tout ce que Poste Canada a émis depuis sa création, mais nous avons aussi des pièces qui documentent la création de certains timbres, comme la maquette du tout premier timbre canadien – le fameux timbre au castor de 1851. Nous avons même des timbres qui n’ont jamais été diffusés, dont un qui a été créé, en pleine 2e Guerre mondiale (1941), avec en médaillon les visages de Churchill, Mackenzie King et Roosevelt. L’écrivain irlandais Yeats disait que le graphisme des timbres était l’ambassadeur silencieux du bon goût national. À travers nos archives postales, ce sont plus d’un siècle et demi d’illustrations et de graphisme canadiens que peuvent découvrir aussi bien les philatélistes que les amateurs d’art.
Notre collection de médailles témoigne elle aussi de la diversité de nos collections.
Le dernier exemple que je veux donner de la variété de nos collections touche le domaine de l’art. Je savais en arrivant à Ottawa que BAC était un important dépositaire de collections d’œuvres d’art canadiennes, dont la plus connue est sans doute la Collection nationale de portraits. Mais je ne m’attendais pas à découvrir un tel éventail de collections. De la sculpture à l’illustration pour enfants, en passant par la BD, l’affiche politique ou la photo d’art, nous disposons de près d’un demi-million d’œuvres sous toutes les formes. Certaines de ces œuvres présentent des figures très connues, comme la photo de Churchill par Yousuf Karsh, ou la sculpture de David Suzuki. D’autres proviennent de parfaits inconnus, comme ces magnifiques carnets de gouaches peintes par un soldat canadien en France pendant la première guerre mondiale. Je pourrais allonger la liste. Je pourrais vous parler de notre collection de cartes et de mappemondes, qui compte notamment un globe terrestre réalisé à Rome en 1695, et un autre en acier conçu sous l’Allemagne nazie pour célébrer les conquêtes de l’Axe.
Et ce n’est pas tout, car il reste tout ce que nous continuons à découvrir dans nos fonds. L’archiviste en chef des États-Unis, David Ferriero, a eu une expression humoristique en disant, « plutôt que de parler de backlog, parlons de “hidden collections”, de nos collections cachées » !
Cet été, l’une de nos archivistes a découvert une carte du front belge de deux mètres de long, dessinée par un soldat du Corps expéditionnaire canadien. Il n’y a pas de hasard, disait Éluard, il n’y a que des rendez-vous. Ce sont les rendez-vous qu’il nous faut multiplier avec la part enfouie de notre passé.
Vous l’aurez compris : il y a dans nos voûtes d’inestimables trésors. Notre grand défi est de trouver de nouvelles voies pour les en sortir. Je reviendrai plus loin sur ce volet central de notre mandat.
J’aimerais compléter ce survol de mes premières impressions de vous parlant du climat qui règne à Bibliothèque et Archives Canada et du personnel qui m’a accueilli pour cette saison inaugurale. Vous n’êtes pas sans savoir que BAC, comme de nombreuses autres institutions fédérales, a subi d’importantes réductions budgétaires il y a quelques années. Cette année marque la quatrième et dernière année d’un plan de rigueur budgétaire qui, à terme, se soldera par une réduction de nos ressources de 9,6 millions.
Malgré ces défis, c’est la confiance en l’avenir que j’ai surtout ressentie à mon premier contact avec mes nouveaux collègues. Des collègues dévoués et compétents qui ne demandent qu’à mettre à profit leur expertise et qu’à mettre en valeur nos collections. Des collègues chez qui j’observe également une volonté commune de voir la contribution de Bibliothèque et Archives Canada être reconnue à sa juste valeur. C’est agréable de prendre la tête d’une institution lorsque l’espoir y renaît.
Même son de cloche du côté de nos partenaires. Plusieurs d’entre eux avaient pris leurs distances avec nous ces dernières années, pour toutes sortes de raisons. Voilà qu’ils renouent contact et manifestent un intérêt nouveau pour nos services, nos projets, nos idées. Pour toutes ces raisons, je n’ai pas rencontré cette part de cynisme qu’on observe souvent dans les grandes organisations publiques en période de transition. Bien au contraire, ce que j’ai découvert au cours de l’été, c’est une communauté impatiente de voir BAC reprendre sa place à l’échelle nationale et internationale.
Comment faire ? Quelles priorités se donner ? Quelles orientations imprimer à un navire aussi imposant que BAC ? Quelles voies privilégier dans le développement de nos collections et la modernisation de notre fonctionnement ? Ce sont ces questions que je me suis posées au cours de ma première saison à Bibliothèque et Archives Canada, comme, je suppose, n’importe qui à ma place l’aurait fait.
Et pour nourrir ma réflexion, je ne suis appuyé sur les grandes priorités de notre institution, des priorités qui sont celles que la plupart des institutions semblables de par le monde ont adoptées :
- Acquérir des ressources documentaires représentatives de la société canadienne;
- Mieux préserver le patrimoine documentaire en formats analogique et numérique;
- Offrir des services de qualité aux Canadiens et diffuser un maximum de contenu à l'aide des technologies numériques;
- Adopter une approche plus collaborative avec les collectivités du patrimoine documentaire pour réaliser le mandat de BAC;
- Développer l'infrastructure et les stratégies requises pour assurer la gestion du patrimoine documentaire au XXIe siècle.
Afin de nous permettre de réaliser ces cinq priorités, j’ai proposé aux collègues de BAC de nous doter de quatre engagements à l’horizon des cinq années de mon mandat.
Le premier de ces engagements est peut-être celui qui m’est le plus personnel. Je suis, comme on dit, un commis de l’État et à ce titre, mon premier souci est de diriger une institution qui soit, en tout temps, absolument, résolument, au service de ses clients, de tous ses clients : les institutions gouvernementales, les universitaires, les chercheurs, les étudiants, les bibliothécaires, les archivistes, les généalogistes, les donateurs et le grand public.
Et pour y arriver, il n’y a qu’une façon de faire : nous adapter pour mieux répondre aux besoins changeants de la population qui consulte nos collections. Ce qui nous force à sortir de notre bulle que j’appellerais le syndrome du capitaine Nemo.
Ceux et celles qui ont lu 20 000 lieues sous les mers se souviendront peut-être que le fameux personnage imaginé par Jules Verne avait fait aménager dans son sous-marin, le Nautilus, une bibliothèque de plusieurs milliers d’ouvrages, qu’il considérait comme, et je cite, « les seuls liens qui me rattachent à la terre ». Nous tous ici, archivistes ou bibliothécaires, nous sommes des descendants du capitaine du Nautilus, tous un peu jaloux des ouvrages ou des documents que nous avons la responsabilité de conserver pour la mémoire de l’humanité.
Je ne dis pas que cette responsabilité n’est plus la nôtre. Mais je pense qu’au 21e siècle, notre travail consiste à faire remonter le Nautilus à la surface et à libérer Nemo de son utopie bibliophilique. Les documents ne sont plus les derniers liens qui nous rattachent au monde, ce sont souvent les premiers. Et c’est tout un défi pour le personnel d’un établissement public comme BAC.
Un défi d’autant plus grand qu’à l’ère de Google et d’Amazon, nos usagers veulent avoir un accès direct et immédiat à nos collections. C’est sans ce contexte de démocratisation de l’accès que s’inscrit notre projet de numérisation des dossiers des 640 000 Canadiens qui ont participé à la Première guerre. Elle permet à des milliers de Canadiens de retrouver la trace de leurs proches et de connaître leurs déplacements, leurs blessures, le versement de leur solde, bref de donner de la chair et de l’humanité à leur histoire personnelle.
Notre premier devoir est de puiser dans notre expertise pour organiser les ressources que nous mettons à la disposition de tous, selon une logique qui leur convient et dans laquelle ils vont se retrouver. C’est d’ailleurs ce que nous avons commencé à faire, notamment en mettant en place des outils qui orientent nos usagers vers des canaux libre-service, comme notre compte Flikr, qui a attiré 5 millions de visiteurs jusqu’à présent, ou encore nos fameuses baladodiffusions – 8 de ces baladodiffusions figurent dans le top 10 des productions gouvernementales fédérales.
Ces initiatives et d’autres encore que nous envisageons lancer, nous aident dans notre travail de diffusion. Elles nous aident à expliquer, en termes simples, les choix qui guident l’acquisition de ressources documentaires et pourquoi les ressources que nous conservons sont d’abord et avant tout celles qui permettent de comprendre notre société.
Le deuxième engagement que j’ai proposé, c’est d’être une institution à l’avant-garde de l’archivistique, de la bibliothéconomie et des nouvelles technologies. Et pour honorer cet engagement, il n’existe qu’une clé : miser et investir dans l’expertise du personnel en place. Pour moi, il ne fait pas de doute que c’est l’expérience, l’imagination et l’expertise des personnes qui travaillent à BAC qui constituent la vraie porte d’entrée à l’information. Pour être à l’avant-garde, il faut aussi compter sur la technologie.
J’aimerais prendre quelques minutes pour vous parler de nos réalisations dont plusieurs n’ont pas été suffisamment soulignées. J’en donnerai deux exemples. Le premier, c’est l’opération de migration des enregistrements audiovisuels que nous avons déployée ces dernières années, et qui a déjà permis de sauvegarder 81 000 heures de contenu menacé sur des supports pérennes. En juillet dernier, le Conseil du Trésor du Canada a salué cette initiative comme un exemple parfait de modernisation d’un processus opérationnel.
Le deuxième exemple : ce sont les gains d’efficacité enregistrés dans la numérisation de nos microfilms. Grâce à l’inventivité des employés de BAC, la durée du processus de numérisation de ces bobines a été réduite des deux tiers : de 50 heures qu’elle nous prenait, la conversion de 4 giga-octets d’images numériques ne dure plus maintenant que 16 heures. Résultat : en un an, le nombre d’images numérisées est passé de 270 000 à 1,6 million!
Notre personnel a réagi de manière exceptionnelle aux défis de conservation qui touchent toutes les institutions de mémoire. Mais il faut garder les yeux bien ouverts, car d’autres défis nous attendent. Le plus grand touchera très certainement les archives gouvernementales. À compter de 2017, les ministères fédéraux nous verseront sous forme numérique les documents qu’ils veulent archiver.
Il est difficile pour l’instant de prendre la pleine mesure de l’impact que ce changement majeur aura sur nos activités. Notre priorité en ce moment, c’est de nous donner les outils pour accueillir cette masse de documents.
La nouvelle stratégie numérique que nous sommes en train de mettre en place nous permettra d’offrir aux ministères de solides garanties relativement à la gestion de leurs archives numériques.
Et elle nous mènera à la mise en place d’un dépôt numérique fiable répondant aux normes internationales les plus exigeantes. Ce n’est pas seulement une question d’archivage, c’est une question de démocratie. Car, il entre dans notre mandat d’aider le gouvernement du Canada à respecter son obligation de rendre des comptes aux citoyens.
Bibliothèque et Archives Canada est un acteur important dans la mise en œuvre du Plan d’action du Canada pour un gouvernement ouvert 2.0 qui a été rendu public le 6 novembre dernier. Ce plan vise notamment à élargir l'accès aux données de source gouvernementale et à assurer la transparence et la reddition de comptes du gouvernement. Et qui dit transparence dit nécessairement accessibilité aux archives de l’État, archives dont BAC est le dépositaire officiel.
Troisième engagement : faire de BAC une institution proactive et inscrite dans des réseaux nationaux et internationaux, en position d’écoute et de respect. Le réseautage institutionnel est essentiel de nos jours, comme en fait foi d’ailleurs ce congrès, qui nous offre une belle occasion non seulement d’échanger, mais aussi de renouer nos liens. La collaboration est une tendance lourde dans l’évolution des institutions de mémoire. Nous assistons à l’émergence de services interinstitutionnels et de nouveaux partenariats, avec l’industrie numérique par exemple. Chaque seconde, 29 000 gigaoctets d'informations sont publiés dans le monde, l’équivalent de 6000 films en HD. Chaque seconde !
Le big data – qui est, comme l’a dit un humoriste, ce que Big Brother mange pour déjeuner le matin – le big data est une réalité qui croît à une vitesse prodigieuse. On estime que la masse d’information numérique va doubler tous les deux ans d’ici 2020 ! Devant ce volume sans précédent d’informations, les archives et les bibliothèques publiques du monde entier sont condamnées à travailler en réseaux. Même la Library of Congres, même la BnF, ne peuvent être auto-suffisants et exhaustifs.
Bibliothèque et Archives Canada fait déjà partie intégrante de nombreux réseaux, ici et ailleurs. Parlons d’abord de notre réseau international.
Les bibliothèques et les archives ont des racines profondément nationales et leurs structures sont très souvent le reflet organique de l’État qu’elles ont la responsabilité de soutenir. La Bibliothèque nationale de France, pour prendre un exemple connu, est fort différente de la Bibliothèque du Congrès, qui ellemême fonctionne fort différemment de BAC.
Ce qui rend les collaborations internationales à la fois plus complexes et plus intéressantes, puisque rien n’est plus stimulant que de se frotter à des cultures institutionnelles et des modes de fonctionnement différents des nôtres. Heureusement, il existe pour nous aider des forums internationaux, comme l’IFLA, l’ICA ou, même ISO, l’Organisation internationale de normalisation. Ces organismes facilitent les collaborations internationales entre institutions, en établissant des normes communes très utiles, en particulier pour tout ce qui touche la numérisation. Et nous en profitions.
Nous avons aussi une responsabilité toute particulière en matière de promotion de la francophonie : notre participation renouvelée à l’AIAF, l’Association internationale des archives francophones, et au Réseau francophone numérique, le RFN, s’inscrivent dans cette foulée. Voilà pour le volet international. Mais évidemment, c’est à l’échelle nationale que nos partenariats sont les plus actifs. Et c’est sur ce front que je compte surtout m’investir au cours des prochains mois.
Je pense que BAC peut et doit jouer un rôle proactif, en mobilisant les différents acteurs des milieux documentaires et bibliothéconomiques. Mon approche est simple, elle repose sur deux concepts : l’écoute et le respect.
BAC n’a pas à présider tous les comités et à diriger tous les projets. Il est parfois plus sage et approprié de laisser d’autres partenaires montrer la voie. C’est dans cet esprit que nous lançons le Forum des partenaires. Ce forum réunira nos 11 partenaires les plus importants, dont l’ASTED et l’AAQ. Ce Forum, je le conçois comme un lieu d’échanges. Non seulement BAC pourra-telle y partager ses projets en amont avec ses partenaires, mais le Forum permettra aux partenaires de discuter eux aussi de leurs nouvelles initiatives avec le groupe. Nous tiendrons notre première rencontre dans une semaine et j’ai hâte de tester la nouvelle formule.
Notre quatrième et dernier engagement sera de nous doter d’un profil public plus affirmé. Je crois sincèrement que la valorisation des collections et des services d’institutions comme les nôtres passe par une visibilité accrue dans l’espace public.
Je suis amateur de musées et d’expositions. Et à mon âge, on ne se refait pas. C’est un volet de nos activités que j’ai beaucoup apprécié lors de mon passage à BAnQ, alors que j’ai inauguré des expositions aussi bien sur les mangas que sur la bibliothèque du philosophe Raymond Klibansky ou encore sur l’œuvre de René Derouin. Ce genre de projets contribue grandement à l’originalité des institutions de mémoire et à leur donner leur caractère distinctif. Et je compte bien promouvoir les collections de BAC au cours des prochaines années. De plusieurs façons. D’abord en redorant le blason de nos propres expositions.
Comme l’affirme le dicton bien connu, seules trois choses comptent en immobilier : l’emplacement, l’emplacement et l’emplacement (« location, location, location »). Certains d’entre vous se souviendront peut-être du temps où le 395, rue Wellington, à Ottawa était notre vitrine, une présence dynamique en plein cœur de la ville, à deux pas de la Cour Suprême et tout près du Musée de la guerre. Je veux rétablir notre présence dans la capitale nationale et chercher de nouveaux moyens d’accroître notre visibilité, en collaborant avec d’autres institutions de mémoire qui partagent notre vocation. Nous en avons un bel exemple en ce moment, avec l’exposition du Musée des sciences et de la technologie du Canada sur les expéditions de Franklin en Arctique qui sont présentées dans le hall de notre édifice de la rue Wellington. La découverte récente de l’un des navires que Franklin a perdu dans les glaces a réveillé l’intérêt de nos concitoyens pour tout ce qui touche le passage du Nord-Ouest.
Dans la foulée, nous exposons des esquisses qui font partie de notre collection. Elles représentent des paysages nordiques et elles sont issues d’un cahier de George Back – un artiste qui a accompagné John Franklin au cours de ses deux premières expéditions.
Je veux aussi favoriser le prêt de nos documents à d’autres institutions muséales et multiplier notre présence à l’échelle du pays. Comme vous pouvez fort bien l’imaginer, nos voûtes regorgent de trésors qui n’attendent qu’à être montrés. Saviez-vous, par exemple, que nous avions un incunable de La guerre des Juifs, de l’historien Flavius Josèphe ?
Les musées se tournent de plus en plus souvent vers nous, non seulement pour nous emprunter des œuvres ou des documents, mais parfois même pour trouver une idée nouvelle d’exposition. Le Musée des beaux-arts du Canada, par exemple, a offert ces derniers mois une très belle vitrine à notre collection de photographies d’amateurs. Un bel hommage au travail de photographes qui sont pour la plupart de parfaits inconnus, mais qui nous ont légué des clichés d’un très grand intérêt à la fois documentaire et artistique.
Et je veux assortir nos activités de tables rondes, de conférences, de lancements de livres, d’événements autour d’invités de marque, de tout ce qui fait la promotion de la littérature et de nos collections de façon dynamique.
Troisièmement, j’aimerais aussi que BAC soit encore plus présente dans les médias – aussi bien les médias traditionnels que les médias sociaux. Le visage très positif que la série documentaire Who Do You Think You Are a présenté dernièrement de notre Centre de préservation, est un bel exemple de la publicité médiatique que nous recherchons pour BAC. Autre exemple : la couverture de nos archives de la Première Guerre mondiale par l’émission Canada AM. L’équipe de Canada AM nous a tellement aimés qu’elle est revenue pour parler de la mise en ligne des actualités filmées de la Deuxième Guerre mondiale !
Dans les médias sociaux, notre présence s’accroît de mois en mois. C’est, pour nous, de formidables canaux de communications pour rejoindre un auditoire varié et géographiquement éparpillé. Le moment ne pourrait être mieux choisi pour réaffirmer le profil public de BAC.
En 2017, ce sera, comme vous le savez, le 150e anniversaire de la confédération, le 50e de l’Expo ’67 et, évidemment, le 375e de Montréal. Ces anniversaires nous serviront de tremplins pour rehausser notre profil public. Dans ce contexte, un projet m’enthousiasme tout particulièrement : notre collaboration avec le Musée canadien de l’histoire. Au moins 40 pièces de nos collections seront présentes dans l’exposition « 1867 » que le Musée tiendra à compter de l’an prochain.
Je viens de vous exposer mes quatre engagements. Je les rappelle :
- Être au service de nos clients
- Être à l’avant-garde de nos disciplines
- Nous inscrire dans les réseaux nationaux et internationaux en position d’écoute et de respect
- Nous doter d’un profil public plus affirmé
Un engagement n’a de sens que s’il est partagé et soutenu par la communauté. Au cours de ma première saison à BAC, j’ai senti l’appui de notre personnel et de nos partenaires.
L’hiver qui s’amorce s’annonce un peu plus difficile sur le front public. Coup sur coup, nous avons dû prendre acte des conclusions de deux rapports qui ne sont pas tendres à l’égard de BAC :
- celui de la Société royale sur l’état et l’avenir des bibliothèques et archives du Canada
- et celui du Vérificateur général paru le 25 novembre dernier qui portait sur l’acquisition et la préservation du patrimoine documentaire du gouvernement du Canada
Mais nous étions prêts, car nous avions nous-mêmes identifié la plupart des enjeux soulevés par ces deux rapports et nous avions commencé à mettre en œuvre des solutions concrètes avant même leur publication.
J’ai évoqué au début de mon exposé la statue de Sir Arthur Doughty située dans la cour arrière de notre édifice de la rue Wellington. Je vais terminer en vous parlant d’une autre sculpture, celle qui accueille nos visiteurs à l’avant de l’immeuble.
Elle est l’œuvre d’une artiste canadienne, Lea Vivot, qui l’a intitulée « Le banc secret de la connaissance ». On en trouve des répliques ailleurs, dont une ici même, à Montréal, sur l’avenue McGill College. La particularité de cette sculpture, outre le fait qu’elle est une ode à la curiosité, c’est qu’elle est couverte d’une centaine de messages portant sur les joies de la lecture.
Des messages d’écrivains, mais aussi de simples citoyens… et même un message en braille, cette langue qui symbolise plus que toute autre langue écrite le désir d’apprendre malgré les obstacles que la nature impose parfois. « La connaissance, a déjà dit Lea Vivot à propos de son œuvre, appartient à tout le monde, et on finit toujours par oublier ce qui n’est pas écrit. »
Je retiens ces mots. Je les retiens pour ce qu’ils disent de notre mission comme institution publique. Pour ce qu’ils disent de l’importance de la mémoire dans notre société. Et pour ce qu’ils nous disent du rôle infini du savoir dans le monde du 21e siècle.
Ma première saison dans la vie de BAC est peu de chose à l’échelle de la vie entière d’une institution qui a soufflé 142 bougies. J’espère que je pourrai vous revenir l’an prochain pour vous parler des quatre saisons de BAC, et même de cinq saisons, pour citer Harmonium. D’ici là, je vous invite à venir nous voir. Le jour où vous passerez, n’hésitez pas à vous asseoir sur le Banc secret de la connaissance. Car pour moi, il n’y a aucune raison pour que ce banc demeure secret. Ni BAC non plus d’ailleurs.