Notes pour une communication de
L'honorable Peter MacKay, C.P., député
Ministre de la Justice et procureur général du Canada
à la table ronde sur
« La Grande Charte et l'évolution du droit dans le monde » au Sommet mondial sur le droit
Londres, Royaume-Uni, le 25 février 2015
Priorité au discours prononcé
Lord Dyson, distingués collègues panélistes, mesdames et messieurs, bonjour.
J'ai le plaisir, à titre de ministre de la Justice et procureur général du Canada, de participer à cette table ronde au cours de cette si prestigieuse conférence et de vous présenter le point de vue du Canada sur l'importance de la Grande Charte dans l'évolution de notre système juridique et constitutionnel. Cependant, permettez-moi d'abord d'exprimer tout mon respect et toute mon admiration au très honorable Chris Grayling, secrétaire d'État à la Justice, à tout le gouvernement britannique et à l'accueillante équipe du Sommet mondial sur le droit pour avoir organisé cet événement exceptionnel.
Comme nous l'avons entendu d'innombrables fois ces derniers jours au moment des allocutions, des ateliers ou des réceptions, les principes qui sous-tendent la Grande Charte continuent d'influencer et d'orienter la conception des démocraties constitutionnelles dans tout le Commonwealth et au delà. Le Canada en est un bon exemple.
Les principes fondamentaux que les hommes et les femmes croient enchâssés depuis toujours dans la Grande Charte continuent d'insuffler la vie dans nos lois actuelles; d'animer le paysage politique, social et économique; d'inspirer des débats animés et éclairés; et qui plus est, si vous me permettez de le dire, de perdurer et d'agir comme l'héritage du désir fondamental que nous partageons tous de vivre dans un monde libre et démocratique.
Le président de la cour d'appel, lord Denning, lors du 750e anniversaire de la Grande Charte en 1956, a dit de celle ci qu'elle était [traduction] « le plus important document constitutionnel de tous les temps - le fondement de la liberté individuelle contre le pouvoir arbitraire des despotes. » Ce sont là des mots lourds de sens prononcés par l'un des plus grands esprits de ce pays.
L'influence de la Grande Charte continue de se faire ressentir encore de nos jours au Canada, notamment parce que, comme le déclare de façon si solennelle le préambule de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique - le document créateur de notre pays, que l'on nomme maintenant la Loi constitutionnelle de 1867 -le Canada devait être institué en fédération « ... sous la couronne du Royaume-Uni... avec une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni. » Nos pères fondateurs (appuyés par des mères) souhaitaient inclure et ont inclus les principes de la Grande Charte comme composantes de notre Constitution. Sir John A. Macdonald - Écossais et avocat - connaissait instinctivement, de par ses origines et sa formation, l'importance d'établir un juste équilibre entre le gouvernement et son électorat, le peuple.
Le souci concrétisé par la Grande Charte de limiter la monarchie par la primauté du droit et d'établir un certain nombre de libertés et de droits fondamentaux au moyen d'une charte écrite a joué un rôle déterminant dans l'évolution du système de justice du Canada et un rôle fondamental dans l'établissement du cadre juridique de notre pays.
Selon lord Sankey, dans son fameux dictum dans l'affaire Edwards (1930, C.A.) : « L'Acte de l'Amérique du Nord britannique a planté au Canada un arbre capable de grandir et de grossir dans ses limites naturelles. » Nous ne pouvons tout simplement jamais excéder nos limites naturelles, peu importe nos efforts en ce sens.
C'est cette analogie de l'arbre vivant qui résume si bien le caractère unique du cadre juridique constitutionnel du Canada : fort de ses racines dans la common law britannique et le droit civil français et grandement influencé par l'étroite proximité géographique des États-Unis, le Canada a élaboré son propre agencement hybride et unique de constitutionalisme politique et juridique - qui est capable de croître et d'évoluer.
Notre Cour suprême a tranché l'affaire de façon éloquente dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec (1998), qui traitait d'une question d'une extrême importance, à savoir si une province peut procéder unilatéralement à sa sécession de l'État du Canada ou si la sécession, pour être légale, exige une modification de la constitution négociée avec les autres membres de la fédération.
La Cour a déclaré : « Notre Constitution est principalement une Constitution écrite et le fruit de 131 années d'évolution [maintenant 148]. Derrière l'écrit transparaissent des origines historiques très anciennes qui aident à comprendre les principes constitutionnels sous-jacents. »
La Cour mentionne le fédéralisme, la démocratie, le constitutionnalisme et la primauté du droit ainsi que la protection des minorités comme les premiers de ces principes.
Le fédéralisme canadien se caractérise non seulement par un équilibre élastique des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire à chaque palier de gouvernement...
... mais aussi par des tensions dynamiques et positives qui s'exercent entre les gouvernements et par l'opération concrète de la division fédérale-provinciale des pouvoirs inscrite dans la Loi constitutionnelle de 1867, que la Cour a reconnu dans le Renvoi relatif à la sécession comme étant « ce qui constitue la principale expression textuelle dans notre Constitution du principe du fédéralisme » et « une reconnaissance juridique de la diversité » qui existe au Canada.
La Cour fait remarquer que « la structure fédérale de notre pays facilite aussi la participation à la démocratie en conférant des pouvoirs au gouvernement que l'on croit le mieux placé pour atteindre un objectif sociétal donné dans le contexte de cette diversité. »
En réalité, dans le Renvoi relatif à la sécession, la Cour suprême souligne que « l'évolution de notre tradition démocratique remonte à la Magna Carta (1215) et même avant, à travers le long combat pour la suprématie parlementaire dont le point culminant a été le Bill of Rights anglais de 1689, puis l'émergence d'institutions politiques représentatives pendant la période coloniale, le développement de la responsabilité gouvernementale au XIXe siècle et, finalement, l'avènement de la Confédération elle-même en 1867. »
L'arbre vivant se caractérise par sa croissance progressive et son évolution constante, grâce à nos ententes et nos mécanismes officieux et officiels de coordination et de coopération fédérales, provinciales et territoriales.
Parmi les clauses les plus fameuses de la Grande Charte se trouvent les articles 39 et 40 qui ont été soulignés de nouveau à maintes reprises depuis quelques jours, y compris dans l'éloquente allocution du procureur général des États-Unis, Eric Holder, qui a ouvert la conférence.
Ces garanties de droits juridiques et de justice fondamentale, tant chéris par la tradition de la common law, sont inscrites dans les documents constitutionnels et quasi constitutionnels modernes du Canada : la Déclaration canadienne des droits, édictée par le Parlement du Canada en 1960, et la Charte canadienne des droits et libertés, qui est enchâssée dans la Loi constitutionnelle de 1982.
Le Canada n'aurait jamais réalisé une Charte des droits enchâssée dans la Constitution sans l'expérience antérieure de l'édiction de la Déclaration canadienne des droits, dont le très honorable John Diefenbaker s'était fait le champion en faisant d'elle une cause personnelle pendant plus de vingt ans avant de devenir premier ministre du Canada.
[Traduction] « J'ai acquis ce but inébranlable, avouera t il plus tard dans ses mémoires, de voir chaque Canadien non seulement assuré de sa liberté, mais également armé de la connaissance de ses libertés et de ses droits fondamentaux. »
En tant que jeune avocat de la province de la Saskatchewan, il a été [traduction] « un ennemi juré de l'injustice, particulièrement contre les personnes vulnérables. L'individu, incertain de ses droits et possédant peu de moyens, a besoin de croire que la justice lui sera rendue. »
Il a écrit : [traduction] « Ma détermination à voir la Déclaration des droits se réaliser s'est affermie par suite des expériences que j'ai vécues pendant et après la Seconde Guerre mondiale. »
Le propre corpus de lois fondamentales du Canada a également suivi l'expérience unique du Canada dans les domaines de la dualité linguistique, du patrimoine multiculturel et autochtone et de la diversité provinciale. Nous avons l'unique expérience, différente de celle du Royaume-Uni, de posséder plus de géographie que de pays - et ce que nous avons, nous l'avons en grande partie emprunté.
Cependant, nos lois sont toujours imprégnées du besoin fondamental de protéger la personne contre le pouvoir arbitraire des despotes, pour revenir à l'observation de lord Denning.
C'est dans cet esprit qu'en avril 2014, j'ai eu l'honneur, à titre de ministre de la Justice et procureur général du Canada, de présenter le projet de loi C 32, une mesure législative exhaustive destinée à donner force de loi à la Charte canadienne des droits des victimes et à apporter une série de modifications importantes au Code criminel et à d'autres textes législatifs afin de garantir le respect des droits des victimes dans tout le processus de justice pénale.
À l'instar du premier ministre Diefenbaker avant moi, ma propre expérience de procureur de la Couronne et d'avocat de la défense m'a montré, ô combien de fois, la nécessité de posséder les bons outils pour protéger les membres les plus vulnérables de notre société et pour manier et soupeser avec soin le pouvoir de l'État par rapport aux intérêts de l'accusé.
Ce qui importe encore plus, c'est la nécessité de s'assurer que les voix des victimes - trop souvent réduites au silence dans nos systèmes judiciaires - se font entendre haut et fort.
Le projet de Charte des droits des victimes comprend des droits liés à l'information, à la protection, à la participation et au dédommagement, ainsi que d'autres mesures correctives.
Ce projet de loi inscrirait les droits des victimes dans la législation fédérale pour la première fois dans l'histoire canadienne.
L'effet serait transformateur pour les victimes qui cherchent à augmenter leur sentiment d'inclusion dans notre système de justice.
... et dans le même esprit que les principes qu'arbore la Grande Charte depuis 800 ans, ce projet de loi protégera encore plus la personne et apportera un rajustement hautement nécessaire à notre système de justice pénale - un rajustement que, pardonnez-moi mon audace, d'autres systèmes pourraient trouver avantageux d'envisager.
L'établissement d'un équilibre entre la sécurité et les libertés individuelles, voilà un thème auquel nous devons tous faire face de façon croissante sur la scène mondiale. Qu'il s'agisse de sécurité économique ou de sécurité nationale, les gouvernements doivent prendre une approche mesurée pour protéger leurs citoyens.
C'est dans cet esprit que notre gouvernement a présenté récemment le projet de loi C 51, la Loi antiterroriste de 2015.
La mesure proposée aurait pour effet de créer la Loi sur la sécurité de l'échange de renseignements au Canada et la Loi sur la sûreté des déplacements aériens et d'apporter des modifications importantes au Code criminel, à la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et à d'autres textes législatifs.
Notre gouvernement s'est engagé à assurer la primauté du droit, le respect des libertés fondamentales et la sécurité de la population canadienne.
En effet, la paix, l'ordre, la sécurité et le bon gouvernement sont essentiels à l'épanouissement de la liberté.
Les démocraties de droit et de liberté doivent prévaloir sur les auteurs vicieux d'actes terroristes et d'atrocités barbares.
Le présent anniversaire de la Grande Charte marque huit siècles d'évolution de gouvernement légal et limité et a une résonance particulière pour les pays membres du Commonwealth, qui partagent l'héritage constitutionnel et les valeurs durables du Royaume-Uni. Et je sais que les Canadiennes et les Canadiens en sont éternellement reconnaissants.
Permettez-moi une fois de plus de vous faire mes remerciements en ma qualité de ministre de la Justice du Canada. C'est pour moi un honneur de me trouver ici, et je vous remercie de m'avoir offert l'occasion de vous présenter ces quelques exemples de la façon dont la Grande Charte a façonné et continuera de façonner le droit canadien, aujourd'hui et dans les siècles à venir.
Merci.