Notes d'allocution
Guy Berthiaume, Bibliothécaire et archiviste du Canada
Discours prononcé devant les représentants d’agences gouvernementales, bibliothèques de recherche (académique, publique et législative), archives nationales et provinciales, et universitaires
Toronto (Ontario)
Le 15 mai 2015
Sous réserve de modifications
Bonjour! Je vous remercie de m’avoir invité.
Je suis honoré de prendre la parole après le Conseil du Trésor, qui investit tant d’efforts pour faire la promotion du gouvernement ouvert et accorder à la tenue de documents la place qui lui revient de droit.
Je serai aussi heureux de vous parler du travail accompli par BAC pour préserver les documents gouvernementaux de valeur et les rendre accessibles.
À mon avis, les documents sont plus importants que jamais dans notre société.
Il suffit d’écouter les nouvelles pour s’en convaincre.
La destruction si fréquente de documents historiques, comme des livres ou de vieux monuments de pierre, démontre clairement leur importance.
En effet, ceux qui sont contre la démocratie ne veulent pas que le passé puisse révéler ses secrets.
Le premier Léviathan s’est penché sur des questions qui nous occupent encore aujourd’hui :
- Comment assurer la survie des documents gouvernementaux, y compris des documents numériques et créés en format numérique?
- Comment donner accès à l’information qu’ils contiennent?
Les documents numériques, par nature, peuvent disparaître aussi rapidement qu’ils sont apparus.
Une fois disparus, ils sont irrécupérables, et les données sur notre histoire les suivent dans la tombe.
Le 27 avril, la BBC a diffusé un reportage demandant si l’ère numérique allait marquer la fin de l’histoire.
Le reporter parlait de la possibilité qu’une impulsion électromagnétique détruise tous les réseaux d’électricité et plonge le monde dans les ténèbres numériques.
Nous devons nous préparer à cette éventualité.
Il faut empêcher les documents numériques de disparaître, d’être subtilisés par des voleurs agissant dans l’obscurité.
Mais il ne suffit pas de protéger les documents; il faut encore les rendre accessibles.
Les Canadiens ont démontré qu’ils sont prêts pour la technologie numérique, qu’ils sont assoiffés de contenu et de fonctionnalités numériques, et qu’ils veulent un accès rapide sur des appareils mobiles.
Les affaires se font par voie numérique, les activités gouvernementales aussi, bref, le Canada est devenu un pays numérique.
Le gouvernement agit sur plusieurs fronts pour suivre le rythme.
Les Canadiens s’habituent à recevoir des services fédéraux par voie numérique, et le gouvernement veut que les interactions en ligne soient aussi simples que possible.
À cette fin, le gouvernement consolide sa présence sur le Web et diminue drastiquement la quantité de sites Web sur le domaine gc.ca.
Le système sera axé sur les besoins des citoyens plutôt que sur une lourde répartition bureaucratique des responsabilités entre les centaines de ministères et d’organismes.
L’uniformisation du contenu et l’amélioration de la fonction de recherche aideront les Canadiens à trouver l’information plus facilement.
Le gouvernement du Canada, par l’entremise de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, se prépare à adopter un modèle de publication entièrement numérique, avec un dépôt numérique central pour toutes les publications gouvernementales.
Le Plan d’action du Canada pour un gouvernement ouvert est un autre élément clé de l’ère numérique. Il s’inscrit dans un effort pangouvernemental qui vise à promouvoir l’ouverture et la responsabilité.
Comme a dit le juge américain Keith Damon, les portes closes tuent la démocratie.
BAC conserve le patrimoine documentaire de notre nation pour que la démocratie s’exerce au grand jour.
Nous avons le mandat :
- de préserver le patrimoine documentaire du Canada pour les générations présentes et futures;
- d’être la mémoire permanente de l’administration fédérale et de ses institutions.
Les documents gouvernementaux, qu’ils soient analogiques ou numériques, représentent près de 80 % de la collection d’archives de BAC.
Pour disposer d’un document ou d’une publication, tous les ministères doivent avoir reçu une autorisation de disposition de la part du bibliothécaire et archiviste du Canada.
Un autre rôle important consiste à donner des conseils sur la gestion des ressources documentaires du gouvernement.
Rendre les documents gouvernementaux accessibles fait partie de nos grandes priorités et de notre mandat législatif.
Les documents à valeur continue qui sont transférés à BAC sont encore utilisés par des chercheurs, mais aussi, de plus en plus, par des particuliers qui s’intéressent à l’histoire, que ce soit la leur ou celle de leur pays.
Par conséquent, le concept d’accessibilité peut aussi bien faire référence à une demande d’accès à l’information ponctuelle qu’à un projet de grande envergure, comme celui de la Commission de vérité et réconciliation, qui rassemble des milliers de documents témoignant des graves conséquences des pensionnats indiens sur les enfants autochtones au Canada.
La responsabilité de la gestion de l’information est partagée au sein du gouvernement.
Tous les ministères ont adopté la technologie et créent des documents en format numérique.
Bien entendu, il y aura toujours des documents papier, comme les cartes et les traités signés. Même s’ils peuvent être numérisés, le support d’origine conserve sa valeur historique.
Mais peu importe le support utilisé, nous sommes à l’ère du gouvernement transparent et ouvert, et tous les ministères gèrent leur information très soigneusement.
Ils doivent notamment établir des systèmes et des processus pour gérer les documents gouvernementaux tout au long de leur cycle de vie.
Plusieurs initiatives fédérales sont en cours pour créer des outils, des processus et des systèmes communs qui permettront au gouvernement d’aller de l’avant en toute confiance.
La politique pangouvernementale sur la gestion de l’information est le principal élément du cadre pangouvernemental de la Politique sur la gestion de l’information.
Cette politique comprend la Directive sur la tenue de documents du Conseil du Trésor, que BAC soutient de plusieurs façons.
Par exemple, BAC aide les ministères à déterminer quels documents ont une valeur continue ou archivistique, et leur accorde des autorisations de disposition.
BAC veut maintenant établir un mécanisme de disposition en amont pour que les ministères sachent ce qu’ils doivent transférer à BAC.
La sélection judicieuse des documents nous permet de concentrer nos efforts sur les documents d’archives essentiels, de diminuer les coûts pour les ministères et de gérer l’information efficacement.
Bien entendu, nous continuerons de collaborer directement avec la communauté de la tenue de documents du gouvernement.
Nous n’avons pas encore atteint nos objectifs, mais les projets pangouvernementaux, les engagements des ministères et l’appui offert aux organismes centraux constituent un excellent départ.
Je vais maintenant décrire des mesures concrètes prises par BAC pour composer avec les réalités de l’ère numérique.
Vous avez probablement déjà entendu l’expression « Numérique d’ici 2017 ».
Qu’est-ce que ça veut dire exactement?
- Que les ressources documentaires à valeur archivistique créées en format numérique à partir de 2017, notamment les documents gouvernementaux, seront transférées à BAC par voie numérique
- Que les documents papier à valeur archivistique numérisés par les ministères seront eux aussi transférés par voie numérique
- Et que les legs de documents papier (ou les documents antérieurs à 2017) et les autres documents analogiques ayant une valeur archivistique seront encore acceptés.
Je précise que BAC continuera d’accepter sur support papier les documents à valeur archivistique créés en format analogique, même après 2017.
Selon la Politique sur la gestion de l’information de 2007 du Conseil du Trésor, les administrateurs généraux (des ministères) sont chargés de « veiller à ce que les systèmes électroniques constituent le mode privilégié de création, d’utilisation et de gestion de l’information ».
La clé de cette approche est la collaboration entre le Conseil du Trésor, BAC et les ministères.
Nous nous préparons pour 2017 en appuyant le gouvernement ouvert sur quatre plans.
Le premier concerne les « legs », les ressources qui ne sont pas en format numérique.
En novembre dernier, le vérificateur général a sévèrement critiqué BAC au sujet de l’arriéré de documents qui n’avaient pas été traités et du retard accumulé dans l’attribution des autorisations de disposition aux ministères.
BAC utilise ces autorisations pour dire aux institutions gouvernementales quels documents elles doivent transférer à BAC quand les documents ont fini de remplir leur fonction opérationnelle.
Pour répondre aux recommandations du vérificateur général, nous avons créé une équipe spéciale sur la disposition et la repérabilité.
L’équipe spéciale a déjà diminué l’arriéré de 70 % : il restait moins de 30 000 boîtes au 1er mai, alors qu’il y en avait plus de 98 000 au départ.
L’équipe doit aussi s’assurer que toutes les institutions gouvernementales auront une autorisation de disposition complète et à jour d’ici trois ans.
Pour atteindre cet objectif ambitieux, nous allons simplifier notre approche. Je suis heureux de vous informer que 30 % des institutions gouvernementales disposent maintenant d’une couverture complète.
Je suis très fier de dire que BAC fut la première institution gouvernementale à essayer le nouveau processus.
De plus, BAC utilise une approche axée sur les risques et examine des documents « en bloc » pour déterminer, selon l’âge des documents et les sujets traités, s’ils peuvent être accessibles au public selon la Loi sur l’accès à l’information et la Loi sur la protection des renseignements personnels.
Avant les examens en bloc, les ministères qui nous remettaient les documents interdisaient ou restreignaient l’accès, au moins dans l’attente d’un examen.
Depuis l’arrivée de l’examen en bloc, plus de dix millions de pages de documents du gouvernement canadien ont été mises à la disposition du public.
Notre deuxième front est l’infrastructure numérique.
La disparition des documents gouvernementaux, donc de la mémoire collective sur la gouvernance d’une nation, laisserait un grand vide dont la démocratie elle-même souffrirait.
Un des meilleurs moyens d’éviter cette catastrophe est de moissonner les sites Web du gouvernement du Canada.
Entre septembre 2013 et septembre 2014, nous avons effectué quatre balayages complets du domaine du gouvernement.
Nous avons recueilli 86 millions d’objets numériques sur plus de 780 domaines jusqu’ici.
Nous avons aussi recueilli des sites Web privés sur des sujets importants comme le mouvement Idle No Moreet l’attaque du 22 octobre 2014 au Parlement.
Des sites comme ceux-là composent la grande collection numérique de BAC, qui comprend plus de deux pétaoctets de données et qui s’accroît rapidement.
BAC a créé une stratégie numérique pour mettre en œuvre une approche normalisée, fiable et reconnue permettant de gérer la quantité croissante d’information numérique.
C’était une des principales recommandations du vérificateur général et de la Société royale dans son rapport L’avenir au présent : Les bibliothèques, les centres d’archives, et la mémoire collective au Canada.
La stratégie établit un plan général qui permet à BAC de profiter des possibilités numériques et de remplir son mandat.
Elle facilite aussi la découverte et le repérage des fonds documentaires.
Le travail s’inscrit dans un projet de conservation numérique.
La conservation s’applique à toutes les étapes de la vie des documents : l’évaluation, l’acquisition, la préservation, la découverte et l’accès.
Le projet de conservation prévoit des mesures concrètes qui seront nécessaires pour profiter des possibilités numériques.
Pour se montrer digne de la confiance des Canadiens, BAC respectera les normes ISO sur la conservation numérique.
BAC devra donc devenir un dépôt numérique fiable pour certaines collections.
Le débat sur cette question dure depuis longtemps et n’est probablement pas terminé, mais je pense qu’on n’a pas besoin d’une certification pour tous les fonds.
Nous avons plutôt décidé d’appliquer les normes de manière pragmatique.
Conjointement avec le Centre des bibliothèques de recherche, BAC a effectué une évaluation fondée sur la liste de vérification du dépôt numérique fiable.
L’évaluation est axée sur trois collections : les vidéos transférées, les rapports de recherche sur l’opinion publique et les documents gouvernementaux électroniques.
Les résultats montrent ce que nous devons faire pour devenir un dépôt numérique fiable.
Nous avons déjà commencé à appliquer les recommandations, comme la documentation de nos procédures, un programme de perfectionnement du personnel au sujet des médias numériques et la mise en place d’une technologie de préservation à long terme efficace.
BAC utilisera cette analyse pour combler les lacunes. Elle sera suivie d’un autre audit, puis, peut-être, d’une certification.
Le troisième front est l’accès.
L’accessibilité des documents gouvernementaux ou privés est notre grande source de motivation à BAC.
Nous abordons cette question au moyen de politiques novatrices comme la Directive pour rendre la collection disponible.
Cette directive de BAC est liée à la Directive sur le gouvernement ouvert créée en octobre 2014 par le Conseil du Trésor. C’est une de nos contributions les plus concrètes au gouvernement ouvert.
Notre nouvelle directive établira que les documents gouvernementaux seront ouverts à la consultation dès leur transfert à BAC, à quelques exceptions près.
De plus, les ministères devront obtenir les autorisations nécessaires à la divulgation avant le transfert.
La majeure partie du patrimoine documentaire du gouvernement du Canada qui est déjà présent dans les collections de BAC sera également mis à la disposition des Canadiens de façon plus automatique.
Par exemple, la plupart des documents ayant plus de 110 ans pourront être consultés immédiatement et, dans le cas des documents de moins de 110 ans, nous poursuivrons nos efforts de déclassification en bloc.
C’est l’approche de l’ouverture par défaut.
Le but est de n’imposer aucune restriction à l’accès, tout en respectant les politiques et les lois.
BAC veut aussi appliquer la licence du gouvernement ouvert à la plus grande quantité de contenu possible, y compris aux publications gouvernementales.
La licence a été accordée en 2013 à tous les échelons du gouvernement afin d’éliminer les obstacles qui empêchent de rediffuser les données et l’information gouvernementales déjà publiées, peu importe leur origine.
Nous objectif est de maximiser le nombre de ressources documentaires qui sont immédiatement rendues accessibles.
Le dernier aspect de notre scénario est le droit d’auteur, un enjeu soulevé chaque fois qu’il est question de documents.
Deux rapports publiés récemment par la Société royale et le Conseil des académies canadiennes mentionnent que le droit d’auteur est un des principaux enjeux pour les institutions de mémoire, notamment parce que c’est un obstacle à l’accès.
La nouvelle Loi sur la modernisation du droit d’auteur a été adoptée récemment, en 2012. Les titulaires du droit d’auteur, les créateurs et les utilisateurs continuent de s’adapter.
La Loi vise à harmoniser la législation canadienne sur le droit d’auteur avec les traités internationaux et à adapter la législation aux nouveaux formats numériques et aux nouvelles technologies.
Un certain nombre d’éléments concernent les institutions de mémoire :
- l’élargissement et la clarification du concept d’« utilisation équitable »;
- le renforcement des exceptions visant les bibliothèques, les archives et les musées;
- des droits plus permissifs concernant les reproductions numériques et les prêts;
- la protection des tierces parties qui répondent aux demandes d’« utilisation équitable ».
BAC est aussi confronté à la question des droits moraux et de l’utilisation acceptable, notamment quand le titulaire du droit d’auteur est inconnu ou introuvable.
La Loi ne parle pas non plus des œuvres inaccessibles sur le marché. Il est donc difficile pour des organisations de mémoire comme BAC de les reproduire sans risquer de violer le droit d’auteur.
Nous avons déjà lancé une analyse continue du droit d’auteur et de ses répercussions sur les organisations de mémoire, et nous élaborons des politiques pour gérer cette question.
De plus, nous collaborons avec le ministère du Patrimoine canadien dans le but de participer au processus de révision de la Loi, prévu en 2017.
BAC est conscient de son rôle national dans les domaines de la tenue de documents et de l’accès.
Nous avons récemment invité David Fricker, directeur général des Archives nationales d’Australie, à nous parler du travail de son institution dans le domaine du gouvernement électronique.
Une de ses paroles m’a particulièrement frappé : le papier est patient, mais pas le numérique.
C’est simple, mais tellement vrai!
Nous devons faire preuve de leadership et collaborer activement avec les intervenants pour gérer le contenu numérique actuel, et celui qui arrivera sous peu.
Il faut continuer de travailler en partenariat avec les ministères et le Conseil du Trésor.
Dans ce but, nous augmentons graduellement notre capacité pour aider les ministères, qui se préparent à transférer des quantités toujours croissantes de documents à BAC.
Nous avons lancé un sondage auprès de ministères clés pour avoir une idée du nombre de documents que nous recevrons en 2017.
Les ministères doivent disposer des documents papier d’origine et conserver la copie numérique jusqu’à ce qu’elle soit détruite ou transférée à BAC. Nous leur donnons des conseils sur la meilleure façon de procéder.
Par exemple, nous avons récemment proposé un outil de numérisation et de disposition pour donner un coup de main dans ce domaine essentiel.
L’ébauche du document peut être consultée sur GCPedia.
En outre, nous continuons de travailler avec des réseaux internationaux, l’industrie et de grands spécialistes des bibliothèques et des archives pour découvrir des pratiques exemplaires et étudier ce que font les pays qui doivent relever les mêmes défis.
Comme c’est toujours le cas dans notre société réseautée, l’essentiel est de collaborer.
Les comités d’experts et les conférences comme celle-ci s’inscrivent parfaitement dans l’esprit du gouvernement ouvert puisqu’ils favorisent les discussions franches, l’échange d’idées et une meilleure compréhension de notre milieu.
Je suis arrivé à BAC il y a près d’un an, et je suis persuadé que nous pourrons progresser et saisir les occasions que présente le monde numérique.
Darwin a dit en 1809 que ce n’est pas l’espèce la plus forte ni la plus intelligente qui survit, mais celle qui s’adapte le mieux au changement.
J’aime rappeler cette citation devant des chercheurs. Ça me donne le droit de parler même si je ne fais pas partie de l’espèce la plus intelligente.
À l’ère numérique, nous ne serons jamais à l’abri des cambrioleurs nocturnes, c’est-à-dire le format numérique lui-même et ses complices : le temps, la négligence et la surabondance.
Nous pouvons cependant les vaincre en nous préparant.
Je vous remercie de m’avoir permis d’expliquer brièvement comment Bibliothèque et Archives Canada se prépare.