Vidéo — Symposium sur les langues autochtones — le 29 janvier 2021

Sauf indication contraire, le contenu a été traduit de l'anglais au français.

Transcription

Transcription de Symposium sur les langues autochtones, le 29 janvier 2021

Durée : 2:09:56

Mathieu Courchene (MC) : Meegwetch, Chef international Wilton Littlechild. J’étais debout, mais je me suis rassis, car autrement, vous verriez que je suis en boxeurs. Non, je plaisante. Je porte un pantalon. Mais c’est seulement au cas où j’aurais à me lever pour l’hymne national. Alors, Meegwetch pour cela. Notre deuxième intervenante… notre deuxième conférencière est Lorna Wanosts'a7 — j’espère bien le prononcer — Williams. Je suis sûr qu’elle voudra me corriger. C’est le 7. Je devais… Je pense que c’est… quelque chose comme ça, mais j’ai de la difficulté à le prononcer après des voyelles et des consonnes. Enfin, je veux souhaiter la bienvenue à Mme Williams, qui sera notre conférencière principale. Elle brossera un tableau de la scène internationale – heu! non – oui, un aperçu des langues à l’échelle internationale et de ce qui arrivera au cours de la décennie. Sur ce, je vous invite… à vous la parole, Mme Williams. Oups, nous n’avons pas la présentation PowerPoint. Ah, la voici. Mme Williams, je crois que votre micro est désactivé. Voilà, le son est rétabli.

Lorna Williams (LW) : Mon micro est désactivé. [Vœux dans la langue Lillooet]. C’est un grand honneur pour moi de vous adresser la parole. Je me nomme Wanosts'a7 Lorna Williams, de la Nation des Lil'wat, de Mount Currie. C’est vraiment un honneur d’être parmi vous. Prochaine diapositive, s’il vous plaît.

Je veux remercier tous nos ancêtres, dont l’esprit plane sur les terres où nous sommes réunis, et tous ceux qui en assurent la garde. Nous sommes tous ici en visiteurs, animés d’une pensée et d’un esprit positifs. Prochaine diapositive. Prochaine diapositive.

En 2019, j’ai eu la chance de participer à l’inauguration de l’Année des langues autochtones, qui a été célébrée aux Nations Unies, à New York. C’était très important pour moi d’y participer et de prendre connaissance de ce qui se faisait à ce sujet ailleurs dans le monde, de connaître les expériences de peuples qui s’efforcent de garder leur langue forte et d’évoluer. Tous les pays qui ont décrit leurs expériences ce jour-là ont évoqué les efforts déployés pour éradiquer les langues autochtones. Mais le message le plus fort a été que leurs langues ont perduré, malgré toutes les tentatives pour les faire taire. Elles sont restées vivantes. Et c’est si important pour nous d’être…, de pouvoir…, de célébrer avec fierté le fait que nous n’avons pas abandonné la parole de nos terres, de nos ancêtres, de nos peuples. Cette réussite, nous la devons à la ténacité des défenseurs des langues de partout sur la planète. L’année 2019 a été marquée par le renouveau, le partage et l’apprentissage mutuel. L’une de ces occasions de mise en commun et d’apprentissage a été le congrès HELISET TŦE SḰÁL – « Laissez vivre les langues », tenu à Victoria en 2019. Le congrès a été une activité de mise en commun et de développement des connaissances, l’occasion de connaître les efforts déployés dans tous les aspects de la revitalisation, de la réappropriation et de la préservation des langues dans le monde entier. Plus de mille délégués de la Colombie-Britannique, d’ailleurs au Canada et de 20 autres pays étaient réunis à cette occasion, qui a été l’une des activités phares de l’UNESCO pour l’Année des langues autochtones. Le plus merveilleux a été de constater l’enthousiasme des participants, leur bonheur d’être ainsi réunis. Alors, je veux encourager les organisateurs, les dirigeants et les planificateurs à créer des occasions pour notre peuple de se réunir pour discuter et apprendre ensemble tout au long de la décennie. J’ai aussi remarqué, cette année-là et depuis, que les médias diffusent maintenant des histoires nouvelles, positives et véridiques issues de l’expérience autochtone. Ils n’ont pas craint d’aborder des expériences difficiles de racisme envers les Autochtones dans les lois, les services de santé, le système scolaire, les sports, les collectivités. Les médias ont diffusé des reportages sur nos langues, des comptes rendus approfondis de récits dont je n’avais pas entendu parler durant tous mes… dans mes travaux sur les langues. Cela change la donne. Il est important que les gens entendent nos langues et découvrent leur diversité. Il est important que les gens se fassent l’oreille aux sonorités de nos langues, qui n’existent pas en anglais ni en français. Mais les gens peuvent l’apprendre, tout comme nous avons dû apprendre les inflexions de l’anglais et du français. Ces langues comprennent des sons qui n’existent pas dans nos langues. Nous les avons appris et tout le monde peut faire de même. Un congrès de l’UNESCO sur les langues et la technologie s’est tenu à Paris en décembre 2019. La technologie occupant une grande place dans le monde d’aujourd’hui, cet événement était très important. C’est cette technologie qui nous permet de nous réunir aujourd’hui. Cependant, l’évolution technologique n’a pas tenu compte de nos langues. Alors, ces discussions revêtaient une grande importance. Je pense que c’était un début utile et important. Prochaine diapositive, s’il vous plaît.

Un des points à… Je donne un exemple, un autre exemple. Une petite ville de ma région était aux prises avec des comportements racistes envers les Autochtones, dans certains secteurs de la ville. L’une des mesures prises a été de modifier la signalisation dans la ville pour y intégrer la langue autochtone du territoire. C’était un pas important pour reconnaître que la ville est établie sur les terres d’un peuple autochtone et que les différents lieux portaient un nom avant la construction de la ville. Cette mesure est un geste de reconnaissance, que je salue. Comme nous l’avons vu aujourd’hui, les dirigeants et les personnalités publiques apprennent les langues autochtones et les utilisent à diverses fins autres que la reconnaissance du territoire. C’est un début, et un combat. Ils doivent apprendre la langue, y consacrer du temps, s’y consacrer. Ils doivent surmonter la crainte de ne pas maîtriser la langue suffisamment. Mais des gens essaient d’apprendre, partout au pays. Il est important que les dirigeants donnent l’exemple, et c’est une bonne chose que nous puissions les voir à l’œuvre. Il est aussi important que nous sachions reconnaître et souligner le leadership dont fait preuve le Canada, par exemple des personnalités comme Wilton Littlechild et de très nombreux autres meneurs, dans tout le pays, comme Harry Bellegarde, qui ont désigné l’Année des langues autochtones et participé aux travaux sur la Décennie. Nous devons reconnaître, saluer et appuyer ces chefs de file. C’est important. Prochaine diapositive, s’il vous plaît.

Des changements ont été apportés aux politiques et aux lois, et c’est vraiment important parce que c’est… c’est aussi un début. La Loi sur les langues autochtones a été signée en 2019. Mais ce qui importe vraiment est que cette loi est le résultat d’un dialogue mené dans tout le pays, qui a permis de recueillir les avis des gens et d’orienter tant le contenu de la Loi que sa mise en œuvre. C’était important que les peuples autochtones prennent une part active à sa conception. Et je veux encore saluer le travail des dirigeants qui se sont assurés de cette participation active. C’est vraiment important que… il y a tant à faire, vous savez, pour revitaliser, se réapproprier et préserver nos langues. Cela représente une somme de travail colossale. Mais il importe aussi que… que nous apprenions sans cesse de nouveaux moyens d’éradiquer les pratiques coloniales qui perdurent chez les gouvernements et au sein du public. Ce travail d’éradication exigera probablement les plus grands efforts, car tant qu’elles ne seront pas reconnues et transformées, ces pratiques vont rendre le travail des défenseurs de nos langues et de nos communautés linguistiques plus ardu. Donc, nous devons pouvoir… Je pense que cette question a pris beaucoup d’importance dans l’esprit des gens. Saluons le travail de la Commission de vérité et réconciliation ainsi que tous les rapports et les commissions qui ont été créés. Il importe que ces travaux ne soient pas mis de côté, comme bien d’autres auparavant. De par le monde, des lois et des changements adoptés dans le domaine des langues autochtones se sont soldés par des échecs ou ont exigé, pour les gens, une très longue période de mise en œuvre. Dans chaque cas, c’est pour cette même raison, les attitudes héritées des pratiques coloniales, la volonté de détruire nos langues. En 2019 également, un changement majeur a été observé dans la recherche autochtone. Je citerai comme exemple le cas du Conseil de recherches en sciences humaines. Le Conseil a travaillé avec un conseiller autochtone pour s’assurer que ses travaux sont réalisés et communiqués dans une démarche respectueuse du monde autochtone. Ce n’est pas une situation facile, puisque la recherche s’appuie largement sur une vision euro-occidentale. Cela représente un changement majeur. Aussi, des dispositions ont été prises pour soutenir les nouveaux chercheurs autochtones dans leurs travaux sur le monde autochtone et la communication de ces connaissances. Les autres membres des trois conseils effectuent le même travail, et cela fait une grande différence. Je vous invite à consulter leurs sites Web pour découvrir leurs travaux. Il est important qu’en 2019, les gens soient capables d’apprendre à travailler ensemble, au-delà des divisions culturelles. Nous ne pouvons pas continuer de travailler chacun de notre côté, en vase clos. Nous devons pouvoir travailler ensemble, et je le constate dans des organisations, dans les gouvernements, les collectivités et les associations. En Colombie-Britannique, le premier ministre a entrepris de créer une politique sur l’enseignement des langues autochtones. Ce travail se poursuit, en partenariat avec le First Nations Education Steering Committee. Prochaine diapositive, s’il vous plaît.

Nous devons pouvoir… Oh! D’accord. Nous devons pouvoir nous appuyer sur le travail accompli au cours de cette année, au moment où nous préparons pour la Décennie des langues autochtones et entreprenons celle-ci. Je pense que nous pouvons avoir confiance et travailler à l’aise, au vu de ce qui s’est passé au cours de cette seule année. Nous pouvons… nous savons que nous pouvons accomplir ce qui doit être fait en une décennie. Il importe que nous apprenions des échecs de ceux qui ont établi des politiques et des lois nationales sur les langues autochtones. L’une des raisons de ces échecs est l’absence de plan. Alors, prenons cette année, ces 10 années, ces 11 autres années, pour non seulement concevoir, mais aussi exécuter un plan d’action. Nous devons pouvoir continuer de communiquer nos récits et nos recherches aux provinces et aux territoires. Ces récits et ces recherches doivent être conçus par des Autochtones et diffusés à l’échelle nationale et internationale. Nous devons pouvoir changer la façon dont les connaissances, les langues et les droits des Autochtones sont défendus et respectés par les gouvernements, comme nous le faisons pour la vision des peuples autochtones au sein du gouvernement fédéral. Cette tâche ne sera pas facile. Les gouvernements ont toujours cru qu’ils avaient raison et qu’ils devaient prendre les commandes. Cela doit changer. Nous devons participer directement. Nos points de vue doivent être entendus et nos actions, soutenues. Des institutions comme le système scolaire ont érodé nos langues. Cela aussi doit changer. L’UNESCO travaille à un programme d’études pour 2030. Le savoir autochtone fait partie des discussions sur les changements à apporter au programme d’enseignement. Les lois changent, et l’UNESCO œuvre dans ce sens, tant dans la pratique que dans l’étude du droit. De nombreux leaders autochtones sont actifs dans ce domaine. Fort heureusement, des Autochtones œuvrent aussi dans le domaine de la santé. Je retiens des discussions tenues partout au pays qu’il est essentiel que le secteur de la santé et les gens qui y travaillent s’ouvrent à notre monde et à nos langues. Nos aînés ont besoin de professionnels de la santé qui connaissent nos langues. Nous devons pouvoir continuer de protéger nos terres, par tous les moyens, notamment le savoir contenu dans les langues autochtones, mais aussi la technologie. Prochaine diapositive, s’il vous plaît.

En 2019, le gouvernement fédéral a accru son financement. J’ai interverti l’ordre de ma présentation PowerPoint. Le gouvernement a augmenté son financement pour les collectivités et les écoles des bandes, et cela a donné des résultats. C’est… Des gens ont travaillé dur pour obtenir ce financement et en faire bon usage. Bien que 2020 ait été une année difficile pour nos collectivités, je pense que celles-ci ont poursuivi leur travail et mis à profit la technologie pour offrir leurs programmes. Il y a certaines questions qui sont… et des études sur les plans de financement. Alors, il est à espérer que les décisions prises seront… Mais ces études seront prises en compte. Les voix des peuples seront entendues. On observe une augmentation du financement dans les provinces. Par exemple, en Colombie-Britannique, 50 millions de dollars ont été versés au First Peoples’ Culture Council pour l’aménagement linguistique, l’apprentissage, les programmes de mentorat ou de stage, les programmes de renaissance de la langue et bien d’autres activités. Sur le site Web de l’organisme, vous verrez le travail accompli avec cet investissement pour promouvoir nos langues à l’intérieur des collectivités. Le financement des secteurs privé et public va en augmentant. C’est un point important à considérer. Certains endroits reçoivent un soutien du secteur privé et du secteur public, mais bien d’autres, non. Tout au long du travail que j’ai accompli, cette question s’est posée comme un véritable problème. Encore une fois, bien des acteurs des secteurs public et privé croient que nos langues sont en voie d’extinction. Elles ne sont pas… À quoi servent-elles? C’est une attitude que nous observons. Une autre idée véhiculée est que les peuples autochtones ne savent pas gérer l’argent et accomplir ce qui doit être fait. Ces attitudes et ces conceptions doivent changer. Prochaine diapositive.

Je manque de temps. Prochaine diapositive.

Alors, pour la suite des choses, il est important… Nous devons nous concentrer sur la mise en œuvre de la Loi sur les langues autochtones, surtout au cours des cinq premières années. Je veux saluer le fait que la Loi est fondée sur les distinctions. Pour la première fois, les besoins et le point de vue particuliers des Premières Nations, des Métis et des Inuits sont pris en compte, car chacun de ces groupes a une histoire distincte dans ce pays, et chacun présente des besoins particuliers en raison de son expérience et de l’unicité de sa culture et de son identité. La création du Bureau du commissaire et la nomination des trois directeurs sont des mesures clés, et le travail du Bureau constituera l’une des principales activités, je dirais, au cours des cinq premières années. Il est essentiel que les structures établies permettent de promouvoir et soutenir les langues autochtones partout au pays. Il y a un message que je souhaite transmettre aujourd’hui et qui me vient d’un aîné de la rive nord, Dan George. M. George m’aidait à mettre en place un programme de développement des qualités de leadership chez les jeunes. Il a dit aux jeunes une chose que je trouve très importante pour nous, aujourd’hui. Il parlait des qualités et du leadership à développer. Vous savez, le comportement des leaders. Il a ajouté qu’il faut aussi penser aux gens qui suivent les leaders vers le but fixé, le point à atteindre. Le leader veut s’assurer que la voie est la bonne et qu’il est possible de marcher sur ce sentier. Il a déclaré que nous devons… Ceux qui suivent derrière doivent travailler ensemble pour aider le leader à atteindre l’objectif. Alors, nous devons être disciplinés, coopératifs. Nous devons être motivants et disposés à suivre les directives. Je pense que ce point est vraiment important, car nous avons aussi un changement à adopter. Nous avons lutté et lutté encore, et déployé tant d’énergie pour nous ouvrir des portes. Et parfois, nous oublions qu’il y a des moments où nous devons cesser de nous battre ou choisir nos combats avec prudence. Alors, quelle que soit la personne qui relèvera l’immense défi du commissaire aux langues autochtones, qui devra apporter les changements nécessaires, il sera important que nous l’aidions dans ses efforts, sans tout briser. Il est donc important que nous gardions à l’esprit nos façons de faire et notre bienveillance. Il en va de même pour les trois directeurs des différentes langues. Prochaine diapositive, s’il vous plaît.

Donc, il importe que nous participions à l’aménagement des langues autochtones à l’échelle micro et macro, et aux mesures qui seront prises. Nous devons être mis à contribution, être de bon conseil et agir de façon réfléchie. Nous devons prendre appui sur ceux qui ont… qui s’intéressent à nos langues, et découvrir tant les pratiques qui font obstacle que celles qui mènent à des politiques favorisant la revitalisation des langues autochtones. Nous devons célébrer et reconnaître les langues autochtones sur les scènes locale, nationale et internationale, et saluer les défenseurs de nos langues. J’ai fait des études sur… pour différentes localités et, pour moi, ce fut très difficile de constater le traitement qui est parfois réservé aux guerriers, aux défenseurs de nos langues, dans leurs propres collectivités. Nous devons en être conscients et soutenir nos champions. Tous les Autochtones doivent pouvoir apprendre leur langue maternelle, et nous devons réfléchir aux moyens d’y parvenir, pour tous les Canadiens, au cours de la décennie. Prochaine diapositive, s’il vous plaît.

Les programmes d’apprentissage des langues couvrent l’usage et l’apprentissage de la langue, de la culture, de l’identité, du contexte et des traditions, et comprennent les sports, les loisirs et les cérémonies dans nos langues. Nous devons pouvoir concevoir et mettre en pratique l’apprentissage, l’enseignement et l’évaluation, selon nos façons de faire. Prochaine diapositive, s’il vous plaît.

Alors, je pense que c’est… que nous avons beaucoup à faire, mais que nous savons travailler dur. Nous savons travailler ensemble. Nous demandons au Créateur de nous aider à trouver la voie. Dans ma langue, nous disons le mot Stucum lorsque nous devons quitter un lieu ou dire au revoir à ceux qui partent, qui poursuivent leur chemin. Alors, je dis Stucum à chacun de vous. La traduction de ce mot, je pense, est excellente. Ce mot signifie de s’ouvrir au Créateur, qui pourra vous guider sur le chemin, tout au long de votre parcours. Stucum.

MC : Meegwetch, Mme Williams, voilà une très belle finale pour votre exposé. J’aime beaucoup ce souhait, cet au revoir. Un appel à l’introspection. Alors, Meegwetch pour cela. Quelle superbe intervention! Cela met fin aux discours principaux prévus au programme. Nous allons maintenant entendre nos deux panélistes. Nous aurons… nous avons la chance d’avoir avec nous Gina Wilson, notre sous-ministre, Diversité et Inclusion et Jeunesse, et sous-ministre déléguée principale, Patrimoine canadien. Elle m’a promis qu’elle nous communiquerait son titre en entier, au lieu du résumé qui nous a été remis. Alors, sur ce, je passe les commandes à Gina Wilson, qui animera nos deux prochaines discussions. À vous, Mme Wilson.

Gina Wilson (GW) : Merci, Mathieu. En effet, je porte quelques titres – trop nombreux –, mais nous verrons cela un autre jour. Bonjour tout le monde. Kwe. Ici Gina Wilson, qui vous parle du territoire non cédé de la Nation algonquine anishinaabe. Je suis très heureuse de me joindre à vous. Bienvenue à la première des deux séances.

MC : Hé bien! Il semble que nous ayons perdu le contact avec Mme Wilson. Les joies de la technologie. Bien sûr, elle était assise là et attendait le début de la séance. Et maintenant que la séance démarre, le système fige. Sommes-nous… Nous tentons de rétablir le contact. C’est fait, ou…? Voici ce que je vais faire. En attendant la communication avec Mme Wilson, nous allons présenter nos panélistes. Nous avons avec nous aujourd’hui Mme Clara Morin Dal Col, ministre du Patrimoine, des Familles et de la Culture du Ralliement national des Métis, ministre de la Santé de la Nation métisse et présidente de la Nation métisse pour la Colombie-Britannique. Qui est Ruth Kaviok? Nous sommes aussi en communication avec Ruth Kaviok. Malheureusement, nous ne pouvons pas obtenir une image vidéo. Je suis sûr… Mme Kaviok est une jeune Inuite qui participera aussi à notre discussion. Alors, sur ce, je voudrais passer directement à cela. Je crois qu’elle a un exposé à faire; j’espère que le contact avec Mme Wilson sera rétabli pour la séance de questions. Mme Morin Dal Col, à vous la parole.

Clara Morin Dal Col (CMDC) : [Vœux en Michif]. Bonjour à tous les participants de cet important symposium sur les langues autochtones. D’abord, merci pour les prières d’ouverture prononcées par nos aînés et gardiens du savoir. La sagesse et les connaissances sur notre identité et sur l’importance de nos langues et de notre culture qu’ils partagent avec nous dans leurs prières d’ouverture sont toujours une source d’apprentissage dont nous leurs sommes profondément reconnaissants. Je veux aussi saluer les autres dirigeants autochtones, les représentants gouvernementaux et les conférenciers qui ont contribué au symposium, cette semaine, et exprimer ma gratitude à l’égard de tous les organisateurs qui ont travaillé ensemble à cet important symposium sur les langues autochtones en période de pandémie. Je sais que cela n’a pas été une tâche facile. Je commencerai mon exposé en vous disant que le michif était la langue parlée à la maison familiale, à Île-à-la-Crosse en Saskatchewan, où je suis née et où j’ai vécu mes premières années. Un peu plus tard, nous avons déménagé à Hay River, dans les Territoires du Nord-Ouest. Nous ne pouvions pas parler notre langue à l’école. Nous pouvions prédire la suite : cette langue est devenue ma langue principale, et le michif a été abandonné. Je l’ai regretté dès le premier jour et jusqu’à aujourd’hui, et je suis déterminée à changer cette situation en tant que ministre de la Culture, du Patrimoine et des Familles de la Nation métisse. En 2019, nous avons célébré l’Année internationale des langues autochtones. C’était là une occasion importante d’attirer l’attention du monde entier sur les lourdes menaces pour la survie des langues autochtones dans chaque région du globe. L’une des réalisations de cette année-là a été la reconnaissance de l’urgence et de la nécessité d’intensifier considérablement les mesures prises pour assurer la survie de nos langues. Ce constat a mené directement à la proclamation de la Décennie internationale des langues autochtones, de 2022 à 2032, par les Nations Unies. Les objectifs établis pour la Décennie internationale sont les suivants : attirer l’attention sur l’érosion désastreuse des langues autochtones et sur l’impérieuse nécessité d’en assurer le maintien, la revitalisation et la promotion, et prendre de toute urgence des mesures à l’échelle nationale et internationale. La Nation métisse a beaucoup participé aux activités qui ont mené à la proclamation de la Décennie internationale. Le président du Ralliement national des Métis, Clément Chartier, et moi-même avons participé à l’inauguration officielle de l’Année internationale au Siège de l’UNESCO à Paris. L’UNESCO est l’organisme des Nations Unies chargé de protéger les langues menacées. J’ai aussi eu l’honneur de prendre la parole aux Nations Unies lors de l’activité de clôture de l’Année internationale, en décembre 2019. J’ai profité de l’occasion pour souligner la nécessité, au cours de la prochaine décennie, de concentrer notre attention et nos efforts sur les langues particulièrement menacées, comme le michif. D’ici la fin de la Décennie internationale, en 2032, la Nation métisse espère observer des progrès importants dans le rétablissement de sa langue nationale, le michif, actuellement au bord de la disparition. Nous savons que, d’ici la fin de la Décennie internationale, bon nombre des locuteurs actuels ne seront plus de ce monde. Il est primordial et impérieux que le nombre de locuteurs de tous les niveaux de compétence augmente considérablement au cours des dix prochaines années. Nous devons mettre en place de solides fondations afin d’appuyer cette revitalisation. Au cours du processus de consultation de l’automne dernier, nos éducateurs ont fortement insisté sur l’importance de normaliser l’orthographe de la langue michif. C’est une condition essentielle pour la diffusion du programme d’études, du matériel pédagogique et d’autres ressources sur notre territoire. Nos éducateurs ont aussi souligné l’urgence de travailler avec nos gardiens du savoir à la création d’archives complètes de documents qui reflètent la richesse de notre langue dans la vie de tous les jours. Nous savons aussi que nos citoyens doivent pouvoir entendre notre langue et en observer l’usage plus souvent au quotidien. Le président Chartier a invité la Nation métisse à utiliser plus souvent sa langue nationale dans ses propres réunions et dans ses communications. Nous allons certainement pouvoir offrir l’interprétation simultanée en michif d’ici la fin de la décennie, en 2032. Nous devrions être en mesure de produire des versions bilingues de toutes nos principales publications. Nous devons y arriver pour l’avenir de notre langue. Il importe aussi que les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux se fixent des objectifs clairs d’utilisation des langues autochtones dans leurs propres collectivités et leurs communications, ainsi que des cibles pour la promotion des arts et des spectacles en langues autochtones. Pour l’heure, je tiens à féliciter le gouvernement fédéral pour le dépôt et l’adoption du projet de loi C-91, la Loi concernant les langues autochtones, en 2019. Cette loi sera un outil important pour tous les peuples autochtones qui travailleront à la revitalisation de leurs langues respectives au cours de la Décennie internationale. Le Comité directeur conjoint de mise en œuvre, composé de représentants du Ralliement national des Métis, des Premières Nations, des Inuits et de Patrimoine canadien, a entrepris la conception d’un plan d’action national pour la Décennie internationale au Canada. Les discussions d’aujourd’hui éclaireront la conception de ce plan. Je suis impatiente de découvrir les travaux du Groupe de travail mondial créé par l’UNESCO pour promouvoir les langues autochtones au cours de la Décennie. Mon travail s’appuiera sur nos discussions d’aujourd’hui et sur les avis formulés cette semaine par les nombreux experts de la Nation métisse, des Premières Nations et des Inuits, dont les idées et les points de vue vont aussi avoir une incidence sur mon apport à la Décennie internationale. Merci.

GW : Merci Mme Morin Dal Col. Je m’excuse pour la perte momentanée de connexion réseau. Merci pour votre exposé. Je ne sais pas exactement où nous en sommes dans les présentations, mais je vais simplement céder la parole à Ruth Kaviok, ancienne présidente du Conseil national des jeunes Inuits. Mme Kaviok devait se joindre à nous par téléphone. Mme Kaviok, êtes-vous là?

Ruth Kaviok (RK) : Bonjour. M’entendez-vous maintenant?

GW : Oui, nous vous entendons. Allez-y.

RK : D’accord. Merci. Donc, je vais prendre une seconde pour lancer mon chronomètre. Voilà. [Vœux en Inuktut]. Bonjour à tous. Je m’appelle Ruth Kaviok et je viens d’Arviat, au Nunavut. Je suis une jeune Inuite, ancienne présidente du Conseil national des jeunes Inuits. J’ai enseigné en quatrième année durant un an, et j’ai travaillé pour notre organisme local de chasseurs et de trappeurs. Aujourd’hui, je suis planificatrice des loisirs à notre centre de soins des aînés. Ce matin, pour mon exposé, je voudrais que vous imaginiez une ligne du temps avec moi. Imaginez que vous êtes à l’époque précédant la colonisation. Vous aidez votre mère et votre père à dépecer vos prises pour nourrir votre famille, et pour fournir le matériel pour confectionner des vêtements pour vous et votre famille. Ou vous cueillez des petits fruits, cherchez des œufs ou vous jouez avec vos frères et sœurs. Tout le monde parle l’inuktitut le plus pur, avec des mots dont certains d’entre nous ignorent même la disparition. Maintenant, dans le monde d’aujourd’hui, certains d’entre nous sont privilégiés de parler couramment l’inuktitut et de pouvoir lire, écrire et communiquer dans cette langue, alors que de nombreux Inuits le comprennent difficilement ou se découragent devant l’effort à investir pour se réapproprier leur langue, érodée par l’expérience coloniale. Cela vous donne une idée de l’essor que je souhaite pour notre langue. L’inuktitut est l’une des valeurs importantes nous permettant d’honorer et de préserver notre culture. C’est pourquoi je souhaite que cette langue se développe, pour que chacun se la réapproprie. Tout juste après l’expérience coloniale, après la période… au fil des générations, l’épisode des pensionnats, des Inuits étaient gênés de parler l’inuktitut, en raison de cette expérience coloniale. Alors, je voudrais que chacun entreprenne de parler l’inuktitut à cent pour cent, que chaque Inuit comprenne et parle couramment l’inuktitut, afin que notre langue soit connue par tous les Inuits de demain. Pour que nous puissions réserver nos principes Qaujimajatuqangit inuits et nos connaissances traditionnelles. Pour y arriver, les jeunes ont la possibilité de s’enseigner mutuellement. Les aînés peuvent nous enseigner ces connaissances, que nous transmettrons aux prochaines générations. Opportunités, j'aimerais qu'il y ait un guide Inuktitut. Je souhaite que l’inuktitut soit reconnu parmi les langues officielles ici, au Canada, et dans d’autres pays où le besoin se fait sentir, comme le Groenland, l’Alaska et la Russie. C’est l’occasion de verser du financement, d’offrir des services et des programmes pour promouvoir l’inuktitut, pour que nous puissions unifier la langue entre les régions et les collectivités de Inuit Nunangat. Je voudrais aussi que le système d’éducation soit tout en inuktitut dès le début, de l’âge préscolaire jusqu’à l’université et dans le milieu du travail. C’est ce degré de revitalisation que je souhaite pour l’inuktitut. Je voudrais qu’un dictionnaire soit créé pour indiquer l’orthographe de tous les mots, leur sens, leur région d’origine, les pronoms, les noms, les adjectifs, tous écrits correctement pour que nous puissions nous réapproprier notre langue et la transmettre d’une génération à l’autre. Pour que nos aînés puissent l’enseigner au plus grand nombre possible, surtout les jeunes. Il y a eu tellement de hauts et de bas auparavant, après… avant et après la colonisation. Le rétablissement de notre langue est porteur d’un si bel avenir pour nous, les jeunes, et pour l’ensemble des Inuits. Je m’excuse, mais ce sujet évoque pour moi des images fortes de ce que notre peuple a dû subir pour en venir même à perdre sa langue ou pour… Je voudrais qu’un centre d’apprentissage inuit soit créé pour que les Inuits, pour que nous puissions réapprendre des mots traditionnels. J’ai mentionné que je travaille au centre de soins des aînés ici, à Arviat. Parfois, je dois même demander à des collègues plus âgés ce que des aînés me demandent, de traduire des mots traditionnels simples pour désigner, par exemple, un bol, une fourchette ou de petits objets. Mais c’est tellement… Un écart d’âge considérable me sépare des plus âgés, alors… En raison de cet écart, je dois bâtir des ponts avec les personnes âgées, qui ont tout appris en inuktitut, qui ont grandi en ne parlant que cette langue, alors que j’ai grandi en entendant parler anglais, dans des mots modernes. Dans ces conditions, nous perdons la prononciation des mots dans notre vie et nos gestes quotidiens. C’est pourquoi je souhaite que soit établi un plan d’action clair vers le rétablissement de l’inuktitut, afin de garder notre langue vivante, de la transmettre, de préserver notre dynamisme culturel, etc. Donc, si nous pouvons compter sur le soutien du gouvernement fédéral, imaginez ce qui pourrait être fait pour aider notre peuple à guérir de son expérience coloniale. Nous pourrons nous guérir des séquelles du passé. L’inuktitut est le seul… l’une des seules valeurs de préserver notre culture en la dynamisant. Nous pouvons accomplir de grandes choses, générer un effet d’entraînement pour l’apprentissage de notre langue. Nous pourrions trouver de nouveaux moyens de reconquérir notre culture, avec fierté, honneur et du bon… Alors, oui.

GW : Merci, Mme Kaviok. Avez-vous terminé?

RK : Merci. Oui.

GW : D’accord. Un grand merci. Merci à vous deux pour vos paroles. Vous avez toutes deux évoqué la réussite. Pourriez-vous nous indiquer des moyens de mesurer cette réussite? Certains des résultats dont vous avez parlé ne se réaliseront probablement pas du jour au lendemain, ni dans un mois. Alors, quels pourraient être, selon vous, les paramètres qui permettraient de mesurer la réussite? Autrement dit, comment savoir que nous progressons? Je reviens à vous, Mme Kaviok.

CMDC : Je pense que les résultats obtenus dans nos propres collectivités, parmi nos peuples et dans le rayonnement de notre langue peuvent constituer une mesure de notre progrès. Je pense que cela commence dès le plus jeune âge. Pour nous, la réussite se mesure par l’enseignement aux locuteurs de notre langue. Ils sont si peu nombreux. Comment ce processus peut-il être intégré dans l’ensemble de notre nation? Alors, il s’agit de se munir des outils nécessaires et d’entreprendre ce travail. Nous commencerons à obtenir du succès lorsque nous obtiendrons des résultats dans les programmes destinés aux jeunes enfants. C’est le premier moyen pour nous de savoir si le travail s’accomplit, si certaines collectivités parlent notre langue michif, qui doit être apprise à l’école, comme à l’Ile-à-la Crosse où la langue s’apprend à l’école. C’est donc primordial. Nous voudrions que la langue soit enseignée, à tous les niveaux.

GW : Parfait. Mme Kaviok, qu’en pensez-vous? Pouvez-vous donner un exemple de résultats mesurables?

RK : Je… oui. Le taux de réussite vers la réappropriation complète de notre langue est très élevé. Certains d’entre nous ont déjà le privilège de savoir lire, écrire et parler l’inuktitut. J’ai aussi mentionné les connaissances traditionnelles inuites, Qauijimajatuqangit. Si nous nous les réapproprions aussi, nous pourrons grandement faciliter l’enseignement. Nous pourrions utiliser cet outil pour nous enseigner mutuellement l’inuktitut, notamment dans les médias sociaux, dans nos relations interpersonnelles, dans la correspondance, partout. Nous pourrions appuyer notre système d’éducation. C’est tout à fait possible, puisque la langue y est déjà utilisée. Elle est donc enseignée à l’école. Et il ne fait aucun doute qu’elle l’est aussi à la maison.

GW : Merci. À partir de là, d’ici la fin de la Décennie, c’est-à-dire d’ici quelques années, quels sont les résultats que nous voudrions obtenir? Je parle ici de résultats plus quantitatifs, si vous en avez, Mme Morin Dal Col.

CMDC : En fait, comme nous en avons parlé plus tôt, les résultats que nous voudrions obtenir seraient… J’aimerais que notre langue soit parlée couramment, à différents degrés de compétence, car comme nous l’avons vu, d’ici la fin de la Décennie, bon nombre de nos aînés qui parlent couramment la langue ne seront plus parmi nous. Alors, nous devons veiller à ce que, d’ici là, nous ayons des locuteurs et que nous tenions des rassemblements – pas des rassemblements pour la seule préservation de la langue, mais des rassemblements de toutes sortes sur le thème de la langue –, que nous parlions la langue couramment et que tout le monde la comprenne. Ma mère parlait couramment cette seule langue, alors que, souvent, nous lui répondions en anglais. Donc, vous savez, j’aimerais beaucoup que tout le monde puisse parler la langue couramment et la préserver de la disparition. Notre langue est près de disparaître. C’est important.

GW : Oui, cela voudrait donc dire cent pour cent, en termes quantitatifs. D’accord. Mme Kaviok, je pense que vous envisagez la même chose pour l’inuktitut.

RK : Tout à fait.

GW : Bien. Et quels seraient les outils? Existe-t-il des outils – échelles, indices ou autres – qui pourraient être utiles, Mme Morin Dal Col?

CMDC : C’est une de nos lacunes. Nous avons besoin de plus d’outils. Quelques-uns ont été mis au point par des membres de nos collectivités. Par exemple, j’utilise au travers du Saskatchewan. Il existe un petit dictionnaire produit par un enseignant du secondaire ainsi que certains outils audio, mais il nous faut plus que cela. Nous devons disposer d’outils pour l’ensemble de notre Nation et nous assurer que tout le monde a les bons termes, la bonne prononciation, etc. Ce sont les outils qui nous manquent pour développer notre langue, et nous devons veiller à les procurer à notre peuple afin d’améliorer notre langue.

GW : Oui, tout à fait. Il en va de même pour les outils de mesure, n’est-ce pas?

CMDC : Absolument.

GW : Bien. Et vous, Mme Kaviok, avez-vous quelque chose à ajouter?

RK : Étant donné que, chez les Inuits, les enseignements sont transmis verbalement des parents aux enfants – car nous apprenons de bouche à oreille –, je crois que le seul outil dont nous ayons besoin est la capacité d’apprendre, vous savez, à bien enseigner. Nous disposons déjà de matériel. L’inuktitut est déjà enseigné à l’école et à la maison. Nous n’avons besoin que de la possibilité de nous réunir de nouveau, pour pouvoir apprendre et nous enseigner mutuellement. J’espère que vous comprenez ce que je veux dire?

GW : Tout à fait. Et cette capacité de rassemblement est, probablement, l’un des effets les importants qui soient associés à la langue. Mme Morin Dal Col, je me demandais si vous pouviez aborder la question en termes de mieux-être, de fierté, etc.

CMDC : Vous savez, la culture est extrêmement importante pour les peuples autochtones. La culture nous dit qui nous sommes. Elle nous rend fiers de ce que nous sommes, fiers de pouvoir apprendre notre langue. Je le vois chez les gens qui ont soif de connaissance et qui désirent apprendre notre langue. Ils éprouvent une fierté d’être eux-mêmes, un sentiment de bien-être. En plus des collectivités métisses, de nombreux Métis vivent en milieu urbain. Comment alors les réunir en une seule communauté, dans un contexte d’apprentissage? Bien sûr, les obstacles sont nombreux, mais la fierté avec laquelle les gens apprennent tout ce qui est à leur portée sur leur culture et leur langue nous révèle comme peuple. En plus de, vous savez, tout notre bagage. Alors, le sentiment de fierté est très important dans ce processus d’apprentissage, et je sais combien les gens souhaitent acquérir ces connaissances et apprendre notre langue. C’est si important pour tous les peuples autochtones.

GW : En effet. Mme Kaviok, avez-vous des conclusions sur ce sujet? Un point que vous n’avez pas encore eu l’occasion de soulever? Je vous reviendrai par la suite.

RK : Oui. Je pense que l’essentiel de cette question est que… la maîtrise de notre langue revêt une telle valeur, il est si important de la garder vivante et… Je n’arrive pas à exprimer la fierté, l’ampleur de la fierté rattachée à cette question. Oui. L’inuktitut a une dimension tellement particulière. Attendez, je cherche mes mots. Notre langue a une telle puissance. Comme notre culture. L’impact serait… tellement grand, vraiment.

GW : Oui.

RK : Par exemple, l’inuktitut aiderait grandement notre peuple à retrouver le mode de vie d’avant la colonisation. Et nous aiderait à guérir comme communauté.

GW : La guérison, en effet. C’est une autre conséquence, sans aucun doute.

RK : C’est un moyen tellement magnifique de s’ouvrir à notre culture. L’un des plus merveilleux trésor à garder.

GW : C’est vrai. Alors, je vais maintenant vous laisser conclure, avec quelques observations ou des points à souligner pour la suite des choses. Donc, Mme Morin Dal Col, à vous la parole.

CMDC : Je veux profiter de l’occasion pour vous remercier et pour souligner l’importance de ce symposium. Comme je l’ai dit, la langue est notre culture et nous définit. C’est une source de guérison, culturelle et spirituelle, pour notre peuple que de savoir que la Décennie des langues autochtones nous permettra de revitaliser des langues qui, comme je le disais, sont sur le seuil de la disparition, et de faire en sorte que, dans dix ans, notre langue et toutes les langues autochtones soient parlées librement, ouvertement. Ce symposium est une merveilleuse reconnaissance, pour moi et les peuples autochtones, des efforts déployés pour la promotion de nos langues. Alors, je vous salue pour vous remercier de votre participation au symposium.

GW : Voilà un magnifique message, empreint d’optimisme. Merci. Mme Kaviok, un mot de la fin?

RK : D’accord. Je dirai seulement ceci, dans ma langue. [Inuktut]. Je disais simplement aux Inuits qui écoutent et qui sont en mesure de comprendre mes paroles : merci de m’avoir invitée à faire une présentation. Et pour mes pour mes compatriotes inuits qui écoutent : travaillons ensemble au rétablissement complet de notre langue et faisons en sorte de nous protéger durant cette période difficile.

GW : C’est superbe, vraiment. Bien. Merci à vous deux, je vous dis Meegwetch. Soyez à nouveau les bienvenus. J’espère que la pause a été profitable. C’est un plaisir de vous accueillir à la séance plénière sur la Décennie internationale des langues autochtones. Je veux prendre un instant pour présenter les panélistes avant de les inviter à prendre la parole. Je vous présente Crystal Martin-Lapenski, présidente du Conseil national des jeunes Inuits. Mme Martin-Lapenski a consacré toute sa carrière à améliorer la vie des Inuits du Canada par la conception et la mise en œuvre de programmes et de services leur étant expressément destinés. J’ai aussi le grand plaisir de présenter Clément Chartier, président du Ralliement national des Métis. Personnalité politique respectée, M. Chartier a été nommé conseiller de la reine pour ses travaux dans le domaine du droit. Il a assumé des fonctions politiques et administratives pour de nombreux organismes autochtones, tant sur la scène nationale qu’internationale. Enfin, j’ai le plaisir de vous présenter Sébastien Goupil, secrétaire général de l’UNESCO. M. Goupil a occupé différents postes de niveau supérieur dans la fonction publique fédérale, notamment à Bibliothèque et Archives Canada, à Patrimoine canadien et à Condition féminine Canada, aujourd’hui Femmes et Égalité des genres Canada. Alors, merci et bienvenue aux panélistes. J’inviterai d’abord Crystal Martin-Lapenski à prendre la parole.

Crystal Martin-Lapenski (CML) : [Inuktut]. Merci. [Inuktut]. Bonjour. Je m’appelle Crystal et je suis présidente du Conseil national des jeunes Inuits. Dans cette fonction, mon rôle consiste à promouvoir les priorités des jeunes Inuits à différentes tables de discussion et dans diverses politiques de groupes de pression qui ont une incidence sur les jeunes et leur avenir. Ces priorités sont définies tous les deux ans à l’occasion du Sommet national des jeunes Inuits. Cependant, cet événement, comme bien d’autres, a été reporté en raison de la COVID-19. Quoi qu’il en soit, nos priorités demeurent pertinentes pour notre bien-être général, notamment la culture et la revitalisation linguistique. Tout au long de la semaine, vous avez entendu des membres de nombreux organismes représentant les Inuits décrire le travail formidable accompli dans nos collectivités, et vous avez peut-être entendu parler de nos préoccupations relatives à l’érosion de notre langue. Bon nombre de nos régions ont besoin d’ententes de financement pluriannuelles pour assurer la préservation de notre langue. Disons-le, l’inuktitut demeure bien vivant dans la plupart de nos collectivités. Divers dialectes sont souvent sous-représentés, comme l’Inuvialuktun dans la région de l’Inuvialuit , l’Inuinnaqtun dans la région de Kugluktuk et l’Inuttitut dans le Nunatsiavut. Bien qu’elles aient accompli un travail exceptionnel de promotion et de revitalisation de l’inuktitut dans les programmes offerts dans leurs collectivités, ces régions ont encore besoin d’aide pour prévenir le déclin et la disparition de la langue régionale. Cette aide nécessite des ententes de financement pluriannuelles à long terme. Jeune enfant, au Nunavut, je ne parlais que l’inuktitut, jusqu’à ce que je déménage dans une région rurale de l’Ontario à 10 ans et que j’apprenne à parler anglais couramment. Je n’ai que ma mère à remercier d’avoir continué de s’adresser à moi en inuktitut durant mon adolescence et jeune adulte. Grâce à ma mère et avec ma volonté de conserver ma langue, j’ai pu demeurer une locutrice intermédiaire de l’inuktitut. Cependant, comme je l’ai mentionné en introduction, ma maîtrise de la langue peut parfois s’apparenter à celle d’un enfant. Les Inuits des régions rurales et urbaines du Sud du Canada sont aussi sous-représentés dans les programmes linguistiques, alors que ces populations inuites vont en augmentant. Je me sens privilégiée de pouvoir communiquer en inuktitut. Mon frère, qui a un an de plus que moi, a presque complètement oublié cette langue. C’est un grave problème pour les enfants, les jeunes et les familles inuits qui déménagent dans le Sud pour obtenir les services et les programmes de base qui se font si rares dans nos collectivités. Notre langue est liée à notre culture qui, en retour, est liée à nos collectivités, et celles-ci sont déchirées en raison des infrastructures déficientes. Ce cycle se répétera sans cesse si nous n’envisageons pas des changements systémiques aux politiques. Il faut reconnaître que des programmes et des projets fantastiques sont réalisés dans l’Inuit Nunangat pour préserver, promouvoir et protéger l’Inuktut. Le gouvernement du Canada a adopté la Loi sur les langues autochtones. Nous devons établir clairement que c’est aux peuples autochtones de prendre l’initiative dans la conception, la gestion et le contrôle de leurs propres affaires, surtout en matière linguistique. Les jeunes Inuits ont soif de culture et de langue, comme Mme Kaviok l’a indiqué tout à l’heure, et trouvent de nouveaux moyens d’apprendre et de promouvoir l’Inuktut, que ce soit par des poèmes, des chansons, les arts ou la participation à des programmes destinés aux aînés et aux jeunes. Les jeunes Inuits utilisent aussi les plateformes populaires de médias sociaux. L’une d’elles en particulier, TikTok, est devenue très utilisée pour assurer les contacts entre les Inuits du Canada et du monde entier depuis le début de la pandémie. Des Inuits ont utilisé TikTok pour apprendre l’inuktitut et d’autres dialectes, et pour enseigner la langue. À ce sujet, je propose la création d’une application qui soit invitante et unique, que les Inuits pourraient utiliser pour apprendre l’inuktitut et qui proposerait un espace d’apprentissage amusant pour les jeunes et les enfants. En terminant, je souligne que nos organismes inuits régionaux ont accompli un superbe travail pour revitaliser et promouvoir l’inuktitut et l’Inuktut. Cependant, les gouvernements provinciaux et territoriaux doivent apporter des changements afin que leurs politiques reflètent et respectent les langues autochtones. Il faut à tout prix que ces langues soient accessibles, notamment pour les résidents du Nord qui se rendent dans le Sud. J’ai entendu parler d’aînés inuits unilingues à qui on remettait des documents rédigés uniquement en anglais et non dans la langue de leur choix, qu’ils auraient pu comprendre. Nous espérons qu’avec la Loi sur les langues autochtones, les jeunes Inuits pourront non seulement revitaliser notre langue, mais continuer de la protéger. [Inuktut]. Merci.

GW : Un grand merci, Mme Martin-Lapenski. Je cède maintenant la parole à Clément Chartier.

Clément Chartier (CC) : D’accord. On m’avait dit que les autres orateurs prendraient le relais, mais bon. Alors, bonjour, Mme Wilson. Je veux remercier chaleureusement les aînés et les gardiens du savoir pour le mot et les prières d’ouverture. Mme Wilson, c’est un plaisir de participer à cette séance. Merci aussi, bien sûr, à Crystal Martin-Lapenski et à Sébastien Goupil. Dans le contexte de l’examen du plan stratégique du Canada pour la Décennie internationale des langues autochtones de 2022 à 2032, je m’efforcerai d’insister sur le caractère international de la Décennie. Vous en conviendrez sûrement, ce fut un réel plaisir et un avantage d’entendre les invités d’autres régions du globe nous parler aussi généreusement de leurs expériences au cours du symposium. Les peuples autochtones du monde ont bien des points communs. Partout dans le monde, nos sœurs et nos frères autochtones ont le défi de revitaliser des langues au bord de la disparition. Ils ont conçu des techniques et des outils efficaces pour eux, mais qui pourraient aussi nous être utiles. C’est effectivement le cas, nous le savons déjà, et nous avons certainement beaucoup appris ces derniers jours sur des modèles utiles que nous pourrions adapter et appliquer ici, au Canada. Au cours de la semaine, nous avons appris les uns des autres et nous nous sommes inspirés mutuellement. Au cours des décennies, je ne vous dirai pas combien, mais disons, depuis un bon moment, j’ai eu l’occasion de constater la puissance des tribunes internationales comme outils de promotion des droits des peuples autochtones, notamment les Nations Unies, que ce soit l’Instance permanente sur les questions autochtones, le Conseil des droits de l’homme ou les procédures spéciales, comme celle du Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones. J’ai aussi travaillé longtemps à l’Organisation des États américains, notamment au sein du groupe de travail chargé de produire une ébauche de la Déclaration américaine relative aux droits des peuples autochtones, à l’image de celle de l’ONU, qui a nécessité quelques décennies de travail. Je mentionne avec plaisir que la Déclaration américaine relative aux droits des peuples autochtones a reçu l’aval presque unanime de l’Assemblée générale en 2016. Cette déclaration témoigne de l’importance des langues et des cultures autochtones dans les Amériques et les Caraïbes. Il est à espérer que le Canada approuvera cette déclaration d’ici quelques années puisque cela soutiendra les efforts de réconciliation entre les peuples autochtones du pays, mais aussi ceux du reste des Amériques et des Caraïbes. À mon sens, les relations et les réseaux formés avec d’autres peuples et nations autochtones constituent l’un des éléments importants de la participation aux forums internationaux sur les droits de la personne. Grâce à ces relations, nous avons pu établir l’American Council of Indigenous Peoples, en collaboration avec l’Assemblée des Premières Nations, lors du huitième Sommet des Amériques, en avril 2018 à Lima, au Pérou. Cet organisme régional pourrait être utile pour promouvoir la Décennie et ses objectifs. Je l’ai appris de ma propre expérience. J’ai beaucoup travaillé avec des peuples autochtones de l’Amérique du Sud, de l’Amérique centrale et d’autres régions du monde. Ce travail a toujours ancré mon dévouement et renouvelé mon énergie au service de mon peuple, la Nation métisse. Ces occasions doivent être offertes à un plus grand nombre de nos membres, surtout les jeunes. Les échanges intergénérationnels au sein des peuples autochtones doivent être encouragés. Je voudrais que ces échanges soient plus fréquents tant dans les Amériques que le reste du monde. L’un des premiers moyens d’atteindre les objectifs de la Décennie internationale est d’appuyer ces échanges et ces connexions entre les peuples autochtones. Rien ne peut remplacer le temps passé en présence les uns des autres. Cependant, s’il est un aspect positif à cette pandémie, c’est notre nouvelle habileté à utiliser les outils de communication modernes. Avec leur coût et leur empreinte carbone moindres, les outils de collaboration virtuels offrent aux jeunes des possibilités de connexions internationales qui n’auraient jamais été imaginables auparavant. Cette perspective devrait être au cœur de la Décennie. En participant à ce symposium, j’ai pu constater l’impressionnant bassin de connaissances détenu par nos aînés, nos gardiens du savoir, les conférenciers, les éducateurs et nos jeunes. Nous devons soutenir ces experts, afin que nos langues, nos cultures et nos identités mêmes marquent des progrès mesurables au cours de la Décennie. Sur ce, merci.

GW : Merci, M. Chartier. Je passe maintenant la parole à M. Goupil.

Sébastien Goupil (SG) : Miigwetch. Merci, Mme Wilson. Kwai. Bonjour tout le monde. J’aimerais aussi…

Interprète : J’aimerais aussi souligner l’apport des aînés, des gardiens du savoir. J’ai eu le plaisir d’en rencontrer plusieurs ces dernières années. Ils m’ont grandement inspiré et encouragé à agir. Je tiens à ajouter que les bureaux de l’UNESCO sont situés sur le territoire non cédé de la Nation algonquine anishinaabe. En 2019, j’ai eu le privilège de participer à un grand rassemblement organisé par notre groupe pour sensibiliser la communauté à la revitalisation de la langue algonquine. J’aimerais participer au panel d’aujourd’hui à vos côtés, M. Chartier et Mme Lapenski. La Loi sur les langues autochtones est très importante. Je suis heureux de prendre part au symposium qui a été préparé. D’abord, le Canada est l’un des rares pays qui a, finalement – je le souligne –, promulgué des lois sur les langues autochtones, bien qu’il reste beaucoup à faire. Il est important de souligner ce progrès. Je voudrais d’abord parler de la Commission canadienne pour l’UNESCO. Notre commission a pour mandat de promouvoir activement les activités de l’UNESCO, et nous faisons la promotion de… ce qui se passe dans la société canadienne et chez nos partenaires de toutes les nations autochtones de l’UNESCO ainsi que des activités de l’UNESCO visant à promouvoir la revitalisation des langues autochtones. Depuis 2018, nous avons investi dans les travaux de l’Année internationale de 2019, sous l’égide de l’UNESCO. Nous avons œuvré de concert avec notre réseau et nos partenaires. Nous voulions étendre ce mouvement de promotion, de préservation et de revitalisation des langues autochtones. Je veux souligner l’apport de ma collègue, Katharine Turvey qui, au sein de mon équipe, a travaillé à ce dossier avec une grande conviction. Elle a défini un rôle pour notre organisation. Sa famille a été touchée par l’érosion de la langue anishinaabemowin. Mme Turvey a travaillé à cette question, sachant qu’elle ne le faisait pas pour elle-même, mais pour sa collectivité. Nous sommes fiers du travail que nous avons accompli, en bons alliés, au cours de l’Année internationale. Il reste un travail colossal à accomplir et, pour vous dire le fond de ma pensée, nous ne devrions pas nous réjouir de ce que les Nations Unies aient consacré une année aux langues autochtones. Mais que l’on continue avec la Décennie est révélateur de la réticence des pays et des institutions à endiguer l’éradication des langues dans le monde.

SG : Nous discutons encore de la façon de progresser sur cette question. On m’a demandé de prononcer quelques mots aujourd’hui sur la façon d’inviter la société civile à agir en faveur des langues autochtones au Canada. Je commencerai en disant que l’Année internationale de 2019 a été une expérience d’apprentissage pour notre commission. D’abord, un financement suffisant, stable et prévisible est nécessaire à l’épanouissement des cultures et des langues autochtones. Comme vous le savez, cette question est incluse dans la Loi et a fait l’objet de discussions cette semaine. Nos collègues dévoués, passionnés et créatifs qui œuvrent à la revitalisation des langues et des cultures le répètent depuis des décennies, comme vient de le dire M. Chartier. Pour poursuivre leurs efforts, ils ont besoin d’un appui soutenu de tous les ordres de gouvernement, du secteur privé et de la société civile. Ensuite, tous les ordres de gouvernement – municipal, notamment – doivent se mobiliser, placer les langues autochtones à l’avant-plan et fournir les conditions et l’espace nécessaires à leur développement. Ils ont l’obligation morale de fournir des ressources suffisantes pour corriger, bien sûr, les torts infligés aux peuples autochtones, à leur culture et à leurs langues partout au pays. Ce point est particulièrement important, car, à bien des égards, l’Année internationale a été ce que j’appellerais une occasion manquée ici, au Canada. Comme bon nombre de nos partenaires, de nombreux partenaires autochtones, nous avons été très déçus du peu d’intérêt manifesté envers l’Année internationale. À mon humble avis, les gouvernements du Canada, à commencer par le fédéral, n’ont pas su miser sur le réel enthousiasme populaire que nous avons pu constater envers cet événement et n’ont pas apporté de contribution valable sur la scène internationale. Vous savez, dans une certaine mesure, l’adoption de la Loi sur les langues autochtones, cette année, a semblé plutôt inattendue. Je sais que tous les secteurs de la société, y compris l’administration publique, peuvent faire mieux. J’encourage vivement tous ceux d’entre vous qui œuvrent dans différents ministères, surtout à des postes de direction et au sein des organismes centraux, à adopter une approche bien plus ambitieuse et à véritablement profiter de la Décennie internationale pour constituer un réel legs sur l’île de la Tortue et, bien sûr, au-delà. Pour y parvenir, vous devrez déterminer les mesures à prendre et établir des objectifs concrets. Je vous invite d’abord à consulter les dix objectifs établis par le First Peoples Cultural Council pour la Décennie internationale, comme celui de donner aux collectivités autochtones le plein contrôle de leurs propres données linguistiques, ou d’offrir aux apprenants des langues autochtones l’accès à la scolarité dans leur langue maternelle pour leur permettre de reconnaître et d’honorer les connaissances et le savoir-faire autochtones, etc. Selon nous, ces objectifs sont un excellent point de départ, mais cela ne doit pas se résumer à un exercice de cases à cocher. La question est bien trop importante. Un plan d’action solide doit être alimenté par l’ambition et l’imagination. Il doit être établi conjointement par différentes parties intéressées et être véritablement mobilisateur et inspirant. La Décennie internationale qui s’en vient est aussi une occasion pour le Canada de prêcher le leadership par l’exemple sur la scène internationale. Nous pourrions utiliser le rôle normatif de l’UNESCO pour attirer l’attention sur les grandes questions et créer les conditions favorables à la sauvegarde des langues autochtones dans le monde. L’expérience et le savoir spécialisé que nous avons acquis avec l’adoption de la Loi devraient servir à d’autres instances. Nous pouvons aussi profiter de la Décennie pour améliorer l’UNESCO. L’Année internationale a grandement contribué à révéler à l’UNESCO l’urgence de décoloniser ses propres processus, ses idées préconçues et ses approches. Je crois que c’est un point qu’a souligné le grand chef Littlechild. Cet événement a mis en lumière l’absence d’un mécanisme permettant à l’UNESCO d’établir des liens directs avec les peuples autochtones. Il montre qu’une mesure aussi simple que de réviser le guide de style de l’UNESCO exigera plus de temps et de mesures de sensibilisation, mais qu’elle est essentielle pour manifester le respect et, bien sûr, transmettre les droits ancestraux auprès de l’auditoire mondial de l’UNESCO. La création de la Décennie internationale est un retentissant appel à une action énergique, courageuse et urgente. Ne vous inquiétez pas : la société civile n’est pas en reste. Je pense que les citoyens ont un rôle de soutien important à jouer dans l’établissement des conditions favorables à l’épanouissement des langues autochtones. Cela constituera un vaste exercice d’intégration à la pensée dominante, qui débutera par une bonne information. Pour être amenés à appuyer une cause, les gens doivent d’abord être renseignés. La motivation est essentielle. Le sentiment d’une responsabilité partagée est une condition clé dans nos efforts de préservation des langues autochtones. Il s’agit d’abord de comprendre que les langues sont vivantes. Les histoires de perte et d’érosion sont bien réelles. Elles sont un douloureux rappel du passé et des torts causés par le colonialisme dans ce pays. Mais les histoires de continuité et de renouveau sont des outils essentiels pour susciter, parmi la société civile, un vaste intérêt et des investissements dans les langues autochtones. Il y a donc de l’espoir. Le nombre de locuteurs n’a cessé d’augmenter au cours des dix dernières années. Les locuteurs de langues autochtones sont deux fois plus nombreux chez les enfants que les aînés, et il est temps de passer du concept de profondeur à celui de vitalité dans notre discours véhiculé auprès de la société civile. Et c’est l’un des principaux enseignements que j’ai retenus de l’Année internationale. Les membres de la société civile peuvent prendre de nombreuses mesures concrètes pour soutenir et promouvoir les langues autochtones en tant que langues vivantes. En collaboration avec Onowa McIvor, de l’Université de Victoria, notre commission a conçu une fiche d’information, largement distribuée, qui énumère certaines de ces mesures, parfois très simples. Renseignez-vous. Quelle est la langue parlée sur le territoire où vous vivez, où vous travaillez ou que vous visitez? Apprenez des expressions de salutation dans la langue du territoire et utilisez-les souvent. S’il vous est possible de le faire, donnez-leur de la visibilité dans les lieux publics ou faites pression en ce sens. De magnifiques exemples de ces mesures sont visibles un peu partout dans les campus universitaires, les édifices municipaux et même dans des lieux désignés de l’UNESCO des parcs partout au Canada. Et, bien sûr, réclamez le rétablissement des noms de lieux autochtones ou le renommage de rues ou d’une région par des noms en langue autochtone locale, en collaboration avec des locuteurs et des centres linguistiques et culturels locaux. Pour l’anecdote, lorsque je me suis rendu à Témiscaming pour participer au rassemblement Miaja je n’arrivais pas à croire qu’au cours du trajet de cinq heures, je n’ai vu aucun nom autochtone, sauf lorsque j’ai traversé une réserve. J’ai trouvé cela triste. Ce sont d’excellentes idées. Bien sûr, il en existe bien d’autres, mais tous ces efforts doivent s’appuyer sur une volonté réelle des gouvernements de reconnaître et de soutenir le travail de revitalisation linguistique des peuples autochtones. En résumé, je dirai que personne ne devrait devoir plaider que sa langue est importante. Les langues autochtones font partie de notre patrimoine commun sur notre territoire. Elles sont la clé de visions du monde, de systèmes juridiques et d’une compréhension intime du monde naturel et de l’histoire. Les langues autochtones sont un lien vital avec la culture, la collectivité, la nature, la science, la connaissance, les traditions, la spiritualité et les relations – un lien qui doit être compris par le plus grand nombre. Et c’est là où la société civile peut aussi intervenir. J’espère que chacun de vous quittera le panel avec une volonté renouvelée d’appuyer proactivement les langues autochtones à l’échelle sociétale ou, bien sûr, dans ses fonctions professionnelles, surtout au sein du gouvernement. Chi-miigwetch.

GW : Miigwetch. Merci, Sebastien et Clem et Crystal. Merci beaucoup pour vos exposés. Je vais lancer les questions et la discussion en commençant par un sujet qui m’intéresse tout particulièrement en tant que représentante du gouvernement, c’est-à-dire l’approche adoptée par le Canada pour la Décennie internationale. Donc, la mobilisation sera primordiale. C’est clair. Vous en avez parlé, mais quels seraient les meilleurs moyens de rassembler les gens? Regrouper les jeunes, par exemple, Mme Martin-Lapenski? Je ne sais pas. M. Chartier, vous avez parlé des liens que nous pourrions établir grâce à la technologie. Mais je céderai d’abord la parole à M. Goupil. Au sujet de la mobilisation, avez-vous des idées que nous pourrions appliquer à Patrimoine canadien ou dans l’ensemble du gouvernement?

SG : Peut-être. C’est une question pertinente, mais terriblement complexe. Il n’y a pas de formule magique pour concevoir une stratégie solide. À mon avis, le secret – et c’est ce que nous avons voulu faire, à la commission – est d’adopter une approche globale, plutôt que de dresser nos plans chacun de notre côté, de cocher les cases et de prétendre que le travail a été accompli. Nous avons vraiment envisagé l’ensemble de notre responsabilité en tant que commission. Par exemple, pour la question de la réconciliation et des langues autochtones, nous avons cherché à obtenir des progrès liés à l’ensemble de notre gouvernance et de notre mandat. Je crois que c’est cette approche que le gouvernement devrait adopter. Le fardeau ne repose pas seulement sur Patrimoine canadien, bien qu’il soit la source des principaux programmes de financement. Nous devrions inviter toutes les branches du gouvernement – comme le Conseil du Trésor, par exemple, dans sa fonction importante d’évaluation et de normalisation – à faire preuve de créativité et à trouver des façons de faire leur part, que ce soit par le financement d’infrastructures ou d’autres moyens.

Par exemple, un investissement dans l’infrastructure verte peut faire en sorte de revitaliser des cultures autochtones et d’intégrer des éléments linguistiques. J’invite les gens à apporter leurs meilleures idées à la table, quel que soit le contexte. Et, bien sûr, je crois… Je dirais… Sortons de nos bureaux et allons sonder le terrain. C’est un des problèmes. Je trouvais très dommage de voir que, souvent, mes collègues et moi étions les seuls à assister aux rassemblements, à entendre de vive voix non seulement des aînés et des gardiens du savoir, mais aussi des jeunes, exprimer leurs souhaits et expliquer ce qu’il leur semblait important dans la revitalisation des langues. À mon avis, il faut faire preuve d’audace et d’un sens du défi. Je pense, Mme Wilson, que vous pourriez mettre vos tous collègues au défi de produire des plans et de les intégrer dans une stratégie pour l’ensemble du gouvernement.

GW : D’accord. Donc, un peu comme dans une analyse comparative entre les sexes plus, il faudrait adopter une approche globale pour l’ensemble des politiques et des programmes, et poser la question sous l’angle de l’apport aux langues autochtones? Intéressant. Merci. M. Chartier, vous avez abordé la question de la technologie, des connexions, etc. Comment pouvons-nous rassembler les gens et les mobiliser réellement pour la Décennie?

CC : Hé bien, je crois que cette question est plutôt d’ordre régional – international. Je pense qu’au Canada, d’abord, la législation est en place, et nous travaillons à sa mise en œuvre. Le Canada en est à ce stade. Nous avons le mécanisme bilatéral permanent fondé sur une approche qui tient compte des distinctions, et nous devons toujours garder cela en mémoire. On ne peut pas revenir à cette… à ces initiatives universelles pour les peuples et les Nations autochtones. Nous devons nous concentrer sur la situation du Canada. Bien sûr, nous devons faire participer nos collectivités, nos collectivités respectives. C’est indispensable. Je ne parle pas au nom des Inuits, mais, à un moment donné, le Canada doit reconnaître les langues officielles des peuples autochtones. Et je sais que le président Obed et les Inuits ont fait pression pour obtenir cette… Ils fourniraient au Canada l’occasion parfaite de créer un précédent dans ce domaine. Sur la scène internationale, j’ai participé à une réunion virtuelle, le 4 novembre, avec des dirigeants d’Amérique du Sud et d’Amérique centrale. C’était notre première expérience, car nous nous réunissons normalement en personne. Je pense que c’est une bonne formule. Avec le Ralliement national des Métis, nous avons reçu du financement pour appuyer des objectifs de développement durable dans les consultations, tant au Canada, avec les aînés et les jeunes, que dans les Amériques. Alors, nous cherchons des moyens d’organiser une consultation avec les dirigeants autochtones d’Amérique du Sud et d’Amérique centrale par l’entremise de notre nouvelle organisation nord-américaine. Cette technologie nous offre donc un moyen de promouvoir des initiatives à l’échelle de la région – en l’occurrence, les Amériques et les Caraïbes. C’est une approche que nous devons adopter. Je ne m’y connais pas beaucoup en technologie; je suis assez vieux jeu dans ce domaine. Mais les jeunes baignent dans la technologie et ils la maîtrisent si bien. Même un enfant de deux ans en sait plus que moi sur ces outils technologiques. Alors, je crois qu’il est très important de s’y intéresser.

GW : D’accord. Merci. Mme Martin-Lapenski, quels sont les points de vue des jeunes ou des Inuits au regard de la mobilisation?

CML : Merci. Je crois que MM. Goupil et Chartier ont tous deux soulevé d’excellents points. Ce que je perçois et entends des dirigeants, des jeunes et des Inuits en général, au Canada et, en fait, dans toute la région circumpolaire, c’est que les Inuits doivent régir leurs propres affaires. Ils doivent exercer un contrôle sur les codes, et pas seulement sur leur conception. Nous devons prendre en charge tous les aspects de la vie de notre peuple, parce que nous le connaissons. Ce sont nos cultures, nos traditions, nos langues et nos connaissances. Nos connaissances et nos modes de vie traditionnels sont très différents de ceux du monde occidental. Les Inuits estiment que les politiques occidentales ont causé des problèmes considérables à notre peuple depuis les années 1950. Nous avons encore des aînés qui ont mené une vie traditionnelle, qui ont vécu sur le terrain, qui sont nés et ont été élevés dans des Igluvijaq, des igloos ou des tupiqs. Ils sont encore parmi nous et sont porteurs du savoir et du régime de vie traditionnels. Je pense qu’il est très important que les Inuits supervisent eux-mêmes ces changements, puisque nous savons comment approcher nos collectivités. Vous savez, nous partageons une compréhension et des intuitions profondes et mutuelles quant à l’importance de notre langue. De grands changements se produisent même dans les conditions climatiques. Je comprends que cette question n’est pas vraiment abordée dans le symposium, mais elle a des répercussions sur notre langue, qui subit aussi des changements en raison du climat. Ainsi, des mots qui étaient en usage il y a des années ne sont plus utilisés aujourd’hui, parce que le mot ou la langue ont disparu. Il est donc très, très important que le gouvernement du Canada mène ses activités de mobilisation et de consultation directement auprès des représentants inuits et leur permette de prendre l’initiative, de produire et de gérer conjointement leur propre information.

GW : En effet. Et vous avez aussi indiqué que même les infrastructures, par exemple, ont une incidence à bien des égards. En fait, l’idée est que tous ces éléments sont interdépendants. Je m’adresse à chacun d’entre vous pour vous demander d’imaginer ce que deviendra la Décennie dans quelque temps. Je commencerai avec M. Chartier. Que voudriez-vous qu’il se passe? Quels gestes, quelles mesures concrètes souhaiteriez-vous voir poser, par votre entourage ou vous-même? Qu’aimeriez-vous voir arriver?

CC : Hé bien, je reprendrai ma perspective régionale. En 1985, lors du centenaire de la Bataille de Batoche – j’étais président du Conseil mondial des peuples indigènes à l’époque –, nous avons organisé une Conférence internationale des jeunes Autochtones à Batoche. Bien sûr, des jeunes des Amériques et de Sámi étaient présents. Ce fut un très bel échange, marqué par un esprit de camaraderie. Les jeunes allumaient des feux de camp, participaient à des sueries et à différentes activités, et faisaient beaucoup de musique et de rassemblements. J’aimerais revoir une initiative semblable, à plus petite échelle, mais dans les Amériques. Nous travaillons au mécanisme qui nous permettrait de le faire, comme l’American Council of Indigenous Peoples. Il est important de faire participer les jeunes. Il y a longtemps, au cours de mes voyages, il m’est arrivé de voir des enfants porter des t-shirts du centenaire de Batoche, que des gens avaient emportés et donnés à la famille. Vous voyez, d’une certaine façon, les gens se rencontrent et pensent qu’en Amérique du Sud ou en Amérique centrale, les langues des peuples autochtones sont fortes, et c’est le cas à certains endroits. Mais d’autres langues, comme la nôtre, risquent de disparaître bientôt. Alors, le Canada, qui a toujours appuyé les initiatives internationales ou celles des peuples autochtones sur la scène mondiale, n’a pas… Ce n’est pas une critique. Le Canada n’a pas fait grand-chose depuis l’arrivée du gouvernement Trudeau, pas plus que le précédent. Par le passé, le gouvernement a financé les Sommets autochtones des Amériques, qui coïncidaient avec les Sommets des Amériques, mais cela ne s’est plus produit depuis, disons, 2008 ou 2009, lorsque le financement a été supprimé par le gouvernement Harper. Sous le régime du gouvernement libéral précédent, un programme de partenariat avec les peuples autochtones permettait à des Autochtones du Canada former des partenariats avec des Autochtones d’Amérique du Sud ou d’Amérique centrale. Un financement était versé à cette fin par l’entremise de l’ACDI (Agence canadienne de développement international). Nous réalisions des projets comme celui mené au Nicaragua par le Ralliement national des Métis dans le domaine de l’éducation en matière de santé publique. Nous devions en réaliser un autre en Bolivie. Le programme devait être revu ensuite, mais cela n’est jamais arrivé et le programme a été supprimé. Aujourd’hui, un programme semblable pourrait être créé pour les langues. Nous pourrions… les peuples autochtones dans… Ce n’est pas pour nous, mais nous serions comme un véhicule de partenariat. Alors, dans le domaine des langues, si le Canada pouvait créer un programme semblable… Je le presse de le faire depuis les cinq dernières années. Aussi, le financement du nouveau ACIP (Conseil américain pour les peuples indigènes), vous savez, est demeuré lettre morte. Encore une fois, ce n’est pas une critique. Je suis persuadé que les gens du gouvernement sont occupés à bien d’autres choses. Mais si nous pouvions faire en sorte que le Canada nous permette de non seulement reprendre notre rôle de défense verbale de nos droits, mais aussi de l’aider à réellement changer des choses en Amérique du Sud et en Amérique centrale, de former de véritables partenariats, si nécessaires.

GW : Voilà une réflexion intéressante et d’excellentes idées. J’imagine très facilement l’intérêt que peut présenter un échange international de connaissances et de concepts autochtones. Absolument. M. Goupil, auriez-vous des idées ou des observations à formuler? Vous en avez mentionné dans votre exposé, mais vous pourriez vouloir en souligner quelques-unes.

SG : Je voudrais d’abord dire ceci : la Décennie doit débuter dès aujourd’hui. Je l’ai observé de nombreuses fois, et je pense que M. Chartier et d’autres l’ont observé aussi. Nous n’avons pas le luxe d’attendre encore deux, trois ou quatre décennies additionnelles pour agir en faveur des langues autochtones et progresser sur cette question. Je pense que si nous faisons nôtres l’esprit et les objectifs de la Décennie internationale, nous devrions commencer notre planification dès maintenant. Il arrive bien souvent, avec les années et les décennies internationales, que le travail soit accompli… Les gens commencent à s’en soucier au moment où il serait temps de faire rapport à l’ONU. Encore une fois, je crois l’avoir dit, soyons proactifs. Soyons ambitieux. Je crois qu’ici, au Canada, avec le texte de loi qui a été adopté, nous devrions veiller à ce que le pays puisse faire ce qu’il doit, à l’intérieur du cadre de la Décennie, pour mettre en place le mécanisme. Et ce que j’ai entendu, encore et encore, partout où je suis allé, car la plupart des mesures prises aujourd’hui le sont avec bien peu de moyens. Par exemple, j’ai rencontré des gens qui travaillaient à la revitalisation des langues bénévolement, dans leur sous-sol. Aussi, des mécanismes ne seront pas revus en aval en raison d’un changement de gouvernement. Il faut sonner l’alarme. Je crois que bien des parties ont tendance aujourd’hui à voir la revitalisation des langues comme une cause presque perdue. Nous devons les convaincre, comme je l’ai mentionné, par un changement tellement important dans notre discours auprès de la société civile, du secteur privé et des fondations. C’est une question que j’ai abordée avec le chef Ignace et même avec le premier ministre Martin. Nous devons changer notre discours et voir ce qui pourrait être accompli très tôt pour garantir que nous n’aurons pas encore à nous battre dans cinq ou dix ans pour obtenir un financement suffisant, des crédits pour exécuter ce travail. Je le répète : c’est une question dont j’ai beaucoup discuté avec différents dirigeants. Je crois que nous devons avoir l’ambition d’offrir quelque chose au monde, de la part du Canada et des peuples autochtones qui y vivent. Nous savons que, dans bien des parties du monde, nos collègues et partenaires autochtones n’ont aucunement les moyens d’exécuter ce travail. Peut-être notre réflexion devrait-elle emprunter le sentier tracé par le grand chef Littlechild? Quels sont les mécanismes appropriés autres que celui du système des Nations Unies? Je pense ici à l’UNESCO, en raison de sa responsabilité à l’égard de la Décennie des langues. Quels sont les bons mécanismes de mobilisation? Peut-être devrions-nous envisager un fonds très ambitieux pour soutenir les efforts à long terme? Encore une fois, nous avons la Décennie, dix ans, et notre ambition comme pays devrait peut-être être, à terme, de pouvoir dire qu’une autre décennie ne sera pas nécessaire pour que le travail soit accompli au Canada, et que nous allons appuyer la mise en place des structures qui soutiendront ces efforts sur la scène internationale.

GW : Oui. Non. C’est bien. Merci. Mme Martin-Lapenski. Désolée.

CML : Merci. Je ne suis pas… je veux dire… Le Conseil national des jeunes est un organisme de portée canadienne, mais, bien sûr, il arrive que je sois invitée à appuyer le travail du Conseil circumpolaire inuit du Canada ainsi que des initiatives internationales afin d’y apporter le point de vue des jeunes Inuits. Mais je comprends aussi qu’il y a des limites budgétaires. Alors, comme le disait M. Chartier, vous savez, cet apport est très important sur le plan international. Le Conseil circumpolaire inuit du Canada participe à différentes initiatives sous l’égide des Nations Unies. Je ne connais pas très bien les modes de financement du Conseil circumpolaire et ce genre de chose, mais je comprends que notre participation est limitée par le financement consacré aux jeunes Inuits par le Conseil circumpolaire inuit international. Le Conseil est le groupe représentatif des Inuits du Canada, de la Russie, de l’Alaska et du Groenland. Nous avons un programme de leaders de demain, qui permet à de jeunes Inuits ayant des qualités de dirigeant potentielles ou manifestes d’acquérir les compétences nécessaires, de recevoir un encadrement et de prendre part à des discussions sur des questions inuites à titre de participants ou d’observateurs. Je crois que c’est un aspect très important pour les jeunes Inuits. Vous savez, nous sommes l’avenir. Nous faisons partie du monde de demain. À mon sens, les accords de revendication territoriale des Inuits du Canada ont été conclus en fonction de l’avenir, pour la protection et la promotion de notre peuple, de notre culture et de notre langue. Je pense qu’il est très important que les jeunes Inuits continuent de participer dans différents secteurs. Nos organismes inuits ont accompli un travail colossal pour permettre aux jeunes Inuits de participer à différents comités et autres tribunes, et d’y faire entendre leurs idées. Mais du seul point de vue du gouvernement fédéral, dans une perspective internationale, bien peu de mesures sont offertes pour encourager les jeunes Inuits à nouer des liens avec d’autres peuples autochtones dans le monde. Je pense que ce serait bien que le Canada insiste davantage sur ce point et qu’il donne suite aux travaux de la Commission de vérité et réconciliation, et poursuive la démarche de réconciliation.

GW : Merci. Avant les observations de clôture, j’adresserai une dernière question à M. Goupil, puis à Mme Martin-Lapenski et, enfin, à M. Chartier. La question porte sur l’art, la culture et les médias. C’est donc une question largement axée sur le patrimoine, je veux dire, d’une portée plus large : comment les arts, la culture et les médias peuvent-ils en général, au Canada, dans notre région, à l’échelle nationale, promouvoir les objectifs de la Décennie? Ou plutôt, pas seulement au Canada, mais dans une perspective plus large. Les arts, la culture, le patrimoine, la musique, les médias. M. Goupil, d’abord.

SG : Pour moi, les arts, la culture et les médias pourraient constituer le seul et unique sujet d’un groupe de discussion tellement ce secteur est vital. Ces domaines névralgiques doivent être mis à profit en raison de leur pouvoir d’inspiration. Je reviens à cette notion de changer le discours, la perception des langues et des cultures autochtones. Et, pour moi, cela s’appuie sur l’intégration à la pensée dominante, comme je l’ai indiqué plus tôt. Au cours de la Décennie, nous devrions en venir au point où le fait d’entendre parler des langues ou de voir des expressions culturelles fasse partie de nos différents paysages. À ce moment, je serai ravi d’entendre ces langues représentées ou ces enjeux linguistiques abordés à Radio-Canada, et pas seulement aux canaux spécialisés. J’aimerais que ces questions soient examinées sur un pied d’égalité. Par exemple, je suis toujours consterné de voir le peu d’intérêt manifesté pour les droits et les langues autochtones dans les médias sociaux. Il est très difficile de progresser dans ce dossier. Par exemple, vous tous… Je dis souvent que nous nous adressons aux mêmes gens, ceux qui sont déjà convaincus qu’il faut agir. Il reste des secteurs déterminants à mobiliser, que nous devrions peut-être inviter, en particulier à l’échelle institutionnelle, mais aussi par des prises de contact individuelles. Nous devons voir ce qu’il faudrait faire pour les amener à soutenir les efforts de revitalisation des langues.

GW : Oui. D’accord. Excellent. Mme Martin-Lapenski.

CML : Seulement chez les Inuits, au cours, disons, des 20 dernières années, nous avons réellement… En fait, depuis très longtemps, les Inuits sont reconnus pour leurs créations artistiques, par vrai? Nos sculptures sont reconnues, tout comme nos peintures et nos dessins. Aussi… il n’y a qu’un seul centre des arts d’interprétation à Iqaluit, appelé… Quel est son nom? Qaggiavuut. Et vous savez, bon nombre d’Inuits, surtout durant la pandémie, se sont tournés vers les outils numériques et les diverses plateformes de médias sociaux, tant comme outils de représentation artistique que comme moyens d’exprimer leurs sentiments face à la pandémie. Des chanteurs, des auteurs-compositeurs inuits créent de magnifiques récits, et même partagent des pans d’histoire dans leurs chansons ou leurs spectacles. Il est tellement important de pouvoir compter sur un soutien continu du gouvernement fédéral, car il n’est pas question seulement de montrer nos habiletés, mais aussi de renforcer notre confiance, de nous réapproprier notre culture et de regagner ce sentiment d’appartenance qui nous a presque été arraché. Le soutien des arts inuits est tellement précieux pour notre santé mentale, notre bien-être et notre capacité à transmettre nos récits aux prochaines générations. Bien sûr, le Conseil national des jeunes Inuits reçoit du financement de Patrimoine canadien. Nous recevons des fonds pour notre magazine, Nipiit, destiné aux jeunes Inuits, qui présente le portrait de jeunes Inuits accomplissant un travail extraordinaire dans leurs collectivités. Nous remercions le Ministère pour ce financement. Ce magazine est aussi un outil de rassemblement des jeunes Inuits. Des œuvres d’art et des poèmes qu’ils ont créés sont intégrés au magazine. C’est tellement important que les membres de notre peuple se soutiennent mutuellement et, vous savez, renforcent leur confiance. Car nous subissons encore aujourd’hui le traumatisme intergénérationnel qui fait que des jeunes, des enfants et des familles inuits doivent encore composer avec diverses inégalités sociales dans leurs collectivités. Pour bon nombre de jeunes Inuits, l’expression artistique est un moyen d’apaiser le stress. Alors, ce n’est pas seulement une question de… Vous savez, c’est ce que nous sommes. Venez nous découvrir. Il est question ici de nous-mêmes et de notre sentiment d’identité, d’appartenance et de culture.

GW : Oui. Non. Bien sûr. Nos peuples sont tellement talentueux et artistiques, et c’est ainsi qu’il montrent leur résilience. Tout à fait. M. Chartier?

CC : Merci, Mme Wilson. Vous l’avez constaté, mon approche est plutôt régionale et porte sur les Amériques et les Caraïbes. Non seulement l’Organisation des États américains a-t-elle adopté, à son assemblée générale de 2016, la Déclaration américaine relative aux droits des peuples autochtones – qui pourrait jouer un rôle déterminant dans la question à l’étude – mais, l’année suivante, elle a aussi adopté un plan de mise en œuvre quadriennal qui a été approuvé par le Canada. Cette année-là, il y a eu… Non, pas cette année-là, mais la suivante. Autour du 8 août, soit la Journée internationale des populations autochtones, dans le cadre du plan, une activité réservée a été organisée à Washington. Durant une semaine, des gens d’Amérique centrale, je crois, sont venus donner des spectacles. Des conférenciers avaient été invités et j’avais participé à la première édition. Bien sûr, le plan de mise en œuvre quadriennal tire à sa fin. Mais, pour faire suite aux propos de M. Goupil au sujet du financement, je dirais que l’Organisation des États américains, qui s’est jointe au mouvement sous le gouvernement du premier ministre Joe Clark, devrait créer un fonds de contributions volontaires pour les langues autochtones, auxquels les pays contribueraient pour des projets valables. Et je suis sûr qu’il y en aurait de toutes sortes. Alors, la semaine en question est l’occasion de mettre en valeur les arts et la culture, à l’administration centrale de l’OEA. D’autres initiatives de ce genre devraient être lancées. J’ai participé à un bon nombre d’assemblées générales qui débutent par des spectacles d’Autochtones locaux. Mais organiser ce genre d’activité à l’occasion ne suffit pas. Il faut faire plus. Au chapitre des médias, nous avons le Réseau de télévision des peuples autochtones depuis maintenant 20 ans. C’est une bonne chose. À Taiwan, j’ai interviewé des gens du réseau de télévision des peuples autochtones de Taiwan. Une bonne chose, également. Alors, dans mes voyages… Hé bien, dans le nord-ouest de la Saskatchewan, où je vis, la Missinipi Broadcasting Corporation diffuse l’heure dénée et l’heure crie, dans toute la province et dans nos villages. Presque chacun de nos villages a sa station de radio et de télévision, qui pourrait servir à cette fin. Ces stations ne sont pas utilisées pour cela, mais ce serait possible, avec des mesures incitatives. Aussi…, par exemple, au Nicaragua, où je suis allé à quelques reprises, des stations de radio diffusent du contenu en langue miskito et de la musique dans la langue locale. Elles contribuent donc largement au maintien des langues, malgré la forte poussée d’hispanisation qui a suivi la révolution sandiniste, en 1979. Aujourd’hui, tous les jeunes parlent espagnol. Les aînés parlent miskito, mais certains d’entre eux parlent encore anglais, en raison de la colonisation britannique, le long de la côte atlantique. Mais la plupart des jeunes ne parlent plus anglais. Ils s’expriment en espagnol et, éventuellement, ils le feront en miskito. Donc, les moyens existent. Et si les pays qui le souhaitent peuvent travailler ensemble et diriger des ressources là où elles seront utiles, je pense qu’il est possible de changer bien des choses, partout dans les Amériques.

GW : Oui, je comprends. Merci. Alors, merci à tous pour votre exposé. Avant de vous inviter à prononcer quelques mots en conclusion, je veux simplement remercier chacun de vous d’avoir communiqué ses idées et ses réflexions sur la Décennie internationale. Je suis très curieuse de découvrir la suite des choses et je me suis engagée auprès du chef Wilton Littlechild à suivre de près cet événement. Je me sens donc concernée par la Décennie. Alors, Mme Martin-Lapenski, avez-vous des observations à formuler en conclusion?

CML : Merci. Je veux juste remercier Patrimoine canadien d’avoir organisé ce très important symposium et, vous savez, de simplement reconnaître qu’il existe de très nombreuses langues autochtones au Canada et que chaque groupe autochtone a ses propres priorités. Et je suis persuadée qu’en collaboration avec les organismes autochtones, le gouvernement fédéral pourra établir une stratégie valable pour toutes les parties. C’est ce que j’espère. Et, vous savez, cette stratégie n’est pas… dirigée par le gouvernement, pour ainsi dire. L’une des raisons pour lesquelles nous avons tant lutté pour conclure des accords de revendication territoriale était de pouvoir agir sur le sort de nos collectivités. Alors, au sujet de la stratégie, lorsque je dis « co », je veux surtout dire que les organismes autochtones doivent exercer un contrôle sur la stratégie. Ce sera sans doute difficile, surtout, comme je l’ai dit, en raison du grand nombre de groupes autochtones. Mais j’entrevois de grands changements. Et il est à espérer que les langues autochtones perdues pourront être rétablies, pour de nombreuses années. Merci de m’avoir consacré de votre temps.

GW : Un grand merci. M. Chartier?

CC : Merci. Ma première participation à des affaires internationales a été le Forum Habitat, tenu à Vancouver en 1976, où j’ai eu la chance de rencontrer des Autochtones d’ailleurs, notamment de l’Amérique du Sud et de l’Amérique centrale. Avant, j’avais eu l’occasion de travailler à quelques reprises avec le grand leader George Manuel, qui m’a insufflé le devoir que nous avons de venir en aide aux peuples autochtones d’ailleurs, en plus de notre propre collectivité. Alors, j’ai vraiment pris cette cause à cœur et j’ai fait tout ce que j’ai pu. En tant que président de la Nation métisse, par l’entremise du Ralliement national des Métis, bien sûr, je dirais que nous devons continuer de travailler en étroite collaboration avec le gouvernement fédéral et nos partenaires autochtones afin de veiller à ce que la mise en œuvre des lois sur les langues autochtones soit significative, inclusive et, encore une fois, fondée sur les distinctions. Donc, c’est très important, mais Sébastien a aussi indiqué – et je suis d’accord –, l’approche doit être pangouvernementale et ne doit pas se limiter, vous savez, à certains ministères responsables. Chacun doit y participer et nous devons nous assurer de l’adhésion de tous. Je ne l’ai pas mentionné, mais je suis président intérimaire de l’American Council of Indigenous Peoples. J’ai donc aussi l’obligation de continuer à défendre les peuples autochtones d’Amérique du Sud et d’Amérique centrale. Je le répète, j’espère que le Canada reprendra l’initiative, comme il l’a fait dans les années 1980 et 1990, qu’il prendra les devants et décidera de s’intéresser aux questions autochtones en Amérique du Sud et en Amérique centrale, car elles sont urgentes, surtout en cette période de pandémie de COVID. La situation là-bas est terrible, et je doute que nous ayons d’autres moyens de joindre ces peuples que les capacités limitées des réseaux sociaux. Ce n’est qu’un exemple. Nous ne savions pas que cela allait arriver, mais si nous avions mis en place notre infrastructure, il aurait été bien plus facile de communiquer avec eux, de coordonner notre action et, vous savez, de trouver de l’aide pour ceux qui ont des besoins pressants. Alors, c’est… une question importante, qui nous lie tous ensemble, car c’est ce que nous sommes, comme peuples autochtones. Notre langue nous définit, et rien ne peut nous unir plus que la langue. Au cours des dix prochaines années, et davantage, nous avons une excellente occasion de changer bien des choses à ce chapitre. Vous savez, je ne parle pas couramment le michif, pas plus que le cri. Je peux me débrouiller lorsque je parle avec des aînés, mais je ne pourrais pas prononcer une allocution publique. Ce serait tellement gênant que j’aurais l’air ridicule. Je n’ai pas la confiance nécessaire. Mais, vous savez, les gens comme moi, même si cela doit prendre des années, doivent apprendre la langue et l’utiliser ouvertement, en public. Je poursuis donc mon apprentissage. Lors d’une téléconférence avec mon peuple, j’ai mis les gens au défi de tenir, d’ici cinq ans, une conférence, une conférence nationale, seulement en michif. Alors le défi est lancé et je pense que c’est un objectif valable, que je souhaite voir atteint.

GW : Ce serait formidable. Il ne reste plus beaucoup de temps. Je demanderai à M. Goupil de formuler ses dernières observations, en 30 secondes.

SG : En bref, je pense que nous avons l’obligation morale de donner l’exemple. Je m’attends à ce que toutes les têtes dirigeantes de ce pays fassent preuve d’énergie, d’ambition et d’imagination et de clairvoyance. Et, s’il vous plaît, Mme Wilson, n’hésitez pas à les mettre au défi. Dites-leur que nous devons tous mettre l’épaule à la roue pour atteindre les objectifs de l’Année. Lançons la plus grande vague de soutien de la revitalisation des langues autochtones du monde entier. Mobilisons tous les segments de la société civile. Je terminerai en disant que le Canada a, en plus, l’obligation de se faire le champion de ce mouvement multilatéral mondial. Et je ne doute pas que le ministre Guilbeault jouera le rôle qui lui revient. Merci.

GW : Merveilleux. Un grand merci à tous. Merci aux membres du panel. Ce fut une réunion formidable. Les exposés ont été excellents. Merci tout le monde. Je redonne la parole à M. Courchene.

MC : Merci, Mme Wilson. Merci à tous. Ce fut une superbe discussion. Merci, Mme Martin-Lapenski, et MM. Chartier et Goupil. Excellente conclusion. Nous avons pu discuter durant quatre jours, quatre jours et demi. Et je crois que le… Nous avons entendu parler de toutes sortes d’initiatives, d’un océan à l’autre. Cinq thèmes ont été abordés au cours du symposium. Je tiens à remercier tous nos participants et tous ceux qui ont diffusé leurs connaissances.

[fin de la transcription]

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