ARCHIVÉ - Investir en prévention – la perspective économique

 

4. Résultats et messages principaux

4.1 Résumer les données : évaluations économiques des interventions préventives en santé

4.1.1 De nombreuses interventions préventives en santé sont rentables

Parmi les interventions en santé publique dont l’efficacité est reconnue, bon nombre de celles examinées dans le domaine de la prévention se sont avérées rentables (comparativement à un traitement, à la seconde meilleure intervention préventive ou aux méthodes classiques, selon l’étude examinée), particulièrement à long terme et d’un point de vue sociétal. Ces résultats suggèrent qu’il est possible d’améliorer la durabilité financière du système de soins de santé en déterminant les secteurs où les objectifs relatifs à la santé pourraient être atteints plus efficacement grâce à des investissements dans des mesures plus rentables.

Les sections ci-dessous présentent des données sur les évaluations économiques des interventions préventives en santé en fournissant des exemples tirés des quatre aspects de la prévention (Goldsmith et coll., 2004). La sélection des secteurs d’intervention a été fondée sur la disponibilité de résultats d’évaluations économiques ainsi que sur leur pertinence pour les décideurs canadiens du domaine de la santé publique. Elle ne devrait pas être perçue comme un appui plus important qu’à d’autres interventions.

A. Exemples de prévention clinique

Prévention du diabète. À partir de 2005-2006, approximativement 1,9 million de Canadiens ont reçu un diagnostic de diabète, c’est-à-dire environ 1 sur 17, ce qui représente une proportion de 5,5 pour cent de femmes et de 6,2 pour cent d’hommes (ASPC, 2008). Des résultats d’essais cliniques ont montré que cette maladie peut être prévenue grâce à des programmes de modification du mode de vie fondés sur l’expérience clinique. Certaines études rapportent même une réduction de l’incidence cumulative allant jusqu’à 58 pour cent, comparativement au placebo (Delahanty et Nathan, 2008).

De plus, ces gains sur le plan de la santé semblent être atteignables à des coûts généralement considérés comme acceptables pour la société. Une étude de synthèse a permis de démontrer que, comparativement au placebo, une intervention ayant pour objet de modifier le mode de vie et comprenant l’adoption d’une alimentation saine et d’activités physiques d’intensité modérée génère un coût par année de survie ajustée pour la qualité de vie gagnée de 1 100 $ US (en dollars de 2000), et ce, en ne prenant en compte que les coûts directs. Lorsqu’un point de vue sociétal est pris en compte, c’est-à-dire un aspect qui inclut les coûts liés au temps des participants, aux cours de conditionnement physique et à l’équipement sportif, à la nourriture, à l’équipement servant à la préparation des aliments et au transport, le coût par année de survie ajustée pour la qualité de vie s’élève à 8 800 $. Ces rapports de rentabilité s’avèrent substantiellement plus faibles que ceux des interventions pharmaceutiques habituellement entreprises (par rapport au placebo; voir la figure 2; Burnet, 2006).

Rapports de rentabilité des interventions liées au mode de vie et d’un  traitement par la metformine visant à prévenir le diabète de type 2 chez  les adultes intolérants au glucose, par âge (Source : Herman et coll.,  2005.)

Figure 2 : Rapports de rentabilité des interventions liées au mode de vie et d’un traitement par la metformine visant à prévenir le diabète de type 2 chez les adultes intolérants au glucose, par âge (Source : Herman et coll., 2005.)

Équivalent textuel - Figure 2

Figure 2 : Rapports de rentabilité des interventions liées au mode de vie et d’un traitement par la metformine visant à prévenir le diabète de type 2 chez les adultes intolérants au glucose, par âge (source : Herman et coll., 2005)

Cette figure présente les résultats d’une étude selon laquelle, comparativement à l’administration d’un placebo, les interventions liées au mode de vie permettaient de réaliser des économies chez les participants de moins de 45 ans et étaient rentables dans tous les groupes d’âge. Par contre, le traitement par la metformine s’est avéré relativement rentable chez les groupes d’âge plus jeunes, mais a coûté plus de 100 000 $ par année de survie ajustée pour la qualité de vie (QALY) chez les participants de 65 ans ou plus. En particulier, les interventions liées au mode de vie coûteraient de 781 $ à 11 700 $ par QALY par rapport à l’administration d’un placebo, et le traitement par la metformine coûterait de 9 573 $ à 273 207 $ par QALY chez les participants âgés de 25 à 44 ans, de 45 à 54 ans, de 55 à 64 ans, de 65 à 74 ans, et de 75 ans et plus.

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Dépistage du cancer colorectal. Le cancer colorectal est encore aujourd’hui un problème de santé important au Canada. Les récentes données de surveillance indiquent qu’il s’agit du troisième type de cancer le plus souvent diagnostiqué et des troisième et deuxième causes de décès les plus fréquentes des suites d’un cancer chez les femmes et les hommes, respectivement (SCC/INCC, 2008; Marrett, 2008).

Le test de dépistage de sang occulte dans les selles, utilisé pour le diagnostic de ce cancer, a été jugé efficace pour réduire la mortalité dans le cadre de vastes essais cliniques avec répartition aléatoire et rentable à la suite d’analyses économiques, qui ont comparé le coût de l’intervention à des normes de référence couramment utilisées (p. ex., 50 000 $ par année de survie ajustée pour la qualité de vie). Au cours d’une étude canadienne, les répercussions potentielles d’un dépistage généralisé à l’aide de ce test, suivi d’une coloscopie, sur la mortalité du cancer colorectal ont été estimées à l’aide d’un modèle de microsimulation (Flanagan et coll., 2003). Un dépistage bisannuel touchant 67 pour cent des personnes âgées de 50 à 74 ans au cours de l’an 2000 a occasionné une augmentation de 15 pour cent de la demande pour une coloscopie au cours de la première année, une réduction de 17 pour cent de la mortalité de ce cancer sur 10 ans et une augmentation moyenne de l’espérance de vie de 15 jours. Le coût du dépistage a été estimé à 112 millions de dollars par année ou 11 907 $ par année de survie gagnée (actualisé de 5 pour cent). De façon similaire, une autre étude de modélisation utilisant une cohorte de naissance hypothétique de 40 000 adultes de la Colombie-Britannique âgés de 50 ans et plus a calculé un rapport de rentabilité pour le dépistage du cancer colorectal de 11 100 $ par année de survie ajustée pour la qualité de vie gagnée (H. Krueger et associés, 2008a).

La rentabilité du dépistage préventif de ce cancer est également étayée par des données internationales. Par exemple, une étude britannique récente a estimé que le coût du diagnostic à l’aide du test de dépistage de sang occulte dans les selles est de 2 600 à 6 000 £ (environ 4 500 à 10 500 $ CAN) par année de survie ajustée pour la qualité de vie gagnée (Hayee, 2006).

B. Exemples de promotion de la santé

Prévention du VIH/sida. Les programmes de prévention des infections au VIH comprennent les campagnes de sensibilisation à grande diffusion et celles axées sur certaines collectivités, l’éducation sexuelle à l’école, des ateliers menés par des leaders d’opinion ou des pairs, la distribution de condoms et les campagnes de « marketing social », la promotion du dépistage, de la consultation et du traitement volontaires, les pratiques d’hémovigilance et les mesures de précautions universelles ainsi que les programmes de réduction des effets néfastes chez les utilisateurs de drogues injectables, tels que les programmes d’échange de seringues et les centres d’injection sécuritaires. Souvent, l’efficacité de ces mesures est accrue par leur combinaison dans le cadre d’une vaste stratégie ciblant plusieurs groupes.

Une analyse récente ayant modélisé la rentabilité relative de 26 interventions tentant de prévenir les infections au VIH couramment employées en Amérique du Nord a conclu que deux facteurs étaient particulièrement importants pour déterminer la rentabilité probable d’un programme : la prévalence des infections au VIH dans la population ciblée et le coût de l’intervention par personne atteinte. Dans les groupes où la maladie est relativement peu fréquente (p. ex., les hétérosexuels), les campagnes à grande diffusion et les programmes de distribution de condoms engendrant peu de coûts par personne ont été les méthodes les plus rentables. Dans les populations où la maladie est prévalente (p. ex., les hommes homosexuels), les programmes menés par des leaders d’opinion et les projets de mobilisation communautaires ont obtenu les meilleurs rapports de rentabilité. Les autres interventions étudiées peuvent s’avérer rentables si la prévalence de la maladie est très élevée (c’est-à-dire près de 0,2). L’étude a également montré que les programmes de prévention scolaire et les autres initiatives ciblant les jeunes sont probablement peu rentables principalement en raison de la faible prévalence des infections au VIH dans ce groupe (Cohen et coll., 2004).

Promotion d’une saine alimentation et de l’activité physique. Les facteurs liés au mode de vie, tels que l’alimentation, l’activité physique, le tabagisme et la consommation d’alcool sont des éléments moteurs clés de bien des maladies chroniques qui représentent un fardeau au Canada comme ailleurs. Par exemple, le Fonds mondial de recherche contre le cancer, en collaboration avec l’American Institute for Cancer Research, a estimé qu’au bas mot 25 pour cent de tous les cas de cancer pourraient être évités seulement par l’adoption d’une meilleure alimentation et la pratique de plus d’activités physiques (voir la figure 3; FMRC/AICR, 2009).

Estimations quant à la possibilité de prévenir divers types de cancer par une bonne alimentation, l’activité physique et la réduction des graisses corporelles dans deux pays(Source : FMRC/AICR, 2009.)

Figure 3 : Estimations quant à la possibilité de prévenir divers types de cancer par une bonne alimentation, l’activité physique et la réduction des graisses corporelles dans deux pays (Source : FMRC/AICR, 2009.)

Équivalent textuel - Figure 3

Figure 3 : Estimations quant à la possibilité de prévenir divers types de cancer par une bonne alimentation, l’activité physique et la réduction des graisses corporelles dans deux pays (source : FMRC/AICR, 2009)

Cette figure indique qu’aux États-Unis, les estimations quant à la possibilité de prévenir les cancers courants sont d’environ 38 % pour le cancer du sein, 45 % pour le cancer colorectal, 70 % pour le cancer de l’endomètre, 63 % pour les cancers de la bouche, du pharynx et du larynx et 69 % pour le cancer de l’œsophage. Les estimations sont essentiellement les mêmes pour le Royaume-Uni, soit environ 42 % pour le cancer du sein, 43 % pour le cancer colorectal, 56 % pour le cancer de l’endomètre, 67 % pour les cancers de la bouche, du pharynx et du larynx et 75 % pour le cancer de l’œsophage.

Compte tenu des avantages potentiellement non négligeables d’un mode de vie sain sur la santé des populations, la compréhension des coûts et des retombées des interventions de promotion de la santé axées sur le mode de vie est l’une des principales priorités de la recherche et de l’établissement de politiques. Bien que, dans l’ensemble, les résultats d’évaluations économiques dans le domaine demeurent rares, plusieurs études ont récemment examiné la rentabilité des interventions visant à promouvoir l’alimentation saine et l’activité physique.

Lors d’une de ces études, Dalziel et Segal (2007) ont modélisé le rendement économique de huit interventions d’ordre nutritionnel en Australie allant de conseils de médecins à des campagnes nationales de « marketing social ». Toutes se sont avérées économiquement efficaces et ont obtenu des rapports de rentabilité de 46 à 14 800 $ US (par divers résultats sur la santé, p. ex., l’augmentation de points de pourcentage chez les personnes consommant plus de cinq portions de fruits et de légumes par jour, la perte de poids en kilogrammes, etc.). Ces résultats ont soutenu la comparaison avec d’autres options utilisées couramment pour prendre en charge les facteurs de risque associés à l’obésité, y compris les médicaments pour réduire l’hypertension et le cholestérol.

Roux et ses collaborateurs (2008) ont réalisé une analyse de rentabilité à vie d’un point de vue sociétal concernant sept interventions de santé publique visant à réduire le risque relatif de maladies chroniques par l’amélioration de l’activité physique. Ces interventions comprennent des campagnes communautaires, des programmes personnalisés de changement de comportements liés à la santé et des projets d’amélioration de l’accès à l’information sur l’activité physique et aux activités elles-mêmes. Il a été observé que toutes les interventions contribuent à diminuer la fréquence de la maladie ainsi qu’à améliorer la survie et la qualité de vie liée à la santé. De plus, les meilleurs résultats de santé en découlant étaient généralement rentables et ont obtenu des rapports de 14 000 à 69 000 $ US par année de survie ajustée pour la qualité de vie.

C.  Exemples de protection de la santé

Programmes de vaccination. La vaccination, universellement recommandée, a été saluée comme étant l’une des « dix plus grandes réalisations en santé publique du 20e siècle » et aurait sauvé un plus grand nombre de vies que toute autre intervention en santé (CDC, 1999; ASPC, n. d.). Bon nombre de programmes de vaccination, particulièrement ceux prévus de façon standard pendant l’enfance, sont très rentables et, dans certains cas, permettent de réduire les coûts pour le secteur de la santé.

Par exemple, dans le cadre d’une étude menée pour le British Columbia Clinical Prevention Policy Review Committee, dont les résultats n’ont pas été publiés, des chercheurs canadiens ont évalué la rentabilité du programme de vaccination contre la grippe offert aux personnes âgées de 50 ans et plus et le fardeau qu’il représente auprès d’une cohorte hypothétique de résidents de la Colombie-Britannique. Ils ont calculé qu’une telle intervention entraînerait en un gain de 3 300 années de survie ajustée pour la qualité de vie au coût favorable par année de survie ajustée pour la qualité de vie de 11 900 $, la plaçant ainsi parmi les meilleurs services cliniques au chapitre de l’efficacité et de la rentabilité (H. Krueger et associés, 2008a).

Ces résultats sont comparables à ceux d’une plus vaste étude américaine de laquelle se sont inspirés les chercheurs pour établir leur méthodologie (Maciosek et coll., 2006b). Cette étude, menée sur une cohorte de naissance de quatre millions de résidents des États-Unis, a conclu que les vaccins contre la grippe inoculés aux personnes âgées de 50 ans et plus préviendraient 2,64 millions de cas de grippe, 180 000 hospitalisations et 40 500 décès pendant la durée de vie de la cohorte. Il en résulte 275 000 années de survie ajustée pour la qualité de vie gagnées au coût net annuel moyen de 1,5 milliard de dollars américains (en dollars de 2000), produisant un rapport de rentabilité différentiel de 5 800 $ par année de survie ajustée pour la qualité de vie (28 000 $ par année de survie ajustée pour la qualité de vie chez les sujets âgés de 50 à 64 ans et de 980 $ par année de survie ajustée pour la qualité de vie chez ceux ayant 65 ans et plus).

Un autre domaine d’intérêt pour les professionnels de la santé publique et les décideurs est la vaccination contre le virus du papillome humain (VPH). Le VPH est l’une des infections transmises sexuellement les plus courantes au Canada; en effet, environ 75 pour cent des Canadiens actifs sexuellement risquent de contracter au moins un type d’infection par le VPH durant leur vie. Le virus intervient dans presque tous les cas de cancer du col de l’utérus et est lié à d’autres affections, telles que les verrues génitales. L’introduction du test de Pap a entraîné une réduction de la fréquence et de la mortalité des cas de cancer du col de l’utérus dans les pays développés. Quoi qu’il en soit, ce type de cancer reste le troisième plus fréquent chez les Canadiennes âgées de 20 à 49 ans; chaque année, approximativement 1 400 nouveaux diagnostics sont posés et 400 décès y sont attribuables (SCC/INCC, 2006).

Au Canada, la vaccination contre les deux principaux types de VPH causant un cancer et les deux autres responsables des verrues génitales est recommandée chez les filles et les femmes de 9 à 26 ans (Comité consultatif national de l’immunisation, 2007). Toutefois, elle n’est actuellement pas conseillée aux filles de moins de 9 ans, aux hommes et aux femmes enceintes en raison d’un manque de preuves de son efficacité chez ces groupes.

Étant donné que les programmes de vaccination nationaux contre le VPH sont relativement nouveaux et que certaines incertitudes quant à son efficacité et à la durée de l’immunité subsistent, leur rentabilité à long terme doit encore être étudiée (Morris et Nguyen, 2008). La plupart des recherches réalisées jusqu’à maintenant ont plutôt employé des techniques de modélisation pour simuler les répercussions économiques de ces programmes. Ces études ont généralement conclu que le vaccin contre le VPH est rentable comparativement aux méthodes utilisées actuellement (p. ex., H. Krueger et associés, 2008b; Newall et coll., 2007). Une étude canadienne, ayant pris en compte les coûts financiers pour le système de la santé, a calculé un rapport de rentabilité de 20 500 $ par année de survie ajustée pour la qualité de vie dans l’éventualité où la protection conférée par le vaccin dure pendant toute la vie de la patiente et de 64 500 $ par année de survie ajustée pour la qualité de vie si cette protection se maintient pendant 30 ans (Brisson et coll., 2007). Une autre étude canadienne a évalué la rentabilité de trois programmes de vaccination scolaire contre le VPH : (1) l’inoculation du vaccin aux filles âgées de 14 ans; (2) la vaccination des filles de 11 ans et (3) un programme combiné de vaccination des filles de 11 et 14 ans d’une durée de 3 ans, suivi de l’injection à l’âge de 11 ans seulement. Comparativement au dépistage, les stratégies se sont toutes les trois montrées également rentables à un rapport de 24 530 $ CAN par année de survie ajustée pour la qualité de vie chez les filles de 14 ans, de 24 945 $ par année de survie ajustée pour la qualité de vie chez celles de 11 ans et de 25 417 $ par année de survie ajustée pour la qualité de vie dans le cas du programme combiné (Marra et coll., 2007; cité par le Comité consultatif national de l’immunisation, 2008).

Lutte contre le tabagisme. Les restrictions concernant la vente de produits du tabac et l’interdiction de fumer dans certains endroits sont deux des initiatives réglementaires en matière de santé publique les mieux établies du Canada. Elles ont aidé à établir la réputation du pays comme l’un des leaders mondiaux dans le domaine de la lutte contre le tabagisme. En général, la rentabilité de ce type d’interventions préventives a également été encourageante.

Par exemple, Rasch et Greiner (2008) ont décrit, dans leur analyse de la rentabilité de diverses mesures visant à prévenir le tabagisme chez les jeunes, une étude de simulation modélisant la rentabilité d’un renforcement de l’interdiction de vendre des produits du tabac aux adolescents américains. Même dans les scénarios les plus pessimistes, prenant en compte les estimations les plus élevées de mesures additionnelles et les coûts relatifs ainsi que les attentes raisonnables les plus faibles quant aux retombées sur les taux de tabagisme, ont produit un rapport de rentabilité de 3 100 $ US par année de survie gagnée. Les hypothèses moyennes ont été associées à des rapports de 260 à 1 100 $ US par année de survie gagnée.

L’interdiction de fumer dans les lieux de travail est une autre intervention courante. Ces politiques peuvent être doublement avantageuses sur le plan de la protection de la santé, car elles permettent aux employés non‑fumeurs d’évoluer dans un milieu sans fumée tout en encourageant les fumeurs à réduire leur consommation de tabac ou à cesser de fumer (Moher et coll., 2005). Lors d’un examen systématique de 26 études menées au Canada, aux États-Unis, en Australie et en Allemagne, Fichtenberg et Glantz (2002) ont découvert que les interdictions de fumer dans tous les milieux de travail ont entraîné une réduction de 3,8 pour cent de la prévalence du tabagisme et d’une diminution absolue de 3,1 cigarettes fumées par jour par personne ayant continué de fumer. Ces résultats se traduisent, sur une base individuelle (fumeurs et non-fumeurs combinés), par une réduction relative de 29 pour cent du nombre total de cigarettes consommées par les employés, un effet à peu près équivalent à une augmentation du prix des cigarettes de 73 pour cent.

D’autres recherches suggèrent que même les légères réductions du tabagisme attribuables aux interdictions de fumer dans les milieux de travail sont efficaces économiquement, particulièrement en raison des faibles coûts associés à la mise en œuvre des politiques (p. ex., Lightwood et Glantz, 1997; Lightwood et coll., 1999). À titre d’exemple, citons le fait que les lieux de travail où il est interdit de fumer semblent être rentables même comparativement aux traitements de remplacement de la nicotine, qui sont reconnus pour leur grande rentabilité. Selon une étude américaine, il a été estimé qu’un programme national de traitement de remplacement de la nicotine gratuit générerait un rapport de rentabilité de 4 440 $ par année de survie ajustée pour la qualité de vie, c’est-à-dire un rapport neuf fois plus élevé que celui associé à la mise en œuvre d’une politique d’interdiction de fumer dans les lieux de travail (506 $ par année de survie ajustée pour la qualité de vie; Ong et Glantz, 2005).

4.1.2 Un sous-ensemble d’interventions préventives en santé permet au système de santé de faire des économies

Certaines interventions préventives en santé offrent une valeur économique particulièrement élevée pour les payeurs des services de santé (dans le contexte canadien, il s’agit principalement du système de santé publique, représentant à la fois les secteurs des soins de santé et de la santé publique), puisque la valeur des ressources du système de santé épargnées grâce à la prévention de maladies et de blessures (qui ainsi peuvent être destinées à d’autres usages) excède celle des ressources nécessaires à la mise en œuvre de ces interventions1. Il est important de noter que cette perspective ne considère que les coûts directs associés à la prestation de services de santé relatifs à la prévention, au diagnostic et au traitement de maladies (p. ex., les services préventifs communautaires en santé, les médicaments, les services ambulanciers, les soins aux patients hospitalisés ou en consultation externe, la réadaptation, etc.). Des coûts substantiels publics et privés, engendrés par des personnes et des organisations se trouvant à l’extérieur du secteur officiel de la santé, sont souvent exclus des calculs.


1 Bien que la documentation sur la santé publique décrive habituellement de telles interventions comme des économies, cette qualification comporte un sens beaucoup plus précis dans les domaines de la gestion et de la comptabilité, où elle réfère à une réduction tangible des résultats financiers nets qui donnent lieu à des économies pouvant être retirées du budget ou réinvesties ailleurs. En revanche, un second type de limitation des coûts, moins tangible, appelé « évitement des coûts », renvoie à des mesures qui n’apparaissent pas dans les résultats nets immédiats, mais les touchent de façon matérielle en réduisant ou en prévenant des coûts futurs. Les évitements des coûts deviennent souvent des économies au fil du temps (Ashenbaum, 2006). Comme les études d’évaluation économique des interventions préventives en santé ne font généralement pas de distinction entre les économies et l’évitement des coûts, le terme « économie » sera employé dans le présent document dans son sens général.


Voici quelques exemples d’interventions qui ont constamment démontré leur capacité de générer des économies pour le système de santé :

  • La consultation clinique répétée en matière de cessation du tabagisme est perçue comme l’un des services préventifs les plus importants sur le plan clinique et permettant la meilleure optimisation des ressources qui soit dans le domaine médical (Maciosek et coll., 2006a). Elle a été classée lors d’une analyse canadienne récente comme prioritaire parmi les services cliniques préventifs efficaces compte tenu du fardeau qu’elle permet de prévenir (H. Krueger et associés, 2008a). Une étude de modélisation menée aux États-Unis a également conclu que la mise en œuvre nationale de cette intervention pourrait épargner 2,5 millions d’années de survie ajustée pour la qualité de vie annuellement tout en permettant d’économiser 500 $ US par fumeur qui reçoit ce service, en grande partie en raison des économies découlant de la prévention des maladies liées au tabagisme (Solberg et coll., 2006).
  • Herbst et ses collègues (2007) ont résumé les évaluations économiques de diverses interventions visant à réduire les risques comportementaux liés au VIH destinées à des groupes ou à des collectivités d’hommes homosexuels américains. Dans l’ensemble, il a été démontré que les interventions incluant des ateliers de formation cognitivocomportementale ou axée sur les compétences pour les petits groupes tout comme les interventions communautaires comprenant des programmes de leaders pour les pairs génèrent des économies nettes importantes pour le système de santé, principalement parce que les coûts de traitement des infections au VIH et du sida sont bien supérieurs à ceux des programmes de prévention de la maladie.
  • En utilisant les données d’études de cas canadiennes, une analyse récente des retombées économiques des programmes d’échange de seringues visant à réduire le risque d’infection au VIH chez les utilisateurs de drogues injectables a déterminé que ces mesures peuvent prévenir approximativement 24 cas sur une période de 5 ans et qu’elles génèrent donc un rapport économie-coût en soins de santé total de 4 pour 1 (Delgado, 2004). Les données internationales corroborent le potentiel de ces programmes d’échange et d’autres projets connexes (Wodak et Cooney, 2006).
  • Le Department of Human Services (2006), à Victoria, en Australie, a évalué la rentabilité de 13 interventions de réduction de l’obésité chez les enfants et les adolescents et a révélé que six d’entre eux permettaient très bien d’optimiser les ressources (c’est-à-dire qu’elles généraient des économies). Ceux-ci comptaient, entre autres, des programmes scolaires de réduction des heures de télévision et de la consommation de boissons gazeuses, des programmes familiaux ciblant les enfants obèses et des interdictions partielles de diffusion de publicités sur les aliments malsains pendant les émissions pour enfants. Cette dernière mesure a été jugée comme ayant toutes les chances de permettre des économies, qui pouvaient aller jusqu’à 300 millions de dollars australiens.
  • La réglementation rendant obligatoires l’installation et l’utilisation de ceintures de sécurité pour le conducteur et le passager avant des voitures a toujours été associée à des économies, même lorsque les taux d’observance sont modestes (p. ex., 50 pour cent; Graham et coll., 1997), car la mise en œuvre de politiques semblables est liée à une forte efficacité en matière de protection de la santé et à des coûts relativement bas (Grosse et coll., 2007).

Toutefois, les interventions générant des économies ne constituaient en général qu’une faible proportion, indiquant que les interventions préventives en santé ne permettent pas, en général, aux payeurs d’épargner de l’argent. Ces résultats sont comparables à ceux de recherches antérieures (p. ex., Coffield et coll., 2001; Cohen et coll., 2008; Doubilet et coll., 1986; Grosse, 2005; Russell, 1986 et 2007).

Différentes opinions ont été exprimées pour expliquer cette situation. D’abord, parce qu’il est impossible de savoir avec certitude quels membres d’un groupe donné seront atteints par la maladie en question, les programmes de prévention destinés à la population sont invariablement offerts à un plus grand nombre de personnes que celles qui en bénéficieront réellement (Woolf, 2008). Deuxièmement, comparativement aux bienfaits immédiats d’un traitement thérapeutique (c’est-à-dire le soulagement, voire l’éradication, d’une maladie actuelle et tangible), les avantages de la prévention d’une maladie (c’est-à-dire la possibilité d’éviter une maladie probable et future ou d’en atténuer la gravité) ne sont souvent pas associés à un sentiment d’urgence qui provoque un engagement soutenu envers des mesures préventives, particulièrement lorsqu’un changement de comportement personnel est demandé (Hagberg et Lingstrom, 2005). Par conséquent, la plupart des programmes préventifs en santé ne sont que partiellement efficaces et nécessitent des efforts intensifs et répétés pour obtenir les mêmes résultats. Enfin, certaines interventions préventives produisant des résultats peuvent entraîner à long terme des dépenses contre-intuitives, sinon supérieures, pour le système de santé si les économies réalisées par la prévention d’une maladie potentiellement mortelle à court terme sont englouties par la nécessité de traiter plus de maladies coûteuses qui pourraient accompagner la prolongation de la durée de vie (van Baal et coll., 2008).

Il est important de reconnaître que ces arguments ne tentent pas de miner les efforts publics actuels en santé, mais de souligner le fait que la prévention et la réduction de la maladie et des blessures ainsi que la promotion de la santé constituent des objectifs sociaux légitimes qui, en eux-mêmes, justifient les mesures entreprises. Les interventions permettant des économies sont clairement préférables étant donné que toutes les autres sont équivalentes, mais la capacité de produire des économies nettes ne peut être considérée comme un préalable pour fournir du soutien, puisque ce critère exclurait la grande majorité des traitements médicaux et des mesures préventives actuellement offerts. Pour ne citer qu’un seul exemple, bon nombre de programmes de dépistage de maladies métaboliques ou d’autres affections chez les nouveau-nés ne génèrent pas d’économies pour le système de santé, mais sont néanmoins perçus par la société comme un net avantage et sont donc soutenus pour ces raisons (Grosse, 2005).

De plus, il serait erroné d’interpréter l’échec de certaines interventions préventives à démontrer une capacité universelle, ou même générale, de produire des économies nettes pour le système de santé comme une inaptitude générale à contribuer à la durabilité à long terme du système de soins de santé. Elles possèdent en fait un fort potentiel du point de vue de l’efficacité économique. Les interventions en santé ne doivent pas réduire les résultats financiers nets pour générer une valeur.

Dans la mesure où l’amélioration de la santé « coûte trop cher » au système de santé actuel, comme le suggèrent les dépenses sans cesse croissantes et les préoccupations grandissantes au sujet de la pérennité du système, la situation reflète un problème d’inefficacité qui exige une allocation plus judicieuse des fonds afin de réduire les dépenses générales par unité de santé gagnée (Woolf, 2008). Comme Woolf et ses collaborateurs le soulignent (2009, p. 4), « à l’aide d’un gros volume, beaucoup plus peut être accompli en limitant les dépenses pour des services coûteux et de relativement peu de valeur et en investissant plutôt ces fonds dans des services de grande valeur qui peuvent générer des améliorations de la santé plus importantes ou comparables, à moindre coût ». En d’autres termes, les contributions prometteuses au chapitre de la viabilité à long terme du système de santé ne résident pas dans le fait de réaliser des économies à tout prix, mais plutôt dans la recherche d’une amélioration progressive de la rentabilité relative de leur rendement cumulatif.

Les données des évaluations économiques dont il a été question précédemment suggèrent fortement qu’une transposition stratégique des dépenses vers les mesures préventives en santé peut permettre d’y arriver. De nombreuses interventions thérapeutiques pratiquées en contexte clinique présentent de faibles rapports de rentabilité (voir la figure 4). Dans bien des cas, tout en étant loin de les concerner tous, les résultats sur la santé des mesures thérapeutiques peuvent être obtenus plus efficacement au moyen de la prévention des maladies et des stratégies de promotion de la santé. Dans d’autres cas, les traitements l’emportent sur les mesures prophylactiques et s’avèrent la solution la plus efficace et la plus rentable. Le but n’est pas d’opposer les deux stratégies, mais de reconnaître qu’elles ont toutes deux pour objectif d’améliorer la santé. Conséquemment, dans la mesure où les perspectives économiques sont prises en compte lors de l’allocation des ressources du secteur de santé, on peut s’attendre à ce que les interventions qui permettent de mieux optimiser les ressources soient favorisées. Un nouvel élan est ainsi fourni pour l’utilisation d’évaluations économiques constantes et approfondies pour toutes les interventions du secteur de la santé, tant préventives que thérapeutiques.

Coût par année de survie ajustée pour la qualité de vie gagnée pour certaines interventions de promotion de la santé et de soins de santé (Source : D’après Shiell et MacIntosh, 2006, p. 25.

Figure 4 : Coût par année de survie ajustée pour la qualité de vie gagnée pour certaines interventions de promotion de la santé et de soins de santé (Source : D’après Shiell et MacIntosh, 2006, p. 25.)

Équivalent textuel - Figure 4

La figure 4 montre le coût, en dollars américains de 2002, par QALY gagnée grâce à six interventions de promotion de la santé (PS) et six interventions de soins de santé (SS). Les coûts croissants par QALY gagnée pour toutes les interventions sont les suivants : distribution de condoms (PS) – 115 800 $; polythérapie contre l’hépatite C (SS) – 260 $; programme de prévention du suicide (PS) – 460 $; lobectomie avec résection-anastomose bronchique dans les cas de cancer du poumon (SS) – 1 000 $; utilisation de timbres de nicotine chez les hommes âgés de 25 à 29 ans (PS) – 5 700 $; transplantation cœur-poumons dans les cas d’hépatopathie terminale (SS) – 31 000 $; prévention des toxi-infections alimentaires ménagères (PS) – 42 000 $; vaccination ciblée contre la maladie de Lyme (PS) – 69 000 $; endartériectomie carotidienne à la suite d’un accident ischémique transitoire (SS) – 73 000 $; traitement de l’hypertension chez les femmes âgées de moins de 45 ans (SS) – 110 000 $; intervention relative aux comportements sexuels ou à l’utilisation du condom (PS) – 140 000 $; traitement d’une forme rémittente progressive de sclérose en plaques par l’interféron comparativement au médicament courant (SS) – 150 000 $. Dans l’ensemble, certaines formes d’intervention de promotion de la santé sont moins coûteuses que les soins de santé, d’autres non. Certaines interventions semblent rentables, mais coûtent cher à mettre en œuvre.  Pour d’autres, le coût moyen par QALY est plus élevé, mais la mise en œuvre est moins onéreuse.

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4.1.3 La rentabilité d’une intervention dépend fortement du contexte

La rentabilité d’une intervention ou sa capacité à produire des économies dépend de variables contextuelles clés liées au temps et au lieu. Sculpher et ses collègues ont décelé 26 facteurs (2004, p. 10) qui peuvent causer une variabilité de la rentabilité selon le lieu, y compris la composition, la culture ou l’attitude et les données démographiques de la clientèle ainsi que l’expérience et l’ensemble des compétences du professionnel de la santé. Welte et ses collaborateurs (2004) ont présenté une liste semblable de 14 « facteurs de transférabilité » à prendre en considération lors de l’application des résultats d’une évaluation économique dans divers contextes nationaux.

Dans certains cas, les interventions qui sont considérées rentables ou associées à des économies à un moment donné et dans un contexte donné peuvent ne pas l’être si elles sont mises en œuvre auprès d’un plus grand groupe ou dans d’autres circonstances. Par exemple, les analyses économiques menées jusqu’à maintenant ont généralement fourni d’importantes données empiriques sur les économies nettes des programmes de vaccination mondialement recommandés, particulièrement lorsque les vaccins sont inoculés en bas âge (Ortega-Sanchez et coll., 2008; Zhou et coll., 2005). Toutefois, même les vaccins qui produisent en moyenne de grandes économies peuvent obtenir un moindre rendement financier lorsqu’un plus grand pourcentage de personnes ciblées est immunisé et que des efforts additionnels sont requis pour convaincre les patients les plus marginaux. De façon comparable, dans le cadre d’une étude pendant laquelle une analyse documentaire a été réalisée afin de déterminer les paramètres économiques de l’inoculation du vaccin contre le VPH chez des femmes de différents groupes d’âge, les chercheurs ont observé que la rentabilité chutait lorsque les groupes d’âge augmentaient : 43 600 $ par année de survie ajustée pour la qualité de vie gagnée pour la vaccination des filles de 12 ans; 97 300 $ par année de survie ajustée pour la qualité de vie si le programme est étendu aux femmes de 18 ans; 120 400 $ par année de survie ajustée pour la qualité de vie à l’inclusion des femmes de 21 ans et 152 700 $ par année de survie ajustée pour la qualité de vie si les femmes de 26 ans sont prises en compte (Kim et Goldie, 2008).

Inversement, des interventions qui ne sont pas rentables dans un contexte peuvent le devenir dans un autre. Dans certains cas, cela peut être réalisé en ciblant des groupes précis, tels que ceux composés de personnes présentant un risque élevé (Dalziel et Segal, 2007; Woolf et coll., 2009). Dans d’autres, l’intervalle de temps durant lequel les avantages et les conséquences de l’intervention sont observés doit être prolongé. Par exemple, au cours d’une étude de simulation d’interventions communautaires visant à promouvoir l’activité physique, la réduction de l’intervalle de temps analysé de 40 à 10 ans a généré un rapport coût-année de survie ajustée pour la qualité de vie cinq fois plus élevé, c’est-à-dire une augmentation de 27 000 $ US à 147 000 $ US par année de survie ajustée pour la qualité de vie (dollars de 2003; Roux et coll., 2008). Autrement dit, l’intervention en question serait généralement considérée rentable en étant mise en oeuvre pendant une période de 40 ans, mais non rentable au cours d’une période de 10 ans.

En général, la nature d’une intervention préventive en santé ou les caractéristiques du groupe ciblé détermineront si l’intervention pourra faire économiser de l’argent aux payeurs ou si elle sera jugée comme étant un investissement raisonnable pour le système de santé ou la société. Il est déconseillé de supposer la rentabilité d’une intervention ou sa capacité à générer des économies dans un contexte local donné en se basant sur la mise en œuvre et de l’évaluation d’un programme semblable dans un autre cadre tout comme il serait inapproprié de généraliser les résultats obtenus pour une intervention à toutes les formes de mesures préventives (Anderson, 2009). L’évaluation de la possibilité d’optimiser les ressources à l’aide d’une intervention donnée dans un endroit et à un moment précis doit se faire au cas par cas.

4.2 Recueillir des données : manque de connaissances essentielles en matière d’évaluation des mesures de santé préventive

4.2.1 Les évaluations économiques ne sont pas appliquées uniformément à tous les types de prévention

À ce jour, l’application des évaluations économiques aux activités de prévention s’est révélée inconstante à au moins deux niveaux : premièrement, les évaluations ne sont pas effectuées également pour tous les types de prévention et deuxièmement, la conception et les résultats des recherches sont de qualité variable.

Tout d’abord, les évaluations économiques des mesures de santé publique ne s’appliquent pas également à tous les types de prévention, puisqu’elles se concentrent principalement en prévention clinique. On trouve aussi d’autres recherches dans certains domaines de protection de la santé. En revanche, les mesures de promotion de la santé ont fait l’objet de relativement peu d’évaluations économiques, et encore moins de chercheurs se sont penchés sur les économies potentielles ou le rapport coût-efficacité des mesures relatives aux déterminants « en amont » dans le secteur de la santé.

Les inégalités relevées dans la documentation actuelle sur les évaluations économiques correspondent aux résultats obtenus lors d’examens préalables des données (Carande-Kulis et coll., 2000; Goldsmith et coll., 2004; Ramsey, 2000; Rush et coll., 2004). Par exemple, dans leur recensement de 2002 des évaluations économiques qui portaient sur les mesures de prévention primaire visant à préserver la santé de la population, des chercheurs de l’Université de Calgary ont découvert que près de 90 pour cent des 414 évaluations étudiées traitaient des facteurs de risque biologiques ou comportementaux « en aval », et seulement 10 pour cent des déterminants environnementaux, sociaux et économiques « en amont ». En ce qui a trait à la promotion de la santé, près des trois quarts des évaluations économiques mentionnées portaient sur les efforts de prévention clinique ou l’acquisition de compétences personnelles, tandis que le cinquième seulement ciblait la création de milieux favorables. Aucune évaluation économique de mesures visant à établir des politiques de santé publique n’a été relevée (Rush et coll., 2004).

L’utilisation relativement sporadique des analyses d’évaluations économiques pour les mesures de santé préventive « en amont » est liée en partie à la multitude d’enjeux conceptuels et méthodologiques associés à l’évaluation économique de ces initiatives plutôt complexes. Voici certains des principaux enjeux :

  • cerner, isoler et quantifier les coûts et les avantages économiques de mesures complexes et souvent polyvalentes dont les effets s’étendent fréquemment à plusieurs domaines sociaux;
  • adopter une vision suffisamment durable pour saisir ou supposer toute la portée des avantages, y compris ceux qui peuvent nécessiter plus d’une génération pour se manifester;
  • distinguer la causalité et la confusion générées par les interactions entre les facteurs de risque génétiques, biologiques et comportementaux pertinents et les conditions de risque sociales, économiques et environnementales;
  • gérer les problèmes susmentionnés dans des situations où la mesure étudiée, qui peut même être appelée à changer explicitement, survient dans un contexte ou un système lui-même caractérisé par sa complexité (Shiell et coll., 2008).

En plus d’être appliquées de façon sporadique, les données existantes sont marquées par la diversité des méthodes d’étude et des mesures des résultats ainsi que par un écart considérable dans la qualité des recherches. Ces facteurs minent la confiance pour ce qui est de la validité des résultats des évaluations économiques ainsi que de la capacité de comparer les différentes mesures et les différents contextes, ce qui limite, en définitive, l’utilité des données pour les décideurs et les praticiens.

Conscients de cette lacune, les chercheurs ont demandé que soient menées des évaluations économiques mieux coordonnées et plus rigoureuses dans de nombreux domaines de santé préventive (p. ex., Hawthorne et coll., 2008; Pomerleau et coll., 2005; Priest et coll., 2008; Vijgen et coll., 2006; Waddell et coll., 2007; Wall et coll., 2006). Il est nécessaire d’investir davantage dans les évaluations économiques afin de mieux cerner les mesures de santé préventive les plus rentables pour atteindre les objectifs des programmes.

4.2.2 Dans de nombreux cas, l’efficacité des mesures de santé préventive dans leurs programmes n’a pas été évaluée

S’il manque des données rigoureuses et systématiques sur le rapport coût-efficacité de nombreuses mesures de santé préventive « en amont », on dénote aussi une insuffisance de données sur l’efficacité de nombreuses autres mesures dans leur propre programme ou politique (Task Force on Community Preventive Services, 2009; Wanless, 2004). Ce manque de connaissances plus fondamentales est également imputable, dans une certaine mesure, aux enjeux méthodologiques qui surviennent invariablement lorsqu’on tente d’isoler et de quantifier les divers liens de causalité dans les mesures communautaires (Dooris et coll., 2007; Rychetnik et coll., 2002), notamment en raison du fait que bon nombre de ces mesures, qui ciblent des facteurs de risque médians et en amont, entraînent souvent d’autres avantages (de santé ou autres) en plus de ceux qui font l’objet de l’étude principale. Il est important de tenir compte de tous les éléments de valeur dans les évaluations des programmes pour déterminer correctement l’efficacité et le rapport coût-efficacité de ces types de mesures.

Le Pédibus (ou « autobus pédestre »), un moyen de transport actif et sûr pour les enfants d’âge scolaire qui a été adapté à des quartiers au Royaume-Uni, en Australie, en Nouvelle-Zélande, en Europe et en Amérique du Nord, en est la preuve. Lors de son évaluation d’un programme Pédibus local, effectué dans le cadre d’un examen de 13 mesures ciblant l’obésité, le ministère des Services sociaux de Victoria, en Australie, a conclu que l’initiative présentait une efficacité limitée et qu’elle n’offrait donc pas « un rapport coût-efficacité avantageux selon les postulats actuels » (ministère des Services sociaux, 2006 [traduction libre]). En revanche, Shiell (2007) observe que de nombreux avantages potentiels du programme, outre ceux visant à réduire l’obésité, ont été relevés, mais ignorés dans le cadre de l’évaluation : réduction de la congestion et de la pollution, augmentation des occasions de rencontrer des amis et des voisins, meilleure connaissance des quartiers voisins, sens accru de la communauté, amélioration des aptitudes des piétons, diminution des accidents de la route, augmentation de l’activité physique et amélioration des habitudes en matière d’exercices. Par conséquent, la valeur sociale générale de l’initiative demeure plutôt nébuleuse, rendant ainsi prématurée toute conclusion sur son efficacité et son rapport coût-efficacité.

La démonstration du rapport coût-efficacité d’une mesure de santé préventive est peu susceptible de convaincre les décideurs de sa valeur, à moins de prouver d’abord qu’elle atteint efficacement les objectifs en matière de santé pour lesquels elle a été conçue. Les données sur l’efficacité doivent être recueillies de façon empirique plutôt que d’être simplement présumées, particulièrement si l’on tient compte du fait que certaines d’entre elles peuvent non seulement être inefficaces, mais aussi dangereuses pour la santé (Adam et White, 2005; Shiell et McIntosh, 2006). En effet, le protocole adopté par le Taskforce on Community Preventive Services des États-Unis pour ses évaluations systématiques des programmes de prévention auprès de la population nécessite que l’efficacité des mesures soit démontrée avant d’en étudier les aspects économiques. Ainsi, un des principaux enjeux à l’amélioration des connaissances sur les facteurs économiques des mesures de santé préventive consiste d’abord à mieux connaître l’efficacité des mesures complexes pour lesquelles ces données n’existent actuellement pas en nombre suffisant (Zechmeister et coll. 2008).

Parallèlement, des risques sont associés à l’établissement d’un lien de dépendance entre la mise en place de mesures de santé préventive, particulièrement celles liées à la promotion de la santé et aux politiques de santé publique, et la disponibilité de données complètes qui prouvent le rapport coût-efficacité, notamment si l’on tient compte du fait qu’il est nécessaire d’agir dans ces domaines relativement négligés pour générer de telles données (Goldsmith et coll. 2004). Il devient urgent d’investir dans ces types de mesures et d’y intégrer des mécanismes d’évaluation rigoureux afin de repérer les initiatives les plus prometteuses. L’évaluation des projets de démonstration et l’adoption fortuite de « mesures » liées à des politiques et à des programmes sont deux mécanismes potentiels pour alimenter ce cycle répétitif d’actions et de connaissances.

4.3 Élargir la portée des données : les avantages économiques d’une bonne santé dans les domaines autres que la santé

La plupart des travaux de recherche et analytiques existants sur les évaluations économiques ont été effectués du point de vue du système de santé, en tentant de déterminer si la prévention est économique (situation idéale) ou si elle permet à tout le moins une distribution plus efficace des ressources de façon à pouvoir « acheter » plus de santé avec les niveaux de financement actuels.

De plus en plus, les chercheurs tentent d’élargir la portée de leurs travaux en tenant plus explicitement compte des avantages économiques potentiels pour la société d’une bonne santé globale, indépendamment des répercussions sur les dépenses en santé. En effet, les pratiques exemplaires actuelles en matière d’évaluation économique demandent l’adoption d’une telle approche sociétale, y compris les avantages économiques associés au fait d’éviter des coûts indirects ou, à l’opposé, d’augmenter les gains indirects (Weinstein et coll., 1996). Bloom et Canning (2000) ont soulevé quatre secteurs où une population en meilleure santé peut contribuer à la croissance microéconomique (c’est-à-dire des gains économiques sur le plan personnel et celui des ménages) :

  • productivité de la main-d’œuvre (c.-à-d. population active plus efficace, ce qui entraîne une augmentation des salaires et des revenus);
  • offre de main-d’œuvre (c.-à-d. appartenance prolongée à la population active en raison d’une meilleure santé à tous les stades de la vie ainsi que diminution du besoin de libérer de la main-d’œuvre pour prendre soin de personnes à charge malades);
  • formation (c.-à-d. meilleur développement cognitif ainsi que réduction de l’absentéisme scolaire et des taux de décrochage précoce, facteurs qui contribuent tous à l’atteinte d’un degré de scolarité supérieur et à l’amélioration des occasions d’épanouissement);
  • économies et investissements (c.-à-d. augmentation des économies en vue de la retraite ou des investissements dans le capital physique en raison d’une espérance de vie plus longue que prévu).

D’autres chercheurs ont d’ailleurs fait valoir que les programmes de développement communautaires, en tant qu’élément clé des activités de promotion de la santé (OMS, 1986), peuvent entraîner de nombreux avantages sociaux intéressants susceptibles d’avoir des conséquences sur le plan économique (p. ex., renforcement des capacités, cohésion, « empowerment », etc.) qui doivent également être pris en considération (Shiell et Hawe, 1996).

En outre, on a avancé que, compte tenu de toutes ces contributions économiques, une population en meilleure santé pourrait générer des taux de croissance macroéconomique supérieurs à ceux enregistrés par une population en relativement moins bonne santé (Suhrcke et coll., 2006; Suhrcke et coll., 2007). La plupart de ces recherches en sont encore à leurs balbutiements et portent principalement sur les pays en voie de développement, dans le cadre de travaux plus larges visant à placer la santé au cœur des programmes de développement. Dans le contexte des pays à revenus élevés, le peu d’efforts entrepris à ce jour a entraîné des résultats plausibles, mais mitigés. D’autres recherches sont nécessaires pour clarifier ces résultats préliminaires.

Néanmoins, admettre qu’une bonne santé offre certains avantages microéconomiques (et potentiellement macroéconomiques) en plus de ceux directement liés au secteur des soins de santé a des répercussions sur l’étendue des évaluations économiques de la prévention. Tout d’abord, cette situation signifie que l’investissement dans des mesures qui ciblent les autres déterminants de la santé, qui sortent largement du cadre formel du secteur de la santé, peut générer un rendement économique intéressant dans ce domaine. Ensuite, l’investissement dans des mesures visant à réduire les inégalités en matière de santé est également justifiable sur le plan économique, pour autant que l’amélioration de l’état de santé des personnes et des groupes actuellement désavantagés les aide à réaliser leurs potentiels humain, économique et social, ce qui équilibrerait, en tout ou en partie, le coût initial de ces investissements.

4.3.1 Des politiques de santé publique comme mesures de santé préventive

Des rapports récemment publiés par l’administrateur en chef de la santé publique du Canada (Butler-Jones, 2008) et la Commission des déterminants sociaux de la santé de l’OMS indiquent que les déterminants sociaux de la santé, soit nos conditions de vie et de travail, peuvent avoir une incidence plus grande sur la santé de la population que des facteurs comme la génétique, le mode de vie ou les services de santé. Ces conditions sont déterminées en grande partie par les politiques sociales et économiques, qui sortent du cadre formel de la santé, et influent sur la qualité de vie et les ressources offertes aux personnes et aux familles (Williams et coll., 2008). Par conséquent, les chercheurs et les responsables de l’élaboration de politiques recommandent de plus en plus d’orienter les investissements destinés à améliorer la santé de la population non seulement vers les mesures principalement « en aval » qui tentent de modifier des comportements néfastes en matière de santé, mais également vers les mesures « en amont » intersectorielles ciblant les conditions et les circonstances qui favorisent l’adoption de tels comportements (p. ex., Kelly et coll., 2005; Wanless, 2004).

Si les politiques et les programmes à l’extérieur du cadre de la santé procurent des avantages sur le plan de la santé, on peut se demander s’ils le font de façon économique. Le cas échéant, de solides arguments économiques pourraient être avancés en faveur de l’investissement dans des mesures « en amont » susceptibles d’améliorer la santé (p. ex., ce qu’on appelle communément les « politiques de santé publique »). Malheureusement, les données d’évaluation économique sont insuffisantes pour la plupart de ces initiatives, qui, en majorité, ne visent pas explicitement des objectifs de santé (Rush et coll., 2004). Le développement de la jeune enfance est l’exception à cette règle générale.

Le développement de la jeune enfance. Des conditions socioéconomiques défavorables dans les premières années de vie entraînent de faibles trajectoires de développement physique et mental. De même, des problèmes de santé dans l’enfance ont des répercussions sur le bien-être futur, car les conséquences de ces troubles et d’autres désavantages sociaux et de santé tendent à s’accumuler au fil des ans et des générations (Robert Woods Johnson Foundation, 2008).

Tout comme les conditions de vie dans les premières années d’existence ont une grande incidence sur la santé ainsi que les situations économique et sociale futures, de nombreuses données portent à croire que les politiques qui favorisent un développement sain des enfants influent grandement sur l’amélioration des chances d’épanouissement. Les avantages individuels et sociétaux des initiatives de développement de la jeune enfance (DJE) ont été bien étayés, particulièrement aux États-Unis, grâce entre autres aux évaluations rigoureuses et aux études de suivi à long terme menées dans le cadre de nombreux programmes pilotes de DJE.

Toutes ces analyses indiquent que chaque dollar investi dans un bon départ dès les premières années génère un rendement positif pour les participants au programme ainsi que le public en général grâce à la réduction des coûts des soins de santé pour des problèmes relevant de la pédiatrie, à une augmentation du niveau de scolarité, des revenus et de la productivité des adultes ainsi qu’à la diminution des taux de dépendance à l’aide sociale et de criminalité, facteurs qui entraînent à leur tour de meilleurs résultats en matière de santé (Karoly et coll., 2005). Ainsi, les investissements dans les programmes de DJE se remboursent facilement au fil du temps, notamment lorsqu’ils ciblent les enfants vivant dans des environnements à risque élevé. On signale généralement des rapports de rentabilité d’au moins 3 pour 1 (Lynch, 2004). Par exemple, le projet préscolaire Perry, qui a récemment achevé une étude sur 40 ans des résultats obtenus par ses participants, a dégagé un rapport de rentabilité actualisé de plus de 16 pour 1, soit un rendement de 16,14 $ US (en dollars de 2000) par dollar investi (Schweinhart, 2005). Signalons que plus des trois quarts de ces avantages économiques, soit 12,90 $ par dollar investi, sont des retombées constatées chez des non-participants, signe que la société en général bénéficie encore plus des investissements en DJE que les participants du programme eux-mêmes (figure 5).

Une des importantes limites des données d’évaluation économique existantes est qu’elles proviennent de programmes de DJE qui ciblent une population fortement défavorisée. L’extrapolation à des contextes plus vastes des résultats obtenus avec ces mesures à petite échelle doit être effectuée avec prudence et confirmée par des analyses supplémentaires. Cela dit, c’est en tenant compte de ces mises en garde que certains chercheurs ont commencé à se pencher sur le potentiel d’économie de coûts que représenteraient pour la société les programmes de DJE plus complets ou universels.

Coûts et avantages publics du programme préscolaire High/Scope Perry

Figure 5 : Coûts et avantages publics du programme préscolaire High/Scope Perry (Source : Schweinhart, 2005.)

Équivalent textuel - Figure 5

Le graphique de la figure 5 indique qu’en dollars constants de 2000 actualisés à 3 %, le rendement économique pour la société du programme préscolaire Perry était de 244 812 $ par participant pour un investissement de 15 166 $ par participant, soit 16,14 $ par dollar investi. De ce montant, 195 621 $ sont allés au public en général, soit 12,90 $ par dollar investi (comparé à 7,16 $ dans l’analyse coûts-avantages réalisée lorsque les participants ont atteint 27 ans) et 49 190 $ sont allés aux participants, soit 3,24 $ par dollar investi. Des 195 621 $, 88 % (171 473 $) provenaient des économies attribuables à la réduction de la criminalité, 4 % (7 303 $), des économies réalisées en éducation, 7 % (14 078 $), des impôts accrus en raison de revenus plus élevés et 1 % (2 768 $), des économies au titre de l’aide sociale. Les participants au programme préscolaire ont gagné 14 % plus d’argent par personne qu’ils ne l’auraient fait autrement, soit 156 490 $ de plus tout au long de leur vie en dollars de 2000 non actualisés.

Selon une estimation, un programme de DJE financé par des fonds publics et offert à tous les enfants américains provenant de familles à faible revenu générerait, à long terme, des économies budgétaires substantielles. Même si les coûts du programme étaient nécessairement élevés en raison de sa portée nationale, à long terme, l’effet budgétaire net (tous niveaux de gouvernement confondus) serait positif, car les premiers investissements auprès des participants aux programmes de DJE se manifestent d’abord par une augmentation du niveau de scolarité, une hausse de productivité de la main-d’œuvre et une diminution de la délinquance. En 25 ans, les économies nettes se chiffreraient à 31 milliards de dollars américains (en dollars de 2004) et, en 45 ans, à 61 milliards de dollars américains. Une hausse des revenus individuels ferait augmenter le PIB de 0,43 pour cent (107 milliards de dollars), tandis que les avantages liés à la prévention d’activités criminelles représenteraient des économies d’environ 155 milliards de dollars (Lynch, 2004). Dans la même foulée, une analyse comparative récente de l’enseignement préscolaire et des leviers de développement économique traditionnels comme moyens d’augmenter les taux d’emploi et le revenu annuel par personne a conclu que l’ampleur des avantages économiques potentiels d’un enseignement préscolaire universel de qualité supérieure se comparait même favorablement aux avantages obtenus avec des subventions équivalentes attribuées aux entreprises, générant plus d’emplois et de revenus à long terme (Bartik, 2006).

4.3.2 L’incidence économique potentielle d’une diminution des inégalités en matière de santé

Parmi les arguments à prendre en considération lorsqu’on envisage de réduire les inégalités en matière de santé figurent les importants coûts sociaux, économiques et politiques ainsi que les avantages d’une meilleure santé globale pour les personnes, les collectivités et la société.

D’un côté, les inégalités dans le domaine de la santé peuvent être en soi perçues comme des facteurs de coûts dans le système de santé, puisque les personnes dont le statut social est relativement inférieur tendent à consommer plus de services de santé que les personnes au statut social plus élevé. Selon une estimation, environ 20 pour cent des dépenses de santé totales au Canada sont attribuables aux seules disparités de revenus (Groupe de travail sur les disparités en matière de santé, 2005). De même, Lemstra et coll. (2008) ont démontré que les résidents à faible revenu de Saskatoon étaient de 27 à 33 pour cent plus susceptibles d’être hospitalisés et de 36 à 45 pour cent plus susceptibles de consommer des médicaments que les groupes au revenu plus élevé. Le fait que les résidents à faible revenu ont davantage recours aux services de santé était principalement attribuable à une plus grande prévalence de maladies, et non à une différence des comportements d’utilisation. Les chercheurs en sont venus à la conclusion que les résidents à faible revenu de la Saskatchewan consommaient 179 millions de dollars de plus que prévu en soins de santé par rapport aux résidents aux revenus moyen et élevé, ce qui signifierait que certains de ces coûts, voire tous, pourraient être évités au moyen de l’adoption de mesures efficaces destinées à améliorer simultanément l’état de santé et le statut socioéconomique.

D’un point de vue plus global, Mackenbach et coll. (2007) ont mis au point un modèle conceptuel pour illustrer en termes quantitatifs les effets des inégalités en matière de santé sur la situation économique personnelle (microéconomique) et nationale (macroéconomique) des pays de l’Union européenne (UE). Les coûts économiques d’une distribution inégale des problèmes de santé, en utilisant le niveau de scolarité (avec ou sans diplôme d’études secondaires) comme mesure approximative du statut socioéconomique, se sont révélés importants. Lorsqu’on considère la santé comme un « bien d’investissement », les pertes liées aux inégalités (c.-à-d. la diminution de la productivité de la main-d’œuvre) représentent 1,4 pour cent du PIB annuel, soit 141 milliards d’euros. Les pertes en considérant la santé comme un « bien de consommation » (c.‑à‑d. la valeur accordée au bien-être procuré par la santé) ont été estimées à 9,5 pour cent du PIB annuel (soit environ 1 billion d’euros). Si toutes les personnes bénéficiaient d’une santé similaire à celle des détenteurs de niveaux de scolarité plus élevés, les coûts des systèmes de sécurité sociale (c.-à-d. les prestations d’assurance-emploi et d’invalidité) et de soins de santé en UE seraient inférieurs de 15 pour cent (60 milliards d’euros) et de 20 pour cent (177 milliards d’euros), respectivement. Dans la même veine, la réduction de 10 pour cent de toutes les inégalités en matière de santé en UE rapporterait des avantages économiques de 14 milliards d’euros grâce aux gains de santé comme « biens d’investissement », de 70 milliards d’euros grâce aux gains de santé comme « bien de consommation », de 18 milliards d’euros grâce à la diminution des coûts de soins de santé et de 6 milliards d’euros grâce à la réduction des coûts de sécurité sociale. Cependant, comme les coûts approximatifs des politiques et des programmes nécessaires pour réduire ces inégalités en matière de santé n’ont pas été signalés, le rapport de rentabilité et le potentiel d’économie de ces interventions demeurent inconnus.

Dow et Shoeni (2008) ont produit des estimations similaires quant à la valeur économique sacrifiée associée aux inégalités en matière de santé aux États-Unis. Leur recherche portait principalement sur les avantages financiers de l’amélioration de la santé des Américains moins instruits. Sans affirmer que l’éducation en elle-même améliore la santé ou prolonge la durée de vie, ils ont calculé que si tous les adultes américains qui ne détenaient pas de diplôme d’études collégiales jouissaient de niveaux de santé et de taux de mortalité similaires à ceux des Américains détenant un diplôme d’études collégiales, le gain de valeur économique total se chiffrerait à plus de 1 billion de dollars américains par année (en dollars de 2006). De surcroît, cette valeur représente une sous-évaluation de la totalité des avantages économiques potentiels, puisqu’elle tient uniquement compte des gains économiques dégagés par les adultes moins instruits, et non de ceux générés par leurs familles et la société, en plus de refléter seulement les gains économiques liés à la santé en cas d’amélioration des conditions sociales. Comme dans l’exemple de l’UE donné ci‑dessus, Dow et Shoeni n’ont pas présenté les coûts publics associés aux mesures visées, rendant impossible le calcul du rapport de rentabilité pour le moment. Néanmoins, étant donné l’ampleur des avantages économiques potentiels associés à la réduction des inégalités en matière de santé dans les deux études de cas, il est raisonnable de tabler sur un rendement positif du capital investi.

4.4 Utiliser les données : principales considérations méthodologiques

Même si les évaluations économiques constituent un outil utile sur lequel fonder les décisions en matière de politiques, elles présentent plusieurs lacunes importantes. Pour utiliser judicieusement les données des évaluations économiques, il importe de respecter ces limites afin de diminuer les conséquences négatives non intentionnelles potentielles. Le plus important est de comprendre la définition des coûts et des avantages lors de l’analyse des évaluations économiques et l’incidence de ces définitions pour des questions comme le biais et l’équité en matière de santé.

Niveaux et domaines conceptuels relatifs aux coûts et aux avantages économiques de la prévention

Figure 6 : Niveaux et domaines conceptuels relatifs aux coûts et aux avantages économiques de la prévention

Équivalent textuel - Figure 6

Figure 6 : Niveaux et domaines conceptuels relatifs aux coûts et aux avantages économiques de la prévention

Cette figure illustre par un graphique les coûts et les avantages d’une intervention donnée sous plusieurs angles. On y présente un triangle inversé, divisé en trois sections. La section inférieure, la plus étroite du triangle, représente le Système de santé, celle du milieu, la Micro/macroéconomie (p. ex., productivité de la main-d’œuvre) et la section supérieure, la plus large du triangle, le Bien-être collectif (p. ex., valeur intrinsèque de la santé). Cette section est également surmontée d’une flèche pointant entre le Domaine public (p. ex., État, marché) à l’extrême gauche et le Domaine privé (p. ex., individuel, tiers) à l’extrême droite.

Comme nous l’avons mentionné plus haut, les coûts et les avantages d’une mesure donnée peuvent être étudiés sous divers angles (figure 6). Rappelons que le point de vue du payeur en santé est plus étroit et limite les coûts et les avantages aux intervenants directement visés par le rendement du système de santé. Un point de vue sociétal plus global étend graduellement la portée de l’étude pour tenir compte de conséquences et de coûts individuels et sociétaux comme les coûts personnels directs découlant de la perte de salaire ou les frais de déplacement pour accéder au lieu de l’intervention ainsi que les coûts sociétaux indirects (p. ex., diminution de productivité de la main-d’œuvre) associés à la maladie, à l’invalidité ou au décès prématuré. Finalement, le point de vue le plus général et le plus inclusif, celui du bien-être collectif, tente de connaître la valeur intrinsèque que la population accorde à une meilleure santé (Suhrcke et coll., 2008). En outre, on peut envisager les coûts et les avantages selon qu’ils relèvent du domaine privé ou public (Hankivsky et coll., 2004).

Malgré les recommandations du Panel on Cost-Effectiveness in Health and Medicine des États-Unis selon lesquelles les analyses destinées à alimenter les politiques publiques devraient adopter un point de vue sociétal dans l’évaluation des coûts et des avantages (Weinstein et coll., 1996), en pratique, seuls les coûts et les avantages relativement faciles à mesurer sont habituellement pris en considération (Grosse et coll., 2007). Ainsi, une attention exagérée est souvent accordée aux coûts pour le système de santé, une attention plutôt intermittente aux avantages pour la santé des personnes, une attention sporadique aux coûts et aux avantages sociétaux et microéconomiques, tandis qu’une attention minime, voire inexistante, est accordée aux questions de bien-être collectif.

Ce manque courant pose problème sur le plan de l’équité et de l’efficacité de la mise en œuvre. Par exemple, relativement peu d’évaluations économiques des mesures préventives tiennent compte des heures non rémunérées des participants ou de leurs fournisseurs de soins dans les paramètres de coûts. Pourtant, les heures perçues et réellement investies comptent parmi les principaux facteurs d’adhésion à un programme et ont une grande incidence sur l’efficacité du programme et son rapport de rentabilité (Dishman et colll., 1985; Hagberg et Lindholm, 2005). Par conséquent, l’exclusion des coûts en temps peut générer des résultats trompeurs pour les mesures qui nécessitent un effort considérable de la part des participants ou des fournisseurs de soins, particulièrement celles qui ciblent des personnes marginalisées pour lesquelles le temps est déjà une ressource rare. Dans la même veine, Reid (1999) a utilisé l’exemple de la prévention du tabagisme chez les adolescents pour avancer que les mesures complexes implantées dans les écoles exercent souvent des contraintes temporelles irréalistes aux enseignants responsables de les appliquer, générant ainsi à long terme un rapport de rentabilité inférieur à celui des mesures implantées dans les communautés puisque les pressions, pour demeurer concurrentielles, incitent le personnel à dévier du protocole d’intervention.

De même, relativement peu d’études sur les évaluations économiques répartissent l’efficacité, les coûts et les avantages des mesures par sous-population précise; la majorité d’entre elles s’appuient plutôt sur des valeurs moyennes pour l’ensemble de la population (Roux et coll., 2008). Pourtant, des recherches ont démontré que pour certaines personnes ou certains groupes, l’accès et le recours à des conseils et à des services de santé préventive diffèrent selon l’âge, l’origine ethnique, la race, l’orientation sexuelle, le statut socioéconomique et les conditions de vie. Ainsi, certaines personnes bénéficient plus souvent et plus facilement que d’autres des mesures préventives visant l’ensemble de la population (p. ex., Diamant et coll., 2000; Lorant et coll., 2002; Lynch et coll., 1997; Meltzer et coll., 2002; Tjepkema, 2008). Ne pas prendre cette réalité en considération peut entraîner l’attribution des ressources à des mesures efficaces et économiques pour l’utilisateur moyen, mais moins pertinentes pour les personnes marginalisées ou désavantagées. En définitive, cette situation aurait l’effet indésirable d’augmenter les inégalités en matière de santé (Hagberg et Lindholm, 2005).

Même lorsque les analyses tiennent compte des différents effets selon les sous‑populations, de nombreuses questions sur l’équité sont parfois négligées en raison des biais systématiques des instruments d’évaluation économique. Jones et Frick (2008; Frick et Jones, 2008) ont cerné trois biais de sexe potentiels dans les méthodes d’évaluation économique :

  • la sous-évaluation courante, en termes financiers, du temps consacré par les femmes à des travaux rémunérés et non rémunérés lorsqu’on estime les pertes de productivité associées à la maladie;
  • les estimations de la qualité de vie en général et lorsqu’on traite de conditions plus souvent (ou uniquement) vécues par les femmes;
  • la façon dont les différences de rôles entre les sexes interagissent avec la santé et le bien-être des membres de la famille et produisent des effets secondaires parfois considérables, mais négligés par les évaluateurs économiques.

De même, Hankivsky et coll. (2004) notent que les faiblesses conceptuelles des méthodes classiques d’évaluation économique utilisées pour mesurer la perte de productivité en raison de maladie et de décès prématuré mènent parfois à des résultats en apparence absurdes (p. ex., des résultats sur les coûts de la maladie indiquant que, combinés au fardeau total représenté par la maladie, les coûts de la mortalité sont presque deux fois plus élevés chez les hommes que chez les femmes). De toute évidence, agir sans remettre en question ces résultats pourrait entraîner des conséquences particulièrement injustes.

Le fait de reconnaître ces enjeux et d’autres problèmes méthodologiques n’invalide pas les travaux existants au chapitre des évaluations économiques. Expliciter ces hypothèses permet plutôt de les intégrer de façon plus consciente et consciencieuse aux projets de recherche et d’application des connaissances en cours en plus de favoriser une évaluation plus approfondie du bassin de données. Deux avantages en ressortent : on favorise l’élaboration de méthodologies de recherche plus poussées pour combler ces déficiences en plus de contribuer à réduire les risques de reproduire par inadvertance les inégalités sociales et de santé lors des analyses de politiques et des prises de décisions.

RÉSUMÉ ET FACTEURS À PRENDRE EN CONSIDÉRATION

  1. Dans l’ensemble, les données laissent croire que de nombreuses mesures de santé préventive offrent un rapport de rentabilité intéressant des points de vue sociétaux et des payeurs des services de santé, même si la plupart ne vont probablement pas générer d’économies de coûts nettes pour les payeurs.
  2. Beaucoup de mesures de santé préventive entraînent une panoplie d’avantages individuels et sociétaux indirects, y compris une amélioration potentielle du bien-être économique global de la société. Dans la mesure du possible, les évaluations économiques devraient tenir compte de ces avantages afin de refléter tout le potentiel des mesures étudiées.
  3. Le rapport de rentabilité d’une mesure de santé préventive dépend largement du contexte. Afin d’évaluer si une mesure donnée offre une optimisation des ressources intéressante, les données économiques existantes doivent être adaptées aux conditions et à la situation locales.
  4. On constate un manque de données de qualité supérieure sur l’efficacité et le rapport de rentabilité de nombreuses mesures de santé préventive, notamment celles visant la promotion et la protection de la santé, et les mesures de politiques de santé publique qui ciblent les déterminants de santé « en amont ». Un travail d’envergure doit être effectué pour combler ces lacunes en matière de connaissances.
  5. La réduction des inégalités sociales en santé peut directement et indirectement entraîner des avantages économiques importants pour le système de santé et pour la société en général.
  6. Les données des évaluations économiques peuvent jouer un rôle primordial, car ce sont des éléments essentiels d’une justification plus globale des investissements dans les mesures de santé préventive.

5. Conclusion

Conformément aux autres évaluations des aspects économiques liés aux mesures de prévention de la santé, notre bref examen des données récentes indique que certaines mesures permettent au système de santé de réaliser des économies de coûts tandis que de nombreuses autres offrent un rapport de rentabilité intéressant. L’adoption d’un point de vue sociétal plus global améliore le rapport de rentabilité de nombreuses mesures préventives et augmente la probabilité de susciter des économies de coûts en général.

Cependant, comme l’a souligné Russell (1986) il y a plus de vingt ans, il est impossible de généraliser en matière de mesures préventives et de les mettre toutes sur un pied d’égalité, car on ne peut pas tenir pour acquis le rapport de rentabilité ni le potentiel d’économie de coûts d’un programme, même s’il est très bien établi et reconnu. Étant donné que, par leur nature, les mesures de santé publique évoluent en fonction du contexte, on doit d’abord évaluer les avantages économiques des différentes mesures préventives de façon individuelle, selon divers paramètres et sur une plus longue période, avant de tenter de dégager des conclusions plus générales.

En outre, l’application inconstante des évaluations économiques aux divers types de mesures de santé préventives ainsi que la qualité variable des données existantes ont créé des manques de connaissances essentielles. La priorité en recherche devrait être de combler ces lacunes pour permettre d’inclure systématiquement les données des évaluations économiques dans les processus décisionnels.

Au Canada, un des principaux problèmes est la sous-représentation des évaluations économiques de mesures canadiennes dans la documentation générale. Même si le Canada et les autres principaux pays (c.-à-d. les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie et la Nouvelle-Zélande) ont suffisamment de points en commun pour qu’on puisse procéder à un transfert prudent des connaissances, il est nécessaire d’augmenter le nombre d’évaluations canadiennes pour confirmer la pertinence des données internationales dans les contextes locaux ou de les adapter, le cas échéant (Drummond et coll., 2005).

Parallèlement, les avantages et les inconvénients de l’utilisation systématique des évaluations économiques aux fins d’élaboration de politiques doivent eux aussi être étudiés étant donné les limites des outils méthodologiques actuels pour saisir toute la portée des coûts et des avantages des diverses mesures de santé préventive, notamment celles qui ciblent des déterminants de santé « en amont » plus complexes. Comme l’ont conclu Goldsmith et coll. dans leur étude de la documentation portant sur l’évaluation économique des mesures préventives :

À court terme, l’obligation de tenir compte des données économiques dans les processus décisionnels retarderait l’application de programmes préventifs dont les effets sur la santé de la population en général ont été démontrés, mais qui n’ont pas été soumis à une évaluation économique. Plus important encore, à long terme, une telle obligation nuirait à la promotion et à la protection de la santé ainsi qu’à l’adoption de mesures relatives aux politiques de santé publique dont les coûts et les conséquences sont souvent difficiles à mesurer de façon crédible en raison de leurs effets combinés dans de nombreux domaines sociaux et de santé (Goldsmith et coll., 2004, p. 33 et 34 [traduction libre]).

Finalement, on insiste sur le fait que même si les évaluations économiques offrent un cadre systématique d’évaluation du rapport de rentabilité relatif des diverses mesures de santé, préventives ou de traitement, la définition des répercussions économiques de ces options ne signifie pas que les responsables de l’élaboration de politiques n’auront plus à prendre de décisions déchirantes sur l’allocation de fonds donnés et toujours insuffisants dans le domaine de la santé (Russell, 2007). Dans les cas où il a été prouvé qu’une mesure particulière entraîne des économies de coûts, l’argument économique en faveur de l’investissement est évident. Malheureusement, de telles situations sont peu nombreuses, et c’est à déplorer. La plupart du temps, certaines mesures sont relativement rentables dans la plupart des cas, mais pas tous, alors que d’autres le sont lorsqu’elles ciblent une population donnée ou qu’elles sont appliquées dans un contexte en particulier. D’autres encore ne présentent aucun avantage économique, mais méritent néanmoins d’être appuyées pour des motifs non économiques. Au bout du compte, les investissements publics visant à prévenir la maladie et les blessures ainsi qu’à améliorer la santé des individus et de la population sont fonction des valeurs sociétales. L’évaluation économique peut fournir de l’information, mais elle ne peut pas, en définitive, servir à définir ces priorités.

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