Sommaire : L'évaluation et le diagnostic de l'ETCAF chez les adultes : un examen systématique à l'échelle nationale et internationale
Sommaire
Le présent projet visait à recenser et à examiner la documentation existante sur le diagnostic de l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale (ETCAF) chez les adultes. Le diagnostic de l’ETCAF est un domaine en développement et, bien que l’on se soit principalement concentré sur le diagnostic chez les enfants, ces dernières années l’on a mis de plus en plus l’accent sur l’évaluation et le diagnostic chez les adolescents et les adultes. Depuis que des préoccupations ont été soulevées à l’égard du syndrome d’alcoolisation fœtale (SAF) dans la documentation en 1973 par Jones, Smith, Ulleland et Streissguth, et par Lemoine, Harousseau, Borteyru rt Menuet (1968), des travaux de recherche scientifique et des réponses de la pratique ont émergé d’une grande variété de disciplines. L’un des points soulignés par Stratton, Howe et Battaglia (1996) lorsque l’Institute of Medicine a publié ses lignes directrices concernant le diagnostic de l’ETCAF était qu’il fallait l’apport de multiples disciplines pour aborder cette problématique. Toutefois, la recherche en sciences sociales n’a pas soutenu le rythme de la recherche biomédicale. Le leadership de la recherche sur l’ETCAF a clairement émergé de la discipline de la médecine (Jones et coll., 1973) et au départ, il était lié à la complexité biologique des troubles associés à l’exposition prénatale à l’alcool. Au fil du temps, les répercussions psychosociales d’un diagnostic du SAF / ETCAF ont émergé, souvent par le biais de préoccupations pressantes soulevées par les parents ainsi qu’au sein de professions telles qu’en psychologie, en travail social, en réadaptation communautaire, en soins infirmiers et en justice. Étant donné que le diagnostic a été maintenu dans le paradigme médical, la recherche a principalement émergé de cette discipline. Les chercheurs canadiens ont élaboré des lignes directrices canadiennes concernant le diagnostic (Chudley, et coll., 2005). Alors que l’étiologie physique du SAF / ETCAF a été bien documentée, l’étiologie sociale a lentement suivi à mesure que s’est accrue la sensibilisation aux profondes répercussions de l’exposition à l’alcool sur le développement humain. En particulier, Streissguth (1997) a été un chercheur pivot pour faire connaître les enjeux psychosociaux liés au diagnostic du SAF (Streissguth, 1997, Streissguth et Kanter, 1997) et l’ETCAF (Streissguth et O’Malley, 2000).
Les personnes qui ont été exposées à l’alcool, tant les enfants que les adultes, ont des problèmes particuliers qui doivent être évalués afin de permettre aux professionnels de la santé de poser un diagnostic et par la suite élaborer un plan de traitement fondé sur les forces, les problèmes et les besoins individuels de ces personnes. Il est largement reconnu qu’il est important de poser un diagnostic chez les enfants, et ce diagnostic est tout aussi important en ce qui concerne les adultes. La sensibilisation à l’ETCAF s’est accrue au sein des professions médicales et des professions d’assistance en raison des initiatives de formation permanentes offertes par des organisations telles que le Canada Northwest FASD Partnership and Research Network, le Partenariat intergouvernemental de la région atlantique sur l’ETCAF, le FASD Intergovernmental Action Network for Ontario, ainsi que par des provinces telles que le Québec. En ce qui concerne les besoins de formation en matière de l’ETCAF, notons qu’il y a un colloque tenu chaque année en Alberta et que l’Éducation permanente de l’Université de la Colombie-Britannique tient un colloque annuel en collaboration avec le B.C. Centre of Excellence for Women’s Health. Depuis que l’ETCAF est un peu mieux connu ici et à l’étranger, il y a plus d’occasions de perfectionnement et, en outre, le Centre canadien de lutte contre l’alcoolisme et les toxicomanies a produit un répertoire de formateurs en la matière 1 Le plan stratégique du FASD Cross-Ministry Committee (comité interministériel sur l’ETCAF) de l’Alberta met l’accent sur les faits saillants pour la pratique, alors que l’Université de la Colombie-Britannique sur l’éducation permanente organise un colloque annuel en collaboration avec le Centre d’excellence de la Colombie-Britannique sur la santé des femmes et les conférences de l’Alberta Fetal Alcohol Network (réseau sur l’alcoolisation fœtale de l’Alberta). De plus, l’Agence de la santé publique du Canada a financé un certain nombre d’initiatives de recherche stratégique liées à Affaires indiennes et du Nord Canada, Justice Canada et à la Politique sur la justice pour les jeunes et à Sécurité publique Canada. Cette liste n’est pas exhaustive étant donné que les initiatives de sensibilisation, de formation et d’intervention ont évolué au fil des ans.
Le besoin de poser un diagnostic chez les adultes a émergé de multiples secteurs (p. ex., la santé, la justice, le logement, l’éducation, les services sociaux). Comprendre qu’il faut apporter un soutien aux familles en cernant l’ETCAF chez les enfants comme chez les adultes contribuera à l’épanouissement des familles et des collectivités plus saines.
Lorsque nous avons entrepris le présent examen de la documentation disponible sur la recherche sur l’ETCAF, il est clairement apparu qu’une recherche qui mettait l’accent sur les adultes émergeait (p. ex., Barr et coll., 2006; Boland, Chudley et Grant, 2002; Bookstein, Streissguth, Sampson, Connor et Barr, 2002; Camden et Spiegel, 2007; Chudley, Kilgour, Cranston et Edwards, 2007; Clark et coll., 2008; Connor, Sampson, Streissguth, Bookstein et Barr, 2006; Duquette, Stodel, Fullarton et Hagglund et coll., 2006; Fagerlund et coll., 2006; Famy, Streissguth et Unis, 1998; Kerns, Don Mateer et Streissguth, 1997; Rudnick et Ornoy, 1999; Spear et Molina, 2005; Spohr, Willms et Steinhausen, 2007; Streissguth, 1994; Streissguth, Sampson et Barr, 1989; Sullivan, 2008; Yates, Cadoret, Troughton, Stewart et Giunta, 1998). Cette connaissance émergente fait état de la nécessité d’offrir à ces personnes la possibilité d’être diagnostiquées. Cette même recherche fait ressortir certains des défis qui se posent dans l’évaluation chez les adultes. De nombreuses personnes font leur propre auto-diagnostic en se fondant sur les antécédents de consommation d’alcool pendant la grossesse dans leur famille, alors que d’autres sont aiguillées afin d’être évaluées par des professionnels de divers secteurs tels que le travail social, les soins de santé et la santé mentale. La documentation n’explore pas les conséquences sociales de l’auto-diagnostic.
Le processus de recherche, de localisation et d’évaluation de la documentation existante sur le diagnostic chez les adultes a été rafraîchissant étant donné qu’il présentait une occasion de s’engager dans un processus ciblé qui fait vraiment ressortir le besoin d’une approche et d’une intervention normalisées pour les adultes exposés à l’alcool. Cet examen de la documentation favorise la compréhension et le soutien, deux éléments importants pour un avenir meilleur pour les personnes atteintes ainsi que leur famille et leurs proches pour aller de l’avant tout en tenant compte des besoins particuliers occasionnés par l’ETCAF.
Le présent rapport inclut une introduction, une explication de la méthodologie utilisée pour l’examen, un examen de la documentation portant sur le diagnostic et l’évaluation chez les adultes, et enfin une section sur les répercussions et les conclusions. Nous nous sommes penchés sur la documentation canadienne et internationale en utilisant les processus suivants :
- Effectuer une recherche et une compilation systématiques de la documentation canadienne et de données et documents internationaux qualitatifs empiriques que nous avions sélectionnés et qui portaient sur l’évaluation et le diagnostic des effets de l’exposition prénatale à l’alcool chez les adultes.
- Faire une synthèse et un examen critique des renseignements obtenus, y compris cerner les forces, les limites et les lacunes.
- Élaborer des recommandations visant à orienter la recherche à venir.
Ce processus a fait ressortir des renseignements impressionnants compte tenu de la courte période consacrée au projet. Clarren et Lutke (2008) indiquent que dans l’Ouest et dans le Nord du Canada, il y a au moins 27 cliniques qui mènent des activités de diagnostic de l’ETCAF, quelques-unes d’entre elles se spécialisant dans le diagnostic chez les adultes ou le facilitant. Pour situer le diagnostic chez les adultes dans son contexte, l’on a brossé un tableau de l’abus problématique d’alcool. Cela continue de constituer un problème fondamental qui exige des efforts ciblés de traitement et un soutien à long terme, particulièrement pour les femmes qui sont à risque ou qui ont déjà donné naissance à un enfant atteint de l’ETCAF. En outre, il faut se pencher sur la question des partenaires des femmes qui sont les pères biologiques étant donné qu’il manque de documentation sur ce sujet. Compte tenu du fait que l’ETCAF a été mentionné dans la documentation pour la première fois il y a quarante ans en France (1968) et en 1973 en Amérique du Nord, les progrès réalisés pour aborder cette problématique ont été remarquables grâce aux efforts de médecins, de familles et de professionnels dévoués qui contribuent à des résultats positifs chez les enfants et les adultes exposés à l’alcool. À mesure que les enfants qui ont fait l’objet d’un diagnostic au cours des dernières décennies sont devenus des adultes, ils ont pavé la voie qui mène à une meilleure compréhension de leurs besoins et nous mettent au défi d’élaborer des modèles d’excellence pour les aider à vivre dans le monde qui les entoure. En réponse, les personnes préoccupées par la question ont relevé le défi en faisant des efforts constants pour élaborer des modèles d’excellence dans le diagnostic de l’ETCAF, y compris chez les adultes.
Le modèle canadien de diagnostic, qui est décrit plus en détail dans le présent rapport, s’est inspiré du U.S. Institute of Medicine (1996) tel que cité dans Hoyme et coll. (2005) et du code de diagnostic à quatre chiffres du Réseau de diagnostic et de prévention élaboré par Astley et Clarren (1999). Les lignes directrices canadiennes ont retenu les normes du code de diagnostic à quatre chiffres et la terminologie du modèle du U.S. Institute of Medicine.
L’un des problèmes qui se pose dans le diagnostic est l’utilisation d’une terminologie différente à l’échelle internationale. Il continue d’y avoir un manque d’uniformité dans la terminologie utilisée pour le diagnostic en dehors des professions médicales étant donné que le thème des professionnels de la santé et des services sociaux ne correspond pas à ces paramètres. Les intervenants ont une compréhension de base de l’ETCAF, mais il n’existe aucun modèle pratique permettant de comprendre les complexités et la portée de ce diagnostic dans la vie quotidienne des personnes atteintes. Il y a également un manque d’uniformité dans le travail des professionnels de la santé quant aux protocoles de diagnostic utilisés, et le manque de cliniques pour les adultes suscite des préoccupations encore plus importantes en ce qui concerne les normes de pratique et l’uniformité du diagnostic au Canada.
Plus récemment, Sullivan (2008) se concentre sur les vulnérabilités sous-jacentes et les problèmes d’adaptation y compris les « modèles de rôle parental déficients, le développement perturbé de la confiance et de l’identité, les tendances à un comportement d’évitement, le dysfonctionnement des relations chez les adolescents et les adultes, et les désavantages économiques » (p. 226). Ces préoccupations sont des réalités pour les adultes atteints de l’ETCAF et posent réellement des défis étant donné que les interventions visant à les soulager exigent beaucoup de temps et d’argent. L’on commence à voir des documents qui se concentrent sur la qualité de vie des personnes atteintes de l’ETCAF, qui pourraient offrir un tableau plus complet de ce que signifie vivre avec l’ETCAF et de la façon dont nous pouvons améliorer la qualité de vie de ces enfants, ces adolescents et ces adultes (Grant, Huggins, Connor et Streissguth, 2005; Stade, Stevens, Ungar, Beyene et Koren, 2006).
Étant donné que l’ETCAF a été retenu comme étant un problème de santé au Canada et dans d’autres pays, le besoin d’y donner suite tout au long de la vie des personnes atteintes entre dans le cadre de la pratique des services de santé ainsi que des services sociaux et communautaires. Bien que l’ETCAF s’intègre mal dans le monde des troubles du développement chez les adultes en raison des nombreux problèmes sociaux et neuro-comportementaux inhérents qui sont associés à ce diagnostic, la tenue de consultations avec les représentants des systèmes et des soutiens pour les adultes ayant une déficience peut éclairer l’élaboration de modèles de service.
Conclusions et répercussions
La façon d’aborder le diagnostic chez les adultes a évolué mais elle est fragmentée et n’a pas de cadre uniforme dans lequel des services de diagnostic pourraient être intégrés. Le présent examen révèle clairement que les ressources pour le diagnostic chez les adultes sont rares mais progressent tout de même lentement. Nous voyons des exemples tels que le Lakeland Centre for Fetal Alcohol Spectrum Disorder, l’Asante Centre, l’OBD Triage Institute (dépistage préliminaire aux fins de l’aiguillage vers un test de diagnostic), le FASD Community Circle et le projet d’évaluation et de diagnostic chez les adultes dans l’Ouest du Canada. La seule ressource recensée dans l’Est du Canada en ce qui concerne le diagnostic chez les adultes se trouve à l’Hôpital St. Michael à Toronto. Motherisk, sous la direction du Dr Gideon Koren et de ses collègues, a été une source clé en ce qui a trait au diagnostic chez les enfants et à la création du Journal of Fetal Alcohol Syndrome (dont le titre est maintenant Canadian Journal of Clinical Pharmacology Incorporating Fetal Alcohol Research). Le Canada dispose d’un réseau de recherche connu sous le nom de FACE (Fetal Alcohol Canadian Expertise). Celui-ci organise des tables rondes de recherche depuis 2000. Les partenaires de FACE incluent la Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits de Santé Canada, l’Agence de la santé publique du Canada, le gouvernement de l’Alberta, le gouvernement de la Colombie-Britannique, l’Association des brasseurs du Canada et Motherisk. Une approche systématique du diagnostic chez les adultes n’a pas encore été élaborée au Canada.
Le Canada, toutefois, a fait preuve d’un leadership remarquable dans la prise en charge de la question de l’ETCAF. L’établissement de cliniques pour les enfants devrait mener à l’établissement de cliniques pour les adultes qui sont subventionnées par l’État afin d’apporter une aide aux personnes qui n’ont pas les moyens d’obtenir un diagnostic selon le régime de la rémunération à l’acte. Il se peut que les coûts du dépistage et de l’évaluation exercent une pression budgétaire sur les organismes communautaires. Toutefois, le diagnostic subventionné par l’État n’est pas appliqué de façon uniforme à l’échelle du pays et il faudrait éliminer les écarts qui existent dans la prestation de ce service tant au niveau des politiques que de la pratique.
L’aiguillage des adultes devrait être restructuré à partir des processus utilisés pour les enfants. En outre, des protocoles de dépistage solides devraient être établis pour l’aiguillage vers des cliniques pour les adultes. Il est probable que des adultes se présentent d’eux-mêmes étant donné que bon nombre d’entre eux ne sont pas en rapport avec des organismes qui pourraient faciliter un dépistage et l’aiguillage menant à un diagnostic. En suivant les protocoles d’aiguillage/dépistage/diagnostic pour les enfants auxquels certains ajustements auraient été apportés pour les adultes, on pourrait gagner du temps et économiser des ressources dans l’établissement de cliniques pour les adultes. En outre, des consultations avec les représentants de ressources déjà établies de diagnostic pour les adultes seraient utiles pour apprendre quelles procédures et protocoles elles utilisent.
Il ne fait nul doute qu’il faut s’attaquer à cette problématique et le corps professionnel de praticiens, les membres de la famille et les fournisseurs de soins qui offrent un soutien aux adultes exposés à l’alcool profiteraient de services de diagnostic et de suivi. Toutefois, la reconnaissance du besoin d’un diagnostic pour les adultes soulève la préoccupation de la période post-diagnostique. L’infrastructure requise pour offrir les services de suivi existe-t-elle? Comment régler cette question? Cela nous amène à nous demander à quoi ressemble un modèle de soutien tout au long de la vie, et fait également surgir un autre défi au chapître de l’intervention qu’il faudrait prévoir. Étant donné qu’une expertise considérable et un grand nombre d’interventions de soutien ont été conçues à l’intention des enfants, on espère qu’elles pourront s’appliquer tout aussi bien aux adultes.
Un autre secteur qu’il faut examiner est celui de l’élaboration de scénarios de gestion des cas et de modèles afin de développer une base de connaissances plus solide sur l’aiguillage vers un dépistage/diagnostic de l’ETCAF chez les adultes. Les familles d’accueil et les familles adoptives ont principalement levé la voix pour faire connaître les besoins de leurs enfants atteints de l’ETCAF à mesure qu’ils se développaient et devenaient des adultes. Les intervenants œuvrant dans le système de bien-être de l’enfance se disent inquiets du fait que les enfants ne seront plus admissibles aux soutiens établis en raison de leur âge et partiront à la dérive une fois adultes sans système de soutien adéquat, se fiant principalement à des services officieux plutôt qu’officiels. Encore une fois, savoir que l’ETCAF est un handicap qui dure toute la vie crée l’impératif moral de fournir des services post-diagnostic tout au long de la vie de la personne atteinte.
Dans la perspective des droits de la personne, il est essentiel de tenir compte du fait que ceux chez qui on a posé un diagnostic ont une déficience et que cette déficience, en théorie, aurait pu être évitée. Toutefois, le fait est qu’il existe des circonstances particulières qui mènent à la naissance d’enfants atteints de l’ETCAF et les mères elles-mêmes peuvent avoir été exposées à l’alcool, à l’alcoolisme intergénérationnel, à de mauvais traitements et à la négligence. L’argument de la prévention présente un défi lorsqu’on examine la vie des mères biologiques de façon critique (Badry, 2008; Poole, 2003; Rutman, Callahan, Lundquist, Jackson et Field, 2000). Justice Canada a souligné cette question et indique qu’elle pose des préoccupations dans la perspective des droits de la personne compte tenu de la vulnérabilité des personnes atteintes de l’ETCAF dans la société, y compris les risques de pauvreté, d’itinérance et de démêlés avec la justice. Les répercussions de l’ETCAF dans la perspective des droits de la personne doivent être explorées davantage.
Référence
1. ^ www.ccsa.ca/Eng/KnowledgeCentre/OurDatabases/FASD/Pages/default.aspx
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