Allocution de la ministre des Affaires étrangères à l’occasion du dîner en l’honneur des 25 femmes les plus influentes

Discours

Le 10 décembre 2018 – Toronto, Ontario

Le discours prononcé fait foi. Ce discours a été traduit en conformité avec la Politique sur les langues officielles du gouvernement du Canada et révisé aux fins d’affichage et de distribution conformément à sa politique sur les communications.

Je tiens à souligner que nous nous trouvons aujourd’hui sur le territoire traditionnel de la Première Nation des Mississaugas de New Credit.

Mes chers amis, distingués invités, je suis honorée d’être ici aujourd’hui, en compagnie de tant de femmes si inspirantes, et avec vous tous qui comprenez bien l’importance d’investir dans les femmes et de faire tout ce qu’il faut pour faire progresser nos droits.

Je tiens aussi à vous dire à quel point je suis fière d’être considérée, parmi toutes ces femmes incroyables, comme une femme d’influence. Je peux vous assurer que j’apprécie grandement cette reconnaissance et qu’elle m’incite à continuer à lutter pour les droits des femmes.

Je suis ravie d’être parmi vous aujourd’hui à l’occasion de ce dîner en l’honneur des 25 femmes les plus influentes de l’année. C’est un privilège de figurer parmi des femmes aussi accomplies provenant de tous les horizons, et dont les réalisations uniques sont incomparables et dignes d’être soulignées.

Je veux aussi rendre un hommage particulier à nos prédécesseures, aux féministes de la génération précédente qui sont ici. C’est grâce à elles que nous pouvons aujourd’hui marcher la tête haute.

J’ai grandi au sein d’une famille féministe.

Ma mère a été l’une des premières féministes canadiennes dans le nord de l’Alberta. Il n’y avait que sept femmes dans sa classe de droit à l’Université de l’Alberta.

En fait, notre maison de Peace River a accueilli bien des personnes qui ont contribué à notre conscientisation dans les années 1970, alors que le contexte était très différent de celui que nous connaissons maintenant.

Parlant d’aïeules, j’aimerais prendre un moment pour saluer une Canadienne en particulier, Louise Arbour. Je tiens à la remercier pour son travail extraordinaire sur le Pacte mondial pour les réfugiés, que le Canada est fier d’appuyer.

La politique étrangère féministe du Canada repose sur un objectif simple : nous cherchons à permettre aux femmes et aux hommes, aux filles et aux garçons, partout dans le monde, d’avoir la même voix au chapitre, de jouir de droits égaux, de bénéficier de l’égalité des chances et de vivre en toute sécurité.

En tant que ministre des Affaires étrangères, l’un des principaux éléments de mon mandat consiste à « faire avancer la valeur de gouvernance inclusive et responsable, notamment en faisant la promotion des droits de la personne, du renforcement socioéconomique des femmes et de l’égalité des genres, du pluralisme pacifique, de l’inclusion et du respect de la diversité ».

L’inégalité, qu’elle soit sociale, économique ou politique, exacerbe l’instabilité et mine la prospérité.

C’est dans cet esprit que je voudrais souligner aujourd’hui que nous célébrons un anniversaire très spécial.

Il y a 70 ans, le 10 décembre 1948, les nations du monde se sont réunies à Paris et ont adopté une déclaration qui a marqué un moment crucial dans l’histoire de l’après-guerre. Un document fondateur qui nous guide depuis lors et qui nous a servi de modèle pour la paix : la Déclaration universelle des droits de l’homme.

En tant que fière Canadienne, je ne peux passer sous silence le fait que le Canadien John Peters Humphrey a été un rédacteur principal de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Ce document s’appuie sur les leçons affligeantes de la première moitié du XXe siècle : deux guerres mondiales, la Grande Crise et, en particulier, les horreurs de l’Holocauste.

Après le carnage et la dévastation engendrés par ces conflits, le monde a dit : plus jamais.

La Déclaration universelle des droits de l’homme a été une composante importante des efforts plus vastes déployés en vue d’élaborer des mesures concrètes traduisant ce sentiment.

Une autre féministe pionnière, Eleanor Roosevelt, qui a présidé le comité de rédaction de la Déclaration, a dit de ce document qu’il s’agissait d’une « Grande Charte pour toute l’humanité ».

Rédigée en moins de deux ans, la Déclaration a été approuvée par tous les pays membres. Même si huit pays se sont abstenus de voter, aucun n’a osé voter contre la Déclaration.

Pensez-y un instant.

Au moment où tombait le rideau de fer et où se dessinaient les lignes de front de la guerre froide, les membres de cette assemblée ont réussi à s’entendre sur cette idée fondatrice.

Au milieu des luttes idéologiques et des conflits géopolitiques, nos prédécesseurs ont officiellement reconnu que toute personne mérite la dignité et le respect.

Que les droits de la personne ne doivent pas être assujettis à nos frontières.

Que la primauté du droit est primordiale, que les relations internationales doivent être fondées sur des règles, et que la force ne doit pas l’emporter sur le droit.

Il s’agit d’un véritable exploit.

Des nations qui, peu de temps auparavant, s’étaient violemment affrontées sur les champs de bataille – des dirigeants qui, quelques années plus tôt, étaient de farouches adversaires – ont su trouver un terrain d’entente.

Ce terrain d’entente reposait sur l’idée que les droits de la personne ne sont pas un cadeau conditionnel des États à leurs citoyens, mais plutôt un élément fondamental digne d’une protection internationale.

Soixante-dix ans plus tard, la Déclaration universelle des droits de l’homme continue de nous guider.

Les principes qu’elle a établis sont enchâssés dans nos lois et sont valorisés par nos citoyens.

Toutefois, nous ne nous sommes pas encore montrés à la hauteur de la promesse audacieuse et fondamentale de la Déclaration.

Je suis profondément consciente du travail qu’il nous reste à faire chez nous.

Comme le premier ministre l’a dit, le Canada doit déployer des efforts supplémentaires pour faire progresser les droits des peuples autochtones, des minorités, des membres de la communauté LGBTQ2, ainsi que des femmes et des filles.

Cependant, notre détermination à combler nos propres lacunes ne doit pas nous décourager ni nous empêcher de défendre les droits de la personne dans le monde entier.

Bien au contraire.

S’il est facile de célébrer les droits de la personne, il est ardu de soulever et d’aborder concrètement les préoccupations qui s’y rattachent.

Cela est difficile et donne souvent lieu à des situations inconfortables.

Cela peut faire grimacer certains diplomates, car ils estiment parfois que leur travail consiste à assurer « la bonne entente ».

Aujourd’hui, les mots judicieusement choisis dans les salles privées sont souvent la devise de la diplomatie. En fait, au cours de la phase finale des pourparlers de l’ALENA, l’ambassadeur Lighthizer et moi avons convenu de ne pas négocier en public, et ce principe a contribué à créer l'espace et la confiance nécessaires pour conclure l’accord.

Mais lorsqu’il s'agit des droits de la personne, y compris les droits des femmes, les conversations privées se limitent souvent à faire passer sous silence les questions qui dérangent. Prendre la parole en public est parfois la seule façon d’avoir un impact.

Et nous, qui avons l’immense privilège de vivre dans notre merveilleux pays, ne devrions jamais oublier le pouvoir que nos paroles publiques peuvent avoir pour faire savoir aux courageux combattants des droits de la personne dans les endroits les plus sombres qu’ils ne sont pas seuls.

Voilà pourquoi le Canada défendra toujours les droits de la personne, y compris les droits des femmes, et ce, même lorsqu’on nous dit de nous mêler de nos affaires ou que de telles questions ne devraient être discutées qu’en privé, à huis clos, et même lorsque notre prise de parole a des conséquences.

Cela signifie défendre la liberté d’expression et la liberté de la presse, comme nous l’avons fait avec plusieurs alliés ces dernières semaines en dénonçant le meurtre abject du journaliste Jamal Khashoggi.

En vertu de la loi Magnitski du Canada, nous avons récemment imposé des sanctions ciblées à 17 personnes qui, selon notre gouvernement, sont responsables ou complices du meurtre de M. Khashoggi.

Tant qu’on n’aura pas mené une enquête transparente et crédible, ce dossier ne sera pas clos pour le Canada.

Parce que les faits comptent. La vérité compte. La justice compte.

C'est pourquoi le Canada demande la libération de tous les prisonniers politiques ukrainiens en Russie, y compris le cinéaste ukrainien Oleg Sentsov, actuellement en prison et en grève de la faim pour protester contre le traitement injuste des prisonniers politiques par la Russie.C’est pourquoi cet été le Canada a mené une initiative en vue de sauver certains des Casques blancs, ces braves Syriens qui se sont unis pour porter secours à leurs concitoyens et documenter les crimes de guerre.

J'ai rencontré des Casques blancs au Canada il y a quelques semaines. Un homme de 39 ans a déclaré à quel point il avait hâte de voter pour la première fois de sa vie. D’autres ont exprimé le désir de créer une version canadienne des Casques blancs, ou de devenir ambulanciers ou pompiers.

Ces personnes sont traumatisées, mais elles sont aussi posées et dignes. Et nous sommes fiers de les accueillir.

Les droits des femmes sont, bien sûr, des droits humains, ce qui semble évident ici et maintenant.

Or ce principe n’a pas toujours été la norme, même ici au Canada. En fait, il n’y a pas si longtemps, les femmes n’étaient même pas considérées comme des personnes.

En 1929, il y a 89 ans, des femmes courageuses et déterminées, les Célèbres cinq, ont eu l’audace d’affirmer que les femmes étaient des « personnes » et qu’elles devaient par conséquent se voir accorder les droits conférés aux « personnes » en droit canadien.

Les tribunaux canadiens ont rejeté leur demande, mais le Conseil privé britannique, qui était alors notre plus haute autorité juridique, a statué en leur faveur.

Pour les jeunes Canadiennes d’aujourd’hui, il semble choquant que leurs aïeules n’aient pas été considérées comme des personnes. Mais ce qui devrait vraiment nous choquer, c’est qu’en 2018, soit 89 ans plus tard, les femmes au Canada et ailleurs dans le monde ne jouissent toujours pas d’une véritable égalité.

Ce qui devrait vraiment nous choquer, c’est que 70 ans après l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme, des femmes sont encore privées de leur droit à l’avortement et au contrôle de leur corps.

Encore aujourd’hui, les filles n’ont pas toutes accès à la même éducation que leurs frères.

Il y a encore des femmes qui sont traitées comme des biens, qui ne peuvent pas demander le divorce, témoigner devant un tribunal, ni avoir accès à des capitaux pour lancer une entreprise.

Il y a encore des millions de femmes dans le monde qui ne peuvent pas parler librement, exprimer leur désaccord ou exercer quelque forme que ce soit de pouvoir politique.

Au Canada, le taux de disparitions et d’assassinats chez les femmes et les filles autochtones est disproportionné par rapport au taux observé chez les femmes non autochtones.

Il est temps de régler cette question une fois pour toutes.

Nous ne pouvons pas nous laisser décourager par l’argument fallacieux selon lequel les droits des femmes sont propres à chaque culture; un argument voulant qu’il soit normal, dans certaines parties du monde, que les femmes soient privées d’identité individuelle parce que c’est la norme culturelle.

Cette situation est déplorable.

Il ne s’agit pas de politique identitaire ni d’appel à la vertu. C’est tout simplement une question d’égalité.

Lorsque nous nous cachons derrière le prétexte de la culture, lorsque nous évitons de débattre de sujets difficiles, nous ne respectons pas l’esprit et la lettre de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Nous laissons tomber les femmes et les filles qui méritent notre soutien inconditionnel.

Des femmes et des filles qui méritent d’avoir le contrôle de leur corps.

Qui méritent de parler librement et de vivre en sécurité.

Qui méritent un salaire égal pour un travail de valeur égale.

Qui ne devraient pas se voir refuser des promotions et des possibilités en raison de leur sexe.

Le Canada est fier d’avoir une politique étrangère féministe, et notre gouvernement est fier de lutter pour que les femmes, tant au pays que partout dans le monde, occupent des postes de dirigeantes.

Le fait de promouvoir le droit des femmes d’occuper un poste, quel qu’il soit, n’importe où dans le monde, ne signifie pas pour autant que les dirigeantes valent mieux que les dirigeants seulement parce qu’elles sont des femmes.

Un exemple tragique de la faillibilité du leadership féminin est le comportement de l’une de mes anciennes héroïnes, Aung San Suu Kyi.

Le monde a salué à juste titre sa conduite et les sacrifices personnels courageux qu’elle a consentis dans le cadre de la lutte pour la démocratie au Myanmar.

Nous avons d’ailleurs reconnu son courage exemplaire en lui accordant la citoyenneté canadienne honoraire en 2008.

C’est pourquoi nous avons été particulièrement consternés par son silence persistant au sujet du génocide des Rohingyas, un crime contre l’humanité commis par les militaires avec lesquels elle partage le pouvoir.

Nous nous attendions à plus de sa part. C’est pourquoi la Chambre des communes du Canada a adopté à l’unanimité une motion lui retirant l’honneur qui lui avait été fait.

Nous devons défendre les droits des femmes pour une raison simple : parce que les femmes sont des êtres humains.

Aucune autre justification n’est nécessaire.

Cependant, les paroles ne suffisent pas, nous devons maintenant agir.

C’est ce qu’a fait le premier ministre Trudeau en nommant un Cabinet paritaire.

C’est ce que notre gouvernement a fait lorsque nous avons présenté le projet de loi sur l’équité salariale.

C’est ce que le Canada a fait au G7 cette année en lançant une initiative qui a amené l’Union européenne, l’Allemagne, le Japon, le Royaume-Uni et la Banque mondiale à consacrer près de 3,8 milliards à la réduction des obstacles auxquels les femmes et les filles se heurtent lorsqu’elles tentent d’accéder à l’éducation.

C’est ce que nous avons fait lorsque nous avons placé au cœur de notre aide au développement les programmes destinés aux femmes et aux filles, y compris ceux qui touchent leurs droits en matière de santé sexuelle et reproductive.

C’est ce que nous avons fait lorsque nous avons créé l’Initiative Elsie, qui vise à accroître considérablement le nombre de femmes participant aux opérations de maintien de la paix.

Je pourrais continuer l’énumération, mais je suis également consciente du chemin qu’il nous reste à parcourir à l’échelle gouvernementale, nationale et mondiale pour faire en sorte que les femmes et les filles soient pleinement égales.

En quoi cela a-t-il de l’importance?

Lorsqu’on me demande pourquoi il est important d’inclure les femmes et les filles dans toutes les facettes de la vie, je réponds ce qui suit :

C’est important parce que là où les femmes participent à l’économie, la croissance économique est plus forte.

C’est important parce que les États sont plus stables lorsque les femmes prennent part à la gouvernance.

C’est important parce que, lorsque les femmes et les filles participent aux processus de paix, celle-ci est plus durable.

C’est important parce que la sécurité collective est accrue lorsque les femmes, dans toute leur diversité, y participent.

C’est important parce qu’aucune société ne peut réaliser son plein potentiel si la moitié de sa population est tenue à l’écart.

Et surtout, c'est important parce que l’égalité de traitement est le droit à la naissance de tout être humain.

Il y a 70 ans, les nations du monde se sont unies pour accomplir quelque chose de vraiment extraordinaire.

Passons à la prochaine étape de la protection et de la promotion des droits de la personne.

Faisons, nous aussi, preuve de courage et exigeons une fois pour toutes que soient respectés les droits de toute personne, partout sur terre.

Merci.

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