Discours de la ministre des Affaires étrangères au gala annuel de remise des prix 2019 du Conseil canadien pour les Amériques

Discours

Le 30 mai 2019 - Toronto (Ontario)

Seul le texte prononcé fait foi. Ce discours a été traduit en conformité avec la Politique sur les langues officielles du gouvernement du Canada et révisé aux fins d’affichage et de distribution conformément à sa politique sur les communications.

Permettez-moi tout d’abord de reconnaître que nous nous trouvons sur le territoire traditionnel de la Première Nation des Mississaugas de New Credit.

Merci au Conseil canadien pour les Amériques de nous accueillir ce soir et à vous tous d’être ici.

Je tiens tout d’abord à dire à quel point c’est un privilège de partager les prix de ce soir avec l’ambassadeur Rishchynski, qui a représenté le Canada avec vigueur et professionnalisme pendant de nombreuses années. Merci, Guillermo, vous méritez bien ce prix pour l’ensemble de votre œuvre dans la fonction publique que vous recevez ce soir. Et j’ai beaucoup aimé ce que vous avez dit au sujet de l’énorme contribution que font les diplomates, les représentants commerciaux et les négociateurs commerciaux canadiens.

En tant que ministre des Affaires étrangères et ancienne ministre du Commerce international, j’ai eu l’immense privilège de travailler avec un groupe de Canadiens exceptionnellement talentueux, exceptionnellement engagés et exceptionnellement patriotes. Vous êtes l’ingrédient secret qui fait fonctionner le Canada dans le monde et c’est vraiment un honneur de servir avec vous encore un peu plus longtemps et avec tous vos collègues fantastiques, dont certains sont ici ce soir.

Ce soir, j’aimerais parler d’enjeux qui nous touchent tous et du travail que nous accomplissons, ici dans notre hémisphère, pour y répondre : l’affaiblissement de l’ordre international fondé sur des règles et la menace que représente la résurgence de l’autoritarisme pour la démocratie libérale elle-même.

Cet enjeu est une surprise pour beaucoup d’entre nous. Après tout, il n’y a pas si longtemps, après l’effondrement de l’Union soviétique et la conclusion pacifique de la Guerre froide, nous célébrions ce que Francis Fukuyama a décrit comme « la fin de l’histoire ».

Avec le recul, Fukuyama a été passablement ridiculisé pour cette remarque, mais il ne soutenait pas que la marche de l’histoire s’était arrêtée. Ce qu’il disait, c’est que la lutte entre le libéralisme et l’autoritarisme, qui faisait rage depuis un demi-siècle, avait été réglée et que la démocratie libérale avait gagné. Quel argument séduisant! Je pense que nous voulions tous y croire. Même moi. Mais aujourd’hui, il n’est que trop évident qu’il n’y a rien de certain ou d’éternel dans la démocratie libérale et que l’histoire n’a pas encore dit son dernier mot avec nous.

Il semblait qu’à mesure que les pays autoritaires rejoindraient l’économie mondiale et deviendraient riches, ils adopteraient inévitablement les libertés politiques occidentales aussi. Cela ne s’est pas toujours produit. En effet, ces dernières années, certaines démocraties sont même allées dans la direction opposée et sont tombées dans l’autoritarisme, notamment et tragiquement au Venezuela. Et certains pays qui s’étaient engagés sur le chemin difficile du passage du communisme au capitalisme démocratique ont fait marche arrière. L’exemple le plus triste pour moi est la Russie.

Même le succès économique de la Chine à sortir des centaines de millions de personnes de la pauvreté, qui est l’une des grandes réalisations de ces derniers temps, rejette notre croyance en le caractère inévitable de la démocratie libérale.

Et au sein du club des riches démocraties occidentales, nous assistons à une montée des mouvements antidémocratiques locaux.

La démocratie libérale subit aussi les assauts de l’étranger. Les régimes autoritaires cherchent activement à nous affaiblir avec des opérations de propagande et d’espionnage complexes et bien financées. Ils cherchent à soudoyer les petits pays, ceux qui sont tiraillés entre la démocratie et l’autoritarisme.

Or, l’idée que la démocratie puisse vaciller ou être renversée là où elle s’était épanouie auparavant peut sembler farfelue, mais d’autres grandes civilisations se sont élevées et ont chuté. Nous serions prétentieux de penser que nous serons inévitablement différents. Comme l’avance Robert Kagan dans son livre The Jungle Grows Back, un de mes livres préférés, et si vous ne l’avez pas lu, je vous invite tous à lire, et c’est court. Kagan écrit et je cite : « Si l’ordre libéral est comme un jardin, artificiel et toujours menacé par les forces de la nature, sa préservation exige une lutte persistante et sans fin contre les vignes et les mauvaises herbes qui tendent constamment à le ronger de l’intérieur et à le submerger de l’extérieur. Aujourd’hui, il y a des signes tout autour de nous que la jungle est en train de repousser. »

Il est temps pour ces pays, comme le Canada, qui croient en la démocratie libérale et en l’ordre international fondé sur des règles, de riposter. C’est d’une importance vitale pour notre intérêt national. Le Canada – avec ses 36 millions d’habitants – ne pourrait jamais prospérer dans un monde de grandes puissances hobbesiennes où règne la loi du plus fort.

C’est pourquoi le Canada est aujourd’hui l’un des plus ardents défenseurs de la démocratie libérale et de l’ordre international fondé sur des règles. Ce n’est pas seulement une question de convictions, mais aussi d’intérêt national.

Permettez-moi d’attirer votre attention sur certains domaines clés dans lesquels le Canada travaille concrètement ici dans notre hémisphère pour y arriver.

Je vais commencer par le commerce.

Le commerce fondé sur des règles ne garantit pas la paix entre les nations et ne rend pas non plus infaillible le système multilatéral, mais il est certain que cela aide.

L’automne dernier, le Canada a conclu les négociations sur le nouvel ALENA avec les États-Unis et le Mexique. En novembre, nous avons signé l’accord en marge du sommet du G20 en Argentine. Et hier, le premier ministre a déposé à la Chambre des communes un projet de loi de mise en œuvre du nouvel ALENA. Nous y sommes presque.

Et je voudrais prendre un moment pour remercier tout particulièrement les Mexicains présents dans cette salle pour ce partenariat étroit, que nous entretenons depuis longtemps. Guillermo nous a parlé de ces liens de longue date, mais le défi de renégocier l’ALENA nous a rapprochés, je crois, plus que jamais. Et ce partenariat a vraiment contribué à obtenir de bons résultats pour les trois pays d’Amérique du Nord.

Tout au long de nos intenses négociations, nous n’avons jamais perdu de vue ce qui compte vraiment pour les Canadiens : l’emploi, la croissance, le renforcement de la classe moyenne et le soutien à ceux qui travaillent fort pour en faire partie.

Nous avons tenu bon pour conclure un bon accord, et c’est ce que nous avons obtenu.

Malgré ce succès, un obstacle majeur demeurait : les droits de douane de l’article 232 reposant sur des motifs de « sécurité nationale » qu’avaient imposés les États-Unis sur l’acier et l’aluminium.

Lorsque les États-Unis ont imposé des droits de douane, le Canada a immédiatement répondu avec des mesures de représailles, en imposant des droits équivalents, et a maintenu fermement sa position selon laquelle ces droits n’étaient pas appropriés entre deux pays qui, en plus d’être des alliés importants en matière de sécurité nationale, ont également un accord de libre-échange.

Tout est bien qui finit bien. Le Canada a réussi à négocier la levée complète des droits de douane américains il y a deux semaines. Comme je l’ai dit la semaine dernière en visitant des travailleurs canadiens de l’acier et de l’aluminium à Régina et au Saguenay, voici pourquoi nous avons réussi : Nous savions que les faits nous donnaient raison. Nous sommes restés unis. Nous avons été patients. Nous avons été persévérants.

Et je suis d’avis que cette approche, fondée sur les faits, l’unité, la patience et la persévérance, représente une façon canadienne d’aborder le monde. Et je suis très fière de la façon dont notre pays est resté uni, s’est accroché et a accompli son travail. Et il y a beaucoup de gens dans cette salle, y compris mon ancien collègue du Cabinet, Scott Brison, et beaucoup de gens des secteurs d’activité qui sont très étroitement liés aux négociations de l’ALENA qui ont vraiment participé à cet effort et je tiens simplement à vous remercier tous. C’était une tâche énorme que nous avons accomplie ensemble en tant qu’Équipe Canada.

La position de notre gouvernement était qu’il serait difficile de procéder à la ratification du nouvel ALENA tant que les droits de douane seraient en place. Maintenant que les droits de douane ont été levés, notre gouvernement va de l’avant. Nous savons que la ratification du nouvel ALENA apportera une stabilité économique aux Canadiens et en effet, pour l’ensemble des Nord-Américains.

Depuis 2016, année où nous avons établi un partenariat entre le Canada et les pays de l’Alliance du Pacifique – le Chili, la Colombie, le Mexique et le Pérou – nous travaillons d’arrache-pied pour poursuivre cette coopération. Le Canada a conclu des accords de libre-échange avec chacun des pays de l’Alliance du Pacifique et nous voulons renforcer notre collaboration.

Nous sommes également très fiers du PTPGP [l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste], notre accord commercial avec l’Asie-Pacifique, qui compte trois de nos partenaires latino-américains : le Chili, le Mexique et le Pérou, entre autres membres. Et lorsque les États-Unis, le plus important membre du PTP, se sont retirés, de nombreuses questions se sont posées quant à la capacité des autres pays du PTP d’aller de l’avant. Nous l’avons fait. Le PTPGP est maintenant en vigueur.

L’an dernier, nous avons lancé des négociations commerciales avec le Mercosur, le bloc commercial qui comprend l’Argentine, l’Uruguay, le Paraguay et le Brésil.

La lutte contre la montée du protectionnisme dans le monde est un élément important de notre lutte pour maintenir et renouveler l’ordre international fondé sur des règles. Mais comme Guillermo l’a dit avec éloquence, il en va de même pour la défense de la démocratie et des droits de la personne.

Le monde a observé avec grande préoccupation comment Nicolás Maduro a systématiquement démantelé les institutions démocratiques et violé les droits de la personne au Venezuela. Le régime de Maduro a créé une crise politique, économique et humanitaire. Des millions de personnes ont fui le pays. Et des millions d’autres souffrent de graves pénuries de nourriture, de médicaments et de produits de première nécessité.

Je dois préciser ceci : la lutte au Venezuela n’est pas une lutte entre la gauche et la droite. Il ne s’agit pas non plus d’une question de souveraineté nationale en conflit avec le colonialisme. Il s’agit de ceux qui défendent la démocratie et les droits de la personne en s’élevant contre la dictature et la répression. Elle fait partie du contexte plus vaste auquel j’ai fait référence au début. Et c’est pourquoi c’est si important pour le Canada, pour notre hémisphère et pour le monde.

Le Canada est un chef de file dans les efforts visant à rétablir la démocratie et les droits de la personne au Venezuela, de concert avec ses partenaires du Groupe de Lima.

Nous convenons qu’une transition pacifique du pouvoir doit être menée par les Vénézuéliens et les Vénézuéliennes eux-mêmes.

Nous nous efforçons d’appuyer la voie tracée par l’Assemblée nationale et le président par intérim Juan Guaidó. Le Groupe de Lima s’oppose fermement à toute intervention militaire extérieure.

Le Groupe de Lima est un véritable triomphe de la collaboration dans notre hémisphère. C’est un exemple éloquent de la façon dont, à une époque où l’ordre international fondé sur des règles est soumis à de grandes tensions, des pays aux vues similaires peuvent trouver des moyens nouveaux et créateurs de travailler ensemble pour résoudre des problèmes internationaux.

Le4 janvier, le Groupe de Lima a affirmé que le processus électoral de mai 2018, sous Nicolás Maduro, manquait de légitimité et a réitéré son plein soutien à l’Assemblée nationale légitimement élue. Nous nous sommes ensuite attelés à rallier le monde.

Aujourd’hui, plus de 50 pays, dont l’Allemagne, la France, l’Espagne, le Royaume-Uni, le Japon et la Corée du Sud, reconnaissent Juan Guaidó comme président intérimaire du Venezuela.

Le Groupe de Lima s’est réuni 13 fois depuis la création de notre groupe en août 2017. Nous nous retrouvons dans exactement une semaine au Guatemala.

Il y a deux semaines, j’étais à La Havane pour discuter de la crise au Venezuela et voir si nous pouvons travailler ensemble pour la résoudre. Et aujourd’hui, le premier ministre Trudeau et moi avons discuté de cette question très importante avec le vice-président des États-Unis, Mike Pence, en visite à Ottawa.

Le Venezuela est la crise la plus grave de notre hémisphère, mais il y a d’autres problèmes. 

Le Canada est profondément préoccupé par la situation au Nicaragua. Un an après la violente répression des manifestations antigouvernementales, nous demandons au gouvernement du Nicaragua d’assumer l’entière responsabilité de ses violations des droits de la personne.

En réponse au déficit démocratique actuel et aux violations des droits de la personne, le gouvernement canadien a suspendu son aide directe au gouvernement du Nicaragua.

Nous continuons de soutenir les projets mis en œuvre par des organisations internationales, celles qui s’adressent aux plus vulnérables.

Et nous collaborons avec nos partenaires pour défendre les droits de la personne partout dans le monde.  

Nous avons eu l’honneur de jouer un rôle de premier plan dans les efforts mondiaux de défense des droits des LGBTQ2 et des personnes intersexuées au cours des deux dernières années en tant que coprésident de la Coalition pour l’égalité des droits, avec le Chili. Nous avons hâte de travailler avec le Royaume-Uni et l’Argentine, les nouveaux coprésidents.

Pour conclure et revenir à l’analogie du jardin faite par Kagan, les partisans de la démocratie libérale, et je suis convaincue qu’il s’agit de nous tous ici présents, devons d’abord faire en sorte que nos jardins démocratiques intérieurs soient florissants.

On assiste dans le monde entier à une résurgence des nationalistes d’extrême- droite, qui construisent leur popularité en alimentant la haine de « l’autre ». Nous savons où cela peut mener.

Si souvent, ceux qui répandent des discours haineux et sèment la discorde sont les mêmes qui se plaisent à prétendre que l’ordre international fondé sur des règles et les institutions multilatérales– l’ONU, si chère au cœur de Guillermo, l’Organisation mondiale du commerce, l’OCDE, l’Organisation des États américains – et même la démocratie libérale elle-même sont des systèmes créés par les élites et conçus pour une petite minorité pour marginaliser tous les autres.

Rien n’est plus faux. Quand la jungle repousse, les plus faibles sont les premiers à souffrir.

Mais il est également vrai qu’au cours des dernières décennies, le capitalisme a mieux servi le 1 % que les 99 %. C’est pourquoi, alors que nous cultivons nos propres parcelles de terre au XXIe siècle, nous devons veiller à ce qu’il s’agisse de jardins dont les fruits sont récoltés par le plus grand nombre et pas seulement par quelques-uns.

Pour ce faire, nous devons tenir compte des préoccupations légitimes de notre peuple, alors même que nous défendons la démocratie libérale.

Je sais que les Canadiens appuient l’immigration et la diversité – après tout, plus de la moitié des résidents de la merveilleuse ville de Toronto sont nés à l’extérieur du Canada. Pensez-y un instant. C’est incroyable!

Nous savons que l’immigration est une force économique et que le multiculturalisme est une valeur canadienne fondamentale. Mais les Canadiens veulent aussi savoir que notre système d’immigration est équitable et que nous contrôlons nos frontières. C’est notre travail, en tant que dirigeants politiques, de nous en assurer.

Les Canadiens savent que les changements climatiques sont réels et que nous avons la responsabilité d’agir. Mais les Canadiens veulent aussi garder leur emploi et avoir les moyens de conduire leurs enfants à l’entraînement de hockey. C’est notre travail, en tant que dirigeants politiques, de nous en assurer.

Les Canadiens sont en faveur du libre-échange équitable et de l’innovation technologique. Mais ils veulent s’assurer que la richesse créée par ces forces économiques est largement partagée – et que ces forces ne les laisseront pas au chômage pendant que leurs patrons s’enrichissent. C’est notre travail, en tant que dirigeants politiques, de veiller à ce que cela soit aussi le cas.

Si nous parvenons à réaliser toutes ces choses, nous gagnerons la lutte pour la démocratie libérale au Canada, dans l’hémisphère des Amériques et dans le monde entier.

Je vous remercie.

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