Discours de la ministre des Affaires étrangères au congrès statutaire de l’UNIFOR sur les avantages du nouvel ALENA

Discours

Le 20 août 2019 – Québec (Québec)

Le discours prononcé fait foi. Ce discours a été traduit en conformité avec la Politique sur les langues officielles du gouvernement du Canada et révisé aux fins d’affichage et de distribution conformément à sa politique sur les communications.

Merci, Scott, pour cette très aimable introduction.

J’aimerais d’abord souligner que nous sommes aujourd’hui réunis sur les territoires traditionnels appartenant au peuple Huron-Wendat. 

C’est pour moi un réel plaisir d’être ici pour prendre la parole lors du troisième congrès statutaire d’UNIFOR. 

Le thème de votre congrès est « Prêt à tout jusqu’au bout. »

C’est un thème particulièrement approprié pour l’époque dans laquelle nous vivons. De plus en plus, nous voyons des idéaux qui nous sont chers — comme la démocratie libérale — être menacés par le retour de l’autoritarisme. Le premier ministre, l’ensemble du Cabinet et moi-même sommes d’accord pour dire que nous devons faire « tout ce qui est en notre pouvoir » pour lutter contre ce courant.

Partout dans le monde, nous observons une tendance croissante de dirigeants et d’électeurs qui remettent en question la valeur de la démocratie libérale elle-même ainsi que de l’ordre international fondé sur des règles qui a été créé à la suite des horreurs perpétuées lors de la Seconde Guerre mondiale. 

Comme l’affirme Robert Kagan dans son récent livre, The Jungle Grows Back, si l’ordre libéral est comme un jardin, artificiel et menacé sans cesse par les forces de la nature, sa survie exige une lutte incessante contre les mauvaises herbes qui cherchent constamment à le miner de l’intérieur et à le submerger de l’extérieur. Aujourd’hui, il y a des signes tout autour de nous que la jungle est en train de repousser. 

Cette menace vient de l’extérieur. Les régimes autoritaires cherchent activement à nous miner par des opérations de propagande et d’espionnage sophistiquées et bien financées. Ils cherchent à suborner les petits pays, ceux qui oscillent entre démocratie et autoritarisme. 

Mais la menace vient également de l’intérieur où des mouvements extrémistes cherchent à saper nos propres démocraties.

Il est temps que les pays, comme le Canada, qui croient en la démocratie libérale et en un ordre international fondé sur des règles, ripostent. Il ne s’agit pas seulement de protéger nos valeurs. C’est aussi nécessaire pour défendre notre intérêt national. Le Canada, avec ses 36 millions d’habitants, ne pourrait jamais prospérer dans un monde de grande puissance où règne la loi du plus fort. C’est pourquoi le Canada est aujourd’hui l’un des plus ardents défenseurs de la démocratie libérale et de l’ordre international fondé sur des règles. 

Certains d’entre vous se demandent peut-être pourquoi c’est important pour moi. En quoi est-ce pertinent pour ce congrès ou pour le mouvement syndical? Premièrement, parce que vous êtes des citoyens intelligents et informés et que je sais que vous vous souciez du monde!

Mais j’ai choisi de commencer mon allocution aujourd’hui en parlant de la grande lutte mondiale dans laquelle nous sommes tous engagés pour une autre raison également. 

L’une des raisons les plus puissantes pour lesquelles la démocratie libérale et l’ordre international fondé sur des règles sont attaqués est l’affaiblissement de la classe moyenne dans le monde occidental.

Le populisme en colère se développe lorsque la classe moyenne s’appauvrit. Lorsque les gens perdent du terrain et tout espoir – même si ceux qui sont au sommet s’en sortent mieux que jamais. Lorsque les gens croient que leur avenir économique est en danger, que leurs enfants ont moins de possibilités qu’ils n’en ont eues eux-mêmes dans leur jeunesse, c’est alors que les gens deviennent vulnérables aux démagogues qui font porter le blâme à l’étranger, à l’autre – qu’il s’agisse des immigrants venus dans leur pays ou de leurs interlocuteurs à l’étranger. Le fait est que les familles de travailleurs de la classe moyenne n’ont pas tort de se sentir abandonnées. Les salaires médians stagnent, les emplois deviennent plus précaires, les pensions incertaines; le logement, les services de garde d’enfants et l’éducation plus difficiles à payer. La révolution technologique, par exemple, mais aussi la mondialisation mal abordée, qui peut dresser nos travailleurs contre ceux des pays où les normes du travail et les normes environnementales sont plus faibles, créant une course sans merci vers le bas pour tous. 

Les défis auxquels est confrontée la classe moyenne canadienne au XXIe siècle sont complexes. Nous savons que la technologie peut rendre certains de nos emplois désuets, par exemple, mais je pense que nous sommes tous conscients que nous n’aurions aucun espoir de maintenir notre propre niveau de vie et de créer un avenir prospère pour nos enfants si nous laissions d’autres pays adopter de nouvelles technologies sans faire de même. Cette partie est donc compliquée. Mais lorsqu’il s’agit de défendre les droits des travailleurs et de soutenir la classe moyenne, une chose est absolument certaine : aucune force politique n’est plus essentielle ou plus efficace que des syndicats forts.

C’est vrai depuis le tout début de la révolution industrielle et c’est vrai aujourd’hui. Souvenons-nous de notre propre histoire. En 1872, à la suite de la grève des imprimeurs de Toronto, Sir John A. MacDonald — qui n’était guère un homme pro-syndical — a adopté la Loi sur les syndicats, qui stipule que les syndicats ne doivent pas être considérés comme des conspirateurs illégaux. 

Il s’agissait d’un jalon important pour le Canada parce que les syndicats, qui luttent souvent contre l’hostilité pure et simple des gouvernements et des employeurs, ont joué un rôle déterminant en offrant d’importants avantages aux travailleurs canadiens, notamment une semaine de travail plus courte, l’assurance-emploi, une meilleure législation sur la santé et la sécurité au travail, des congés de maternité payés et bien d’autres encore. Merci pour votre travail.

Et même si ce sont les syndicats qui se sont battus pour bon nombre de ces réalisations, ils ont profité à la fois aux travailleurs syndiqués et non syndiqués. En effet, des études montrent que, même aujourd’hui, des syndicats forts signifient des salaires plus élevés pour les travailleurs syndiqués et non syndiqués. Cela s’explique par le fait que les employeurs non syndiqués d’un secteur fortement syndiqué doivent payer plus cher pour conserver les travailleurs qualifiés, et parce que les salaires plus élevés et de meilleurs avantages sociaux deviennent la norme que les employeurs doivent respecter.

Notre gouvernement comprend donc l’importance de syndicats forts, car des syndicats forts signifient une classe moyenne forte et une classe moyenne forte signifie un pays fort. Et permettez-moi de vous dire à quel point mon amie et collègue, Patty Hajdu, est une partisane dévouée à la table du Cabinet. Elle est vraiment, vraiment géniale et je sais qu’elle adore travailler avec vous. 

Lorsque nous avons formé le gouvernement, l’un des premiers projets de loi que nous avons présentés a été le projet de loi C-4, qui révoquait les lois anti-travail adoptées par le gouvernement conservateur précédent. Nous avons ratifié la Convention 98 de l’Organisation internationale du travail, qui reconnaît le droit fondamental des travailleurs de se syndiquer, et nous avons adopté le projet de loi C-62 modifiant la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, supprimant plusieurs lois antisyndicales et anti-négociation collective que le gouvernement précédent avait adoptées. De façon plus générale, nous avons également modernisé le Code canadien du travail afin de donner aux Canadiens le droit à des modalités de travail flexibles, d’éliminer les stages non rémunérés, de rendre les absences à cause d’un décès plus souples et les horaires de travail plus prévisibles.

Nous avons introduit l’équité salariale et adopté une loi pour protéger les travailleurs contre le harcèlement et la violence en milieu de travail. Nous avons élargi le Régime de pensions du Canada et nous avons instauré l’allocation canadienne pour enfants.

La lutte pour les travailleurs canadiens commence au pays. Nous devons continuer à veiller à ce que les syndicats soient protégés et à ce que vous receviez le salaire, la pension et les conditions du travail que vous avez mérités. Toutefois, le Canada n’est pas le seul champ de bataille. La remise en question de l’ordre international fondé sur des règles signifie que les travailleurs canadiens seront parfois confrontés à des menaces provenant de l’extérieur du pays. Les deux plus importantes de mon mandat de ministre des Affaires étrangères ont été la menace des États-Unis de se retirer de l’ALENA ou de lui enlever des éléments comme le chapitre 19 et l’exemption culturelle qui protégeait les travailleurs et les entreprises du Canada, et les tarifs de l’article 232 sur l’acier et l’aluminium canadiens. 

Si les États-Unis s’étaient retirés de l’ALENA, les emplois de 1,9 million de Canadiens qui sont liés aux exportations canadiennes vers les États-Unis auraient été menacés. Les droits de douane sur l’acier et l’aluminium ont mis en péril plus de 100 000 emplois directement et indirectement. Notre pays a été confronté à une grave menace existentielle. Mais quand la vie vous donne des citrons, que faites-vous? Vous faites de la limonade. Et dans cet esprit, notre gouvernement a choisi de voir la renégociation de l’ALENA comme une occasion d’améliorer nos relations commerciales avec les États-Unis. Après tout, de nombreux travailleurs canadiens n’étaient pas ravis de l’entente initiale.

Au cours de ces négociations complexes et très chargées, nous avons été en mesure de repousser les pires revendications des États-Unis, tout en ajoutant de nouvelles dispositions qui amélioreront la situation pour les travailleurs des trois pays membres de l’ALENA. Nous avons conservé le chapitre 19, le mécanisme essentiel de règlement des différends, et nous n’avons pas permis qu’une seule partie du chapitre 19 soit modifiée. 

Nous avons conservé l’exemption culturelle cruciale parce que : en anglais ou en français, nous sommes Canadiens!

Nous avons mis fin au RDIE (règlement des différends entre investisseurs et États) qui donnait aux entreprises américaines le droit de poursuivre notre gouvernement et limitait notre pouvoir souverain de protéger les travailleurs et l’environnement. Nous nous sommes débarrassés de ce qu’on appelle la clause de cliquet qui nous obligeait à faire circuler nos ressources énergétiques vers le sud. Nous avons résisté à la demande des Américains d’avoir 50 % de contenu national américain dans les voitures. 

Et de façon importante, nous avons amélioré l’ALENA pour les travailleurs. Les travailleurs canadiens sont depuis longtemps préoccupés par la concurrence déloyale du Mexique, en partie à cause de la faiblesse des droits des travailleurs et des normes environnementales. Nous avons arrangé cela. Grâce à la nouvelle entente, nous avons également apporté des changements spectaculaires aux droits des travailleurs mexicains, ce qui, bien sûr, sera bon pour les travailleurs mexicains, mais égalisera également les règles du jeu pour les travailleurs canadiens.

Et le Canada travaille en étroite collaboration avec la nouvelle administration mexicaine pour l’aider dans les aspects techniques de la mise en œuvre de sa réforme du travail. Patty était au Mexique le mois dernier pour y travailler. 

Nous avons ajouté une disposition sur la valeur de la main-d’œuvre qui exige qu’un certain pourcentage des voitures admissibles au traitement préférentiel en vertu de l’ALENA soient construites dans un pays à salaires élevés, comme le Canada. Nous avons renforcé le chapitre sur le travail et soumis les dispositions relatives au travail aux règlements des différends. 

Nous avons renforcé le chapitre sur l’environnement et l’avons également soumis aux règlements des différends. 

Nous avons même réussi à intégrer des éléments progressistes dans l’accord pour protéger les femmes et les personnes LGBTQ2 et pour refléter les intérêts des peuples autochtones dans le commerce international. 

Imaginez cela!

En passant, si vous entendez quelqu’un dire que le programme commercial progressiste du Canada était inapproprié, vous pouvez lui dire de ma part qu’il a tort sur deux points. 

Premièrement, je ne m’excuserai jamais d’une stratégie commerciale qui accorde une place de choix aux travailleurs et à leurs droits. 

Deuxièmement, ce sont les éléments progressistes du nouvel ALENA qui seront essentiels lorsque l’accord parviendra à la Chambre des représentants des États-Unis, où les démocrates sont maintenant majoritaires. 

Pour ce qui est des tarifs de l’article 232 sur l’acier et l’aluminium, par où dois-je commencer?

Nous savons tous que ces tarifs étaient absurdes dès le départ. Le Canada est puissant mais nous savons tous que nous ne pourrions jamais constituer une menace pour la sécurité nationale des États-Unis.  

Voyons donc! 

De plus, notre commerce de l’acier avec les États-Unis est équilibré et équitable. 

Nous savions donc que nous devions adopter une position ferme et nous l’avons fait. Le Canada a imposé des mesures de rétorsion parfaitement réciproques, dollar pour dollar, contre les États-Unis. Il s’agissait de la mesure commerciale la plus forte que nous ayons prise depuis la Seconde Guerre mondiale. 

Comme vous vous en souvenez tous, j’en suis sûre, la réaction résolue du Canada a provoqué des réponses assez frappantes. Cela a rendu certaines personnes nerveuses, et il y a eu des appels à la capitulation de la part de notre gouvernement. 

Nous ne l’avons pas fait. 

Nous avons tenu bon et nous avons obtenu un bon résultat.  

Aujourd’hui, les exportations canadiennes d’acier et d’aluminium vers les États-Unis ne font l’objet d’aucune restriction tarifaire, alors que les droits de douane demeurent en vigueur pour presque tous les autres pays.

Rien de tout cela n’aurait été possible sans notre partenariat étroit avec les syndicats et les dirigeants syndicaux, y compris l’exceptionnel Jerry Dias et son équipe. 

Au tout début de cette épreuve, Jerry et moi avons dîné avec Steve Verheul, notre négociateur en chef de l’ALENA, qui, soit dit en passant, est un brillant patriote canadien, un homme extraordinaire, et Jerry m’a dit que les syndicalistes étaient de très bons négociateurs. C’est un peu notre boulot. Alors on devrait traîner un peu ensemble et peut-être qu’on pourrait s’entraider. 

Et c’est exactement ça qui est arrivé! 

En fait, lorsque certains hésitaient, nous exhortant à céder aux exigences des États-Unis à l’égard de l’ALENA ou de l’article 232, c’est vous qui nous avez encouragés à continuer à nous tenir debout.

Et je vous en suis si reconnaissante.

Les syndiqués savent qu’il faut se lever et se faire entendre, se battre pour ses droits — même si l’autre est plus grand ou plus fort que soi. C’est ce que nous avons appris en tant que pays lors des négociations avec les États-Unis. 

Si vous êtes plus petit — comme Jerry et moi ne le savons que trop bien —vous devez être plus astucieux et plus coriace! J’aimerais donc conclure en vous remerciant tous d’être de si grands combattants. Vous nous avez soutenus dans la lutte pour l’ALENA et l’article 232. Vous vous battiez pour vos propres emplois, mais également pour votre pays. Vous êtes de fervents défenseurs des droits syndicaux et, dans cette lutte, vous défendez la classe moyenne canadienne dans son ensemble. Lorsque vous gagnez, tous les travailleurs canadiens, syndiqués et non syndiqués, y gagnent.

Enfin, j’aimerais remercier le Canada.

En tant que ministre des Affaires étrangères, ironiquement, la chose la plus importante que j’ai apprise est que nous sommes un pays extraordinaire.

À une époque où l’autoritarisme est à la hausse et où les populistes mécontents réussissent à diviser leur pays en groupes antagoniste, le Canada est devenu la cité sur la colline — la plus forte démocratie libérale au monde. Des syndicats forts sont essentiels à un pays fort. Alors, merci de vous battre avec autant d’acharnement et de succès pour notre merveilleux pays.

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