Une conversation avec la nouvelle commissaire de l’ACFC : Shereen Benzvy Miller

« Pour susciter la confiance à l’égard du système financier, il faut faire en sorte que les personnes sentent qu’elles existent et qu’elles sont comprises et respectées. »
Shereen Benzvy Miller
L’ACFC est enthousiaste à l’idée de commencer l’année 2025 avec une nouvelle commissaire. Qu’est-ce qui vous a attiré à l’ACFC?
J’ai passé la majeure partie de ma carrière au service des collectivités vulnérables d’une manière ou d’une autre, c’est pourquoi je trouve le mandat de l’ACFC et l’accent qui est mis sur les finances très attrayants. Si vous posiez la question aux gens aujourd’hui « Quelles sont vos plus grandes angoisses dans la vie? », je parie que 99 % des conversations porteraient sur le bien-être financier et la stabilité financière. L’intérêt d’un organisme de réglementation dépend de son mandat. Selon moi, un mandat qui établit un équilibre entre la protection et l’éducation est idéal, en particulier dans un domaine aussi essentiel que le bien-être financier.
Vous êtes une cadre chevronnée du gouvernement du Canada. En quoi vos expériences vous aideront-elles à diriger une agence qui protège les consommateurs de produits et services financiers?
Je suis avocate, et je commence toujours par là. Quelle que soit la situation, ma première question est toujours : quelle est la loi à ce sujet? En tant que décideur, il faut s’appuyer sur le langage du droit administratif pour respecter les principes d’équité.
Je dirais qu’il y a trois postes de cadre au gouvernement du Canada qui ont contribué à façonner ma capacité à répondre aux besoins de ce rôle. Tout d’abord, en tant que défenseure des droits de la personne pour les délinquants purgeant une peine de ressort fédéral à Service correctionnel Canada, j’ai beaucoup appris sur le fait d’être à l’écoute des collectivités que vous servez et des intervenants à l’intérieur et à l’extérieur du gouvernement qui contribuent à la conversation. J’écoutais les délinquants et prenais connaissance de leurs difficultés. Je discutais ensuite avec les directeurs et le personnel afin de comprendre le contexte dans lequel s’inscrivaient les plaintes. Vous ne pouvez pas aider les gens ni protéger leurs droits si vous ne les comprenez pas et si vous ne connaissez pas les difficultés de leur environnement.
Par la suite, mon rôle de vice-présidente à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (le plus grand tribunal administratif du Canada) m’a vraiment aidé à comprendre l’importance de l’indépendance dans la prise de décision. J’ai compris comment je pouvais communiquer avec le Parlement et les organismes centraux tout en conservant un sentiment d’équilibre et d’indépendance, et ainsi prendre des décisions fondées sur des principes qui reflètent bien le cadre réglementaire.
Enfin, mon travail avec l’équipe des ressources humaines et de la paye de la prochaine génération. Je me suis retrouvée dans une situation où il y avait un énorme manque de confiance qui avait été causé par un échec catastrophique de la technologie et une mauvaise harmonisation entre les experts dans un environnement très complexe. Cette situation m’a aidé à comprendre le leadership moderne, où il faut jongler avec les éléments humains et technologiques, dans le respect des uns et des autres. Pour trouver une solution, il m’a fallu décortiquer le problème en plus petits éléments gérables, et les gérer en conséquence. J’ai découvert que l’une de mes plus grandes forces était de décomposer les problèmes, ce qui permet de transformer un énorme problème en défis plus petits et plus faciles à gérer.
Vous avez mentionné avoir consacré la majeure partie de votre carrière au service des collectivités vulnérables. Comment envisagez-vous de donner la priorité aux personnes vulnérables à l’ACFC?
La protection des consommateurs et des personnes vulnérables commence par une conception centrée sur l’utilisateur. Un fournisseur de services financiers, que ce soit une banque ou une entreprise de technologie financière, doit placer le consommateur au centre de tous les services qu’il offre. Ce type de protection n’est pas seulement quelque chose de souhaitable. En tant que commissaire, je commencerai toujours par demander quelle sera l’incidence d’une initiative sur la personne et comment elle protègera les utilisateurs finaux du système. En posant ces questions, j’espère assurer un fonctionnement plus efficace de nos systèmes financiers et installer un climat de confiance. La confiance est la pierre angulaire de notre cadre juridique qui est axé sur la sécurité et la stabilité financières des institutions et du système financier dans son ensemble.
Selon vous, l’ACFC devrait-elle accorder la priorité à un segment particulier de la population vulnérable dans ses travaux?
On dit qu’une civilisation se mesure à la façon dont elle traite ses populations les plus vulnérables. Par contre, je ne veux pas privilégier une catégorie de personnes à risque. Je pense que les questions financières nous affectent tous sur un pied d’égalité. Les difficultés financières touchent tout le monde de façon terrible. Elles ont une incidence sur la santé mentale, la santé personnelle et les familles. Si nous prenons comme point de départ les personnes les plus vulnérables et que nous veillons à ce qu’elles soient bien prises en charge, alors les personnes qui s’en sortent bien, mais qui pourraient s’en sortir mieux seront également prises en charge. Cela dit, nous avons le privilège d’avoir une équipe de recherche et un partenariat sur l’écosystème solides à l’ACFC, ce qui nous permet de cibler notre diffusion pour nous assurer qu’elle ait une incidence maximale.
La surveillance des institutions financières est l’un des principaux moyens qu’utilise l’ACFC pour protéger les consommateurs de produits et services financiers. Quels sont les principes qui vous guideront dans ce travail?
Comme je l’ai mentionné tout à l’heure, je commencerai toujours par demander quelle sera l’incidence sur le consommateur. Je m’aperçois que l’ACFC et les institutions financières ont des points de départ différent, mais il est toujours possible d’avoir un modèle de revenu sain tout en tenant compte de la collectivité que vous servez et en la protégeant. Pour créer un climat de confiance, il faut faire en sorte que les gens se sentent vus, compris et respectés, qu’ils aient un sentiment d’équité et qu’ils ne se sentent pas exploités. Le rôle de l’ACFC dans l’instauration de cette confiance profite aux initiatives du secteur privé. L’Agence et les institutions financières peuvent avoir des conversations enrichissantes, collaborer et faire preuve de créativité et d’innovation lorsque nous comprenons d’où nous venons en tant qu’organismes de réglementation, et d’où viennent les institutions financières.
Quelles sont, selon vous, les plus grandes forces de l’ACFC en matière de réglementation des institutions financières et de protection des consommateurs de produits et services financiers?
Nous nous appuyons sur un cadre juridique solide et nous disposons d’une unité de services juridiques rigoureuse, qui elle s’appuie sur un cadre réglementaire et un cadre de conformité bien établis. Notre équipe de surveillance et de mise en application est essentielle pour veiller à ce que les entités réglementées respectent leurs obligations. Nous disposons d’une équipe de recherche et de politiques solide qui, en plus d’effectuer de la recherche comportementale, mène des recherches et des analyses de données qui nous permettent de prendre connaissance des tendances auxquelles il faudra porter attention. Nous nous assurons de tenir compte de l’élément humain, et la mobilisation des intervenants est très efficace, ce qui nous permet d’avoir une bonne connaissance de la situation dans laquelle nous évoluons. Nous disposons également d’une communication éducative vraiment impressionnante, ayant pour but d’améliorer les niveaux de littératie financière des Canadiens. Je vois ces éléments comme des blocs de construction qui s’agencent tous les uns avec les autres pour créer une institution forte et dynamique.
L’ACFC travaille en étroite collaboration avec des organismes dans tout le pays pour renforcer la littératie financière des Canadiens. Quelles priorités en matière de littératie financière contribuerez-vous à faire avancer en 2025?
La Stratégie nationale pour la littératie financière de l’ACFC, d’une durée de cinq ans, est presque terminée, alors nous allons revoir nos objectifs en matière de littératie financière. C’est l’occasion idéale de travailler avec nos partenaires pour déterminer si les gens comprennent nos messages, quels sont les messages qui résonnent et comment nous pouvons les faire évoluer ensemble.
Nous collaborerons également avec nos partenaires pour déterminer quelles sont les collectivités qui ont le plus besoin de soutien. Je ne peux m’empêcher de penser qu’investir dans la littératie financière des enfants, par exemple, pourrait avoir les meilleurs résultats à long terme. L’avenir de l’argent est très différent de celui des générations précédentes. La littératie financière des enfants doit aller au-delà de l’identification des différentes monnaies, car la plupart d’entre eux ne tiendront sans doute jamais de monnaie dans leurs mains. Pour la génération actuelle, l’argent ne sera pas une chose tactile. Il sera entièrement axé sur des données et accessible sur leurs téléphones, leurs appareils. Alors, comment faire pour que cette oasis numérique chatoyante devienne une réalité pour les enfants?
Enfin, j’aimerais que les partenaires me fassent part de ce qu’ils envisagent comme objectifs stratégiques pour les cinq prochaines années. J’occupe ce poste depuis peu et je suis impatiente d’entendre ce que les personnes ayant travaillé dans le domaine ont à dire, les leçons qu’elles ont tirées et leur vision de l’ACFC.
Le système financier traverse une période de grands changements. Que diriez-vous aux consommateurs canadiens de produits et services financiers sur la façon dont vous espérez les aider à naviguer dans cet environnement exigeant?
Il est vrai que le système financier traverse une période de grands changements, ce qui entraîne de nouvelles possibilités, mais également des défis. Par exemple, le mandat de l’AFCF a récemment été élargi afin d’inclure la responsabilité de superviser le Cadre canadien des services bancaires pour les gens (aussi connu sous le nom de « système bancaire ouvert »). Ce nouveau cadre permettra aux Canadiens d’accéder en toute sécurité à leurs données financières et de les communiquer aux entreprises de technologie financière. J’aimerais qu’ils s’assurent de bien comprendre ce que signifient « posséder et contrôler ses renseignements financiers », et à qui les communiquer, afin d’être certains que les acteurs avec lesquels ils communiquent et auxquels ils acceptent de transmettre leurs renseignements ne sont pas malveillants. La littératie financière offre une protection importante contre les fraudes et les escroqueries, et constitue également le meilleur moyen de garantir la résilience financière.
Je dirais également aux Canadiennes et aux Canadiens : n’ayez pas peur de comprendre vos finances. Même lorsque vous n’êtes pas en situation de crise, que tout va bien, connaissez votre argent. Levons le tabou et parlons de nos finances avec nos enfants, notre conjoint, nos parents, avec des experts financiers ou même avec nos amis. Discutez de vos soucis financiers. À un moment ou à un autre, tout le monde aura les mêmes soucis et les mêmes préoccupations. Plus vous en saurez sur les solutions possibles et les recettes pour résoudre les problèmes, mieux vous serez outillé pour faire face à ses soucis. S’intéresser aux parcours des autres et à leurs bonnes et mauvaises expériences pour apprendre est une chose très saine à faire lorsqu’il est question d’un sujet aussi important.
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