Un Frankenstein Moderne : La réforme de l’éducation Militaire Professionnelle à l’ère de ChatGPT
par Lieutenant-colonel Nathan Richards, CD
Il y a quelque chose dans mon âme que je ne comprends pas.
- Mary Shelley, Frankenstein
INTRODUCTION
L’évolution rapide des outils dotés d’une intelligence artificielle (IA), dont ChatGPT fait partie, marque le début d’une nouvelle ère dans l’apprentissage et la synthèse des langues automatisées, en plus de repousser les limites du possible au chapitre de la création et de la synthèse des connaissances. Bien que ChatGPT ait été salué pour ses capacités impressionnantes et ses applications potentielles, cet outil soulève toutefois de graves préoccupations quant à ses répercussions sur l’enseignement postsecondaire. Le développement de la technologie ChatGPT comporte des avantages, mais elle ébranle aussi le statu quo et les postulats de la formation militaire professionnelle (FMP). Dans le présent article, l’auteur soutient que ChatGPT remet profondément en question le modèle actuel de FMP, parce que les étudiants et les étudiantes peuvent l’exploiter pour générer sans effort du contenu académique de qualité, mais au détriment de l’acquisition d’une pensée critique et de compétences sur le plan de la communication.Note de bas de page 1 Il analyse également la façon dont ChatGPT est susceptible de miner la qualité et l’intégrité de la FMP en favorisant la malhonnêteté académique. L’auteur s’attarde également sur la dévalorisation possible de cette éducation, dans la mesure où les étudiants et les étudiantes peuvent profiter de la technologie pour produire des travaux scolaires exempts d’erreurs, sans toutefois acquérir une pensée critique. Enfin, il décrit comment les établissements d’enseignement pourraient réaménager leurs méthodes de façon à intégrer les outils d’IA dans leur programme de FMP en vue de maintenir le niveau de pensée critique dont auront besoin les leaders militaires de demain.
Le présent article examine les répercussions de la technologie ChatGPT sur la FMP, en mettant l’accent sur le Programme de commandement et d’état-major interarmées (PCEMI) enseigné au Collège des Forces canadiennes (CFC). Bien que l’article se concentre sur l’incidence de la technologie de l’IA sur le PCEMI, l’examen de ChatGPT s’assortit de nombreuses leçons applicables à d’autres cours de FMP au CFC et susceptibles de convenir à un auditoire universitaire plus large.
L’auteur offre d’abord une vue d’ensemble du contexte plus général en examinant d’autres crises éducatives historiques liées elles aussi à la technologie, comme l’écrit, l’imprimerie et la calculatrice, ainsi que leurs répercussions sur le développement des compétences intellectuelles. À l’instar d’un grand nombre de technologies perturbatrices du passé, ChatGPT provoque à la fois peur et enthousiasme, puisqu’il remet en question le statu quo académique. Avec le temps, il permettra cependant à chacun d’approfondir sa réflexion et d’aborder divers sujets complexes à une cadence beaucoup plus rapide qu’auparavant. L’auteur brosse ensuite un portrait sommaire de ChatGPT et souligne ses forces et ses limites, puis examine dans un troisième temps les modèles actuels d’évaluation académique et d’objectifs d’apprentissage du PCEMI au CFC. Il consacre la quatrième partie de son article à démontrer comment ChatGPT peut servir à contourner les objectifs de la FMP grâce à la conception créative d’« invites », mais sans aucune forme de pensée critique traditionnellement requise pour atteindre ces objectifs. Enfin, l’auteur formule plusieurs recommandations pour restructurer le PCEMI afin d’intégrer les outils d’IA au profit des étudiants et des étudiantes et du personnel d’instruction militaire (PIM). Il soutient qu’en réaménageant son PCEMI, le CFC pourrait demeurer pertinent pour préparer les dirigeants des Forces armées canadiennes (FAC) à relever les défis de demain.
TECHNOLOGIES PERTURBATRICES DU PASSÉ
Les technologies n’ont jamais cessé de marquer l’histoire de l’humanité. Bien que parfois perçues au départ comme une menace au statu quo, elles ont quand même fait leur chemin dans l’acceptation sociale.
Socrate et l’écrit
Platon a probablement provoqué la première crise technologique avec le Phèdre, son dialogue entre Socrate et Phèdre, un aristocrate d’Athènes. C’est ainsi qu’il plaidait en faveur de la tradition orale et contre l’invention de l’écriture :
[L’écrit] atrophiera la mémoire des gens. En faisant confiance à l’écriture, ils se rappelleront des choses en se fiant aux marques d’autrui, de l’extérieur d’eux-mêmes, et non avec leurs propres ressources intérieures, et ainsi l’écriture fera disparaître les choses qu’ils ont apprises de leur esprit. Votre invention est une potion pour rafraîchir la mémoire, pas pour se souvenir. Vous donnez à vos disciples l’apparence de l’intelligence, pas de la vraie intelligence.Note de bas de page 2
Socrate croit que la parole écrite conduit à l’oubli et à l’ignorance généralisés, puisque les gens se fient aux mots écrits plutôt que de mémoriser et d’apprendre l’information pour eux-mêmes. Il affirme que les mots écrits ne peuvent être débattus, clarifiés ou corrigés.Note de bas de page 3 Il croit que si l’on délaisse la mémorisation, l’étude personnelle et le questionnement, on ne peut vraiment prétendre ne posséder aucune connaissance. Ainsi, l’écrit a fondamentalement remis en question la primauté du dialogue académique, qui constituait une menace immédiate au statu quo et au mode de vie du philosophe. Ironiquement, le fait même que les vues de Socrate sur l’écriture ont été consignées par Platon vient saper son propre argumentaire.Note de bas de page 4
Malgré l’avertissement de Socrate, il est évident que les mots écrits peuvent être retravaillés, contestés et réfutés sous forme orale et écrite. Loin d’entraver la capacité de chacun de créer et d’assimiler des connaissances, l’écriture a permis aux humains de se plonger plus profondément dans les sujets en exposant la recherche individuelle à un éventail de sources et de points de vue bien plus large que ce qu’un simple rapport entre personnes ne pourrait jamais offrir. Plutôt qu’être un obstacle, l’écriture est devenue un outil essentiel pour acquérir et synthétiser des connaissances. La technologie de l’écriture a transformé le milieu universitaire et l’éducation, passant d’une mémorisation par cœur – limitée par les facultés humaines – à une écriture de masse où les connaissances peuvent être consignées et partagées en dehors de l’expérience individuelle. Là où elle a d’abord été critiquée comme marquant la fin de la pensée critique, cette nouvelle technologie a été adoptée par la société qui a adapté ses structures en fonction d’elle.
L’Église catholique et l’imprimerie
L’introduction de l’imprimerie au milieu du XVe siècle a constitué un autre tournant dans la façon dont les connaissances étaient transmises. En permettant la production de livres à grande échelle, elle a élargi l’accès de la population au savoir, permettant ainsi la diffusion des idées et la remise en question des structures de pouvoir enracinées.Note de bas de page 5 De plus, cette nouvelle technologie a permis aux élites de répandre le savoir auprès du peuple, créant ainsi un nouveau mécanisme pour transmettre et recevoir les connaissances. L’invention de l’imprimerie a donc constitué un jalon important dans le mode de transfert des connaissances, promouvant un nouvel environnement d’apprentissage et changeant le paysage de l’éducation et du monde universitaire, ainsi que la philosophie théologique et politique. L’imprimerie permettait non seulement l’écriture de textes, mais aussi une production de livres à grande échelle. Là où des manuscrits n’étaient auparavant produits que grâce aux efforts d’un scribe, les machines pouvaient dorénavant imprimer rapidement des livres volumineux. Cette transformation a conduit à la prolifération des idées et a permis une éducation des masses à une époque où seuls les riches pouvaient s’offrir un tel luxe. L’imprimerie a également eu des conséquences majeures pour l’Église catholique qui a profité de sa mainmise sur les textes sacrés pour monopoliser l’accès au divin et donc maintenir sa puissance par le savoir. En facilitant la diffusion généralisée des textes sacrés dans une langue commune plutôt que le latin, l’imprimerie a permis aux gens ordinaires d’accéder indépendamment à la connaissance du divin, minant ainsi l’autorité de l’Église catholique. Cette nouvelle technologie a donc été un facteur de changement important dans la dynamique du pouvoir, que l’on peut observer en Europe à la Renaissance. La technologie de l’impression a donné lieu à « une multiplication des connaissances et un approfondissement de la pensée qui ont ouvert la voie à la Renaissance, à la révolution industrielle, à l’alphabétisation des masses et à l’éducation publique ».Note de bas de page 6 Bien que cette nouvelle technologie semblait au départ sur le point d’annihiler la pensée critique, la société a plutôt choisi de l’adopter et d’adapter ses structures en fonction d’elle.
Les écoles secondaires et la calculatrice électronique
L’arrivée et l’utilisation de masse de la calculatrice électronique dans les années 1970Note de bas de page 7 constitue elle aussi un jalon des technologies émergentes. La communauté universitaire a d’abord perçu avec scepticisme cette adoption généralisée. Elle craignait que la calculatrice ne remplace les compétences mathématiques et qu’elles rendent leur acquisition et leur application plus difficiles.Note de bas de page 8 D’aucuns ont avancé que les stagiaires en viendraient à trop dépendre d’elle, ce qui entraverait le développement des compétences essentielles en calcul mental.Note de bas de page 9 De plus, on a fait valoir que l’utilisation de la calculatrice limiterait leur créativité et nuirait au développement de leur capacité à résoudre des problèmes.Note de bas de page 10
Avec les années, la communauté universitaire a progressivement adopté la calculatrice comme un outil susceptible de faciliter l’enseignement et la pratique des mathématiques à l’école. L’entrée de cette technologie dans la salle de classe de mathématiques, dans une version d’abord dotée de fonctions scientifiques puis graphiques par la suite, a eu de profondes répercussions sur la matière enseignée et surtout sur la façon dont elle était enseignée. Munis d’une calculatrice, les étudiants et les étudiantes pouvaient s’attaquer à des problèmes concrets qui les intéressent, ainsi que poser et résoudre des problèmes en appliquant des techniques mathématiques inaccessibles sans la technologie. La calculatrice a mis fin aux calculs fastidieux et permis aux enseignants et aux enseignantes de se concentrer sur les notions mathématiques importantes, plutôt que sur le calcul élémentaire.Note de bas de page 11 Elle a permis aux étudiants et aux étudiantes d’acquérir une compréhension plus approfondie des concepts mathématiques, et aux enseignants et aux enseignantes de couvrir des sujets plus complexes dans le même laps de temps.Note de bas de page 12 L’adoption généralisée de la calculatrice a également rendu les mathématiques plus accessibles à un plus grand nombre d’étudiants et d’étudiantes, leur permettant de poursuivre leurs études dans ce domaine ou dans d’autres qui s’y rattachent.
Dans l’ensemble, l’écriture, l’imprimerie et la calculatrice électronique ont révolutionné le développement du savoir, remettant en question les modes convenus de création et de contrôle des connaissances. Au départ, ces technologies perturbatrices ont provoqué des réactions de peur, d’anxiété et d’incertitude – autant d’instincts humains dont la fonction est de préserver le statu quo. Elles pouvaient également servir à faire le bien comme le mal, selon l’intention de l’utilisateur, mais en fin de compte, elles ont transformé la pensée et les façons dont on crée et partage l’information, et changé la nature de nos interactions avec elle. Grâce à ces technologies, les gens pouvaient pousser plus loin et plus rapidement leur réflexion. Sans elles, ils étaient contraints de se consacrer à des tâches plus simples, et l’étude de concepts avancés leur échappait complètement. Avec ces technologies, il devenait possible d’acquérir plus rapidement une meilleure compréhension de sujets complexes.
ChatGPT constitue la dernière manifestation d’une technologie émergente perturbant le statu quo. À l’instar d’autres technologies transformatrices, il fait lui aussi des vagues dans le domaine de l’éducation, les milieux universitaires, l’économie et la société en général.
QU’EST-CE QUE CHATGPT?
Développé par la société OpenAI, ChatGPT est un robot conversationnel, ou chatbot, qui puise dans un important bassin de modèles de langage pour simuler des réponses humaines dans une conversation. Lancé le 30 novembre 2022, ChatGPT a été conçu pour aider les utilisateurs à accomplir diverses tâches, comme répondre à des questions ou rédiger un texte. Les principales sources qu’exploite ChatGPT reposent sur l’ensemble de données de l’organisation Common Crawl qui fournit gratuitement 570 gigaoctets d’archives constituées de pages Web, de livres, d’articles et de journaux de conversation glanés de 2016 à 2019.Note de bas de page 13
ChatGPT produit et synthétise une grande quantité de texte à partir d’une « invite ». Dans un tel contexte, cette invite est un énoncé ou une question servant à engager une conversation. ChatGPT mémorise les commentaires des utilisateurs et réagit aux corrections et aux réactions de suivi pour améliorer sa précision et ses performances, en plus de bloquer les demandes inappropriées et de passer outre aux sujets de nature délicate. Il génère des données tabulaires, ajoute des index, comprend le code qu’on lui présente, répond à des questions, rédige du texte et traduit dans la plupart des langues, tout cela en exploitant l’apprentissage par renforcement, appuyé par la rétroaction humaine, pour s’adapter à différentes situations.
ChatGPT constitue une forme de langage d’IA capable de générer du texte fondé sur des patrons qu’il discerne dans une grande quantité de données, mais d’une façon totalement différente du raisonnement humain qui s’appuie sur la logique pour formuler des conclusions et des jugements à partir de preuves et de connaissances. Contrairement à l’esprit humain, ChatGPT ne raisonne pas selon une logique quelconque, mais s’appuie plutôt sur des modèles statistiques pour prédire des résultats probables.Note de bas de page 14 Il a pourtant évolué au point de synthétiser l’information avec précision, ce qui ressemble beaucoup à du raisonnement humain. À mesure que le chatbot apprend des utilisateurs, il parvient de plus en plus facilement à synthétiser l’information et à générer des réponses de meilleure qualité.
Les forces de ChatGPT
ChatGPT impressionne surtout par sa capacité à traiter et à analyser d’importants volumes de données à une vitesse et une échelle supérieures aux humains. Par exemple, il analyse rapidement des données provenant de multiples sources – articles universitaires, rapports scientifiques, coupures de presse et publications dans les médias sociaux – pour ensuite trouver presque instantanément des relations entre ces sources. Il découvre ainsi des patrons et des relations difficiles qu’un chercheur humain ne saurait ou ne pourrait découvrir. ChatGPT est ainsi capable de générer des perspectives et des connaissances susceptibles de favoriser innovation et progrès dans un large éventail de domaines. De plus, sa capacité à établir des liens entre des ensembles de données colossaux influe en profondeur sur le processus décisionnel. En conséquence, il peut aider les humains à prendre des décisions plus éclairées et justes. Cette capacité profite tout particulièrement au domaine de la santé, de la finance et des affaires, entre autres, où son aptitude à traiter et à analyser de grandes quantités de données donne souvent lieu à de meilleurs résultats et à une plus grande efficacité.
Cependant, même si la célérité et l’échelonnabilité de ChatGPT s’avèrent impressionnantes, son infaillibilité comme celle des autres outils d’IA est bien réelle. En effet, leur performance est étroitement liée à la qualité des données avec lesquelles ils ont été entraînés, ainsi qu’aux algorithmes dont ils se servent. Il est par conséquent essentiel de concevoir et de mettre en œuvre tous ces outils d’IA en tenant compte de la transparence, de la responsabilisation et de l’éthique – la société OpenAI continue de se pencher sur ces facteurs. En agissant ainsi, nous pouvons exploiter la puissance de l’IA pour établir des relations entre de grands ensembles de données et générer de nouvelles connaissances, tout en minimisant les risques et les défis associés à cette technologie. Les médias actuels regorgent d’exemples d’utilisateurs qui se servent de ChatGPT pour remettre en question et, en fin de compte, dépasser les exigences des études supérieures en ce qui a trait aux examens et aux dissertations.Note de bas de page 15
ChatGPT est un puissant outil qui permet à l’utilisateur de mieux à communiquer. Il génère des réponses de grande qualité en fonction d’un large éventail d’invites, comme rédiger une dissertation sous forme de plan, d’arguments et même de texte in extenso. Dans le rôle d’assistant personnel toujours disponible, il synthétise et organise rapidement l’information au bénéfice de l’utilisateur qui maîtrise mal la syntaxe, la grammaire ou l’orthographe. ChatGPT est capable de générer une prose élégante à partir d’une simple liste à puces. Cette fonctionnalité s’avère particulièrement utile aux personnes peu habituées à rédiger ou qui veulent communiquer des idées complexes avec clarté et concision. En outre, ChatGPT fournit une rétroaction et des conseils personnalisés en fonction du niveau de connaissances de l’utilisateur. Que ces derniers soient des enfants, des néophyte, des collégiens, des collégiennes, ou des doctorants et des doctorantes, ce chatbot doté d’une IA lui fournit une rétroaction adaptée à son niveau de connaissance. Dans l’ensemble, ChatGPT est un outil puissant qui fait gagner du temps et facilite l’écriture, la recherche et l’organisation de l’information.
Les lacunes de ChatGPT
ChatGPT n’est toutefois pas sans lacunes. En effet, bien qu’il puisse prédire avec exactitude le contenu du texte qu’on lui soumet, il n’est pas infaillible et peut générer sans hésitation des « hallucinations sémantiques », c’est-à-dire des énoncés inexacts.Note de bas de page 16 Il agit ainsi lorsque l’invite qu’on lui fournit est ambiguë ou incomplète. Le modèle de langage d’IA de ChatGPT génère alors des réponses qui ne sont pas tout à fait exactes ou pertinentes. La fréquence à laquelle il génère ces réponses « hallucinées » exige de l’utilisateur qu’il comprenne vraiment ce sur quoi porte sa requête pour déterminer sans l’ombre d’un doute si ChatGPT a correctement répondu. Ces hallucinations affectent aussi l’utilisateur s’il accepte les résultats de ChatGPT sans prendre le temps d’en confirmer l’exactitude.
Puiser dans l’ensemble de données de l’organisation Common Crawl pour générer du texte constitue une autre lacune de ChatGPT. Ainsi, la qualité de la production de ce dernier repose sur la qualité et la diversité des seules données avec lesquelles il a été entraîné. Par conséquent, des données biaisées ou de portée limitée produiront des réponses elles aussi biaisées ou de portée limitée. Fait important, ChatGPT ne peut vérifier des faits en temps réel parce qu’il n’est pas connecté à Internet, ce qui réduit davantage l’éventail de ses réponses fondées sur de l’information « figée » dans l’ensemble de données de départ.Note de bas de page 17 En outre, à moins de l’entraîner suffisamment en lui soumettant une invite détaillée, ChatGPT n’est pas concentré sur le sujet, puisqu’il peut envisager des réponses puisées sans contrainte dans toutes les autres sources. Il constitue ainsi une sorte de boîte noire contenant de l’information dont les sources sont impossibles à retracer ou à citer, et donc à vérifier.Note de bas de page 18
Enfin, les émotions ou les signes d’empathie sont totalement absents des réponses de ChatGPT. Celui-ci ne peut que générer du texte en fonction des modèles qu’il a appris et est incapable de comprendre ce que ressent l’utilisateur ou de faire preuve d’empathie à son égard. Comme il exploite de grands ensembles de données, il est susceptible de perpétuer des préjugés sociaux, ce qui en fait un outil peu idéal pour engager des conversations de nature délicate. Il peut produire une interprétation erronée ou inéquitable des conversations, et créer ultimement un préjudice à l’endroit de personnes ou de groupes particulièrement vulnérables aux préjugés.Note de bas de page 19 OpenAI a la possibilité d’atténuer ces préjugés en structurant des ensembles de données de manière à assurer leur diversité et à faire en sorte qu’ils rendent compte de points de vue également diversifiés. Cette tâche n’est pas toujours facile, puisqu’il n’est pas aisé de cerner et d’éradiquer les préjugés chez les humains et l’IA. De plus, il ne suffit pas de structurer un ensemble de données pour en éliminer les préjugés, puisque les données sont toujours susceptibles de les véhiculer de façon inconsciente. Il faut donc garder à l’esprit les lacunes décrites ici et utiliser ChatGPT avec circonspection.
MODÈLE D’ÉVALUATION ACTUEL DU PCEMI
Le PCEMI comporte un volet de FMP qui couvre une partie de la période de perfectionnement (PP) 3 des capitaines de corvette et des majors choisis au sein des FAC.Note de bas de page 20 Le CFC offre également aux stagiaires admissibles au PCEMI le programme professionnel de maîtrise en études de défense (MED) qu’administre le Collège militaire royal du Canada accrédité par le Conseil des universités de l’Ontario (CUO) dont le rôle est d’établir les normes d’apprentissage au niveau des études supérieures, applicables au programme de MED.Note de bas de page 21
Alors que le PCEMI est entièrement réglementé par les militaires sous l’égide de l’Académie canadienne de la Défense, c’est au CUO qu’incombe la supervision, la surveillance étroite et constante ainsi que l’examen minutieux du programme de MED. Le corps professoral du CFC surveille pour sa part tous les cours de ce programme, que valident à intervalles réguliers le Sénat du CMR et le doyen des études supérieures.Note de bas de page 22 Pour assurer sa cohérence avec les normes provinciales en matière d’études supérieures, le cursus entier du programme de MED doit satisfaire aux normes d’assurance de la qualité du CUO et à celles du Programme interne d’assurance de la qualité.
Le modèle pédagogique du PCEMI s’appuie à la fois sur le PIM, le personnel officier de développement des cours (ODC) et les membres du corps professoral, qui supervisent tous ensemble la matière enseignée. Chaque cours est dispensé soit par un membre du PIM soit par un ou une universitaire, mais parfois par les deux lorsque la matière enseignée l’impose. Par exemple, les cours ÉD555, Leadership, et ÉD556, Commandement, sont donnés par un membre du PIM qu’un ou une universitaire vient seconder au besoin, alors qu’un ou une universitaire dispense le cours ÉD569, Sécurité internationale et politique étrangère du Canada, dont l’administration incombe à un membre du PIMNote de bas de page 23 . Lorsqu’ils élaborent un cours quelconque, les membres du PIM, les ODC et les universitaires en déterminent les sujets et les modules, ainsi que les méthodes d’évaluation appropriées.
La figure 1 montre les méthodes d’évaluation notées pour chaque cours habituellement suivi par un stagiaire inscrit au PCEMI 49 en 2022-2023. Les cours sont classés par ordre chronologique.

Figure 1 : Méthodes d’évaluation du PCEMI et du programme de MED – Tableau de données
La figure 1 présente la méthode d'évaluation du programme de commandement et d'état-major interarmées et de la maîtrise en études de la défense. Il existe huit cours avec différentes méthodes d'évaluation notées :
- DS555-49 : Leadership (1 essai, 3 journaux de réflexion, 1 séminaire)
- DS556-49 : Commande (1 essai, 2 journaux de réflexion, 1 projet de recherche de groupe (vidéo), 1 séminaire)
- DS569-49 : Sécurité internationale et politique étrangère canadienne (1 essai, 1 journal de réflexion, 1 séminaire)
- DS521-49 : Leading Operational Art and Design (Cours Comp) (1 essai, 1 séminaire)
- DS545-49 : Capacités des composants (1 essai, 1 séminaire)
- DS520-49 : Planification au niveau opérationnel (1 note d'information, 1 séminaire, 2 simulations orales)
- DS554-49 : Sujets avancés en développement de politiques institutionnelles (1 séminaire)
- DS557-49 : Analyse des politiques institutionnelles (1 essai, 1 séminaire)
La figure 2 ci-dessus montre les mêmes méthodes, mais sous forme de pourcentages représentant leur répartition. À 54 p. cent, les épreuves écrites forment la majeure partie des évaluations notées officielles. Les séminaires arrivent au deuxième rang à 34 p. cent, suivis des simulations faites de vive voix (8 p. cent) et d’autres projets en groupe (4 p. cent). L’auteur soutien (dans les prochaines sections) que les travaux écrits et les séminaires risquent le plus d’être réalisés avec l’aide de ChatGPT, ce qui met en péril l’état final de la pensée critique que permet d’atteindre le PCEMI.

Figure 2 : Moyennes des méthodes d’évaluation du PCEMI et du programme de MED – Diagramme circulaire
La figure présente la répartition des méthodes d'évaluation pour le Programme de commandement et d'état-major interarmées ainsi que pour la maîtrise en études de la défense. Elle prend la forme d'un diagramme circulaire, avec le journal réflexif à 25 %, l'essai à 29 %, le séminaire à 35 %, la simulation orale à 8 % et les autres projets de groupe à 1 %.
Le CFC cultive une philosophie globale de l’évaluation, mais les ODC et les universitaires jouissent d’une grande liberté pour adapter la méthode d’évaluation retenue afin d’atteindre les résultats d’apprentissage requis de chaque cours du PCEMI et du programme de MED, à condition qu’ils satisfassent aux normes des études supérieures.Note de bas de page 24 De plus, une simple marche à suivre est imposée au corps professoral pour modifier la méthode d’évaluation. Par exemple, de nombreux membres du PIM et du corps professoral du CFC ont permis aux stagiaires du PCEMI de faire la preuve de leur apprentissage par le truchement de méthodes d’évaluation non conventionnelles, comme présenter des exposés de vive voix ou sur support vidéo, ou encore créer des balados. Cependant, et nous l’avons dit précédemment, ces méthodes représentent globalement un faible pourcentage des évaluations notées, soit environ 4 p. cent. Une approche souple de l’évaluation permet au CFC de maintenir son agilité en présence de technologies perturbatrices comme ChatGPT.
MÉTHODES D’ÉVALUATION ACTUELLES DU PCEMI MENACÉES
Le modèle actuel de FMP est confronté à une menace sous la forme de ChatGPT qui est susceptible de perturber les méthodes conventionnelles d’évaluation de l’éducation, comme la rédaction de dissertations, la préparation de séminaires et la contribution à ces derniers, ainsi que la planification opérationnelle. En particulier, la capacité de ChatGPT à trouver rapidement des faits et à synthétiser des pensées peut attaquer les bases de l’éducation moderne que sont la pensée critique et les compétences en communication. En raison de ces vulnérabilités, il faut examiner de près la façon dont la technologie est intégrée dans l’éducation.
Rédaction de dissertations : Est-ce la fin?
Certains ont prédit que ChatGPT sonnera le glas de la dissertation comme principal outil d’évaluation en éducation.Note de bas de page 25 Ce n’est pas la valeur finale du texte rédigé qui compte, mais bien les compétences acquises en le rédigeant, soit maîtriser les techniques d’enquête, savoir évaluer les sources, intégrer l’information et exprimer les connaissances de manière persuasive.Note de bas de page 26 ChatGPT peut réduire l’effort nécessaire pour acquérir chacune de ces compétences. Par exemple, si on lui fournit une invite adéquate, il est capable de rédiger un plan de dissertation, un énoncé de thèse, un résumé et une série de paragraphes argumentés, ainsi que de synthétiser et de résumer l’information brute en phrases cohérentes.
Il est à noter que les hallucinations créées par ChatGPT – peuvent égarer les étudiants et les étudiantes à qui échappent les fondements du sujet traité. Il leur faut donc le connaître au moins superficiellement pour départager le vrai du faux. C’est pourquoi ChatGPT s’avère particulièrement utile pour les étudiants et les étudiantes de premier cycle (troisième année et au-delà) et les étudiants et les étudiantes diplômés qui ont une connaissance de base de la plupart des concepts enseignés, tandis que ceux de premier cycle sont incapables de relever correctement ces hallucinations en raison de leur compréhension limitée. Pour pallier ce problème, un étudiant ou une étudiante peut solliciter les membres du corps professoral et intégrer la rétroaction de ceux-ci pour améliorer la qualité des invites fournies à ChatGPT.
Les éducateurs et les éducatrices craignent que les étudiants et les étudiantes n’utilisent la technologie pour produire des dissertations qui répondent aux objectifs d’enseignement, mais sans faire l’effort de la pensée critique ou de la synthèse, ce qui est la raison d’être du travail demandé. Depuis l’avènement de ChatGPT, des membres du corps professoral du postsecondaire ont relevé des dissertations supérieures à la moyenne, produites par ce chabot doté d’une IA.Note de bas de page 27 En un mot, ce n’est pas tant la sacro-sainte dissertation qu’il faut protéger, mais plutôt l’acquisition de compétences par la rédaction de dissertations pour former des étudiants et des étudiantes douées.
Séminaires et lectures : « si t’es pas le responsable du séminaire, t’as rien à lire! »Note de bas de page 28
Une ou deux fois par cours, les stagiaires inscrits au PCEMI sont tenus de préparer un séminaire et d’en diriger les discussions (voir la figure 2), soit huit fois en tout par année. Ils doivent donc lire toutes les lectures obligatoires et complémentaires pour rédiger des questions de grande qualité qui suscitent la discussion en classe et qui satisfont aux exigences des principaux points d’enseignement et objectifs d’apprentissage. Les stagiaires sont évalués sur leur capacité à diriger ces discussions et à dégager des objectifs d’apprentissage dans leur groupe d’étude.
À l’instar de la dissertation, la valeur de la direction d’un séminaire ne se situe pas au niveau du séminaire lui-même, mais bien à celui de la pensée critique et des compétences organisationnelles nécessaires à sa préparation. Lorsqu’on dirige un séminaire, on n’interagit pas avec la matière comme le font les participants. Ce rôle nous oblige à plonger plus profondément dans le texte que les autres pour mieux en comprendre la teneur. ChatGPT évacue la pensée critique dans cette démarche, ce qui est à l’opposé des résultats recherchés par l’exercice. Il résume des documents entiers et renseigne les stagiaires à leur sujet sans que ces derniers n’aient à les lire. Il fournit la transcription du contenu d’enregistrements vidéo et en synthétise le script sous la forme de points principaux. Ce chatbot doté d’une IA a la capacité d’organiser et de synthétiser en un temps record de grandes quantités de données et de créer presque instantanément le plan logique d’un exposé chronométré avec précision. Il génère également des questions pertinentes et produit des réponses de grande qualité à ces questions. Il peut aussi fournir des contre-arguments et des conseils pédagogiques probants, y compris suggérer différents types d’activités de groupe permettant aux stagiaires d’atteindre leurs objectifs d’apprentissage de manière créative.
ChatGPT aide également les étudiants et les étudiantes à préparer leur participation à un séminaire. Inscrits au PCEMI, les stagiaires doivent apporter une « contribution participative » à tous les séminaires. Après que le responsable du séminaire leur a remis les questions de discussion (parfois dans la description de l’activité prévue au programme du cours), les étudiants et les étudiantes peuvent tout simplement poser ces questions à ChatGPT sous forme de différentes invites et recevoir des réponses de qualité accompagnées d’exemples utiles aux discussions du groupe. ChatGPT répond à toutes les questions sans que les stagiaires n’aient à lire de documents. De toute évidence, cela met en péril l’apprentissage de la pensée critique et de l’interaction avec la matière enseignée, les principaux objectifs du PCEMI.
Planification opérationnelle et jeux de guerre
ChatGPT s’avère précieux pour aider les stagiaires inscrits au PCEMI à planifier au niveau opérationnel. Grâce à sa capacité d’analyser de grandes quantités de données, ce chatbot les aide à comprendre les complexités de l’environnement opérationnel, ainsi que divers facteurs comme le terrain, la démographie de la population et la dynamique sociale. Cette compréhension est nécessaire pour mener à bien le processus de planification d’opérations (PPO) ou les stagiaires du PCEMI sont censés lire plusieurs centaines de pages de documentation contextuelle pour comprendre une simulation pour les besoins de l’exercice (Ex) Ex PHOENIX THUNDER, Ex PHOENIX RISING, Ex BREAKTHROUGH et Ex ARCTIC FOX.
Alors qu’ils doivent normalement passer au crible toute cette documentation, ChatGPT se substitue à eux pour établir des liens valides entre données et arriver à des déductions de qualité à des fins de planification.
Sollicité dans le cadre des exercices du PPO, ChatGPT renseigne sur l’issue probable des jeux de guerre et formule des recommandations pour atténuer les risques ou optimiser les possibilités. Il appuie également le processus décisionnel qu’il alimente en renseignements pertinents et en justes analyses de données pour guider l’élaboration de tactiques et de stratégies efficaces.
RECOMMANDATIONS
Au moment décrire ces lignes, il n’existait aucune politique sur l’utilisation de ChatGPT ou des technologies d’IA au sein de l’Académie canadienne de la Défense (ACD) qui chapeaute tous les établissements chargés de dispenser la FMP auprès des membres des FAC, soit le Collège militaire royal du Canada (CMR), le Collège militaire royal de Saint-Jean (CMR Saint-Jean) et l’Institut de la profession des armes Adjudant-chef Robert Osside. L’ACD a donc mis sur pied un comité composé de professeurs, de professeures, de conseillers, de conseillères, d’étudiants et d’étudiantes civils et militaires issus de ces établissements et l’a chargé de se pencher sur cet enjeu et d’élaborer en mai 2023 une politique qui entrera en vigueur au cours de l’année scolaire 2023-2024.Note de bas de page 29 L’auteur du présent document a pu expliquer certaines capacités de ChatGPT aux membres du comité qui, à ce moment, commençaient seulement à saisir les possibilités de ce chatbot.
Après avoir démontré la façon dont ChatGPT menace les méthodes d’évaluation du PCEMI en compromettant les objectifs du programme, l’auteur propose plusieurs recommandations pour restructurer le programme afin d’y intégrer des outils d’IA dont profiteraient les étudiants et les étudiantes et les membres du PIM.
En premier lieu, l’auteur recommande d’inclure au cours FC-101 un document d’information portant sur l’IA, destiné aux nouveaux étudiants et aux nouvelles étudiantes, aux membres du PIM, au personnel officier de développement des cours (ODC) et aux universitaires, qui expliquent les capacités de ChatGPT et des modèles d’IA, notamment au moyen d’une démonstration en situation réelle. Les étudiants, les étudiantes et le personnel du CFC constateraient ainsi les possibilités de ChatGPT et ses menaces. Le document d’information devrait servir à engager le dialogue sur les possibilités des chatbots dotés d’une IA et à inspirer la confiance par la transparence. Il devrait également permettre de débattre de la politique du CFC afin que son personnel, ses étudiants et ses étudiantes comprennent mieux cette technologie et les règles du CFC en matière de travaux scolaires.
Deuxièmement, le CFC doit préserver la pensée critique dans son rôle d’aspiration fondamentale. La pensée critique est la manifestation d’une compétence qui exige à la fois créativité, curiosité et réflexion, et les chatbots en sont totalement dépourvus. Par conséquent, les membres du PIM, les ODC et les universitaires doivent protéger cette compétence à l’ère de ChatGPT en concevant des travaux scolaires qui obligent les étudiants et les étudiantes à réfléchir à des questions complexes de façon critique et créative. Ces travaux peuvent consister à comparer différentes sources d’information, à expliquer un raisonnement et des hypothèses, à proposer des solutions de rechange ou des points de vue originaux, ou encore à mettre des connaissances en pratique en présence de situations nouvelles. Le CFC doit revoir ses méthodes d’évaluation que des chatbots dotés d’une IA comme ChatGPT peuvent facilement compromettre. Comme on l’a dit plus haut, le ODC laisse aux membres du PIM, aux ODC et aux universitaires la latitude requise pour adapter ces méthodes, à condition qu’elles satisfassent à des normes acceptables. Lorsqu’il impose de longues dissertations aux étudiants et aux étudiantes le CFC pourrait demander à ces derniers de réaliser d’autres travaux scolaires en parallèle pour évaluer leurs connaissances du sujet, soit par des exposés oraux, des présentations éclairs ou des thèses de trois minutes à la suite desquels les membres du PIM et les camarades de cours leur poseraient des questions.Note de bas de page 30 Un tel interrogatoire de vive voix constituerait le mode d’évaluation de référence dans le cadre duquel un panel d’universitaires interroge le présentateur ou la présentatrice en vue d’établir son niveau de compréhension d’un sujet ardu alors qu’il n’a pas accès à son ordinateur.
L’auteur recommande d’ajouter un examen d’évaluation de vive voix au cours ÉD569, Essai Global Vortex, où des universitaires, des membres du PIM et des pairs forment un panel pour évaluer ce que comprend l’étudiant ou l’étudiante de son sujet. L’auteur recommande également d’ajouter un jeu de rôles sous la forme d’une présentation éclair au cours ÉD555, Document persuasif sur le leadership, qui sert à convaincre les camarades de classe de l’étudiant ou de l’étudiante que sa solution résout leur problème. Dans le cas des séminaires, l’auteur recommande d’encourager les étudiants ou les étudiantes à enseigner la matière à leurs camarades de classe, plutôt qu’à diriger des discussions portant sur un large éventail de sujets mais souvent superficielles. Selon l’expérience de l’auteur, les membres du PIM privilégient la discussion en groupe plutôt qu’un examen approfondi du texte par le responsable du séminaire. ChatGPT ne peut parvenir au niveau de compréhension que requiert l’enseignement.
Enfin, le CFC doit adopter ChatGPT et permettre aux étudiants et au étudiantes de l’utiliser, à condition que ces derniers en fassent état dans leurs travaux. Les membres du PIM et les universitaires peuvent s’en servir en classe pour favoriser les discussions et les débats entre les étudiants et les étudiantes. L’utilisation libre de ChatGPT en classe normalisera le recours à un tel outil en éliminant la stigmatisation et le secret qui l’entourent. Les membres du PIM et les universitaires peuvent utiliser la méthode de la « classe inversée », une technique d’enseignement par laquelle les étudiants et les étudiantes font leurs recherches à la maison et s’attaquent à des problèmes concrets en classe. Si l’on délaisse l’évaluation traditionnelle des cours magistraux et des travaux scolaires réalisés à la maison au profit de cours magistraux, de recherches à la maison et de la rédaction surveillée de textes en classe, les étudiants et les étudiantes pourront concentrer leurs efforts à acquérir une pensée critique plutôt que d’améliorer leurs compétences à écrire.Note de bas de page 31 Ainsi, les membres du PIM pourraient imposer un sujet complexe, permettre aux étudiants et aux étudiantes d’utiliser ChatGPT pour effectuer rapidement des recherches, puis leur demander de présenter, de vive voix et sans l’aide de notes préparées, leurs conclusions sous la forme d’un exposé étayé d’exemples concrets.
CONCLUSION
On ne saurait trop insister sur les répercussions possibles de ChatGPT et d’autres outils dotés d’une IA sur l’éducation. Ce chatbot soulève à la fois enthousiasme et appréhension, mais un juste équilibre entre ces réactions ne pourra être trouvé qu’en réalisant d’autres études à son sujet et en le réglementant davantage, du moins jusqu’à ce que l’on puisse brosser un portrait complet de son potentiel. La technologie de l’IA n’est ni totalement bonne ni totalement mauvaise, mais bien les deux à la fois. Les humains sont enclins à craindre les nouvelles technologies qui les éloignent du statu quo. Leurs craintes s’apaiseront avec le temps, et l’IA trouvera sa place dans leur quotidien.Note de bas de page 32 D’ici là, il est essentiel de faire preuve d’un optimisme prudent, mais aussi de s’adapter au nouveau paysage technologique. Les agents conversationnels comme ChatGPT permettent de créer et de synthétiser les connaissances à un niveau jamais atteint jusqu’à présent, mais menacent aussi gravement l’intégrité académique et l’apprentissage de la pensée critique, en particulier dans le contexte de la FMP. Il est donc essentiel de trouver un équilibre entre innovation technologique et rigueur universitaire, grâce à la collaboration entre les étudiants, les étudiantes les éducateurs, les éducatrices, les décideurs et les décideuses politiques.
Dans sa forme actuelle, ChatGPT est un véritable Frankenstein des temps modernes qu’il faut construire avec le plus grand soin. Tout comme le monstre de Mary Schelley était une puissante créature exploitée pour faire le bien et le mal, ChatGPT et d’autres outils dotés d’une IA sont susceptibles de révolutionner l’éducation. Il faut cependant les développer et les réglementer avec soin pour s’assurer que leur incidence demeure positive, malgré leurs éventuelles répercussions négatives. Il vaut la peine d’aborder cette technologie avec prudence et prévoyance, et de reconnaître son immense pouvoir et son potentiel à la fois bénéfique et nuisible. En agissant ainsi, les établissements d’enseignement pourront exploiter l’IA pour transformer l’éducation et préparer les étudiants et les étudiantes à relever les défis de demain, tout en empêchant que la dévalorisation de la pensée critique, des compétences en communication et de l’intégrité scolaire.
À PROPOS DE L’AUTEUR
Le lieutenant-colonel Nathan Richards, CD, fait actuellement partie de l’état-major de la 3e Division du Canada à Edmonton. Il a rédigé cet article dans le cadre du Programme de commandement et d’état-major interarmées PCEMI 49 résidentiel au printemps 2023. Il a passé ses premières années de service à Edmonton comme commandant de peloton, de commandant adjoint de compagnie et d’officier des opérations du bataillon. En tant qu’officier supérieur, il a surtout travaillé en Ontario au sein de l’état-major de l’Armée canadienne comme commandant de la Compagnie de transport à Petawawa et comme G4 du 2e Groupe-brigade mécanisé du Canada. Il a également participé à des missions expéditionnaires en Afghanistan et en Jordanie, ainsi qu’à une multitude d’opérations au Canada.
Cet article a été publié pour la première fois dans l’édition d’avril 2024 du Journal de l’Armée du Canada (20-2). (PDF)
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