Relever le défi de la transformation des civils en arme : tirer parti des capacités intermédiaires de la force

par Peter Dobias, Ph. D.

Introduction

Des opérations militaires efficaces requièrent une certaine mobilité tactique et liberté de mouvement.Note de bas de page 1  Les environnements urbains et ruraux, en particulier ceux où les points de canalisation (p. ex. les routes qui traversent un relief impraticable) présentent un certain nombre de défis propres à la mobilité.Note de bas de page 2  L’omniprésence de civils constitue l’un des défis importants.Note de bas de page 3  Au cours de la phase de planification, la population civile est souvent considérée comme un simple arrière-plan dans lequel l’adversaire peut agir (p. ex. comme une couverture pour les groupes armés dans les insurrections ou les attaques terroristes).Note de bas de page 4  Cependant, au cours des 30 dernières années, certains acteurs ont eu recours aux civils comme une « arme », en particulier dans un rôle de contre-mobilité ou d’obstruction des mouvements militaires. Comme on l’a vu au début de la guerre en Ukraine, même une petite foule, lorsqu’elle est stratégiquement positionnée à des endroits critiques, peut potentiellement arrêter ou retarder les mouvements des unités militaires.Note de bas de page 5

Les conflits passés offrent de nombreux exemples où l’adversaire a utilisé des civils pour entraver la liberté de mouvement des forces militaires. Par exemple, à Mogadiscio, en 1993, la foule civile a ralenti les forces terrestres, ce qui a peut-être entraîné de lourdes pertes parmi les forces amies et prolongé la durée de la mission. Les convois ont été ralentis par des barrages routiers mis en place par les milices et les civils somaliens.Note de bas de page 6

De même, en 2021, au Burkina Faso, une foule civile opposée à l’engagement français dans la région a réussi à arrêter un convoi militaire français pendant des heures, ce qui a entraîné un affrontement qui a exacerbé les tensions.Note de bas de page 7  De tels incidents ne se limitent pas à des contre-insurrections. À la suite de l’invasion de l’est de l’Ukraine en 2014, les forces séparatistes prorusses auraient utilisé des foules pour bloquer des convois militaires ukrainiens ou empêcher les forces d’intervention rapide de quitter les bases ukrainiennes afin de soutenir des unités.Note de bas de page 8  En outre, en février 2022, il a été signalé qu’une foule ukrainienne avait bloqué un convoi blindé russe à proximité de la centrale nucléaire de Zaporizhzhia, ce qui a retardé les avancées russes.Note de bas de page 9

Alors que certains pays, bien qu’ils soient signataires des conventions de Genève et de La Haye,Note de bas de page 10  font preuve d’un mépris total du statut de non-combattant,Note de bas de page 11  les pays de l’OTAN adhèrent strictement au droit des conflits armés (DCANote de bas de page 12 ) et tentent d’éviter toute victime civile inutile. La Politique OTAN de protection des civils (PC) de 2016 renforce l’engagement de l’organisation à protéger les civils contre les préjudices et note ce qui suit : « une dimension “protection des civils” devra être prise en compte dans la planification et la conduite d’opérations et de missions, dans l’entraînement, la formation et les exercices, le retour d’expérience, ainsi que dans les activités de renforcement des capacités de défense et des capacités de sécurité s’y rapportant ».Note de bas de page 13  Il est intéressant de noter que même l’armée russe, bien qu’elle ait fait preuve d’un mépris regrettable pour la protection des civils et le droit des conflits armés,Note de bas de page 14  a été au moins temporairement arrêtée par des civils ukrainiens déterminés, comme le montre le dernier exemple du paragraphe précédent. De plus, dans l’environnement d’information omniprésent d’aujourd’hui où toute action douteuse peut atteindre les médias sociaux en un rien de temps, il est important que les actions des forces alliées soient au-dessus de tout reproche. Même le moindre soupçon d’action ou de comportement inapproprié peut nuire à la crédibilité et à la légalité d’une mission alliée. Comme le mentionne Dan E. Stigall, sur le champ de bataille moderne, l’information et les images catalyseront et façonneront le cours d’un conflit. Ils amélioreront ou saperont également les efforts militaires de manière significative.Note de bas de page 15  

Dans ce contexte, les forces de l’OTAN se trouvent souvent dans une position difficile lorsqu’elles traitent avec des foules non obéissantes ou ouvertement hostiles. Leur réponse se limite souvent à ne rien faire. Selon Ben Lagasca et coll., « dans de tels cas, les combattants américains n’avaient souvent pas d’autre choix que de tuer ou éventuellement d’être tués. Les soldats débarqués qui agissent à Mossoul, en Irak et dans d’autres villes ont été confrontés à des situations semblables. Lorsque des menaces armées apparaissaient, il était parfois difficile de séparer les combattants des civils ou des enfants » [traduction].Note de bas de page 16  Ces défis, en particulier dans le brouillard de la guerre, accroissent l’efficacité de la tactique des adversaires qui consiste à transformer les civils en arme. Il est impératif d’explorer des méthodes novatrices de gestion des foules dans les zones de conflit et de guerre tout en assurant la protection des civils et en respectant les normes et les intentions juridiques et éthiques. 

À la lumière de ce contexte, le présent document soutient que l’accessibilité des capacités de force intermédiaire (CFI), en particulier les capacités non létales (CNL) à énergie dirigée (ED), a le potentiel de renforcer la capacité des forces de l’OTAN à contrer l’utilisation de civils comme capacité de contre-mobilité. Pour développer le concept, les CFI englobent une « gamme d’armes non létales ainsi que d’autres outils non létaux » conçus pour « combler le fossé entre une mission de simple présence et l’utilisation d’effets létaux, ce qui permet des mesures actives lorsque la présence seule est insuffisante pour dissuader les activités malveillantes ou lorsque l’utilisation de la force létale ou destructrice n’est ni souhaitée ni appropriée » [traduction].Note de bas de page 17  Dans le cadre plus large des CFI se trouvent les capacités d’ED et d’armes non létales (ANL). 

En s’appuyant sur cet argument au sens plus large, le présent document est structuré comme suit : la section suivante fournit une brève exploration de l’utilisation de civils pour la contre-mobilité; par la suite, on précise la série de jeux de guerre menée à l’appui de l’élaboration du concept de la CFI de l’OTAN; on présente ensuite une discussion sur l’incidence tactique et opérationnelle d’une foule en tant que capacité de contre-mobilité, et les effets de l’emploi des CFI sur la base des observations de jeu de guerre; enfin, on donne un bref aperçu de l’utilisation des modèles basés sur les agents pour évaluer les principales caractéristiques des CFI pertinentes afin de contrer l’utilisation de la foule.

Lutte contre la transformation des civils en arme

Le succès des opérations militaires repose sur la liberté de manœuvre, qui est étroitement liée à la gestion efficace de la population civile dans une zone de guerre ou de conflit. Cela devient particulièrement essentiel lorsque des adversaires utilisent des civils pour gêner ou entraver des opérations militaires, ce qui pourrait les mettre en danger. Bien qu’il puisse être possible d’utiliser la police militaire pour contrôler les foules dans certains cas, ses actions font généralement l’objet d’un examen approfondi. Cela entraîne une certaine vulnérabilité, car les adversaires peuvent souvent atteindre leurs objectifs tout en restant en dessous du seuil de la force létale, ce qui neutralise efficacement la puissance de feu supérieure de l’OTAN. Si les forces de l’OTAN ont recours à une force jugée non proportionnelle, elles risquent d’être présentées comme les agresseurs dans la situation. Il est essentiel de trouver des moyens d’établir un équilibre entre le maintien de la sécurité et l’atténuation des dommages causés aux civils.

Il existe toute une gamme de capacités qui permettraient aux forces de l’OTAN de faire face plus efficacement à la présence de foules; certaines sont prêtes sur le plan opérationnel tandis que d’autres nécessitent davantage de recherche et de développement.Note de bas de page 18  Les capacités opérationnelles comprennent des capacités traditionnelles de contrôle des foules telles que des matraques et des boucliers (généralement utilisés par la police militaire), des traumatismes contondants (balles en caoutchouc) et des obus d’avertissement, ainsi que certaines CNL ED, telles qu’un dispositif acoustique à longue portée (LRAD) conçu pour propager le son sur des distances de centaines à des milliers de mètres (mots parlés ou sons d’avertissement aigus), ou un système d’interdiction actif (ADSNote de bas de page 19 ). Celui-ci consiste en un système d’ondes millimétriques qui crée une sensation de chaleur insupportable sans aucun dommage physique réel.Note de bas de page 20  L’ADS a été choisi comme exemple de technologie d’ANL ED mature sur les conseils des experts du Joint Intermediate Force Capabilities Office des États-Unis. Il a été évalué de manière approfondie au moyen d’un certain nombre d’expériences d’utilité militaire et, contrairement à ce que certains médias ont rapporté, on a déterminé qu’il était sûr pour les opérations.Note de bas de page 21  Cette autre solution est peut-être beaucoup moins controversée que, par exemple, les produits malodorants comme l’« eau de putois » utilisée par les forces israéliennes.Note de bas de page 22  L’odeur de l’eau de putois peut durer plusieurs jours, rendant les bâtiments inhabitables et ayant ainsi une incidence sur les personnes et les infrastructures.Note de bas de page 23  En outre, l’utilisation de produits malodorants et de gaz lacrymogènes pour faciliter les opérations militaires irait très probablement à l’encontre du DCA,Note de bas de page 24  qui interdit l’utilisation d’agents antiémeutes comme méthode de guerre.Note de bas de page 25  Ces préoccupations ne s’appliquent probablement pas à l’ADS, car l’arme est capable d’assurer un ciblage précis, et l’intensité est délibérément inférieure au niveau qui causerait des brûlures.Note de bas de page 26

Dans le contexte des capacités traditionnelles et d’ANL ED qui relèvent du terme plus large des CFI, il existe des capacités expérimentales plus avancées avec des travaux de recherche et de développement prometteurs visant un facteur de forme plus petit et une demande d’énergie moindre. En 2020-2021, le Commandant suprême allié Transformation (SACT) de l’OTAN a dirigé l’élaboration d’un concept de CFI. Les jeux de guerre menés à l’appui de l’élaboration du concept de CFI ont donné un aperçu des exigences d’emploi et de rendement des CFI de manière plus générale.Note de bas de page 27  Bien qu’il y ait des questions juridiques non résolues concernant le déploiement des CFI pour contrer à la fois les civils et les combattants dans les limites du DCA, l’équipe chargée de l’étude a été informée que l’utilisation prévue des CNL était conforme aux principes du DCA.Note de bas de page 28

Série de jeux de guerre à l'appui de l'élaboration du concept de CFI

En 2020-2022, l’étude de l’OTAN sur les systèmes et l’analyse 151 (SAS-151) a permis de concevoir et d’exécuter une série de six jeux de guerre à l’appui de l’élaboration du concept de CFI du SACT OTAN.Note de bas de page 29  Les approches de jeu de guerre traditionnelles représentent normalement un niveau tactique, opérationnel ou stratégique. La divergence des échelles temporelles et spatiales entrave généralement la représentation simultanée de plusieurs niveaux, car soit le jeu deviendrait extrêmement long et exigeant en termes de ressources, soit il fournirait en grande partie une vue d’ensemble de niveau supérieur, ce qui limiterait les informations sur les capacités tactiques. Le groupe d’étude SAS-151 a mis en œuvre une nouvelle approche de jeu de guerre basée sur des approches de renormalisation,Note de bas de page 30  qui peuvent être décrites comme employant essentiellement la résolution la plus faible possible à moins qu’une résolution plus élevée ne soit nécessaire. Cette approche combine différents jeux fonctionnant à divers niveaux en vue de résoudre les limitations inhérentes à chaque type de jeu.Note de bas de page 31

Bien qu’il y ait eu des détails précis dans la mise en œuvre des jeux de guerre mentionnés, dans un sens large, ils ont été conçus comme suit : les scénarios tactiques ont été mis en œuvre dans le cadre d’un Kriegsspiel semi-rigide. Les jeux ont duré d’une à quelques heures, avec des pas de temps représentés dans la gamme de 10 à 30 minutes. Des unités individuelles ou de petits groupes de trois à quatre personnes ont été utilisés pour représenter les unités. Les capacités disponibles étaient représentées par des cartes de capacité, qui comprenaient la probabilité de succès avec ou sans les contre-mesures de l’adversaire, ainsi que d’éventuels dommages collatéraux. Ces cartes ont été élaborées en collaboration avec les experts techniques. Les joueurs avaient la liberté de déterminer les mouvements et les actions pour chaque tour. L’effet des actions choisies a été jugé à l’aide de dés. Les répercussions stratégiques plus larges de ces actions ont ensuite été reprises au moyen d’un jeu de style matrice. Les joueurs ont énoncé leurs actions, leurs objectifs et la justification du succès prévu. L’ensemble de la partie a ensuite été jugé par la cellule blanche. En raison des abstractions nécessaires, les effets secondaires et les dommages (tels que les blessures liées à des systèmes en panne sans équipage ou à des foules en panique) n’étaient généralement pas représentés. Note de bas de page 32

Dans trois des jeux de guerre du SAS-151, des foules ont été employées pour perturber le mouvement des forces de l’OTAN. Le premier jeu de guerre était axé sur la protection de la force d’un groupe opérationnel naval dans un port, où l’adversaire a utilisé une foule pour bloquer l’accès au navire. Dans le deuxième jeu de guerre, qui comprenait la composante de foule la plus importante, l’adversaire a eu recours à une grande foule pour empêcher les forces d’intervention rapide de quitter la base (ou les convois d’accéder à la base). Enfin, le dernier de ces jeux de guerre était axé sur l’évacuation contestée de non-combattants, où l’adversaire utilisait de petites foules pour ralentir ou arrêter le convoi d’évacuation. Les paragraphes suivants présentent les observations de façon plus précise.Note de bas de page 33

Dans le premier jeu de guerre (intitulé « Groupe opérationnel de l’OTAN au port »), un groupe opérationnel naval de l’OTAN a exécuté une opération de repos et de ravitaillement dans un pays ami.Note de bas de page 34  Les adversaires opposés au partenariat de leur pays avec l’OTAN ont organisé une foule d’environ 70 personnes au point d’accès au navire en ayant deux objectifs : a) empêcher les approvisionnements d’atteindre le navire amarré, et b) utiliser la foule comme une couverture pour enlever les marins qui étaient loin du navire. Dans l’option sans CFI, les forces amies n’avaient pas la capacité de gérer la foule. La seule ressource disponible était l’utilisation de forces de sécurité locales avec des capacités minimales de contrôle des foules (gaz poivré, matraques). Ces forces locales se trouvaient dans une situation difficile, car toute action contre la foule pouvait déclencher de nouvelles émeutes dans la ville portuaire et accroître l’opposition à la présence des forces de l’OTAN. Par conséquent, on a dû concéder l’initiative à l’adversaire. Les forces de sécurité n’ont pas été en mesure de disperser la foule, ce qui a empêché le groupe opérationnel de terminer son réapprovisionnement. En outre, la foule a réussi à enlever les marins, ce qui a permis aux forces de l’opposition de faire chanter le gouvernement local.Note de bas de page 35

Dans ce scénario, l’ADS s’est avéré la CFI la plus efficace pour le contrôle des foules. Bien que la version actuelle ne soit pas mobile, elle a montré une portée suffisante pour créer un couloir à travers la foule et assurer le passage en toute sécurité des marins et l’achèvement du ravitaillement. Cela a contribué au succès opérationnel global des forces de l’OTAN. Le scénario du jeu de guerre a mis en évidence la vulnérabilité des forces de l’OTAN aux foules hostiles, ce qui a révélé que même une foule relativement petite (moins de 100 personnes) pouvait perturber ou bloquer de manière significative la liberté de mouvement des forces de l’OTAN. En l’absence de CFI avancée, le recours aux forces locales s’est avéré insuffisant et a le potentiel d’aggraver la situation stratégique déjà fragile. L’ADS a changé la donne, car il a fourni aux forces de l’OTAN la capacité de neutralisation nécessaire à cette utilisation particulière des foules comme arme.Note de bas de page 36

Dans le deuxième jeu de guerre intitulé « Force opérationnelle de l’OTAN dans un scénario de jeu de guerre terrestre », une force opérationnelle de l’OTAN participait à l’instruction de forces locales dans un pays tiers. La population du pays a été divisée en deux groupes. Alors que le premier groupe qui contrôlait le gouvernement cherchait à obtenir la présence de l’OTAN comme moyen de stabiliser la situation en matière de sécurité dans la région, le deuxième groupe était aligné sur le pays voisin qui s’opposait à la présence de l’OTAN dans la région. Cette division a donné lieu à une insurrection localisée, et le pays voisin menaçait de lancer une attaque si les forces de sécurité de l’OTAN ou alignées sur l’OTAN commettaient des violences contre des civils de leur groupe ethnique. Le scénario tactique a commencé lorsqu’une patrouille conjointe locale-OTAN de retour a été prise en embuscade alors qu’elle traversait un marché rempli de civils. Parallèlement, l’élément hostile a organisé une foule d’environ 400 personnes (hommes, femmes, personnes âgées et enfants), empêchant la sortie d’une force d’intervention rapide (FIR) de la base. La foule agitée, mais non armée, menaçant de lancer des pierres, a complètement bloqué la voie d’accès à la base, la rendant impraticable à la fois pour le convoi et la FIR envoyée par le commandant de la base pour aider la patrouille prise en embuscade. La discussion ci-dessous est axée sur la partie du scénario impliquant la foule près de la base.Note de bas de page 37  

Dans ce jeu de guerre, trois options ont été évaluées. Dans le scénario de référence, la police militaire locale était la seule capacité de contrôle des foules à la disposition de l’OTAN et des forces alignées. La police militaire locale était équipée de systèmes non létaux existants, y compris des matraques et des boucliers, des gaz lacrymogènes et des systèmes de traumatisme contondant (balles en caoutchouc). Dans la deuxième option, on a eu recours à l’ADS actuellement disponible, qui est portable, mais stationnaire lorsqu’il est utilisé. La troisième option offrait un ADS « de nouvelle génération » (portée plus courte, mais aéromobile).Note de bas de page 38  

Dans la première option, le commandant de la force opérationnelle de l’OTAN a envoyé une compagnie de contrôle des foules de la police militaire hors de la base pour tenter de disperser la foule et de faciliter le passage en toute sécurité du convoi de la FIR. Toutefois, les capacités existantes se sont révélées insuffisantes et ont entraîné une nouvelle intensification de la situation. La foule a même menacé le point d’accès de la base et a tenté de couper la compagnie de police militaire du soutien de la base. Les groupes hostiles, tant au niveau national que dans le pays voisin, ont utilisé des balles en caoutchouc afin de générer une publicité négative pour les forces gouvernementales. Compte tenu de l’incapacité d’envoyer la FIR, la patrouille prise en embuscade a dû se battre pour sortir sans aide. Même après avoir échappé à l’embuscade, la patrouille a eu du mal à retourner à la base. Dans l’ensemble, l’escalade de la force a contribué à la décision du pays voisin d’envahir le pays, en utilisant l’oppression de leur minorité ethnique comme excuse.Note de bas de page 39

Dans les deux autres options, la disponibilité de l’ADS a modifié la dynamique de la confrontation.Note de bas de page 40  Cependant, la version actuelle de l’ADS manquant de mobilité s’est avérée insuffisante pour sécuriser le passage de la FIR. Bien qu’efficace dans la protection des points d’accès, la foule pouvait simplement sortir de la zone de portée de l’ADS, établissant un nouveau point de blocage sur la route. Cela a nécessité une dépendance à l’égard de la police militaire pour ouvrir le couloir, bien que cela ait quand même donné l’initiative à l’OTAN et aux forces locales. La capacité de désamorcer et de résoudre rapidement la crise par la base, avec un recours minimal à la force, a contribué à améliorer la situation globale. Dans cette option, le pays voisin n’avait pas de motifs suffisants pour l’invasion. Dans l’option de nouvelle génération, la mobilité de l’ADS a empêché la foule de changer d’emplacement, ce qui a permis à l’OTAN et aux forces alignées d’envoyer rapidement la FIR et d’assurer la liberté de mouvement.Note de bas de page 41

Ce jeu a montré que les foules sont un outil de contre-mobilité efficace. L’incapacité de déplacer la foule dans l’option de base a eu des répercussions stratégiques importantes. Dans les deux options concernant les CFI, l’ADS a été efficace même dans sa forme actuelle, car il a aidé à garder la foule loin de la porte et a créé de l’espace pour une intervention plus efficace des forces. L’ADS de nouvelle génération a été considéré comme suffisamment léger pour être monté sur des plateformes mobiles. Bien qu’il ait supposé une portée plus courte, sa mobilité a permis une dispersion rapide de la foule. En fait, cela a empêché la foule de rétablir le point de blocage suffisamment loin de la base pour être hors de portée de l’ADS, ce qui indique que la mobilité l’emportait sur la portée en importance. 

Le dernier jeu de guerre, intitulé « Jeu 4 – Scénario contesté d’opération d’évacuation de non-combattants (NEO) », s’est déroulé dans le contexte de la concurrence stratégique/confrontation entre deux puissances nucléaires rivalisant pour l’influence dans un pays neutre appelé Hypatie. Autrefois alignée sur l’hégémonie régionale de l’Illyrie, l’Hypatie tente maintenant de s’aligner sur les démocraties occidentales. La NEO est déclenchée par une invasion imminente de l’Hypatie par les forces illyriennes qui cherchent à empêcher l’orientation hypatienne pro-occidentale. La NEO doit être exécutée par une force opérationnelle amphibie de l’OTAN qui a déployé une force de la taille d’un bataillon chargée d’évacuer les instructeurs militaires de l’OTAN et les civils d’une base hypate. Les forces paramilitaires hostiles contrôlées par l’Illyrie tentaient d’empêcher l’évacuation afin d’utiliser les citoyens de l’OTAN comme un outil de négociation.Note de bas de page 42

Le convoi d’évacués était composé d’autobus et accompagné de véhicules militaires légers (GrowlerNote de bas de page 43  a été utilisé comme représentant). Pour arrêter le convoi, ou du moins le retarder assez longtemps pour que les forces illyriennes le coupent du point d’extraction, les forces paramilitaires ont tenté de rassembler de petites foules (de la population locale opposée au gouvernement hypate) à plusieurs endroits le long de la route. En raison de l’insertion rapide des forces de l’OTAN, les paramilitaires n’ont eu que peu de temps pour mettre en place des foules et des barrages routiers connexes. Les forces d’invasion s’approchant rapidement du point d’évacuation prévu, tout retard aurait probablement conduit à l’échec de la tentative d’évacuation.Note de bas de page 44

Dans ce jeu de guerre, seules deux options distinctes ont été jouées, chacune mettant en vedette les CFI présentes à la fois du côté de l’OTAN et du côté illyrien. Dans la première option, les CFI pertinentes au contrôle des foules étaient limitées aux ANL existantes (traumatismes contondants et rondes d’avertissement). La deuxième option visait à équiper les forces de l’OTAN d’ADS de nouvelle génération montés à la fois sur les Growler et les hélicoptères disponibles à bord du navire de débarquement amphibie. Dans la première option sans ADS disponible, la foule initiale a réussi à bloquer le convoi pendant une période prolongée, ce qui a laissé aux autres groupes hostiles suffisamment de temps pour organiser des points de blocage supplémentaires. Comme les autobus ne pouvaient pas sortir de la route, le convoi était effectivement lié à la route et ne pouvait pas contourner la foule. Au début, les forces de l’OTAN ont essayé d’inventer un leurre pour passer à travers la barricade, mais n’ont pas réussi. Par la suite, elles ont essayé des balles de traumatisme contondant, mais celles-ci se sont avérées inefficaces contre la foule hostile et déterminée, ce qui souligne les limites des ANL de traumatisme contondant existantes.

Au cours du jeu, non seulement les tentatives d’utilisation de balles en caoutchouc ont échoué, mais elles ont également fourni aux groupes hostiles du matériel pour la propagande anti-OTAN. Finalement, le convoi a réussi à se frayer un passage à travers la foule initiale, mais s’est retrouvé coincé entre deux foules, la deuxième foule ayant plus de temps pour s’organiser et mettre en place des barrages routiers. Incapable de continuer ou de retourner à la base, le convoi est resté passif. Le deuxième blocage a mis en évidence le coût important de l’inaction, faisant écho aux conclusions de Shortland et coll., où l’absence d’une option de réaction, dans ce cas, ne rien faire, avait des résultats semblables à l’utilisation d’une force excessive.Note de bas de page 45  L’incapacité d’évacuer ou de sécuriser les civils à la base a conduit à l’échec opérationnel et stratégique complet de la NEO, ce qui a fourni l’avantage stratégique à la puissance d’invasion et forcé les forces de l’OTAN à être passives et à négocier la libération de ses citoyens.Note de bas de page 46

Dans le cadre de l’option concernant les CFI, les forces de l’OTAN étaient équipées de l’ADS mobile théorique de nouvelle génération modélisé comme étant à courte portée et monté sur véhicule dans le cadre du système commun de station d’armes télécommandée (CROWS).Note de bas de page 47  Malgré la portée théorique de seulement 50 à 100 mètres, les CFI ont été suffisantes pour déplacer la foule sur le bord de la route et loin des autobus. Cela a assuré un passage rapide du convoi à travers la première foule avant que ce dernier ne puisse bloquer la route à l’aide de débris et d’arbres, empêchant ainsi davantage les foules supplémentaires d’atteindre la route à temps. Par conséquent, le convoi a pu se diriger rapidement vers le point d’évacuation pendant que les groupes hostiles restaient derrière. Cela a donné l’initiative aux forces de l’OTAN et a forcé les forces d’invasion illyriennes à utiliser des frappes d’artillerie à longue portée contre un tunnel routier afin de ralentir l’évacuation. Bien que l’évacuation n’ait pas respecté la limite de temps initiale, les personnes évacuées se sont rendues au point d’extraction. L’utilisation de la force létale par l’Illyrie a fourni aux forces de l’OTAN l’avantage de l’information, ce qui leur a permis de conserver l’initiative stratégique. La différence dans les résultats stratégiques a montré que l’utilisation des foules comme capacité de contre-mobilité peut avoir des effets stratégiques importants et influencer l’initiative stratégique. Dans le scénario, la capacité de neutralisation sous la forme d’ANL ED (dans ce cas l’ADS) a fourni une option efficace de s’occuper des foules.Note de bas de page 48

Le dernier jeu a prouvé de manière concluante les observations des jeux précédents selon lesquelles les foules sont très efficaces en tant qu’outil de contre-mobilité. Au minimum, elles peuvent ralentir les forces militaires et, dans des cas plus extrêmes, les bloquer entièrement. L’incapacité de déplacer la foule bloquante sans causer de dommages pourrait entraîner des répercussions stratégiques importantes. Le coût élevé de l’inaction devient évident et souligne la nécessité pour les forces de l’OTAN d’intégrer des contre-mesures efficaces dans leur phase de planification et d’acquérir des capacités qui aident à déplacer les foules sans causer de dommages. Si certains belligérants sont peut-être disposés à faire d’importantes victimes civiles, l’expérience de l’Ukraine a montré que, même dans ces cas, des foules suffisamment nombreuses pourraient perturber la liberté de mouvement des forces armées.Note de bas de page 49  En outre, le jeu final a confirmé la valeur de l’ADS pour contrer les foules et a montré que la mobilité de l’ADS était plus importante que sa portée. Par rapport aux anciens systèmes de traumatisme contondant, les capacités d’ED, en particulier l’ADS, ont surpassé les attentes en empêchant les avantages de l’information pour les adversaires.Note de bas de page 50  Cette constatation concordait avec une étude antérieure de la RAND Corporation.Note de bas de page 51   

Modélisation des foules dans un rôle de contre-mobilité à l'aide de modèles basés sur des agents

Le jeu de guerre décrit ci-dessus a fourni des informations qualitatives précieuses sur l’utilisation d’ANL, à la fois les systèmes existants et les systèmes d’ANL ED tels que l’ADS, pour contrer les foules. Cependant, pour mieux quantifier la contribution des CFI à la réussite de la mission, il vaut la peine de mettre en œuvre les CFI dans des simulations informatiques qui pourraient éventuellement être intégrées à des jeux de niveau supérieur.Note de bas de page 52  Les premières tentatives de représentation des CFI dans les simulations ont été effectuées à l’aide d’un modèle basé sur un agent appelé Map Aware Non-uniform Automata (MANA), élaboré par l’agence néo-zélandaise des technologies de défense.Note de bas de page 53  Le haut niveau d’abstraction de MANA le rend adapté à la modélisation des capacités futures lorsque les spécifications de rendement précises sont incertaines. En outre, l’abstraction ajoute un élément de dépendance des résultats à l’égard de la sélection des paramètres, ce qui la rend plus appropriée pour comparer les options paramétriques qui sont sujettes aux mêmes hypothèses et limites concernant le rendement du système. Les travaux antérieurs ont permis d’examiner des scénarios comprenant l’utilisation de CFI dans un rôle de contrefort pour contrer des essaims de systèmes potentiellement suicidaires sans équipage dans le domaine maritime.Note de bas de page 54  L’étude a conclu que l’efficacité des ANL ED dans la lutte contre les essaims repose sur leur couverture de zone et la capacité d’engager plusieurs objectifs et de les rendre immobiles. Cette capacité s’avère essentielle au succès face à des essaims qui pourraient autrement submerger un nombre limité de systèmes létaux.Note de bas de page 55  

À la suite de ces travaux antérieurs, Afara et coll. ont conçu et mis en œuvre deux scénarios simulant des foules dans un rôle de contre-mobilité dans MANA.Note de bas de page 56  Ces scénarios ont été conçus pour montrer l’emploi de CFI pour préserver la liberté de mouvement en présence de foules non armées. Le premier scénario était simpliste et a servi de preuve de concept pour modéliser une foule comme une capacité de contre-mobilité et l’utilisation de CFI pour contrer la foule. Un convoi militaire s’est déplacé le long d’une ligne droite et a été arrêté par une foule. MANA ne tient pas compte de la taille de chaque entité. En d’autres termes, les véhicules pouvaient toujours passer entre les civils. Par conséquent, le rôle de contre-mobilité de la foule a été modelé en arrêtant les véhicules à une certaine distance des civils. La modélisation de l’action des CFI a été simple grâce à différentes classes d’armes MANA.Note de bas de page 57

Le deuxième scénario concernait une FIR se déplaçant à travers un marché peuplé pour soutenir les troupes prises en embuscade par les insurgés de l’autre côté de la ville. Le scénario supposait que le convoi militaire aurait monté l’ADS et fait varier les paramètres de l’ADS (portée, puissance), ainsi que la foule et la taille du convoi pour obtenir environ 120 combinaisons de paramètres. Chacune des options a été répliquée 100 fois pour un total de 12 000 points de données différents. Deux mesures ont été utilisées pour évaluer l’efficacité des forces amies : la réalisation de l’objectif et le temps pris, ainsi qu’une autre mesure, soit le nombre de victimes de l’unité prise en embuscade.Note de bas de page 58

Différentes approches d’apprentissage automatique ont ensuite été mises à profit pour obtenir des informations sur l’importance relative des divers paramètres et les répercussions concernant la réussite de la mission. Dans le premier scénario, la taille de la foule était de la plus grande importance, suivie de la puissance (définie comme la durée de l’effet de l’ADS sur une personne). Dans le second cas, la taille de la foule n’était pas aussi importante, en grande partie parce que le convoi n’interagissait qu’avec une petite partie de la foule réelle. La portée et la puissance étaient les paramètres les plus importants. Lorsque l’on prend en compte le facteur temps (à quelle vitesse le convoi pouvait atteindre son objectif), la puissance est devenue le facteur le plus important. Dans l’ensemble, l’étude a montré de manière concluante que les CFI ont amélioré la capacité de la force BLEUE à atteindre son objectif (et à conserver la liberté de mouvement).Note de bas de page 59  L’incidence de la densité de la foule sur l’importance relative de la portée et de la puissance a été observée, ce qui indique que, à mesure que la densité de la foule augmentait, la portée devenait plus essentielle, tandis que pour les foules plus clairsemées, la puissance (durée de l’effet) prenait de l’importance.Note de bas de page 60

Résumé et conclusions

Les résultats de divers conflits indiquent que les foules civiles peuvent être utilisées stratégiquement comme une capacité de contre-mobilité. Habituellement, les militaires de l’OTAN et de leurs alliés agissent selon des règles d’engagement restrictives visant à éviter les pertes civiles. Cela, à son tour, limite leur capacité à contrer ces foules. Même pendant un conflit de haute intensité, le respect du DCA limite l’éventail des activités que les forces de l’OTAN peuvent employer dans le cas de civils.

Au cours d’une série de six jeux de guerre, le groupe du SAS-151 de l’OTAN a simulé des défis pour contrer les foules avec l’ensemble de capacités actuel. Les armes létales et non létales traditionnelles étaient insuffisantes face à des foules déterminées, et les actions de la police militaire risquait d’entraîner une escalade et les forces de l’OTAN risquaient de perdre la « guerre narrative » dans l’environnement de l’information. Toutefois, l’utilisation des ANL ED, en particulier de l’ADS, a donné l’initiative aux forces de l’OTAN.Note de bas de page 61  Comme elles ne sont pas observables, leur utilisation a eu une incidence négative limitée sur l’information par rapport aux ANL existantes. Les conclusions sur l’efficacité de l’ADS sont demeurées conformes à une étude antérieure menée par la RAND Corporation.Note de bas de page 62  Les jeux de guerre du groupe SAS-151 ont montré que la mobilité de l’ADS est plus importante que sa portée, et les travaux de modélisation et de simulation ont montré que les avantages d’une plus grande portée augmentaient avec une plus grande densité de foule.Note de bas de page 63

En résumé, les foules s’avèrent un outil de contre-mobilité efficace dans divers scénarios de concurrence et de conflit, ce qui souligne l’importance stratégique de relever ce défi. Par conséquent, il serait prudent que les planistes du Canada et de l’OTAN tiennent compte de l’utilisation de foules et de ripostes appropriées dans la planification opérationnelle. Bien que les capacités actuelles de la police militaire puissent être utiles dans certaines situations, leurs limites en matière de vitesse et les coûts potentiels de l’information soulignent la nécessité de prendre d’autres mesures. Comme l’ont observé les jeux de guerre mentionnés ci-dessus, les ANL ED, en particulier en mettant l’accent sur la mobilité par rapport à la portée, peuvent s’avérer des capacités de neutralisation prometteuses et offrent un contrôle efficace des foules sans répercussions négatives en matière d’information. Les résultats qualitatifs des jeux de guerre et les résultats quantitatifs de la modélisation des CFI dans MANA laissent entendre que la mobilité de ces capacités est plus importante que la portée. Compte tenu de cette conclusion, il serait intéressant pour les travaux de recherche et de développement futurs de donner la priorité à la réduction de la taille et de la puissance, même au détriment de la portée, afin d’améliorer ces capacités.

À propos de l'auteure

Peter Dobias est conseiller principal en recherche opérationnelle au Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord. Auparavant, il était chef de la Section des commandements terrestres et opérationnels du Centre de recherche et d’analyse opérationnelles de Recherche et développement pour la défense Canada (CARO RDDC), à Ottawa, au Canada, où il était responsable de la recherche opérationnelle et du soutien à l’analyse stratégique fournis par cinq équipes intégrées aux commandements opérationnels des Forces armées canadiennes et à l’Armée canadienne. Ses recherches portent notamment sur l’analyse de systèmes adaptatifs et auto-organisés complexes, la dissuasion et l’escalade, l’analyse des menaces, les jeux de guerre et les simulations constructives, ainsi que l’évaluation des missions stratégiques et opérationnelles.

Cet article a été publié pour la première fois dans l’édition d’octobre 2024 du Journal de l’Armée Canadienne (21-1).

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