Le rôle des jeux de guerre dans l’entraînement aux opérations urbaines
par Stuart Lyle
INTRODUCTION
Depuis des décennies, les militaires tentent de s’entraîner de manière efficace aux combats urbains à grande intensité. Ils n’y sont jamais entièrement arrivés, et aujourd’hui, ils cherchent encore la meilleure façon d’y parvenir. S’appuyer uniquement sur l’entraînement physique réel ne suffit pas pour préparer convenablement les militaires et les commandants aux défis particuliers que l’on risque de rencontrer sur les champs de bataille urbains de l’avenir.
Le combat urbain, qui se déroule dans le terrain le plus complexe qui soit, comporte des engagements interarmes combinés. Lors d’un combat urbain, les menaces proviennent de toutes les directions, sans compter l’abondance des possibilités de dissimulation pour les défenseurs et les attaquants, ainsi que des murs qui empêchent les militaires d’être vus, mais qui ne les mettent pas nécessairement à l’abri des tirs. De courtes distances d’engagement peuvent réduire l’efficacité d’une arme, mettre le tireur en danger ou empêcher complètement l’utilisation d’une arme. Comme les types de bâtiments ciblés peuvent grandement varier, les effets sur une cible donnée peuvent être radicalement différents, et parfois, aucun effet du tout sera obtenu. Les rues étroites peuvent restreindre l’accès aux véhicules, limitant ainsi les options tactiques d’un commandant.Note de bas de page 1
Les environnements urbains peuvent changer rapidement en raison des intenses combats, comme on le constate dans les batailles historiques où des bâtiments s’effondrent, des routes sont obstruées par les décombres, de nouvelles ouvertures apparaissent dans les bâtiments, ce qui permet d’y entrer ou d’en sortir et/ou de tirer, alors que des obstacles apparaissent soudainement lorsque les infrastructures se dégradent. Il existe différentes zones de terrains urbains (ZTU), chacune ayant des caractéristiques physiques et humaines particulières, bien que générales.Note de bas de page 2 Chaque zone en particulier favorise l’utilisation d’un concept de la force et d’une stratégie de la force qui seront différentes au combat. Par exemple, les forces légères excellent dans les « vieilles villes » denses ou dans les zones parsemées de bâtiments en hauteur, alors que les forces blindées lourdes sont mieux adaptées aux zones industrielles qui présentent davantage d’espace de manœuvre et de lignes de visée longues pour les canons et les armes antiblindés.
De plus, la présence de civils distingue les zones urbaines des zones rurales. Des milliers de civils fuient les combats et exercent des pressions sur les plans du maintien en puissance de la formation supérieure, alors qu’au niveau tactique, plusieurs civils demeurent dans la zone de combat. Leur présence impose des contraintes sur les actions militaires, ce qui n’est souvent pas un facteur dans les combats en milieu rural.Note de bas de page 3 De plus, ces personnes communiquent, entraînant ainsi un désordre électromagnétique qui se distingue de tout autre environnement et qui est probablement unique à chaque environnement urbain.
L’addition de tous ces facteurs fait en sorte que l’instruction militaire traditionnelle basée sur des exercices d’entraînement physique est difficile, voire impossible. Même si cela est très exigeant, il demeure possible de déployer des unités allant d’une compagnie à une brigade dans une zone d’entraînement rurale (qu’il s’agisse d’une zone tempérée, désertique ou arctique) pour une variété d’exercices, y compris un tir d’armes actif combiné, et ces déploiements sont souvent une condition préalable pour se préparer en vue d’un déploiement. Toutefois, comme on le verra dans cet article, il est tout simplement impossible de reproduire un tel entraînement pour le combat urbain. Par conséquent, nous devons adopter et exploiter une méthode de rechange ayant un potentiel démontré pour combler ce fossé sur le plan de l’entraînement : il s’agit des jeux de guerre. Dans cet article, on explorera le potentiel des jeux de guerre afin de combler les lacunes dans l’entraînement urbain et où ils s’adaptent le mieux au besoin d’ensemble en matière d’entraînement.
LIMITES DE L’ENTRAÎNEMENT RÉEL
Le stress physique et cognitif ressenti par les militaires pendant un entraînement réel est inestimable. Les jeux de guerre ne permettent pas, avec la même efficacité que l’entraînement réel, de reproduire l’effort physique, les complexités de la coordination entre éléments de la force et la manipulation physique des systèmes du champ de bataille. Toutefois, malgré les avantages offerts par l’entraînement réel, ce dernier ne peut englober tout ce qu’il faut pour vraiment se préparer à mener des combats urbains à grande intensité, et ce, à tous les échelons. L’entraînement réel présente des limites considérables qui sont exacerbées lorsqu’on tente de simuler des opérations urbaines. Ces limites appartiennent à trois grandes catégories : l’environnement, la représentation des effets militaires et les activités multidomaines.
1. L’environnement
La représentation d’environnements non urbains est fortement dominée par la topographie physique, en plus de certaines caractéristiques spéciales comme les conditions météorologiques dans les régions arctiques et désertiques. Il est relativement facile de trouver des terrains d’entraînement qui reproduisent ces caractéristiques topographiques. Toutefois, le terrain urbain est beaucoup plus complexe que sa simple topographie. L’environnement urbain comporte quatre niveaux :
- Terrain physique – Cela comprend la topographie, l’étalement urbain, les caractéristiques physiques des différentes zones de terrain en milieu urbain et même les caractéristiques physiques de chacun des bâtiments.
- Terrain humain – Les terrains dans les zones urbaines et rurales se distinguent par la présence de populations civiles, et ces populations influencent grandement le déroulement des opérations. La complexité s’en trouve davantage accrue par les différents groupes socio-économiques, la diversité ethnique et linguistique, ainsi que les modes de vie distincts d’une zone urbaine à l’autre. Par exemple, les zones résidentielles ont tendance à être relativement vides le jour, mais occupées la nuit, alors que le contraire est vrai pour les locaux à bureaux.
- Couches d’informations – Le spectre électromagnétique (SEM) est encombré par les communications civiles et militaires, les téléphones mobiles, l’Internet et les appareils connectés. Le tout peut être exploité à divers niveaux et à des degrés variables dans l’ensemble du spectre du conflit.
- Infrastructure – Cet aspect comprend les systèmes de communication, de transport, d’alimentation en électricité, d’eau et de déchets. Il s’agit là de caractéristiques importantes des zones urbaines, qui font partie intégrante du fonctionnement de la zone urbaine et de sa population, sans compter qu’elles peuvent avoir une incidence importante sur la conduite des opérations urbaines. En fait, ces éléments pourraient constituer la principale motivation ayant mené au lancement de l’opération.
Il est presque impossible de reproduire l’ampleur et la complexité de la population dans un environnement d’entraînement. Il est difficile de générer suffisamment d’acteurs pour simuler quoi que ce soit au-delà des interactions mineures, et il arrive souvent qu’ils ne possèdent pas la diversité culturelle et linguistique nécessaire pour présenter des défis réalistes.
Pour un entraînement davantage axé sur le plan tactique (en particulier pour simuler le combat et le Renseignement, surveillance, acquisition d’objectifs et reconnaissance [ISTAR]) l’environnement multidimensionnel revêt la plus haute importance. La surface, la super-surface, la sous-surface et l’intérieur des bâtiments, ainsi que les couches d’information, occupent tous une place essentielle pour la conduite des opérations à ce niveau. Ces facteurs varieront également en fonction de la ZTU simulée, ce qui signifie qu’il existe une différence considérable entre un bidonville et un quartier d’affaires parsemé de gratte-ciel.
Comparez cela à la simulation d’opérations en zone rurale, où il suffit de modéliser la topographie, qui comprend probablement de petits villages (et des bâtiments relativement peu complexes), ainsi que des infrastructures en nombre limité et où le SEM est dominé en majeure partie par des systèmes militaires. Du seul point de vue de l’environnement, la représentation des opérations urbaines présente un ordre de grandeur plus compliqué. Et c’est sans compter les problèmes d’échelle et de variation. Il est impossible d’aménager un site d’entraînement urbain suffisamment permettant l’entraînement d’un élément de force de grande taille. Les armées française et allemande ont construit des installations impressionnantes au Centre d’entraînement aux actions en zone urbaine et à Schnöggersburg,Note de bas de page 4 respectivement. Les États-Unis possèdent des installations comparables à Fort Irwin et Twenty-Nine Palms. Ces installations comprennent des centaines de bâtiments, reproduisant plusieurs ZTU, ainsi que des édifices de complexités et de hauteurs variables. Toutefois, ces sites présentent encore plusieurs limites :
- Malgré leur grande taille, ils sont rapidement mémorisés par les troupes en exercice, ce qui réduit la complexité de l’entraînement avec le temps.
- Ils ne soutiennent pas efficacement les manœuvres à grande échelle dans l’espace urbain, particulièrement au-dessus du niveau de la compagnie ou de l’escadron.
- Ils ne permettent pas une représentation des effets interarmes.
- On n’y trouve pas de population.
- Leurs zones sont généralement assez « dégagées » ou ils n’offrent pas suffisamment de « dommages importants causés lors d’un combat » : le réalisme en est ainsi diminué.
- Ils présentent généralement un encombrement très limité (ou inexistant) au niveau du SEM.
- Bien qu’elles puissent représenter des ZTU différentes, chaque représentation est limitée, ce qui augmente la difficulté d’y tenir un entraînement basé sur une manœuvre interarmes.
Pour résumer, disons qu’il est impossible de créer l’étendue, la complexité et le réalisme nécessaires d’une zone urbaine véritable à l’intérieur d’un domaine d’entraînement artificiel. De plus, les villes évoluent. L’émergence de « villes intelligentes », la verticalité accrue des gratte-ciels et des complexes souterrains, l’augmentation du nombre de bidonvilles et des formes de gouvernance alternatives complexes redéfinissent la manière dont une force militaire peut interagir avec une ville et sa population.Note de bas de page 5 Malgré les répercussions possibles de ces tendances sur les opérations militaires, il est très difficile d’y préparer les commandants en utilisant les méthodes d’entraînement physique actuelles.
Enfin, en raison du nombre limité de ces grands sites d’entraînement urbains et de la forte demande dont ils font l’objet, les unités ont rarement l’occasion de s’y entraîner. Pour cette raison, on se retrouve souvent avec un calendrier d’entraînement condensé qui empêche les troupes de répéter les scénarios tactiques et de mettre en pratique les leçons tirées des tentatives initiales. Il devient alors difficile d’établir une base solide pour l’entraînement.
2. Effets militaires
Les aspects les plus difficiles de l’entraînement urbain réel consistent, entre autres, à représenter avec précision les effets du combat, ce qui comprend même des aspects apparemment simples qui consistent, par exemple, à les inclure comme des options dans les scénarios d’entraînement.Note de bas de page 6 Le tir réel interarmes est considéré comme étant essentiel pour l’entraînement en milieu rural, mais il n’est même pas possible de l’inclure dans l’entraînement en milieu urbain.
Même dans les exercices de tir non réels, il manque plusieurs systèmes d’armes essentiels. Il est rare d’assister à des exercices d’entraînement en milieu urbain lors desquels les troupes utilisent des systèmes d’armes explosives comme des lance-grenades et des munitions antistructures, malgré qu’il s’agisse des opérations mêmes pour lesquelles ils sont conçus. En outre, on constate une absence notable d’effets interarmes représentés : les mortiers, les canons antichars et les frappes aériennes produisent au mieux des effets attribués et, de façon plus générale, ces effets sont entièrement absents. Par conséquent, la majeure partie de l’entraînement en zone urbaine, même s’il s’agit d’un exercice de groupe d’une compagnie interarmes, se transformera en un combat à pied à l’intérieur des édifices. Un tel entraînement ne permet pas de préparer adéquatement les troupes aux opérations urbaines interarmes et les oblige à apprendre des leçons à la dure lors des combats réels.Note de bas de page 7
En omettant de représenter ces capacités ou leurs effets, l’entraînement renforce les hypothèses incorrectes ou produit des tactiques peu efficaces. Les troupes peuvent manquer de connaissances lorsqu’il est préférable d’utiliser des explosifs au lieu des armes légères, en faisant confiance à la « mémoire musculaire » acquise lors des exercices où les explosifs n’ont jamais été représentés.
Dans les formations supérieures, une des principales fonctions réside dans la coordination des effets des tirs interarmées à l’appui des éléments de combat rapproché, y compris les effets cinétiques, ainsi que les effets nouveaux comme les capacités cybernétiques et spatiales. Si ces aspects ne sont pas intégrés à l’entraînement urbain, une lacune claire apparaît sur le plan de l’entraînement.
3. Activités multidomaines
Au sein des formations supérieures, les opérations urbaines impliquent un éventail plus vaste de responsabilités que les opérations rurales. Dans les batailles urbaines, des tâches comme la coordination avec les services de la nation hôte, le soutien aux grandes populations déplacées, la gestion du maintien en puissance en vue des combats urbains de grande intensité et divers autres facteurs occupent soudainement une place critique.
Dans ce contexte, les flux urbains de personnes, de ressources, de déchets, de communications et d’autres aspects connexes jouent un rôle important. Les diasporas internationales, les médias internationaux et les liens qui existent à l’échelle mondiale entre les villes commencent à influencer la conduite des opérations.Note de bas de page 8 L’étendue de la zone urbaine des opérations est évidemment beaucoup plus grande. Déterminer la façon de manœuvrer dans un vaste espace urbain et coordonner plusieurs entités sur différentes lignes de communication au sol constituent un redoutable défi qu’il est impossible de reproduire dans un lieu d’entraînement existant en milieu urbain.
Qui plus est, les périodes nécessaires pour accomplir ces activités excèdent souvent les attentes réalistes à ce niveau dans un exercice réel. La plupart des grandes batailles urbaines s’étirent généralement sur des semaines ou des mois, impliquant ainsi des activités de façonnage, la collecte de renseignements, la bataille en tant que telle et la transition vers la sécurité, et chacune de ces activités requiert généralement un temps considérable.
En résumé, par rapport aux exigences des opérations urbaines réelles, les capacités actuelles sur le plan de l’entraînement physique ne suffisent pas pour l’ensemble des besoins d’entraînement et à tous les échelons.
En quoi consistent les jeux de guerre?
On assiste à un vaste débat parmi les grands théoriciens des jeux de guerre de ce monde quant à la façon de définir un jeu de guerre et à savoir si de telles définitions sont bénéfiques.Note de bas de page 9 Toutefois, aux fins du présent article, il est essentiel de fournir une définition et de clarifier la position défendue. Dans le présent article, un jeu de guerre est défini comme une simulation de conflits et d’activités militaires impliquant un adversaire, basée sur un modèle structuré et encadrée par des règles et au cours de laquelle les décisions des joueurs et des joueuses ont une incidence sur la progression des actions et les résultats de ces actions.
La pratique des jeux de guerre repose sur une longue et riche histoire de préparation des militaires, allant de la représentation très abstraite du combat sous forme de jeu d’échecs, qu’on a utilisée pendant des siècles de la Perse à l’Europe,Note de bas de page 10 à son application par les Allemands dans les années 1930 pour développer la BlitzkriegNote de bas de page 11 et par la marine américaine pour développer des tactiques à partir d’un porte-avions transporteur.Note de bas de page 12 Plus récemment, les alliés occidentaux ont organisé des jeux de guerre très détaillés pour aider les Forces armées ukrainiennes à prendre des décisions liées à leurs contre-offensives, y compris l’offensive de 2022 à Kherson.Note de bas de page 13 Cet exemple particulier est venu mettre en évidence les dangers d’une offensive plus vaste que les Ukrainiens avaient planifiée, étant donné que les jeux de guerre laissaient croire à une opération beaucoup plus limitée et mieux ciblée autour de la ville de Kherson. Cela a finalement porté ses fruits avec l’Ukraine qui a repris la capitale régionale et plus de 1 000 kilomètres carrés de territoire en deux semaines.
Les jeux de guerre se présentent sous plusieurs formes, mais la répartition la plus simple des types comporte deux catégories : manuelle et informatique (cette dernière étant ultérieurement qualifiée « simulation constructive »).
- Les jeux de guerre manuels sont des jeux sur table classiques où l’on étend des cartes sur une table et des comptoirs pour représenter les entités prenant part au conflit. Ces jeux sont particulièrement utiles pour l’entraînement axé sur la collaboration, car tous les participants et les participantes sont rassemblés autour de la carte, discutent de leurs actions et évaluent l’effet qu’ont leurs actions sur les autres joueurs et joueuses. Pour cette raison, les jeux de guerre manuels demandent habituellement davantage de temps. Ils peuvent également être moins intuitifs pour ceux et celles qui n’en sont pas des adeptes, alors que dans le cas des jeux plus complexes, des spécialistes doivent les exécuter et les animer.
- Les jeux de guerre informatisés sont plus immersifs, ils peuvent se dérouler en temps réel et ils sont plus attrayants sur le plan visuel. Leur exécution est également plus rapide, ce qui augmente leur valeur de répétabilité. Ils sont particulièrement utiles pour l’entraînement individuel et pour les aspects spécifiques à l’entraînement, comme le commandement et le contrôle (C2) et les scénarios de combat à cadence élevée. Ils ont également tendance à être plus intuitifs, ce qui rend les simulations complexes plus accessibles aux non-adeptes des jeux vidéo qu’un jeu manuel comparable. On doit cependant utiliser davantage de matériel pour que ces jeux fonctionnent « à l’échelle » de manière à former autant de personnes qu’un jeu de guerre manuel, sans compter que le matériel informatique est plus coûteux.
La plupart des professionnels et professionnelles militaires connaissent les jeux de guerre ou y ont déjà participé activement. Depuis les jeux de guerre basés sur le plan d’action dans le cadre du processus de planification aux exercices conjoints plus vastes, tel Warfighter, l’armée est habituée à une variété de techniques de jeu de guerre. Malgré cela, l’adoption des jeux de guerre ne s’est toujours pas déroulée avec enthousiasme pour un entraînement plus régulier et on considère toujours qu’il s’agit « d’un jeu de dés qui n’est pas bien différent du Risk et qui est davantage associé aux choses enfantines ».Note de bas de page 14
Cet article porte principalement sur les caractéristiques des jeux de guerre qui sont pertinents à des fins d’entraînement, exception faite des jeux de guerre analytiques plus complexes qui servent à des fins plus spécialisées ou spécifiques.
Quelle est la place des jeux de guerre?
Pour que les jeux de guerre deviennent un complément à un entraînement réel, il est essentiel d’identifier les domaines les plus appropriés où ils peuvent faire l’objet d’une application plus efficace. De façon générale, il existe trois niveaux distincts d’entraînement pour la guerre urbaine :
- entraînement de bas niveau (jusqu’au niveau du peloton ou de la troupe);
- Entraînement interarmes initial (jusqu’au niveau de la compagnie ou de l’escadron);
- entraînement collectif de formation supérieure (au niveau du bataillon, de la brigade et de la division).
Bien qu’il existe sans l’ombre d’un doute un certain chevauchement entre l’entraînement de ces différents niveaux, chaque niveau présente des exigences distinctes qui donnent lieu à des besoins d’entraînement distincts pour les jeux de guerre.
- Les compétences de bas niveau, individuelles et de petite unité relèvent encore exclusivement de l’entraînement réel. La réalité virtuelle, la simulation constructive comme les jeux sur ordinateur et les jeux de guerre manuels/de table ne sont pas destinés à remplacer l’entraînement physique menant à l’acquisition de ces compétences. Ces compétences résultent de la « mémoire musculaire » développée au fil de plusieurs itérations pour s’assurer que les militaires peuvent réagir rapidement et, au besoin, de manière instinctive. Elles découlent de l’expérience viscérale lors de la prise de décisions rapide, alors qu’on est assailli par la fatigue et par la pression attribuables aux contraintes sur le champ de bataille. Comme le dit le vieil adage, les militaires doivent simplement se déplacer, tirer et communiquer, et c’est dans la réalité qu’on parvient à mieux le faire.Note de bas de page 15 Toutefois, les jeux de guerre permettent de cultiver le fondement cognitif (la composante conceptuelle de la puissance de combat). Certains jeux de guerre informatiques sont pertinents à ce niveau, mais l’entraînement peut même être aussi simple qu’un exercice tactique sans troupes qui se déroule en terrain urbain réel, avec un adversaire suffisamment habilité et un arbitre qui s’assure que les discussions restent constructives. Des systèmes de jeux de guerre manuels, tel Advanced Squad Leader, ont été utilisés afin d’améliorer les processus d’entraînement et de planification tactiques pour les commandants de peloton.Note de bas de page 17
- L’entraînement initial interarmes est utilisé lorsque la coordination et le processus deviennent plus importants que la manipulation physique des systèmes. Comme l’ont souligné à juste titre Robert Taylor, Duncan Stewart et John Spencer, « la capacité d’un soldat ou une soldate à coordonner un barrage d’artillerie améliorera sa létalité globale de façon disproportionnée par rapport à un groupement à 5 mm ou mieux à 100 m. » [Traduction]Note de bas de page 18 Tel sera encore davantage le cas en ce qui concerne l’expérience qui permet de connaître le moment où l’artillerie ou d’autres ressources représentent la solution, plutôt que le combat rapproché à pied.Note de bas de page 19 Les jeux de guerre peuvent produire bien plus d’effets sur le champ de bataille que l’entraînement physique (même un entraînement abstrait), ce qui signifie que les militaires peuvent envisager le moment où il pourrait être approprié de les utiliser et l’impact qu’ils pourraient avoir. De plus, les jeux de guerre peuvent offrir une étendue de terrain convenant à la manœuvre de compagnie à bataillon, renforçant ainsi les leçons sur le C2 entre les éléments du combat rapproché, les tirs interarmées et les éléments de maintien en puissance, en plus de poser un risque de se retrouver encerclé dans la densité du terrain urbain. Pour ce niveau, les jeux de guerre manuels sont excellents pour l’entraînement collectif des commandants de section, de peloton et de compagnie, tandis que les jeux de guerre informatisés sont les meilleurs pour l’entraînement individuel plus ciblé des commandants de peloton et de compagnie.
- L’entraînement collectif destiné aux formations supérieures dans le domaine de la guerre urbaine peut se dérouler presque entièrement à partir de jeux de guerre. Il s’agit souvent de la zone où l’entraînement urbain est limité ou inexistant. Lors des combats urbains véritables, les formations supérieures sont susceptibles d’être immobiles à l’intérieur des bâtiments la majeure partie de leur temps, coordonnant ainsi les unités qu’elles ne parviennent pas à voir physiquement en raison du terrain. Dans ce contexte, le jeu de guerre n’est pas vraiment une réalité aussi abstraite sur le plan de l’entraînement. À ce niveau, les jeux de guerre peuvent injecter des caractéristiques pertinentes comme des populations civiles de grande taille qu’il faut gérer, l’incidence des opérations d’information, l’orientation ou l’ingérence politique, ainsi que la participation d’autres acteurs alignés comme les organisations non gouvernementales ou les forces de la nation hôte. Les jeux de guerre procurent également une plateforme pour représenter les acteurs ou les capacités interarmées et interagences d’une manière qui est beaucoup plus difficile dans les cadres d’entraînement physique. Le Defence Science and Technology Laboratory (Dstl) du Royaume-Uni a récemment organisé un jeu de guerre pour le corps de réaction rapide allié de l’OTAN dans le but de l’aider à élaborer une doctrine urbaine au niveau du corps. L’équipe a fait appel à des représentants et des représentantes de différentes organisations non gouvernementales et leur a confié divers rôles de non-combattants, ajoutant ainsi à l’exercice leurs expériences réelles d’aide aux civils dans les zones de guerre. Il s’agissait de la première fois où des membres du quartier général du corps menaient des opérations urbaines au niveau du corps et, pour certains planificateurs et certaines planificatrices, c’était là leur toute première expérience des opérations urbaines basées sur des jeux de guerre.
Quel que soit le niveau, un aspect important de l’entraînement est la répétabilité. La capacité de mener des scénarios variés impliquant différents adversaires et faisant appel à des tactiques variées est essentielle au développement de décideurs et décideuses à la fois flexibles et adaptables. Si nous apprenons de nos expériences, une pratique exemplaire repose sans aucun doute sur la création du plus grand nombre possible d’expériences variées. L’entraînement physique présente un potentiel de répétition décroissant au fur et à mesure que nous gravissons les échelons. Alors que les jeux de guerre informatiques sont généralement plus rapides que les jeux de guerre manuels, chaque catégorie présente généralement une répétabilité plus grande que les exercices d’entraînement physique. Les joueurs et joueuses peuvent changer de rôle, ce qui leur permet de vivre l’expérience d’un commandant de compagnie un jour, de commandant de bataillon le lendemain et de commandant des forces rouges le surlendemain, et ils acquièrent ainsi une expérience beaucoup plus vaste pour l’avenir. Selon Perla et McGrady, le besoin d’explorer, de répéter et de réfléchir aux décisions prises dans le contexte des jeux occupe une place essentielle dans ce que nous devons faire pour apprendre à mieux vivre dans un monde qui évolue rapidement au-delà de notre gamme d’expériences réelles.Note de bas de page 20

Scénario tactique
Représentation du même scénario tactique dans le jeu informatique Combat Mission, mais géré de trois façons différentes. « Open » (ouvert) – Permet au joueur ou à la joueuse de voir toutes les unités (bleues et rouges). « Closed » (fermé) – Permet au joueur ou à la joueuse de voir toutes les unités bleues, mais uniquement les unités rouges identifiées par les forces bleues. « Closed+ » (fermé+) – Permet au joueur ou à la joueuse de voir uniquement ces unités dans la ligne de mire de l’endroit où se trouve le commandant de compagnie.
Un autre aspect crucial est l’immersion. Dans sa version la plus simple, cela implique que les joueurs et joueuses assument des rôles qui peuvent déterminer la façon dont ils et elles abordent et résolvent les problèmes. Toutefois, la situation est plus complexe compte tenu de l’immersion dans les processus devant permettre de ressentir de manière réaliste le stress et les défis associés à la conduite d’opérations en zone urbaine. Par exemple, le Dstl exécute le jeu de guerre informatique commercial Combat Mission de manière à forcer le joueur ou la joueuse à voir uniquement les éléments de force qu’il ou elle pourrait réellement voir dans la vie réelle (voir l’image ci-dessus). Cela oblige les commandants à prendre des décisions fondées sur des représentations très restreintes, mais réalistes de leur connaissance de la situation. Notamment, de nombreux joueurs et joueuses militaires du Dstl ont exprimé à quel point ils et elles l’ont trouvé désorientant.
Un autre aspect de l’immersion consiste à tenir compte des conséquences des actions. Les jeux de guerre permettent de représenter les résultats, comme les pertes civiles, les dommages aux infrastructures, les échecs des opérations d’information, les pertes élevées de la Force bleue et d’autres défis difficiles. Les cartes peuvent être modifiées pour représenter la dégradation de l’environnement en fonction du niveau de destruction établi par les joueurs et les joueuses. Même un simple jeu de guerre avec des « événements » axés sur des cartes comme ceux-ci peut forcer les commandants à assumer la responsabilité de leurs actions – à la fois positives et négatives – et à saisir leurs implications et la façon dont ils et elles pourraient influencer les actions subséquentes.Note de bas de page 21
Cependant, ce n’est pas si simple
Pour être clair, il est encore très difficile de simuler la complexité des opérations urbaines dans un jeu de guerre. L’armée américaine a réalisé un examen de toutes ses simulations existantes qui s’appliquent aux opérations urbaines. Lorsqu’on les évalue dans l’ensemble du spectre des domaines PMESII-PT,Note de bas de page 22 l’unique catégorie qui justifie une cote « vert » est naturellement le domaine « militaire ».Note de bas de page 23
Le Dstl a mené une étude sur les capacités de jeu de guerre du Defence Wargaming du Royaume-Uni et, après avoir identifié des limites comparables dans ses principales capacités de jeu de guerre, déploie activement des efforts pour y remédier. Reconnaissant que les excellentes idées ne sont pas exclusives à une seule organisation, le Dstl relève ces défis en misant sur des jeux de guerre commerciaux manuels et informatisés et en les adaptant pour répondre à leurs exigences spécifiques. De nombreux jeux commerciaux visent à couvrir le conflit d’une manière engageante qui permet la représentation de plusieurs des facteurs décrits ci-dessus ou l’utilisation de mécanismes qui mettent l’accent sur des fonctions spécifiques comme le C2 et les opérations d’information.
Les jeux de guerre permettent de simuler des conflits, mais tous les jeux de guerre ne sont pas créés égaux. Il existe une maxime chez les praticiens et les praticiennes de la modélisation et de la simulation : « Tous les modèles sont faux, mais certains sont utiles. » [Traduction] Aucun jeu de guerre ne peut couvrir tout, et il y aura toujours des compromis, tout comme dans l’entraînement réel.Note de bas de page 24 La clé consiste à déterminer le niveau de réalisme requis pour obtenir le résultat souhaité et à adapter le jeu en conséquence.
Il est tout aussi essentiel de reconnaître que les jeux de guerre mettent délibérément l’accent sur certains aspects et qu’ils ne tentent peut-être pas d’englober toutes les entités et les influences possibles. Les aspects jugés moins pertinents pour le but du jeu de guerre sont souvent représentés de façon plus abstraite pour permettre aux joueurs et aux joueuses de concentrer leur attention sur le but principal.Note de bas de page 25 Un exemple classique est la résolution du combat au moyen de dés, qui symbolisent les risques que les commandants doivent évaluer et les frictions inévitables qui peuvent perturber même les plans les mieux conçus. Bien que l’on ne puisse pas atteindre une précision de 100 % pour toutes les missions de combat, on considère souvent qu’il suffit de permettre la progression du jeu de guerre et de diriger l’attention des joueurs et des joueuses sur les principaux objectifs.
Le jeu de guerre manuel We Are Coming, Nineveh! concerne le niveau opérationnel au cours de la bataille de Mosul, en Irak (du 16 octobre 2016 au 20 juillet 2017). Le combat est très abstrait, mais le jeu utilise des blocs pour restreindre l’image de rouge du bleu (représentant le renseignement incomplet) et les cartes pour représenter un large éventail d’événements possibles pour influencer le dénouement. L’intégration des cartes apporte un élément variable, fournissant aux joueurs et aux joueuses un ensemble différent de défis lors de chaque partie. Le jeu présente également une fonction où les joueurs et les joueuses doivent choisir la manière de bâtir leur force avant la bataille, ce qui les oblige à tenir compte de la composition des forces. Les compromis faits au début ont des effets de deuxième et de troisième ordres qui influencent les étapes subséquentes du jeu. Cela permet aux joueurs et aux joueuses de reprendre le jeu avec différentes compositions des forces en introduisant un élément d’expérimentation.
Les jeux de guerre informatiques, tels Combat Mission, permettent aux compagnies interarmes de mener des combats très intenses dans des zones fortement bâties en utilisant la gamme complète des effets interarmées, y compris les frappes aériennes, la guerre électronique, l’artillerie et l’ISTAR. Toutefois, le compromis réside dans le fait que le système est principalement conçu pour afficher des éléments de la taille d’une compagnie et que le combat d’infanterie est relativement simpliste. Mais puisqu’il s’agit d’un jeu commercial, il est relativement facile à apprendre et il peut être utilisé pour l’entraînement individuel ou avec deux parties opposées. L’inclusion d’une fonction de cartographie permet de générer de nouvelles zones urbaines, assurant une variété de configurations et d’échelles pour que l’entraînement reste difficile. De plus, comme on l’a mentionné précédemment, il existe des méthodes qui permettent d’exécuter le jeu de façon à améliorer les défis du C2.
Pour former des groupes plus nombreux et à des échelons supérieurs, le Dstl utilise des jeux de guerre personnalisés qu’il est possible d’adapter pour atteindre les résultats prévus au niveau de l’entraînement. Dans ces scénarios, on a souvent recours à des personnes possédant des connaissances et une expertise spécifiques pour assumer différents rôles, comme l’ennemi, la nation hôte, la population locale et d’autres acteurs internationaux. Cette approche permet aux joueurs et aux joueuses militaires de se concentrer sur leurs rôles spécifiques dans le monde réel.
Bien que ces approches offrent des solutions possibles aux limites de l’entraînement physique en milieu urbain, elles ne sont pas sans défis. Par exemple, il peut être difficile de trouver des joueurs et des joueuses suffisamment expérimentés pour occuper les rôles de faction. De plus, les caractéristiques agrégées qui sont inhérentes aux jeux de guerre les rendent moins aptes à l’entraînement axé sur certains aspects des opérations urbaines. Pour certains joueurs et certaines joueuses, les événements axés sur des cartes et les résultats d’un lancer des dés peuvent être perçus comme étant trop aléatoires, ce qui les amène à se sentir comme s’ils participaient à un jeu de hasard plutôt qu’à un entraînement militaire sérieux. Une animation efficace peut atténuer ces défis. En fin de compte, cependant, l’alternative pourrait consister à exclure ces aspects de l’entraînement urbain ou, pire, donner lieu à une absence totale d’entraînement urbain.
CONCLUSION
Le recours exclusif à l’entraînement réel ne permettra pas de préparer adéquatement les militaires à prendre part aux combats urbains de l’avenir. Les limites des lieux d’entraînement deviennent apparentes, puisqu’on est incapable de reproduire l’échelle, la complexité (y compris le SEM), la variété et la fragilité du paysage urbain physique. Les installations d’entraînement existantes sont également incapables de représenter avec précision l’étendue de la dimension humaine du conflit dans cet environnement et son évolution dynamique en conséquence directe des mesures prises par les commandants. Enfin, ces sites sont incapables de permettre la représentation des effets interarmes et interarmées (y compris non cinétiques), et du tir réel en particulier, ce qui présente un contraste net avec le besoin d’un entraînement régulier dans les environnements ruraux. En raison de ces lacunes, les militaires ne préparent pas suffisamment les commandants à tous les niveaux à utiliser le mieux possible l’éventail complet des effets disponibles.
Malgré les limites existantes, les jeux de guerre se distinguent comme un moyen viable de préparer véritablement les commandants à mener des opérations urbaines, en particulier au sein des formations supérieures. Avec un soutien adéquat, il est possible d’atténuer les limites reconnues des jeux de guerre. Bien qu’ils ne puissent jamais constituer un reflet parfait de la réalité, les jeux de guerre peuvent apporter une représentation beaucoup plus complète des défis tactiques et opérationnels dans la guerre urbaine si on les compare aux autres moyens d’entraînement. Investir dans le développement des jeux de guerre offre un moyen plus rapide et plus efficace de combler les lacunes que présente l’entraînement urbain, plutôt que d’orienter les ressources uniquement vers les domaines d’entraînement réel.
Afin de préparer les forces alliées et partenaires pour le futur champ de bataille urbain, il est crucial qu’on cesse de compter uniquement sur l’entraînement réel. Les limites inhérentes à l’entraînement réel peuvent mener à l’enchâssement de tactiques qui laissent à désirer, puisque les exercices limités deviennent l’expérience fondamentale pour les leaders à tous les niveaux, de la section au peloton, à la compagnie et au-delà. Si on s’appuie sur ces exercices réels limités comme un fondement cognitif de la préparation à la guerre, on risque d’inculquer des leçons sous-optimales au sein de la force. De même, il serait imprudent d’espérer que les militaires s’adaptent dans les combats urbains véritables. Comme le dit l’adage, l’espoir n’est pas une stratégie, et cette dépendance à l’adaptation alors qu’on est exposé au tir peut entraîner des pertes inutiles et des dommages collatéraux. Les jeux de guerre offrent une solution de rechange éprouvée. Comme l’a souligné le général von Muffling, chef d’état-major général de la Prusse en 1824, après avoir observé un jeu de guerre : « Ceci n’est pas un jeu! C’est un entraînement pour la guerre! » Note de bas de page 26
À PROPOS DE L’AUTEUR
Stuart Lyle est analyste principal pour le Dstl au ministère de la Défense du Royaume-Uni; il s’intéresse principalement à la guerre terrestre de l’avenir. Il est responsable de la recherche sur les opérations urbaines au Dstl et dirige le rapport intitulé Future Cities : Trends and Implications (2020), qui porte sur les tendances futures de l’urbanisation et leurs répercussions pour les militaires. Stuart a également joué un rôle important dans l’exploration de la technologie devant faciliter les opérations urbaines, les jeux de guerre urbains, l’impact du terrain urbain sur les activités d’élimination des munitions explosives et plus encore. Ses travaux les plus récents portaient sur la conception d’une force optimisée en milieu urbain, créant ainsi un peloton conceptuel léger servant de base à l’équipe de combat de la prochaine génération de l’Armée britannique.
Cet article a été publié pour la première fois dans l’édition d’octobre 2024 du Journal de l’Armée Canadienne (21-1).
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