Jeux de décision tactique scénario #2
Problèmes d’engagement

par Lieutenant-Colonel Matthew Rolls, CD

Vous commandez le 1er Bataillon, groupement tactique (GT) The Royal Canadian Regiment (1 RCR). Vous êtes en ATROPIA au sein d’une division multinationale qui mène des opérations offensives pour expulser l’armée de la DONOVIA occupant le Nord de l’ATROPIA. Vous exécutez actuellement une marche à l’ennemi comme avant-garde du 2e Groupe-brigade mécanisé du Canada (2 GBMC). Vous avez le contrôle opérationnel (OPCON) d’un escadron de chars attaché (Esc C) The Royal Canadian Dragoons (RCD), et l’OPCON d’un groupe tactique d’artillerie (GTA) du 2e Régiment, Royal Canadian Horse Artillery (2 RCHA) comprenant suffisamment d’officiers observateurs avancés (OOA) et de contrôleurs interarmées de la finale de l’attaque (CIFA) pour trois de vos sous-unités. 

Le 2 GBMC exécute une marche à l’ennemi avec en tête l’esc de reconnaissance (reco) de la brigade (bde), qui effectue une reconnaissance d’itinéraire. Le 1 RCR tient le rôle d’avant-garde et marche à l’ennemi avec en tête le peloton de reco et avec la Compagnie (Cie) Duke comme équipe de combat (éqp cbt) en tête d’avant-garde.Note de bas de page 1  Le commandant de brigade (Cmdt Bde) veut avancer rapidement en évitant d’engager le gros des troupes de la bde. Pour ce faire, il veut que vous repériez et détruisiez la résistance ennemie, selon vos moyens, pour que le gros des troupes de la bde puisse avancer sans entrave. Le Cmdt Bde veut que vous contourniez les forces de la taille d’une section ou d’une taille inférieure qui ne menacent pas les lignes de communication de la bde. Toutes les forces se trouvant de part et d’autre des lignes de communication de la bde (itinéraire COORS) ou d’une taille supérieure à une section doivent être détruites. Si vous jugez que vous n’avez pas les capacités pour détruire un élément ennemi donné, vous devez l’immobiliser pour que la bde puisse mener une action offensive.

Les forces alliées obtiennent de bons résultats jusqu’ici. Les forces de la DONOVIA exécutent une manœuvre retardatrice et ont essayé d’empêcher la Division de traverser une grande rivière. Toutefois, une intervention sur le terrain menée par le commandant d’une sous-unité a permis à la Division de traverser la rivière rapidement. Depuis, la résistance de la DONOVIA est moins organisée et leur moral semble décliner. Malgré leurs pertes, les forces de la DONOVIA persistent à vouloir retarder les forces de la Division afin de permettre la préparation d’une position défensive principale plus loin derrière elles. Les forces de la DONOVIA consistent en une infanterie mécanisée qui emploie le VCI BMP-2MNote de bas de page 2  appuyé par des chars T-72B. Immédiatement après l’opération de la traversée de la rivière, le terrain est devenu plus découvert (terres cultivées), ce qui a donné aux forces de la DONOVIA l’occasion de retarder la bde à quelques reprises. La Division arrive maintenant sur un terrain de plus en plus couvert, composé de grands peuplements forestiers et de petits hameaux. Les zones boisées se caractérisent par des arbres arrivés à maturité et peu de buissons, ce qui crée des champs d’observation d’environ cent mètres comportant beaucoup de chemins de terre battue utilisés par la population locale. Les hameaux dans la région sont de construction soviétique avec béton armé robuste. La plupart des bâtiments sont des bungalows, et il y a quelques maisons à deux étages. La population de l’ATROPIA appuie dans une grande mesure les efforts de l’Alliance pour libérer son pays de l’occupation par la DONOVIA. Quelques milices qui parlent la langue de la DONOVIA appuient les forces de la DONOVIA en effectuant la reconnaissance des forces de coalition et en les harcelant. De nombreuses zones urbaines de l’ATROPIA ont été touchées par des déplacements de population loin des combats, mais un nombre important de civils sont restés derrière.

Figure 1 : Formation du 2 GBMC pour la marche à l’ennemi. Esc reco bde comme force de couverture. 1 RCR comme avant-garde avec la Cie Duke en tête
Figure 1 : Formation du 2 GBMC pour la marche à l’ennemi. Esc reco bde comme force de couverture. 1 RCR comme avant-garde avec la Cie Duke en tête3

La figure 1 est un graphique illustrant la méthode d'avance du manuel comprenant la force de couverture, l'avant-garde et le corps principal, avec les gardes arrière et de flanc.


Figure 2 : Formation du 1 RCR comme avant-garde du 2 GBMC.
Figure 2 : Formation du 1 RCR comme avant-garde du 2 GBMC

La figure 2 est un graphique montrant le but des éléments de reconnaissance, d'avant-garde, de sécurité des flancs et de garde principale :

  • Reconnaissance : trouver l'ennemi
  • Avant-garde et sécurité des flancs : protéger le corps principal
  • Garde principale : protéger le corps principal de la brigade

L’esc reco bde des RCD surveille l’avancée, et le peloton de reco du 1 RCR le suit. L’esc reco trouve des contacts avec l’ennemi, puis transfère la surveillance au peloton de reco avant de poursuivre la marche. Les contacts avec l’ennemi ont jusqu’ici été très brefs. Des échanges de feux directs et limités ont eu lieu, avant que les forces de la DONOVIA battent en retraite. Comme le terrain devient de plus en plus canalisant, on s’attend à ce que la résistance ennemie se renforce.

Il y a environ une heure, deux véhicules de patrouille de l’esc reco bde se sont approchés de la périphérie de YIGA en provenance du SUD. Quand ils sont arrivés près du village, ils ont attiré les coups de canon et les missiles. La patrouille a signalé le contact et a battu en retraite pour observer YIGA et attendre le peloton de reco du GT. Environ trente minutes plus tard, le peloton de reco a assumé la responsabilité d’observation du contact en remplacement de la patrouille, qui a alors contourné YIGA en suivant l’itinéraire MILLER et poursuivi sa tâche de reconnaissance d’itinéraire avec le reste de l’esc reco au NORD de YIGA. La reco du GT observe maintenant YIGA pour mieux comprendre la force de l’ennemi, sa composition et sa disposition, ainsi que pour chercher des positions d’attaque et des bases de feu convenable pour donner des options au Cmdt GT. Les sections deux et trois ont avancé vers l’OUEST et vers l’EST de YIGA respectivement le long des itinéraires STELLA et CORONA, et continuent de surveiller YIGA directement depuis le SUD après le transfert des responsabilités avec l’esc reco bde.

« 0, ici 6, l’indicatif d’appel 61 observe les parties SUD et EST de YIGA. L’emplacement actuel est convenable pour une base de feu de sous-unité. Les indicatifs d’appel 62 et 63 ont confirmé que les itinéraires MOOSEHEAD, STELLA, ALPINE et CORONA vers leurs emplacements actuels sont convenables pour le Leopard 2 et le vehicule blindé léger. Leurs deux emplacements actuels sont convenables comme positions d’attaque; toutefois, les sous-unités devraient se déployer au-delà de la limite forestière dans chaque zone. Les trois indicatifs d’appel rapportent tous un mouvement à pied des forces de la DONOVIA le long du périmètre du village. Aucun véhicule blindé de combat n’a été aperçu pour l’instant. La taille, la composition et la disposition de l’ennemi ne peuvent être déterminées à partir des emplacements actuels sans attirer un contact. L’indicatif d’appel Echo reco n’a observé aucun obstacle tactique aux abords du village, à vous. »

« 6, ici 0, aperçu. Poursuivez l’observation. Terminé. »

« 6, 0, ici 9, je confirme le dernier message. En conversation avec le G2 bde actuellement, terminé. »

Vous retournez au réseau bde et poursuivez votre conversation avec le G2 bde. Il vous dit que, selon les contacts précédents et les interceptions de la guerre électronique (GE), il estime que la taille de l’ennemi à YIGA se trouve entre le peloton et la compagnie. Il vous avise aussi que l’esc reco bde a trouvé une cie mécanisée de fusiliers ennemie retranchée à environ 3 km au NORD de YIGA le long de l’itinéraire COORS. Le Cmdt Bde vous demande de faire le point sur votre plan d’action proposé pour gérer YIGA.

Et maintenant, Lieutenant-Colonel?

L’éqp cbt de la Cie Duke marche maintenant vers le NORD et se trouve à environ 30 min de l’emplacement de l’indicatif d’appel 61. Le reste de votre GT se trouve à 30 min derrière la Cie Duke. Déterminez votre plan d’action et établissez vos ordres en 10 min.

 

Figure 3 : Carte
Figure 3: Carte

La figure 3 est une carte schématique montrant la disposition des forces amies autour de la ville de YIGA dans ce scénario


SOLUTION : QUESTIONS D’ENGAGEMENT
(Développer la section pour lire)

Dans le Jeu de décision tactique 2 (JDT 2), vous êtes le commandant (Cmdt) du 1er Bataillon, The Royal Canadian Regiment (1 RCR), et vous avancez pour entrer en contact avec les forces DONOVIENNES, dans le cadre d’opérations offensives au niveau de la division. L’escadron de reconnaissance de la brigade (esc reco bde) est en tête de l’avance de la brigade et est suivi par le peloton de reconnaissance (pon reco); viennent ensuite la compagnie (Cie) Duke qui constitue la tête d’avant-garde. YIGA est occupée par ce que le G2 Bde a évalué comme étant un élément dont la taille se situe entre celle d’un peloton et celle d’une compagnie, et un élément équivalant à une compagnie a été signalé à 3 km au-delà de YIGA. Comme vous constituez l’avant-garde de la brigade, vous devez supprimer toute résistance présente le long de l’itinéraire de cette dernière. La posture de la brigade est telle qu’elle entre en contact avec l’ennemi avec le plus petit élément possible pour préserver la liberté d’action.Note de bas de page 4  Cette formation empêche la brigade de s’engager de façon décisive dans une série de combats qui priveraient le commandant de sa liberté d’action.

Engager le gros des forces ou non?

En premier lieu, le cmdt doit décider s’il engagera le gros du groupement tactique (GT) dans l’attaque, ou s’il chargera l’avant-garde de dégager YIGA. Cette décision repose sur les évaluations de l’effectif ennemi et aussi sur les considérations relatives au terrain et au temps.

À l’heure actuelle, on estime que la taille de la force ennemie se situe entre celle d’un peloton et celle d’une compagnie. Cependant, cette évaluation repose sur des actions antérieures de l’ennemi et sur des messages interceptés par les systèmes de guerre électronique; il est donc juste de dire qu’une incertitude considérable existe au sujet de l’effectif ennemi dans YIGA. En outre, le cmdt vient d’être informé qu’une autre compagnie mécanisée de fusiliers ennemis se trouve à 3 km au NORD. Le contact avec cette unité n’influe pas immédiatement sur le combat pour la prise de YIGA, mais comme l’unité ennemie n’est qu’à 3 km de distance, elle pourrait arriver en l’espace de 10 à 15 min et influer sur le cours de la bataille. Bien que l’esc reco bde soit situé entre cette compagnie et YIGA, il n’est pas organisé, en tant que force de surveillance, pour bloquer ou retarder une contre-attaque ennemie, et toute tentative de ce faire condamnerait sa mission de reconnaissance. La possibilité que la cie mécanisée ennemie influe sur le combat pour la capture de YIGA doit être prise en considération dans le processus décisionnel du cmdt.

Le terrain constitue un autre facteur. Le terrain urbain de YIGA se caractérise par du béton armé à la soviétique. Les combats urbains peuvent offrir de nombreux avantages à un défenseur, et des constructions solides de béton peuvent accroître ces derniers en transformant chaque bâtiment ainsi structuré en un éventuel centre de résistance. Même si les DONOVIENS à YIGA n’ont pas eu beaucoup de temps pour préparer leurs défenses, les constructions de béton simplifieront l’aménagement de leurs positions de serviabilité.

 

Figure 1 : Option – Attaque contre le flanc droit
Figure 1 : Option – Attaque contre le flanc droit

La figure 1 est une carte schématique montrant l’option de flanc droit décrite dans le texte.

Le temps constitue aussi un facteur clé lorsqu’il s’agit de décider s’il faut engager le gros de la force ou non. L’organisation d’une attaque improvisée par le GT prendra inévitablement plus de temps que si l’avant-garde est chargée d’exécuter l’attaque à elle seule. Le gros de la force devra se rapprocher de YIGA. Une fois dans le secteur, un nombre accru de véhicules devra se déplacer, ce qui exige du temps également. Après l’attaque, la consolidation et la réorganisation ainsi que la réorientation du GT en fonction de l’axe de progression nécessiteront beaucoup plus de temps. Ces considérations doivent être comparées au coût en temps, sans oublier les pertes humaines si le cmdt sous-estime l’effectif ennemi à YIGA et que l’attaque de l’avant-garde échoue. En pareil cas, le temps perdu à organiser et à renforcer une attaque par le GT pourrait être compensé par le temps perdu si l’attaque de l’avant-garde se prolonge à cause d’une puissance de combat insuffisante, ou si elle échoue. D’après l’analyse faite plus haut, nous poursuivrons la discussion en supposant que le Cmdt GT a choisi d’engager le GT dans une bataille à YIGA.

Options pour DÉGAGER YIGA

Il existe deux principales façons d’accomplir la tâche du 1 RCR. La première consiste à exécuter un assaut direct contre YIGA pour DÉGAGER le village ou DÉTRUIRE l’ennemi qui s’y trouve. Cela pourrait comporter trois approches différentes, que de nombreux lecteurs connaissent déjà et pour lesquelles le pon reco travaille à établir les conditions. Il s’agirait d’une attaque frontale, ou menée contre le flanc droit ou le flanc gauche. Il existe sans doute des solutions évidentes à ce problème, et ce sont probablement les plans d’action auxquels l’ennemi s’est préparé. Ce sont aussi les plus faciles à comprendre pour ce qui est d’estimer le temps qu’il faudrait vraisemblablement pour dégager YIGA.

La seconde solution consisterait à s’infiltrer au-delà de YIGA pour arriver derrière le village, puis à établir une attaque avec des positions de tir et d’arrêt afin d’ISOLER l’ennemi. Cela le priverait de la capacité de renforcer et de ravitailler l’élément à l’intérieur du village et entraverait, voire anéantirait, sa capacité de se replier dans l’ordre.

 

Figure 2 : Option – Attaque frontale
Figure 2 : Option – Attaque frontale

La figure 2 est une carte schématique montrant une attaque frontale contre YIGA telle que décrite dans le texte.


Figure 3 : Option « Contourner et isoler »
Figure 3 : Option « Contourner et isoler »

La figure 3 est une carte schématique montrant comment il est possible de contourner et d’isoler YIGA comme décrit dans le texte.

Tout comme la question de savoir s’il vaut mieux engager le gros de la force ou non, l’effectif et le moral de l’ennemi et le temps sont des facteurs importants lorsqu’il s’agit de décider s’il faut attaquer le village ou tenter de forcer l’ennemi à se rendre ou à se replier dans des conditions défavorables. Même si l’ennemi dans YIGA se résume à un seul peloton, l’avantage de la défense urbaine pourrait faire en sorte que l’attaque contre le village soit malgré tout très coûteuse en pertes humaines et en temps, même si le GT complet attaquait. En outre, une attaque contre le village correspond au plan d’action auquel l’ennemi s’attend fort probablement et pour lequel il s’est préparé. En prenant le village d’assaut, nous nous conformerions vraisemblablement au plan de l’ennemi. La cie mécanisée présente au NORD solidifie davantage la position ennemie, à cause de sa capacité à fournir des renforts ou à contre-attaquer dans un court délai.

La dislocation est un concept tactique que nous pourrions envisager dans le présent scénario. Elle constitue un moyen parmi les trois (les autres étant la prévention et la perturbation) que l’Armée canadienne (AC) emploie pour miner la volonté de l’ennemi, briser sa cohésion et façonner sa compréhension dans une approche manœuvrière des opérations. La publication Opérations terrestres décrit la dislocation comme étant une approche qui « consiste à priver  l’adversaire de la capacité d’appliquer sa force […] La dislocation vise à enlever toute pertinence à la puissance de certains éléments de la force adverse. Elle cherche à éviter de combattre l’adversaire dans les conditions qu’il choisit. »Note de bas de page 5  Dans l’ouvrage intitulé Maneuver Warfare Handbook, William S. Lind offre une analogie pour isoler YIGA au lieu de l’attaquer directement. Il utilise l’expression  « surfaces et brèches » [traduction] et il écrit ce qui suit : « Les mots “surfaces et brèches” ont pour origine l’expression allemande Flaechen und Luekentaktik, qui signifie simplement “tactiques des surfaces et des brèches”, les surfaces étant les centres de résistance de l’ennemi, que nous évitons, et les brèches, ses points faibles, que nous exploitons » [traduction]Note de bas de page 6  En l’occurrence, YIGA est une surface, tandis que les pistes qui l’entourent sont des brèches nous permettant de nous rendre derrière l’ennemi jusqu’à une position avantageuse où ce dernier sera disloqué tant physiquement que psychologiquement. L’ennemi veut que nous tentions de nous approcher de YIGA, puis que nous combattions pour dégager toutes les pièces, une à une; ensuite, il voudra se replier de manière à pouvoir reprendre le combat un autre jour. Si nous voulons disloquer la puissance de l’ennemi, comme nous le décrivons dans notre propre doctrine, nous aurons avantage à chercher des moyens d’éviter une attaque dans YIGA et à empêcher la cie mécanisée au NORD de venir à l’aide des ennemis occupant le village.

Quand le GT s’avance dans le secteur arrière de l’ennemi, il fait face à un dilemme. Il est maintenant coupé de tout ravitaillement et de toute aide. Sa capacité de se replier est désormais considérablement réduite. On pourrait dire qu’il a échoué dans sa mission. Le GT a repéré un itinéraire de contournement, et de gros éléments de la brigade pourraient tout simplement se diriger vers le NORD au-delà de YIGA. Dans le pire des cas, où l’ennemi ne se rendrait pas ou ne se replierait pas au moment voulu, il faudrait tôt ou tard dégager YIGA pour ouvrir le principal itinéraire de ravitaillement de la brigade et faire en sorte que l’échelon F puisse continuer à combattre, mais comme chaque unité peut tenir pendant environ 24 heures avec les ravitaillements des échelons F et A1, la brigade dispose d’un certain temps avant que cela ne devienne un souci majeur. Elle pourrait profiter de ce temps pour trouver une voie de contournement qui conviendrait aux véhicules B, ou même pour améliorer des itinéraires qui existent déjà, de manière que ces véhicules puissent les emprunter. Si une attaque directe doit avoir lieu, l’équipe de combat de la cie Duke est elle aussi bien placée et organisée pour exécuter une attaque arrière avec les autres compagnies à même de la suivre depuis l’OUEST. En attaquant depuis l’arrière, tout en immobilisant l’ennemi depuis l’avant, nos troupes placeraient l’ennemi dans une situation difficile dans laquelle il serait forcé de diviser ses forces, ce qui en diluerait l’effet.

Le dilemme dans lequel l’ennemi se trouve enfermé rend plus probables sa capitulation ou son repli en désordre, mais il y a aussi des effets psychologiques intangibles qui sont probablement imposés à l’ennemi. La figure 4 montre certains des états mentaux éventuels qui risquent de se manifester chez le commandant et les soldats ennemis.

L’isolement de YIGA engendre les modèles mentaux nos 1 et 2. Si l’ennemi essaie de s’échapper, il subira sans doute des pertes aux mains de la compagnie Duke dans sa position dominante et, partant, il quittera YIGA; or, c’est ce que veut le GT de toute façon. Si l’ennemi appelle des renforts de la compagnie mécanisée située au NORD, la troupe de chars de la compagnie Duke et la compagnie de véhicules blindés légers seront bien placées pour les affronter. Si l’ennemi se rend ou se replie, cela correspondra aussi aux objectifs du Cmdt GT. Le modèle mental no 3 est plus problématique, mais en fin de compte, l’ennemi ne peut rester à YIGA que pendant un temps limité sans ravitaillement. Nous discuterons plus loin des autres risques liés au modèle mental no 3.

 

Figure 4 : États mentaux conceptuels de l’ennemi s’il est isolé par le groupement tactique.
Figure 4 : États mentaux conceptuels de l’ennemi s’il est isolé par le groupement tactique.

La figure 4 est un graphique montrant les trois modèles mentaux possibles dans ce scénario : le sentiment que la situation peut être sauvée, l’acceptation et le désespoir.


Figure 5 : Illustration de Jim Storr montrant la relation entre la surprise et le choc
Figure 5 : Illustration de Jim Storr montrant la relation entre la surprise et le choc 9

La figure 5 est un graphique montrant la relation entre les facteurs qui provoquent la surprise et le choc et leurs effets.

Ce dilemme risque grandement d’assujettir l’ennemi à un effet de surprise et de choc, ce qui mène aux modèles mentaux nos 1 et 2, voire au no 3. La surprise et l’état de choc sont deux phénomènes distincts, mais des liens étroits existent entre eux, la surprise pouvant aussi engendrer un état de choc.Note de bas de page 7   Cette relation est proposée par Jim Storr et est illustrée dans la figure 5.

Chacun correspond à un état psychologique qui réduit la capacité et la volonté de résister de l’ennemi. En fin de compte, la défaite est un état mental; elle résulte d’une décision, et la surprise et le choc entraînent tous deux une réduction de la participation au combat et, par conséquent, la défaite.Note de bas de page 8   La figure 6 montre le modèle fourni par Storr à cet égard, aux niveaux individuel et collectif.

 

Figure 6 : Modèle révisé du combat terrestre tactique, conçu par Storr
Figure 6 : Modèle révisé du combat terrestre tactique, conçu par Storr 10

La figure 6 est un graphique montrant comment les effets du mouvement et du feu conduisent à la suppression et à la participation réduite au niveau individuel et à la surprise collective et au succès tactique au niveau collectif.

Empêcher l’ennemi de comprendre la situation va de pair avec l’effet de surprise. Dans le cas de YIGA, il est raisonnable de supposer que, selon son plan, l’ennemi cherchera à défendre le village pour retarder le GT. Quand la compagnie Duke se manifestera à l’arrière des positions ennemies et qu’un assaut ne suivra pas immédiatement, l’ennemi fera face à une situation très différente de celle à laquelle il se sera attendu. Conformément au modèle de Storr, cela entraînera sans doute la surprise et une participation réduite aux combats au niveau individuel; viendra ensuite la surprise collective et peut-être l’effet de choc, puis le succès tactique.

Ce scénario comporte deux aspects temporels, à savoir la durée et la séquence. La durée constitue un élément critique, car la brigade doit avancer aussi vite que possible. Une attaque du village le dégagera directement; par ailleurs, en isolant l’ennemi, nos forces miseraient sur la décision de ce dernier qu’il est dans son intérêt de capituler ou de se replier. Il est tentant de croire qu’une attaque prendra moins de temps, ou à tout le moins qu’elle sera plus compréhensible quant au temps qu’il faudra pour terminer le dégagement du village, mais le fait est qu’il est impossible de savoir combien de temps il faudrait pour dégager YIGA, comparativement au temps qu’il faudrait pour que les DONOVIENS se rendent ou se replient. Si YIGA doit être attaqué, la meilleure option pour exécuter un dégagement rapide et peu coûteux consistera à entrer dans le village par l’arrière.

Dans ce scénario, le mot « séquence » se rapporte à la question de savoir si l’équipe de combat de la compagnie Duke doit se rendre immédiatement à sa posn atq par le tir ou attendre l’arrivée du gros de la force pour favoriser un engagement simultané de cette compagnie et de l’Esc C. L’effet de surprise et de choc favorise le GT s’il isole YIGA, que ces deux unités s’engagent simultanément ou non dans la bataille. Un engagement simultané pourrait accroître l’intensité du choc éprouvé par l’ennemi et les chances qu’il se rende ou se replie tôt; cependant, l’arrivée de la compagnie Duke seule suffirait peut-être pour provoquer ce résultat, auquel cas un engagement immédiat permettrait d’épargner un temps maximum. En l’occurrence, l’approche séquentielle met en lumière certains des risques qui vont souvent de pair avec un engagement fragmentaire. L’ennemi pourrait réagir rapidement et essayer de s’échapper dans une direction n’étant pas encore couverte, ou de contre-attaquer la compagnie Duke, surtout si l’effectif ennemi à YIGA est plus important que ne le disent les évaluations. En fin de compte, la séquence sera en fonction de la façon dont le cmdt évaluera la probabilité qu’une intervention rapide de la compagnie Duke mine la volonté de l’ennemi de résister et qu’elle mène à la capitulation ou au repli rapide de ce dernier.

La solution reposant sur l’isolement de l’objectif a donné de bons résultats dans le passé. Le Capt W. E. Harrison a déclaré ce qui suit en parlant des combats auxquels il avait pris part pendant la Deuxième Guerre mondiale, en Italie:

La théorie concernant l’attaque d’une petite ville ou d’un village consiste à déployer des groupes sur les flancs, à couper les axes de retraite et à envoyer ensuite des patrouilles. Dans ce pays montagneux, cependant, nous avons appris que, s’il y a derrière la ville un terrain élevé qui domine à la fois la ville et l’axe de retraite, la meilleure solution consiste à contourner à couvert la ville avec toute la force, à s’emparer des hauteurs à l’arrière et à s’y établir fermement avec des mortiers de 60 mm. Nous emportions assez de nourriture et de munitions pour rester là pendant 24 heures; les Allemands se repliaient habituellement pendant cette période. [Traduction]Note de bas de page 11 

Le Lcol Freeman a formulé des observations semblables fondées elles aussi sur sa participation à la campagne d’Italie. « À ALTAVILLA, nous avons appris à éviter d’attaquer les villes directement, car cette solution était trop coûteuse. Nous avons dès lors contourné l’objectif pour nous rendre derrière lui avec une force nombreuse et pour nous y emparer des hauteurs. » [traduction]Note de bas de page 12  Cette manœuvre n’est pas le propre de l’Italie ou des Alliés. Une des tactiques clés des Japonais à laquelle le feld-maréchal Slim a dû faire face en Birmanie résidait dans leur capacité à manœuvrer autour de ses colonnes à travers la jungle épaisse, puis à établir des barrages routiers derrière elles, lesquels les coupaient de leur soutien.Note de bas de page 13  Ironiquement, après qu’un programme d’entraînement ait rendu ses formations capables de se déplacer et de combattre dans la jungle, les propres divisions de Slim ont adopté des tactiques semblables.Note de bas de page 14

Risques

L’action consistant à isoler YIGA n’est pas sans risque. D’abord, il y a géométrie des tirs. La figure 3 montre clairement que les tirs entre la compagnie Duke et l’Esc C peut faire problème. Cela dit, les risques sont considérablement atténués vu que ces unités vont faire feu depuis des positions élevées sur des cibles situées plus bas et que YIGA est constitué de constructions en béton armé.

Ensuite, il faudra pouvoir accueillir un grand nombre de soldats ennemis qui se seront rendus. Des opérations de détention mal exécutées risqueraient de retarder beaucoup la brigade et le GT, surtout si certains prisonniers ont besoin de soins médicaux. La compagnie de soutien logistique au combat, le bataillon des services et la police militaire du GT devront se préparer en conséquence.

Enfin, si l’ennemi ne capitule pas ou ne se replie pas au moment voulu, la situation forcera la main du Cmdt GT et du Cmdt Bde, et il leur faudra attaquer YIGA. La figure 3 montre que la position d’attaque (posn atq), pour une manœuvre sur le flanc gauche, reste telle quelle pour que les compagnies Bravo et Charles puissent quitter la zone de rassemblement et se rendre jusqu’à la posn atq au cours de l’assaut. Comme nous l’avons mentionné plus haut, la compagnie Duke pourrait diriger cette attaque depuis l’arrière du village afin d’exécuter la percée. Il est probable que l’ennemi aura profité de ce temps pour renforcer ses défenses, ce qui appelle deux conclusions. Tout d’abord, le cmdt doit fixer une heure limite à laquelle il voudra s’engager à passer à l’attaque. Il s’agit en fait de donner à l’ennemi le temps de se replier ou de se rendre, tout en évitant de lui en laisser trop, ce qui lui permettrait de durcir ses défenses au point que les avantages inhérents à l’isolement de YIGA seraient perdus. Ensuite, il faudra sans doute regrouper les troupes en vue de l’attaque.

Conclusion

L’infiltration est une forme de manœuvre qui pourrait accroître les chances de disloquer l’ennemi et de provoquer ainsi un effet de surprise et de choc. L’AC doit trouver des occasions d’enseigner cet élément pendant l’entraînement. C’est sans doute pure conjecture, mais, vu la façon dans l’AC instruit et évalue ses officiers, il est probable que la plupart d’entre eux, après avoir vu le scénario original, comprendraient intuitivement les options consistant à attaquer depuis la gauche, le centre et la droite, mais qu’ils rateraient la chance d’isoler l’objectif pour disloquer le plan de l’ennemi. Il faut concevoir l’instruction de manière que des options telles que celle illustrée par l’isolement de YIGA deviennent instinctives chez un plus grand nombre d’officiers. Il est à espérer que le Jeu de décision tactique 2 constitue un pas dans la bonne direction. 

 

À PROPOS DE L’AUTEUR

Le lieutenant-colonel Matthew Rolls s’est enrôlé dans les Forces armées canadiennes en 2006 en qualité d’officier d’infanterie et il s’est ensuite joint au Royal Canadian Regiment (RCR). Il a passé toute sa période de service régimentaire au sein du 2 RCR : il y a été commandant de peloton, commandant adjoint de compagnie, officier adjoint des opérations, capitaine-adjudant, commandant de compagnie de fusiliers et commandant d’une compagnie d’administration. Il a pris part à des déploiements à titre de commandant de peloton de fusiliers avec l’Équipe provinciale de reconstruction de Kandahar et avec le Groupement tactique du 1er Bataillon, The Royal Canadian Regiment, au sein de la FO 1-10. Il a ensuite servi en Lettonie dans le cadre de l’Op REASSURANCE en qualité de commandant d’une compagnie de fusiliers. Il est diplômé de l’Expeditionary Warfare School de l’US Marine Corps et du Programme de commandement et d’état-major interarmées. Il possède un baccalauréat en sciences politiques et une maîtrise en études de la défense et en études militaires. Il est actuellement membre du COMFOSCAN.

Ce scénario est apparu pour la première fois en ligne sur le site Web du Journal de l'Armée canadienne (mars 2023)

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