Rafales Courtes:
Le 7e principe – Expliquer les événements et les décisions à l’ère des médias sociaux

par Lieutenant-colonel Marc Kieley

L’Armée canadienne reconnaît douze principes de leadership, dont le septième est le suivant : « Informer les subordonnés; expliquer les faits et les décisions ». La publication A-PA-005-000/AP-003, Le leadership dans les Forces canadiennes : Doctrine, offre des conseils supplémentaires :

« La transmission régulière et prompte de l’information contribue à la connaissance de la situation des subordonnés et à la capacité de ces derniers de réagir de manière appropriée à une situation changeante. Une explication franche des événements et des décisions qui ont été prises aide souvent à atténuer les tensions créées par l’incertitude et est essentielle au maintien d’une relation de confiance entre leaders et subordonnés. »

Les Forces armées canadiennes disposent d’un groupe professionnel formé dont la principale fonction est d’expliquer les faits et les décisions au public canadien. Or, des dirigeants qui n’ont suivi aucune formation formelle en communication sont eux, chargés d’expliquer ces choses de manière simple, ouverte et efficace à nos propres militaires. Ces dirigeants s’en remettent à leur instinct, à leur mentorat ou à leur modèle, pour le meilleur et, trop souvent, pour le pire. Les dirigeants à tous les niveaux éprouvent souvent des sentiments ambivalents lorsqu’ils doivent communiquer des choix difficiles ou des circonstances délicates. La formation formelle et informelle des dirigeants insiste souvent sur l’importance de maintenir une attitude positive et de se prémunir contre le cynisme et le sarcasme, ce qui oblige souvent les dirigeants à essayer de présenter les mauvaises nouvelles sous un angle positif.

Les tentatives de présenter les mauvaises nouvelles sous un angle positif sont rarement interprétées de manière positive par les subordonnés. Au contraire, cela a pour effet d’alimenter la tendance collective au cynisme, au sarcasme et au défaitisme. Il arrive que les dirigeants veuillent communiquer ouvertement et honnêtement, mais qu’ils ne comprennent tout simplement pas ce qui cause les frictions et les frustrations. Par exemple, les dirigeants d’unité doivent souvent tenter d’expliquer les retards dans l’acquisition d’équipement et de matériel. En l’absence d’une véritable explication, ces dirigeants sont généralement contraints d’occulter les plaintes légitimes concernant l’équipement insatisfaisant en le qualifiant de « suffisamment bon » ou de céder au pessimisme en se joignant à la foule des plaignants contre le « ils » infâmes et sans visage du gouvernement du Canada qui, une fois de plus, n’ont pas réussi à équiper le soldat ordinaire.

Les subordonnées attendent de leurs dirigeants qu’ils communiquent clairement et avec franchise. Lorsque les choses vont mal, les subordonnés veulent qu’on le reconnaisse et qu’on leur donne une explication rationnelle, au-delà du cynisme de pacotille. Il est momentanément réconfortant de passer sous silence un problème organisationnel important ou une défaillance institutionnelle en lançant une boutade sarcastique sur les échecs de la grosse machine verte, mais l’absence de véritables réponses ou de compréhension finit par causer un préjudice moral important à nos subordonnés lorsqu’ils sont confrontés à des défis légitimes. Cela les amène à douter que l’Armée canadienne ou, plus largement, les FAC s’efforcent de les aider ou d’améliorer leurs conditions de service.

Pour certains dirigeants, la communication authentique avec leurs supérieurs, leurs pairs et leurs subordonnés se fait facilement, tandis que pour d’autres, elle nécessite une préparation et une pratique délibérées. Quel que soit votre type de communication, tenez compte des quatre principes suivants de la communication militaire efficace pour guider votre approche de la communication en tant que dirigeant :

  1. Communiquez clairement et simplement, tout en respectant les connaissances de vos subordonnés. Les dirigeants doivent veiller à ne pas communiquer uniquement sur le plan de la doctrine ou de concepts; ils doivent également respecter les connaissances professionnelles de leurs subordonnés et ne pas « abrutir » leur message en offrant des analogies maladroites. L’un des rôles clés des dirigeants est de tester et d’ajuster le contenu, le ton et la transmission de leur message afin de trouver un moyen de communiquer efficacement avec leurs subordonnés et de trouver la terminologie qui transcende les lacunes importantes en matière d’expérience militaire parmi l’éventail des grades et des groupes professionnels au sein de l’unité moyenne de l’Armée de terre.
  2. Les évaluations honnêtes ne sont pas intrinsèquement cyniques, c’est l’approche que vous adoptez pour faire face à un défi qui reflète une perspective négative ou positive. Les dirigeants doivent être en mesure de reconnaître qu’une situation ou un résultat est mauvais. Nous devons résister à l’envie de transformer les mauvaises nouvelles en bonnes nouvelles. Cela ne changera pas la façon dont les subordonnés perçoivent le résultat négatif, mais cela changera certainement la façon dont ils perçoivent la crédibilité de leurs dirigeants. Il est bon de reconnaître que les choses vont mal. Dans ces situations, les dirigeants doivent une explication cohérente à leurs subordonnés pour qu’ils comprennent les facteurs qui ont causé la situation. Les dirigeants doivent aussi adopter une attitude positive pour plaider en faveur du changement ou pour élaborer un plan qui permettra de surmonter le défi.
  3. Si vous n’avez pas la réponse, cherchez à l’obtenir. Si vous avez la réponse, transmettez-la dans la chaîne de commandement afin que d’autres puissent également l’expliquer. Pour contrer une rumeur, rien de plus simple que la vérité. Pourtant, les dirigeants perpétuent souvent des anecdotes, des insinuations et des ouï-dire, plutôt que de faire l’effort de chercher des explications aux événements et aux décisions qui ont été prises. Il est difficile d’expliquer les défis de la passation de marchés ou les raisons de changements impopulaires apportés aux avantages sociaux, mais les dirigeants doivent faire l’effort d’apprendre et de transmettre ces connaissances à leurs subordonnés. Savoir pourquoi les achats sont lents ne rendra pas les subordonnés plus heureux, mais ils comprendront au moins que leurs frustrations ne sont pas le résultat d’une simple indifférence, ou pire, d’une incompétence.
  4. Si vous n’expliquez pas les événements et les décisions qui ont été prises, quelqu’un d’autre le fera. La communication est une concurrence des idées. Lorsque les dirigeants ne parviennent pas à fournir une explication suffisamment cohérente ou ne communiquent pas l’information en temps voulu, quelqu’un d’autre sera toujours prêt à combler le vide avec un message différent. Les dirigeants qui ne communiquent pas efficacement découvrent que des voix moins légitimes ou moins informées prennent facilement leur place, qu’il s’agisse de membres influents au sein de leur unité ou de voix provenant de l’intérieur ou de l’extérieur de l’Armée sur les médias sociaux. La communication favorise l’attaquant; le défenseur peut rarement surmonter l’avantage offert à la première salve d’idées, qu’elles soient vraies ou non.

Les impératifs d’action et de communication dans l’Armée sont similaires. Lorsque l’on dirige au combat, il est souvent préférable d’agir rapidement plutôt que de s’attarder sur la formulation d’un plan d’action parfait. La nécessité de communiquer avec nos subordonnés est tout aussi urgente. Il est toujours préférable de bien communiquer, mais en fin de compte, il est plus important de communiquer simplement. C’est-à-dire que nous devons expliquer les événements et les décisions aussi simplement, franchement et rapidement que possible, pour ne pas céder notre terrain clé à un message concurrent.

 

À PROPOS DE L’AUTEUR

Le lieutenant-colonel Marc Kieley est officier d’infanterie au sein du Royal Canadian Regiment. Il a occupé des postes de commandement et d’état-major au sein de l’Armée canadienne, de la Réserve de l’Armée canadienne et du COMFOSCAN. Au Quartier général de la Défense nationale, il a occupé le poste de chef de cabinet du vice-chef d’état-major de la Défense et de planificateur stratégique au sein de l’état-major interarmées stratégique. Il assume aujourd’hui les fonctions de G35 pour l’Armée canadienne.


Cet article a été publié pour la première fois en ligne dans la section Rafales Courtes du Journal de l'Armée du Canada (octobre 2024).

Détails de la page

Date de modification :