Rafales Courtes:
Perfectionnement en leadership: Un appel à l’action

par Colonel J. D. Summerfield, CD

Il existe un mythe commun dans le folklore des Forces armées canadiennes (FAC). Les militaires et les officiers y ont souvent recours pour se remonter le moral et susciter la fierté au sein d’une armée qui n’a jamais réussi à se munir de technologies et d’équipement de classe mondiale, à jour et pertinents. Il va comme suit : les FAC ne sont peut-être pas les mieux équipées, mais elles comptent parmi les armées les mieux entraînées au monde. Des preuves anecdotiques montrent qu’un sergent ou un capitaine typique passe plus de temps à recevoir de l’instruction que ses pairs étrangers. En effet, les FAC doteront une personne de plusieurs qualifications et compétences techniques afin qu’elle puisse s’en servir de manière adaptée. Le fait que les FAC affectent souvent leur personnel à l’étranger au sein d’équipes d’instruction ne fait que renforcer ce sentiment. Les militaires occupent alors des rôles de leaders ou des rôles opérationnels clés auprès de partenaires régionaux, de coalitions et de l’alliance de l’OTAN. Les FAC comptent peut-être parmi les armées les mieux entraînées au monde, mais elles semblent négliger un fondement essentiel de l’instruction et de l’éducation : le leadership. 

L’objectif n’est pas de débattre du système de formation professionnelle des FAC, mais de porter un regard plus global sur notre culture et de souligner qu’à l’heure actuelle, le niveau d’accès et de perfectionnement offert aux leaders des FAC est insuffisant pour répondre à l’exigence institutionnelle qui vise à former des leaders cohérents et de qualité. Par conséquent, il incombe à chaque leader de prendre personnellement des mesures et des initiatives importantes pour assurer le perfectionnement des autres. 

Du soldat au colonel en passant par l’élève-officier, j’ai constaté que l’éducation et l’instruction formelles en matière de leadership étaient peu approfondies. Cela ne poserait pas de problème si les FAC misaient également sur d’autres méthodes. Une culture de mentorat et d’encadrement ou une culture basée sur l’instruction active décentralisée pourrait permettre de mieux en contrôler la qualité de la formation et nous assurer d’obtenir des leaders de calibre davantage normalisé. Or, on opte plutôt pour la méthodologie institutionnelle passive : la sélection naturelle ou l’espoir que « la crème de la crème se démarque ». En termes simples, les FAC s’attendent à ce que les leaders se perfectionnent par eux-mêmes.

Cependant, si les FAC adoptent une méthodologie de formation en leadership institutionnel fondée sur l’autoperfectionnement, quelles sont les ressources en place pour appuyer une telle approche?

Certes, des publications et la doctrine des FAC permettent aux militaires de conceptualiser le leadership, mais beaucoup d’entre eux n’y ont pas accès, peu les lisent et seule une petite minorité réfléchit ensuite à leur signification. Ils sont beaucoup plus nombreux à s’appuyer sur une liste des lectures où d’anciens et anciennes leaders militaires et d’entreprise relatent leur parcours. Il s’agit d’une approche où il est plus facile de comprendre et de conceptualiser les choses. Cependant, dans les autobiographies et les livres de croissance personnelle, les auteurs utilisent des hyperboles, épatent la galerie et sont biaisés. La plupart cherchent à protéger leur réputation professionnelle et personnelle, de sorte qu’ils omettent de relater leurs erreurs, leurs faux pas et leurs échecs. Rien ne garantit non plus que le contenu que lisent les militaires correspond à l’éthos et au modèle de leadership des FAC.

Il existe quelques programmes de mentorat; des initiatives modestes, lancées par des individus désireux d’accomplir de bonnes choses. Quant à l’encadrement offert aux hauts dirigeants, il existe, mais est davantage axé sur le raffinement de l’élite que sur la mise en place de vastes fondations. La forme la plus populaire de formation en leadership est l’approche de l’imitateur – copier un plus haut gradé qui a « réussi » davantage. Par contre, la méthode comporte de nombreuses lacunes et ne garantit en aucun cas la cohérence ou la qualité des leaders produits. De plus, il est difficile d’imiter parfaitement l’autre, ce qui entraîne, au minimum, du bipolarisme – allant de léger à fort – lorsqu’il devient impossible de maintenir la continuité et la cohérence. Pire encore, cette façon de faire peut créer un cycle de leadership qui s’éloigne de l’éthos des FAC.

Les FAC ont produit des leaders de classe mondiale et continuent de faire, là n’est pas la question. Cependant, le résultat n’est pas le fruit d’une conception délibérée. Si je lance du Jell-O vert sur le mur, qu’une partie y colle et forme de petit arbre joyeux, je ne deviens pas Bob Ross pour autant. Les FAC ont également produit des leaders terribles, égocentriques, toxiques et criminels. Si les personnes représentent l’atout le plus important des FAC, l’amélioration de l’instruction et de l’éducation en matière de leadership devrait constituer notre priorité. 

La culture du leadership des FAC ne s’harmonise pas avec sa propre réussite future. Elle est axée sur l’intérieur, sur le renforcement d’un leader actuel. C’est cette culture qui nous a menés à l’éducation en matière de leadership fondée sur l’autonomie et non dirigée par l’organisation. Les leaders des FAC doivent adopter une stratégie externe leur permettant de se concentrer davantage sur ce qu’elles peuvent faire pour former, éduquer, développer et renforcer les autres, afin que ces derniers puissent mener la bataille et gagner la guerre en leur absence. Les leaders à tous les niveaux doivent en faire davantage pour permettre aux jeunes dirigeants de se perfectionner.

Les leaders ne sont pas nés ainsi, ils deviennent ce qu’ils sont. Certaines personnes pourront atteindre des sommets plus élevés que d’autres, mais elles ont toutes la capacité de s’améliorer. Pour ce faire, la concentration, le travail et l’engagement doivent être au rendez-vous, mais surtout, des occasions doivent se présenter. 

Il est possible d’obtenir des améliorations importantes en garantissant la cohérence de la formation militaire professionnelle des FAC et en en bonifiant la qualité. Cependant, il faudrait des années pour mettre en œuvre une telle initiative et l’intégrer à l’organisation. Dans l’intervalle, les leaders de l’ensemble de la chaîne de commandement devraient faire preuve d’initiative et commencer à mettre en place des mesures concrètes pour veiller au perfectionnement des personnes qui les entourent. Les leaders à tous les niveaux doivent se convaincre de mettre à profit l’expérience qu’ils ont acquise au prix d’un dur labeur et de sacrifices au cours de leurs années de service en investissant dans les autres.

Si les tendances géopolitiques actuelles se maintiennent, les guerres et les crises futures seront plus complexes, plus exigeantes et nécessiteront de plus en plus de capacités mentales. Les FAC auront besoin de leaders en mesure de prendre de meilleures décisions plus rapidement, d’une manière qui dépasse de loin nos capacités et nos aptitudes actuelles. Les futurs leaders devront être plus forts, plus aptes et mieux alignés à L’éthos des Forces armées canadiennes : digne de servir. La seule façon de s’assurer que la prochaine génération soit meilleure que la génération actuelle est de prendre des mesures actives et de fournir plus d’outils… plus tôt. 

En matière de planification, la première leçon est que « l’espoir n’est pas un plan d’action »; l’avenir de l’institution doit reposer sur la réalité.

 

À PROPS DE L'AUTEUR

Le colonel John D. Summerfield s’enrôle dans la Réserve de l’Armée canadienne en 2001, puis passe à la Force régulière à titre d’officier d’infanterie en 2002. Il commande des troupes allant du peloton au bataillon et est présentement en mission à titre de commandant de la Force opérationnelle au Moyen-Orient. Au cours de sa carrière, il occupe des postes aux états-majors des opérations, de l’administration, de direction et du développement de la force. Il reçoit une mention élogieuse du Chef d’état-major de la défense en 2007-2008 et une du Commandement du personnel militaire en 2016. Il est titulaire d’un baccalauréat, d’une maîtrise et d’une maîtrise d’études de la défense. À l’heure actuelle, il dirige un programme de perfectionnement professionnel en leadership sur la plateforme de mentorat de l’Armée canadienne, qui fournit des outils pour faire la promotion de l’autoperfectionnement.


Cet article a été publié pour la première fois en ligne dans la section Rafales Courtes du Journal de l'Armée du Canada (septembre 2024).

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2024-09-11