
Apprentissage par l’expérience en action : le jeu de guerre lors du COAT
par Maj Alex Buck - Le 28 août 2024
temps de lecture : 30 min

Légende: Les membres de l'AOC 50 exécutent leurs plans opérationnels.
Le Cours sur les opérations de l’Armée de terre (COAT) offert par le Collège de commandement et d’état‑major de l’Armée canadienne (CCEMAC) est conçu pour former des officier·ères subalternes de l’Armée afin qu’ils·elles puissent exercer les fonctions d’officier·ère d’état‑major dans un groupement tactique (GT) ou un quartier général (QG) de brigade (bde). Ces fonctions comprennent la planification et la conduite d’opérations, ainsi que la direction du personnel et des équipes spécialisées. Les stagiaires du cours sont d’abord initié·es au « processus d’appréciation »[1] et formé·es sur celui-ci; par le fait même, ils·elles arrivent à comprendre les problèmes tactiques et à élaborer des plans qui leur donnent les moyens de remédier à ces problèmes et d’accomplir leurs tâches. Leur première introduction à l’appréciation se fait au moyen d’une étape exploratoire délibérée, laquelle est effectuée dans le cadre d’une série d’exercices de groupement tactique (BGX), dont les deux premiers sont connus sous le nom de BGX 1.1 et BGX 1.2. Ces exercices initiaux constituent la base du parcours que les stagiaires suivront à mesure qu’ils·elles acquerront une compréhension de la mise en œuvre et de l’application de l’appréciation, un cadre pour comprendre la situation tactique et élaborer un plan. Il s’agit d’une excellente instruction initiale qui permet aux stagiaires de bien comprendre comment tenir compte des facteurs clés et d’établir un plan à partir de leurs déductions. Toutefois, le plan qui en résulte n’est pas utilisé de manière fonctionnelle suite à son élaboration. Il est habituellement écarté lorsque les stagiaires progressent dans leur apprentissage au moyen de BGX subséquents.
Après avoir déterminé qu’il y avait des possibilités d’apprentissage supplémentaires en exécutant les plans élaborés par les stagiaires, j’ai cherché des méthodes pour y parvenir. Ainsi, pendant le dernier COAT enseigné, j’ai présenté une séance de jeu de guerre tactique après les BGX 1.1 et BGX 1.2. Mon but était de combler l’écart entre la planification et l’exécution, et de créer un environnement d’apprentissage dynamique et expérientiel pour les stagiaires. J’étais d’avis qu’en soumettant leurs plans à un jeu de guerre, les stagiaires auraient l’occasion de déterminer si leur compréhension de la situation et les déductions qu’ils·elles ont faites en fonction de facteurs liés correspondaient aux résultats potentiels de l’opération.
Le jeu de guerre comme outil d’apprentissage
Le jeu de guerre est un outil qui peut être utilisé pour visualiser, tester, évaluer et peaufiner des approches tactiques dans un environnement contrôlé. Ainsi, il s’agit d’un excellent outil pédagogique pour l’éducation militaire[2]. Il existe plusieurs concepts qui font des jeux de guerre un outil idéal pour le COAT, en particulier.
- Apprentissage par l’expérience : En règle générale, les officier·ères subalternes de l’Armée ont un bagage d’apprentissage de leur profession sur le terrain. Un environnement d’instruction qui leur permet de mettre à l’épreuve leurs compétences de prise de décisions et leurs compétences techniques leur est familier. Pendant la majorité des exercices de la série BGX, le programme d’étude est théorique et axé sur l’établissement de déductions théoriques en fonction du problème tactique et de la situation. Grâce au jeu de guerre, les stagiaires peuvent appliquer ces connaissances théoriques dans la pratique et apprendre des résultats produits. Passer de la théorie à la pratique est une étape transformatrice et essentielle pour les stagiaires.
- Gestion des risques : Il est facile de créer un plan en vase clos lorsque les résultats de la planification ne sont pas évalués. Pendant le COAT, on rappelle constamment aux stagiaires que lorsqu’ils·elles élaborent des plans, ils·elles doivent toujours se rappeler que quelqu’un devra exécuter ce plan sur le terrain à un moment donné. Toutefois, il est difficile de maintenir cet état d’esprit dans un environnement d’enseignement. Le jeu de guerre offre un cadre pour examiner, comprendre et gérer les risques des opérations militaires dans un environnement contrôlé. Grâce à la simulation de l’environnement opérationnel, les stagiaires peuvent cerner les risques potentiels dans leurs plans et mettre à l’essai des stratégies d’atténuation; de plus, ils·elles peuvent acquérir une compréhension nuancée de la façon dont leurs plans se dérouleraient dans diverses conditions. Une telle compréhension est ce que nous attendons d’un·e officier·ère d’état-major au niveau du COAT.
- Prise de décisions : De par leur nature, les opérations militaires comportent divers degrés d’incertitude. Encore une fois, il est facile d’élaborer des plans qui n’auront pas de résultats. Il est utile pour les stagiaires de voir rapidement que les plans qu’ils·elles créent peuvent ne pas s’adapter pleinement à la situation (et alors leurs objectifs opérationnels ne seront pas atteints) et de comprendre qu’ils·elles devront prendre des décisions tout au long de l’exécution qui pourraient ne pas être parfaitement conformes à leur plan. Même le jeu de guerre le plus simple oblige les stagiaires à prendre des décisions dans des environnements incertains et à prendre rapidement en considération des facteurs qu’ils·elles ont peut-être négligés dans le processus de planification. Le fait de devoir prendre des décisions en temps réel, décisions dont ils·elles n’avaient pas tenu compte pendant le processus de planification, les aide à s’orienter vers des niveaux d’analyse plus élevés. Dans les futures séances de planification, les stagiaires peuvent intégrer ces connaissances acquises au moyen des jeux de guerre.
L’expérimentation utilisant des jeux de guerre pendant le COAT
Au début de 2024, j’ai intégré un programme expérimental de jeu de guerre aux BGX 1.1 et BGX 1.2. À l’aide d’un ensemble de règles de jeu de guerre que j’ai empruntées au 1er Groupe-brigade mécanisé du Canada et au Lcol Cole Petersen[3], j’ai adapté l’ensemble de règles aux fins du COAT et j’ai commencé à exécuter les plans des stagiaires des BGX par rapport à leurs modes d’action ennemi (ECOA) évalués. Cela a fourni aux stagiaires un environnement d’apprentissage facilité au sein duquel ils·elles ont pu observer les résultats de leurs plans et prendre des décisions dans un environnement contrôlé et à faibles conséquences. En exécutant leurs plans par rapport aux ECOA évalués, les stagiaires ont pu rapidement acquérir une compréhension de la synchronisation, des incidences du terrain, des effets des armes et du risque, ce qu’ils·elles n’auraient pas été capables de faire au moyen d’une discussion théorique sur le processus d’appréciation et l’élaboration du plan. Les jeux de guerre ont permis aux stagiaires de se plonger dans la dynamique du champ de bataille et les environnements incertains qui ont eu une incidence importante sur le calendrier et l’ordre des opérations, ce qui a influencé les résultats d’une manière inattendue ou non envisagée dans le cadre de leur processus de planification.

Légende: les candidats de l'AOC 50 discutent du placement des unités et de l'effet des armes.
L’importance de comprendre les résultats pratiques
L’un des principaux avantages des jeux de guerre est la capacité de visualiser la façon dont un plan créé dans une bulle théorique peut se dérouler dans la pratique. Bien que les scénarios théoriques fournissent une base de compréhension, ils peuvent souvent sembler abstraits et déconnectés de la réalité. Les jeux de guerre permettent également aux stagiaires de passer de la théorie à un scénario immersif où les décisions qu’ils·elles prennent lors de la planification ont des conséquences concrètes. Le processus d’apprentissage par l’expérience démontre aux stagiaires que leurs plans ont des résultats et qu’ils·elles doivent tenir compte des facteurs de manière efficace afin d’obtenir des résultats positifs. Cela les place également dans un état de compétition avec leurs pairs qui jouent le rôle de l’ennemi, ce qui augmente la mise en ce qui concerne l’élaboration d’un plan qui sera couronné de succès et la prise de bonnes décisions afin de gagner. La nature conflictuelle du jeu de guerre montre aux stagiaires que même s’ils·elles ont un « bon » plan d’un point de vue théorique, l’ennemi pourrait aussi avoir un « bon » plan ou même un « meilleur » plan. Dans ces cas, la planification est essentielle pour orienter la prise de décisions dynamique à laquelle les stagiaires peuvent participer et de laquelle ils·elles peuvent apprendre.
- Compréhension de la situation : Le processus d’appréciation est fondé sur la détermination et la prise en compte des facteurs clés qui entraînent des déductions qui éclairent un plan. Pour effectuer ce processus, les stagiaires doivent être en mesure de comprendre l’environnement opérationnel et les facteurs qui sont pertinents pour leur problème tactique précis. Cependant, s’ils·elles n’exécutent pas les plans qu’ils·elles ont élaborés, les stagiaires ne sont pas en mesure de confirmer qu’ils·elles ont bien compris. Le jeu de guerre plonge les stagiaires dans le scénario et leur donne l’occasion d’observer comment leur plan interagit avec ces facteurs dans un environnement simulé. Ce processus itératif a aidé les stagiaires à affiner leur compréhension des facteurs clés et des déductions, et de la manière dont ces déductions ont influencé la réussite de leur planification.
- Détermination des faiblesses : Comme pour le développement de leur compréhension globale de la situation, le jeu de guerre a permis aux stagiaires de cerner les faiblesses de leurs plans. Le jeu de guerre a permis de remettre en question les hypothèses et les déductions que les stagiaires ont faites pendant le processus de planification et leur a permis de déterminer rapidement les points à améliorer dans leurs plans. Traditionnellement, ces faiblesses seraient cernées et discutées par le directeur ou la directrice de groupe d’étude (DGE) au CCEMAC. Cependant, grâce au jeu de guerre, les stagiaires cernent ces faiblesses en mesurant leur plan à leur propre évaluation de l’ennemi. Cette auto‑réflexion et leur acceptation de la responsabilité des points à améliorer semblent accroître la compréhension des stagiaires et leur volonté de mettre en application ces leçons dans les cycles de planification futurs. Cela s’applique non seulement à leur processus d’élaboration du mode d’action (COA) et de planification, mais aussi à leur compréhension de la façon dont l’ennemi mène ses opérations dans le cadre du scénario.
- Coordination : Le fait de bien comprendre l’importance des articulations interarmes et la nuance des effets de synchronisation est un défi dans un environnement purement théorique. Grâce au jeu de guerre, les stagiaires sont en mesure d’observer ces deux concepts dans une situation simulée et de combler plus rapidement l’écart entre la théorie et la pratique. En exécutant les opérations planifiées dans le cadre d’un jeu de guerre, les stagiaires acquièrent une compréhension de la gestion des ressources ainsi que de l’attribution et de l’établissement des priorités dans le temps et l’espace pour atteindre leurs objectifs. Ils·elles le font en théorie dans le cadre du processus de planification, mais dans le cadre du programme d’étude standard du COAT, ils·elles n’ont pas la possibilité de valider leurs plans autrement que par la rétroaction du·de la DGE.
- Développement de la pensée adaptative : Les opérations militaires sont dynamiques et imprévisibles. Pour faciliter l’apprentissage, il est essentiel d’aborder les problèmes tactiques dans une optique statique pour bien comprendre chaque étape du processus de planification et la façon dont elles fonctionnent en symbiose les unes avec les autres. Toutefois, cette approche doit être contrebalancée par la culture de la pensée adaptative chez les stagiaires en leur demandant de travailler sur des scénarios qui nécessitent une prise de décision rapide et éclairée et qui exigent la capacité de s’adapter à des circonstances changeantes. Pendant le jeu de guerre, les stagiaires ont rencontré des défis et des facteurs imprévus qu’ils·elles n’avaient peut-être pas envisagés de manière appropriée. Ces situations ont nécessité que les stagiaires réfléchissent rapidement, qu’ils·elles comprennent bien l’étendue des facteurs, adaptent leurs plans et élaborent des solutions novatrices afin de réussir. En s’exerçant tôt dans le cours au moyen de méthodes nécessitant peu de ressources, comme le jeu de guerre, les stagiaires sont mieux préparé·es à faire face aux complexités futures liées à la planification, à la simulation numérisée et aux opérations réelles ultérieures. Cela diffère des jeux de guerre standard sur les modes d’action (COA) et les jeux de guerre standard sur le plan qui font partie du processus de planification opérationnelle et qui sont appris dans le cadre du COAT. Les jeux de guerre tactiques sont une méthode qui permet d’introduire le chaos et le hasard des combats réels dans un concept autrement théorique du combat. Les stagiaires apprennent rapidement que leur plan « parfait » peut ne pas se dérouler comme ils·elles le pensent, mais qu’au moyen du processus de planification, ils·elles sont en mesure de comprendre leur environnement et de s’adapter rapidement à des circonstances changeantes.
Prochaines étapes
Au cours des premières itérations des jeux de guerre tactiques pendant le COAT, les commentaires des stagiaires et des DGE ont été généralement positifs. À mesure que les stagiaires ont acquis une meilleure appréciation des résultats, ils·elles se sont investi·es plus personnellement dans leur processus de planification. Le programme a incité les stagiaires à tenir compte de facteurs différents de ceux qu’ils·elles auraient autrement pris en compte, car ils·elles ont pu appliquer les leçons tirées des jeux de guerre précédents à leur cycle de planification actuel. De plus, les stagiaires sont devenu·es investi·es dans l’amélioration des règles et des scénarios des jeux de guerre pour les rendre encore plus immersifs et réalistes qu’ils ne l’étaient au début du programme. Tout cela indique que les stagiaires avaient un plus grand intérêt à participer au processus de planification en général et à bien percevoir les problèmes tactiques présentés pendant le cours. À l’avenir, une étude longitudinale devrait être menée afin d’évaluer les effets des jeux de guerre sur les résultats et le rendement des stagiaires. Cette évaluation du programme devrait valider l’utilité des jeux de guerre en tant qu’outil pédagogique au-delà des preuves anecdotiques et orientera l’amélioration du programme dans son ensemble.
Les jeux de guerre peuvent varier considérablement sur le plan de l’envergure et de la complexité. Cette initiative expérimentale de jeux de guerre a été intentionnellement gardée simple et conçue pour ne pas nécessiter de compétences ou de connaissances particulières avant de jouer (à l’exception d’une compréhension générale de la doctrine militaire que nous attendons de tout·e stagiaire du COAT). Elle a également été conçue pour être rentable; elle utilise du papier pour imprimante de 8½ x 11 po pour créer des pièces de jeu et est jouée sur une carte ayant une échelle de 1/50 000. Bien que certains jeux de guerre soient très complexes et nécessitent des ressources importantes pour jouer, les jeux de guerre tactiques peuvent souvent être très simples à construire et à jouer. Les gains découlant des jeux de guerre tactiques, comme celui mis en œuvre dans le COAT, peuvent être considérables.
L’intégration du jeu de guerre à titre d’essai dans le COAT a aidé à combler l’écart entre l’exécution théorique et l’exécution pratique. En plongeant les stagiaires dans des environnements dynamiques, le jeu de guerre leur a permis de faire l’expérience de la prise de décisions et de la gestion des risques et d’adapter leur processus de pensée. Cela a contribué au regroupement des connaissances et représente le complément des méthodes traditionnelles d’enseignement utilisées tout au long du cours. Les connaissances acquises grâce à cette initiative peuvent être appliquées aux programmes de perfectionnement professionnel à l’échelle de l’Armée canadienne, car les avantages des jeux de guerre vont au-delà que simplement le COAT. Grâce à l’immersion continue dans des scénarios dynamiques, les militaires à chaque échelon peuvent améliorer, de manière itérative, leurs habiletés tactiques au fil du temps. De plus, ces avantages sont accentués, car ils favorisent une culture de l’amélioration continue et de la préparation, culture qui est essentielle à tous les niveaux.
Pour en lire davantage sur les jeux de guerre :
- Educational Wargaming: Design and Implementation into Professional Military Education (en anglais seulement), article rédigé par le Major P. C. Combe II dans le journal Marine Corps University Press
- NATO Wargaming Handbook, 2023 (en anglais seulement)
- Ministry of Defence Wargaming Handbook, 2017 (en anglais seulement)
- The Art of Wargaming: A Guide for Professionals and Hobbyists. Peter P. Perla (2012) [première publication en 1990]. John Curry (éd.) [en anglais seulement]
- Bae, Sebastien. Forging Wargamers: A Framework for Wargaming Education, USMC University (en anglais seulement)
Endnotes
- B-GL-300-003/FP-002, Le commandement dans les opérations terrestres (RED seulement) L’appréciation de la situation. L’appréciation constitue le principal outil de la prise de décisions du commandant et de l’état‑major. Après l’analyse de mission, le commandant, aidé de son état‑major, évalue tous les facteurs pertinents, ce qui débouche sur l’évaluation des tâches et l’examen des plans d’action possibles. Lorsque le commandant peut compter sur un état-major, ce dernier l’aide à s’acquitter de ces fonctions. Le commandant prend par la suite sa décision en choisissant l’un des plans d’action. Par la suite, l’état‑major exécute la planification détaillée, ce qui entraîne une directive ou un ordre d’opération. À n’importe quel stade de la procédure de combat, on peut réviser la mission ou le plan à l’aide de l’analyse de mission.
- Fowler, Michael. Wargames as Pedagogical Tools: Using Wargames for Higher Education, 17 Aug 23
- Les règles établies ont été présentées sur un site Web non gouvernemental et non affilié aux FAC, PAXsims.

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