Terrain vital de la modernisation : Stratégie numérique

Vision du commandant à l’égard de la transformation

  1. Lorsque nous avons publié Engagés vers l’avant :
    la stratégie de modernisation de l’Armée canadienne (SMAC) il y a un peu plus d’un an, notre ancien commandant — maintenant le chef d’état-major de la défense, le général Wayne Eyre — a fait la déclaration suivante dans son mot d’ouverture « l’Armée que nous avons n’est pas celle dont nous avons besoin » pour gagner dans le futur espace de bataille tous domaines. Les activités de mise en œuvre du programme de changements prescrit dans la SMAC, dessinent de plus en plus cette « armée dont nous avons besoin, » et il appert qu’une transformation numérique est fondamentale à presque tous les aspects de cette modernisation. Très honnêtement, je crois que sans un virage numérique considérable, l’Armée canadienne (AC) ratera sa cible.
  2. À la lumière de ce constat, il est évident que l’incorporation de notre transformation numérique dans l’une des 20 initiatives de la SMAC ne permet pas d’insister suffisamment sur le caractère essentiel de la transformation numérique à notre programme de modernisation. La transformation numérique revêt une importance capitale pour tous les aspects de la SMAC. Tout comme l’équipe de combat qui est le terrain vital de l’entraînement de l’AC, la transformation numérique mérite le titre de Terrain vital de la modernisation de l’AC, de même que sa propre stratégie : parallèle, complémentaire et essentielle à la SMAC.
  3. Une chose est claire : l’objectif de notre transformation numérique n’est pas de transformer nos outils numériques actuels en de meilleurs outils numériques. Il nous faut changer l’ensemble de notre relation avec la technologie, et faire passer l’AC d’une organisation analogique basée sur d’anciens outils, structures, processus, modèles de gouvernance et de culture de l’ère industrielle à une véritable organisation axée sur les données et l’innovation qui utilise au maximum le potentiel militaire des solutions numériques pour influencer le combat en notre faveur — au bureau et sur le terrain.
  4. Le champ de bataille moderne est de plus en plus saturé de capteurs de toutes sortes. Les systèmes d’information et les réseaux d’information intégrés et interopérables fournissent l’élément essentiel de notre capacité de guerre moderne. En effet, la très grande majorité de ce que nous faisons tourne autour de la technologie. Pensons notamment à la façon dont vous lisez présentement ce document, à la façon dont un contrôleur aérien avancé demande un appui aérien rapproché à l’aide d’une appli en plein échange de tirs, à la façon dont nous préparons les prévisions financières pour orienter les décisions en matière d’approvisionnement. Et dans ce domaine, nous devons faire nettement mieux.
  5. Nos alliés et nos adversaires intègrent de plus en plus les technologies avancées comme l’intelligence artificielle (IA) et l’apprentissage machine (AM) dans leurs processus institutionnels et opérationnels afin d’optimiser les capacités existantes, permettre des prises de décisions axées sur les données et générer de nouvelles capacités tout en réduisant la charge de travail cognitive en vue d’un réinvestissement dans des activités à valeur ajoutée. L’intégration et l’expérimentation numériques à grande échelle ont déjà permis de démontrer que pour fermer la boucle capteur-effecteur, les méthodes actuelles à leur meilleur ne font pas le poids aux feux rendus possibles par l’IA. Je crois que les ouvrages d’histoire militaire de demain décriront la transformation numérique comme l’une des plus grandes avancées militaires, au même titre que l’invention de la mitrailleuse, de la mécanisation ou du télégraphe. Elle viendra révolutionner la façon dont nous combattons.
  6. Les innovations technologiques s’accélèrent et convergent pour créer de nouvelles capacités dont nous pourrons tirer profit uniquement si nous transformons notre relation avec la technologie en une interaction plus symbiotique. Le présent document stratégique vise à jeter les bases des engagements et des décisions au niveau stratégique nécessaires pour publier un plan de mise en œuvre harmonisé au Plan de la campagne numérique à venir des FAC. Nous devons nous attaquer à ce dossier de façon urgente, et je sollicite votre engagement afin de faire avancer cette discussion fondamentale en vue de saisir le terrain vital de notre modernisation.

SEARS – Faillite numérique

En 1969, Sears Était Le Plus Grand Détaillant Au Monde. Les ventes de Sears représentaient 1% de toute l’économie américaine; les 2/3 de la population y faisaient des achats. En 2005, Sears avait un chiffre d’affaires de 55 milliards de dollars. Pourtant, en 2018, l’entreprise a déclaré faillite suite à deux décennies de difficultés financières en raison du repli des ventes. Nombreux sont les gens qui croient que l’échec de Sears est dû à sa réticence face à l’innovation. Or, l’innovation représentait une importante composante de l’identité d’affaires de l’entreprise. Elle a fait œuvre de pionnière dans le commerce de détail; Sears a été la première entreprise à voir les chemins de fer comme une occasion de développer davantage sa clientèle. Elle a inventé le catalogue de vente par correspondance et a lancé la première carte de crédit de commerçant, laquelle a connu un succès retentissant. Forte d’une riche histoire dans le domaine de l’innovation, c’est en fait la gouvernance de Sears qui a mené à sa perte. La structure organisationnelle de l’entreprise comptait de nombreuses divisions, et des cadres dirigeaient plus de 30 départements (pneus, appareils électroménagers, vêtements, etc.). Ces départements fonctionnaient pratiquement comme des entreprises indépendantes en concurrence l’une avec l’autre pour du financement et des projets. Bien que cela leur permettait de s’ajuster rapidement, leur modèle de gouvernance n’était pas adapté pour faire face à la nouvelle tendance technologique et leur manque de souplesse a rendu la transformation numérique impossible. Plutôt que de s’appuyer sur un environnement opérationnel consolidé, centralisé et numérique, l’entreprise comportait différents écosystèmes numériques pour chaque division. Aucune architecture, harmonisation, ni stratégie générale. Il en a résulté une infrastructure numérique compétitive et accompagnée d’un dédoublement massif de systèmes et d’investissements inutiles dans l’ensemble de l’entreprise. Les coûts et les inefficacités sont devenus endémiques en raison du fait que Sears a refusé d’adopter une approche numérique consolidée.

Leçon : Le passage au numérique n’est pas une panacée; si tout n’est pas fait comme il se doit, les choses peuvent très mal tourner.

Des blocs lego numériques?
Un ensemble de blocs lego, nous sommes bien loin du numérique, non??  En 2003, l’entreprise LEGO analogique dont le modèle d’affaires était dépassé était au bord de la faillite. Les dirigeants de l’entreprise se devaient d’adopter une approche différente et ont décidé de mettre la transformation numérique en avant-plan – la stratégie corporative et la stratégie numérique de l’entreprise sont devenues une seule et même stratégie. Depuis, les affaires de LEGO prospèrent. L’entreprise a investi une somme considérable dans les jeux et les applications mobiles ainsi que les films, combinant ainsi les univers physique et numérique. Elle a expérimenté l’impression 3D, qui permet aux consommateurs de créer leurs propres produits. De plus, l’entreprise travaille continuellement à la recherche et au développement, en ajoutant notamment des capteurs et d’autres éléments sophistiqués à ses blocs pour satisfaire les consommateurs avisés sur le plan numérique. L’entreprise a même conçu une application basée sur l’IA qui utilise la reconnaissance visuelle pour transférer des photos en modèles LEGO. Une autre appli permet également aux enfants d’apprendre à créer des codes. LEGO est un exemple d’entreprise qui s’est complètement réinventée et qui s’est transformée sur le plan numérique. Grâce à ce processus, elle a réussi à rétablir sa réputation et à devenir la marque ayant la plus grande valeur dans le monde.

Leçon : un leadership qui « est partie prenante » est essentiel à une transformation numérique bien exécutée et réussie.

Qu’est-ce que la transformation numérique?

  1. On peut définir la transformation numérique comme une transformation organisationnelle fondamentale qui se produit lorsqu’une organisation s’engage à établir une nouvelle relation symbiotique entre ses affaires et sa technologie, en utilisant l’un pour accélérer l’autre, dans un cycle perpétuel d’innovation et de renouveau.

    La transformation numérique s’opère généralement dans une séquence et passe par la numérisation initiale, l’optimisation numérique et la transformation numérique.

    (Comme l’indique le tableau suivant)

Séquence Description Exemple–espace de
bureau
Exemple–espace de
combat
Numérisation

Cette étape essentielle désigne la conversion délibérée d’un élément non numérique à une représentation ou à un élément numérique.

Les militaires remplissent le formulaire CF-100, Autorisation de congé sur leur ordinateur, l’impriment, le signent et le remettent à leur superviseur pour qu’il le traite.

Un outil logiciel remplace un babillard avec une carte, papier-calque et crayon gras afin de situer les positions amies et les positions ennemies connues. L’officier de service utilise un clavier et une souris pour saisir les données sur l’emplacement qu’il reçoit par radio plutôt qu’avec un crayon gras. L’image commune de la situation opérationnelle (ICSO) a été numérisée. L’état-major du poste de commandement (PC) continue de faire le même travail.

Optimisation
numérique

Lorsque les données sont numérisées, les systèmes évoluent afin d’aider à consommer et à découvrir l’information plus efficacement. La productivité et l’efficacité augmentent, améliorant ainsi le processus opérationnel actuel en venant compléter les actions humaines sans les transformer.

La même autorisation de congé est présentée dans le Système de soutien administratif militaire, ce qui permet de remplir les champs de données de façon semi-automatisée. Les superviseurs et les administrateurs peuvent alors traiter les autorisations de congé sans avoir des copies papier. Le processus d’autorisation de congé demeure le même par rapport à l’ère pré-numérique; c’est le même flux de travaux, mais il est entièrement optimisé pour le numérique.

Un logiciel moderne est ajouté à l’ICSO numérisée avec des réseaux tactiques solides. Cela permet l’automatisation des comptes rendus de positions de la force amie et les mises à jour de la position de la force ennemie directement à partir de données de capteurs et de saisies dans les outils numériques par les forces amies déployées à l’avant. Cette ICSO automatisée libère l’officier de service, qui peut se concentrer sur des enjeux d’ordre supérieur, notamment l’évolution du combat vers les points de décision du commandant et la recherche d’occasions à exploiter. Cette façon de procéder n’entraîne pas de changement considérable aux rôles et aux responsabilités du personnel du PC.

Transformation
numérique

De nombreuses organisations ont de la difficulté à aller au-delà de l’optimisation. Toutefois, en forgeant une nouvelle relation symbiotique avec la technologie, une organisation peut se transformer sur le plan numérique, et réinventer la façon dont les objectifs sont accomplis et accélérer l’ensemble des activités.

Le formulaire CF-100 est retiré, et les responsabilités du personnel administratif (à l’égard des autorisations de congé) sont retirées. Lorsqu’un militaire crée un événement dans son calendrier et qu’il l’identifie comme un « congé », son superviseur reçoit immédiatement une notification. Lorsque le congé est approuvé, le système envoie automatiquement une alerte au militaire et la banque de congés est ajustée en conséquence.

Les données brutes de tous les capteurs disponibles dans la région et à l’emplacement, relativement au champ de tir, aux munitions, à disponibilité, et au temps d’effet de tous les effecteurs sont continuellement communiqués à l’algorithme d’IA. À la détection d’un ennemi, l’IA identifie automatiquement la cible, choisit l’effecteur le plus approprié et le place dans la file d’attente, demande à l’autorité pertinente d’engager. Accompagnant cette demande, une évaluation des dommages collatéraux fondée sur les données d’un algorithme d’apprentissage machine qui a évalué un répertoire d’engagements antérieurs semblables. Les rôles du personnel au quartier général ne sont plus les mêmes; l’organisation a subi une transformation numérique.

Moteurs de changement

  1. Moteurs de la guerre terrestre. L’idée voulant que pour gagner dans l’espace de combat, l’on doit gagner dans l’espace de décision, n’est pas nouvelle. Ce qui est nouveau, c’est la croissance exponentielle de l’effort requis pour réussir dans l’espace de décision en raison de la quantité incroyable de données générées par le personnel et les capteurs, conjuguée à l’expansion et à l’intégration d’actions militaires potentielles à de nouveaux domaines de la guerre, comme la cybernétique, l’espace et l’environnement de l’information. Le seuil à franchir pour remporter l’espace de décision s’est simplement déplacé au-delà de la capacité de traitement de l’humain, alors pour gagner, la technologie doit jouer un rôle en constante croissance dans la production de l’avantage décisionnel nécessaire. Les alliés, les partenaires et nos ennemis adaptent constamment leurs tactiques, stratégies et technologies numériques pour accélérer la prise de décisions du commandant, ce qui accroît la létalité. Si nous ne pouvons pas interopérer avec nos alliés grâce à l’échange de données brutes, nous restreindrons les occasions de projection de la puissance qui s’offrent à notre gouvernement et nous serons incapables de contribuer au soutien de la coalition envers des intérêts nationaux. Les principaux moteurs de la guerre terrestre comprennent :
    1. Le caractère changeant des conflits (dans l’ensemble des domaines). Les conflits ne se limitent plus aux domaines traditionnels soit la mer, la terre, l’air et l’espace. Le cyberdomaine et l’environnement de l’information revêtent une importance accrue pour ce qui est d’influer sur l’issue d’un conflit, comme on peut le voir avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie. La connaissance de la situation dans l’ensemble des domaines sera cruciale pour la prise de décisions, et on ne pourra l’atteindre que grâce à la transformation numérique.
    2. Risque pour l’interopérabilité et la pertinence durables. Nos alliés clés se transforment sur le plan numérique — et rapidement. Sans un effort comparable de la part de l’AC, c’est notre pertinence même comme allié fiable qui sera compromise.
    3. Saturation et automatisation des capteurs. Les outils, véhicules, ressources et armes militaires modernes deviennent de plus en plus automatisés, mais ils fonctionnent aussi en tant que plateforme de collecte de données. Nous devons créer, conserver et exploiter le plus possible de ces données pour avoir un avantage décisionnel dans un champ de bataille dynamique.
  1. Moteurs institutionnels de l’armée. On attend de l’AC qu’elle soit la gardienne des intérêts canadiens. Bien que certains outils numériques aient déjà été intégrés aux processus décisionnels, il y a d’autres moteurs institutionnels, notamment :
    1. Résultats et intendance. L’automatisation de la collecte de données, une meilleure gestion des données et de nouveaux outils analytiques et de production de rapports permettront d’avoir de meilleures décisions et de meilleurs rapports.
    2. Recrutement et maintien de l’effectif. Les nouvelles générations de soldats sont de plus en plus avisées en matière de technologie, et entrent dans le marché du travail sans jamais avoir connu le monde prénumérique. L’AC produit du personnel avec d’importantes attentes en matière d’intégration technologique qui, autrement, pourraient causer de la frustration et nuire au maintien de l’effectif.
    3. Les outils modernes d’une armée numérique devraient refléter les technologies du monde réel, sur le plan de l’intuition et de la fonction; cela rehaussera l’expérience numérique du soldat tout en réduisant la courbe d’apprentissage institutionnel.
    4. Politique. Depuis 2017, nombre de politiques du MDN et de l’AC ont exigé la modernisation des procédés administratifs de la Défense afin de mieux correspondre aux attentes du GC quant aux services numériques. La transformation numérique des processus et des capacités orientera l’amélioration des politiques, ce qui offrira des occasions d’optimiser les dépenses de défense en permettant des prises de décisions fondées sur les données qui créeront des gains d’efficience et amélioreront la Force.
  1. Moteurs technologiques. La technologie est menée par le marché commercial et elle s’accélère à un rythme que l’AC ne peut pas suivre. Nous devons chercher à tirer parti des solutions innovatrices élaborées dans le secteur public et les adapter pour répondre à nos besoins. Plusieurs technologies complémentaires sont sous-jacentes aux moteurs institutionnels de combat et environnementaux qui atteignent simultanément des niveaux de maturité et dont les coûts à la baisse sont favorables à l’intégration. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une liste exhaustive, la convergence des technologies indiquées ci-après, conjuguée à d’autres trop nombreuses pour être nommées, accélérera l’innovation, conférant à l’AC des avantages nets s’ils sont exploités, et des désavantages potentiellement plus clairs dans le cas contraire :
    1. Intelligence artificielle et apprentissage machine (IA/AM). Les volumes sans précédent de données brutes ne peuvent être traités pour en faire des renseignements concrets que par le travail en équipe homme-machine. L’automatisation de l’exploration des données par IA/AM permet aux commandants de traiter des quantités bien plus importantes d’information tout en diminuant leur charge cognitive. Cela produit un avantage décisionnel et une augmentation explosive de la vitesse et de la précision de la conduite de la guerre.
    2. Mégadonnées. Le monde numérique repose sur des quantités de données sans précédent (qu’on appelle les mégadonnées ou « Big Data »). Cela exige de nouvelles procédures et de nouveaux procédés pour garantir un accès fiable et en temps opportun aux données — le fondement d’une organisation numérique. Comme le champ de bataille devient de plus en plus saturé de capteurs, l’AC doit exploiter les développements en équipements de communication pour accroître la quantité de données et la vitesse à laquelle elles sont traitées (5G, Internet des objets, etc.).
    3. Technologies riches de présence virtuelle (réalité augmentée, virtuelle et mixte (RA/RV/RM)). Les technologies de présence virtuelle de la prochaine génération permettront la dispersion massive des commandants et états-majors, faciliteront la collaboration à distance, la visualisation du champ de bataille et la planification opérationnelle sans offrir de cible évidente à l’ennemi. Les postes de commandement pourront se disperser sans perdre d’efficacité, avec des éléments dissimulés au grand jour, attachés à d’autres groupements.
    4. Tout en tant que service (XaaS). L’industrie des solutions numériques est en cours de pivot important, passant de ventes de produits matériels à un modèle de prestation de services. De la pléthore de services infonuagiques à des services de grande valeur comme un « centre de gestion des incidents comme service », cette tendance perturbera grandement le paradigme actuel d’acquisition de capacités de l’AC, offrant des solutions perpétuellement mises à jour par opposition à des relations figées entre les produits.

Obstacles au changement

  1. Les points suivants décrivent les obstacles à notre réussite auxquels il faut s’attaquer :
    1. Culture et littératie numériques. Une transformation numérique réussie repose sur la littératie et la culture. Outre quelques innovateurs et les utilisateurs précoces parmi nous qui sont nos « avant-postes numériques », dans l’ensemble, en tant qu’institution, nous avons encore à adhérer à une culture numérique, et beaucoup d’entre nous ont même du mal à reconnaître l’écart entre notre culture actuelle et la culture numérique dont nous avons besoin — sans oublier qu’il faut comprendre pourquoi nous en avons besoin en premier lieu. Cela signifie que beaucoup de vos perturbateurs numériques éventuels — pleins d’idées et prêts à mettre en œuvre de nouveaux outils qui amélioreraient radicalement notre production — se sentent découragés plutôt qu’habilités et validés. Cela doit changer, c’est une condition préalable à la réussite. Une culture numérique est une culture où l’on encourage les personnes et les équipes à remettre en question le statu quo et à réévaluer, à partir de principes de base, tout ce qu’elles font et chaque problème rencontré dans une optique numérique — laquelle repose sur la littératie numérique. On leur donne le courage d’essayer de nouvelles façons numériques de produire des résultats, et elles n’ont pas peur d’expérimenter et d’« échouer pour avancer », afin d’en arriver éventuellement à la solution de transformation optimale.
    2. Manque de leadership sur le plan numérique et développement inefficace des capacités numériques.
      C’est vraisemblablement le plus gros obstacle mis à part la culture. La documentation accessible sur la transformation numérique, y compris les leçons provenant d’alliés, souligne la nécessité d’un leadership central et spécialisé venant du niveau supérieur de l’organisation. Le succès exige que le numérique devienne un secteur préoccupant tangible « des cadres supérieurs » et que la direction soit « partie prenante ». Voilà pourquoi il est fortement recommandé que l’AC envisage d’investir dans un Bureau de la transformation numérique, dont le directeur de la stratégie numérique (DSN) relèverait directement du commandant de l’AC ou du commandant-adjoint de l’AC, au minimum, avec les autorités, responsabilités et responsabilisations appropriées afin de parler en amont, en aval, à l’interne et à l’externe pour le compte du commandant de l’AC. Sans ce leadership, l’AC ne sera pas en mesure d’influencer suffisamment les intervenants externes pour permettre la transformation, et les initiatives internes risquent d’être en décalage par rapport aux priorités organisationnelles. Peut-être pire encore, cela pourrait entraîner l’acquisition d’outils techniques qui ne sont pas exploités de façon transformative (les mêmes vieilles méthodes utilisant de nouveaux outils) pour tirer un rendement des investissements et, de ce fait, mettre à risque le succès de l’exercice en entier. Enfin, notre approche en cascade actuelle de l’ère industrielle en matière de développement des capacités, appliquée aux investissements numériques, est un grand obstacle au progrès pour lequel il faudra des engagements des principaux chefs à l’échelle du Ministère et du GC s’il l’on veut s’y attaquer.
    3. Limites de l’actuelle communauté de pratique numérique (capacité, fragmentation et confiance). Une organisation numérique a besoin d’experts en matière numérique pour devenir des conseillers éminents et des chefs à toutes les étapes des opérations pour créer, avec le responsable du processus, les versions numériques des différents méthodes permettant d’obtenir des résultats. L’AC a actuellement trop peu d’experts; ils sont trop fragmentés pour développer des approches communes, et notre actuelle « léthargie numérique » a miné la confiance entre les opérateurs et ces experts. Le changement culturel et une augmentation importante des ressources à l’égard des gens, de l’outillage et de la capacité de notre communauté de pratique numérique seront nécessaires pour surmonter ces difficultés.
    4. Difficultés institutionnelles des fac et du MDN. Les obstacles à la transformation numérique ci-après indiqués ne peuvent pas être pris en charge par l’AC seule. Ceci étant dit, beaucoup sont déjà pris en compte dans l’ébauche du Plan de campagne numérique des FAC, et l’AC peut jouer un rôle clé dans l’influence sur les changements nécessaires pour mieux permettre d’arriver à notre transformation numérique :
      1. Agilité de l’approvisionnement. L’actuel paradigme d’investissement dans les capacités recourant à une prépondérance de grands projets d’immobilisation rigides et très longs ne permet pas à l’AC de profiter d’un avantage technologique durable par rapport à un adversaire moins restreint, ni d’une parité avec des alliés qui bénéficient de politiques d’acquisition plus souples. L’on pourrait réaliser d’importantes économies tout en maintenant un plus haut degré de capacité technologique au fil du temps si un mécanisme d’acquisition plus agile était autorisé.
      2. Intégration des capacités interarmées. Comme il est décrit dans la SMAC, les besoins de l’environnement opérationnel exigent de l’AC qu’elle se niche au sein d’une force interarmées. Cela signifie que l’intégration des capacités à l’échelle de la collectivité interarmées sera d’une importance accrue pour la capacité de l’AC à générer une puissance terrestre. Il sera nécessaire que l’AC collabore avec la nouvelle cellule du Chef – Intégration des systèmes de combat du Vice-Chef d’état-major de la défense (VCEMD) pour faire en sorte que les capacités numériques axées sur les opérations terrestres puissent contribuer aux données interarmées et les consommer.
      3. Interopérabilité avec les alliés. Le paysage des programmes d’interopérabilité est complexe; plusieurs entités multinationales supervisant divers aspects de l’ensemble de problèmes, chacune ayant ses représentants opérationnels et techniques associés des FAC ou du MDN. La capacité de l’AC à se joindre à des coalitions et à combattre avec elles, qu’elles soient axées sur l’OTAN ou l’ABCANZ, dépendra de la collaboration continue entre les planificateurs de l’AC et ceux du sous-ministre adjoint (Gestion de l’information) [SMA (GI)], du SMA (Matériels) [SMA(Mat)], du SMA (Données, innovation et analytique) [SMA(DIA)], du VCEMD/Comité du Cabinet chargé de la sécurité et du renseignement (CISC), et du Commandement des opérations interarmées du Canada (COIC) en particulier.
      4. Changement du paysage de la sécurité de la technologie de l’information (TI). Comme le MDN et les FAC s’éloignent de la sécurité axée sur le périmètre pour aller vers une sécurité centrée sur les données et qu’ils cherchent à adopter des modes de gestion des produits numériques plus agiles, comme les processus de développement et d’exploitation ainsi que des plateformes axées sur les services plus centralisées, comme l’infonuagique, les politiques de sécurité devront être revues pour appuyer cette réalité. Comme le SMA (GI) possède les pouvoirs en matière de sécurité des réseaux de l’AC, il faudra une plus grande collaboration pour faire en sorte que la sécurité devienne un instrument opérationnel et non une entrave au progrès, tout en veillant à ce que le risque global demeure à des niveaux acceptables du point de vue de la cyberassurance de la mission.

État souhaité: une AC transformée par le numérique

  1. Puisque la transformation numérique en soi n’a pas d’état final, le présent document portera sur l’état souhaité. L’AC sera transformée par le numérique lorsqu’elle aura atteint les jalons suivants :
    1. de nouvelles méthodes de traitement, d’analyse, de présentation et d’exploitation des données, dans l’espace de combat et l’espace organisationnel, révolutionnent les cycles de décision-action;
    2. nous estimons à tous les niveaux que le numérique est un élément essentiel de notre armement (« numériquement armé »), à partir duquel nous exploitons notre avantage relatif (« ...  pour protéger notre avenir »);
    3. nous avons adopté une culture numérique d’expérimentation, d’innovation et de renouvellement perpétuel, avec une nouvelle synergie entre les communautés de science et technologie (S & T), du développement des capacités et les communautés opérationnelles – il faudra investir d’importantes ressources afin de contribuer à ces progrès constants et essentiels;
    4. nous ne percevons plus les solutions numériques comme étant statiques et mises en œuvre dans le cadre d’un projet d’immobilisation, mais plutôt comme un élément faisant partie de la solution à un problème tactique, opérationnel ou institutionnel que nous sommes en mesure de mettre en place/optimiser à tous les niveaux, ce qui nous permet de contrôler nos outils numériques;
    5. nous avons créé une main-d’œuvre numérique, en mesure d’optimiser et d’élaborer de nouvelles solutions numériques, ce qui nous permet d’être partie prenante de l’espace numérique;
    6. l’intégration avec les alliés est une capacité de « combat imminent » intégrée à la conception de tous nos systèmes numériques; et
    7. nous pouvons intégrer, synchroniser et visualiser nos effets du domaine terrestre dans le contexte plus vaste de l’ensemble des domaines et contribuer de façon importante aux résultats escomptés dans d’autres domaines, y compris dans l’environnement de l’information.
  1. L’état final souhaité est exprimé sous forme d’une série de cibles pour guider la conception granulaire d’un futur plan de mise en œuvre :
    1. CIBLE 1Pivot culturel vers l’innovation numérique. Nous avons adopté une culture numérique d’expérimentation, d’innovation et de renouvellement perpétuel.
    2. CIBLE 2Leadership numérique. L’AC dispose d’un bureau de leadership numérique, qui relève du Commandant de l’AC (ou à tout le moins du Commandant-adjoint de l’AC); il dirige et gère efficacement toutes les activités nécessaires à la transformation numérique de l’AC, est habilité à assurer l’harmonisation des efforts d’innovation et d’expérimentation à l’échelle de l’AC, tout en assurant l’harmonisation avec les FAC et le MDN, et les efforts plus larges du GC dans l’espace numérique.
    3. CIBLE 3Développement participatif de la force. Nos processus de prise en charge et de développement de solutions numériques se rendent au plus bas niveau, où les lacunes des outils analogiques se font lourdement sentir. Cela offre ainsi aux commandants et aux opérateurs la possibilité sans précédent d’agir en ce qui concerne l’outillage numérique.
    4. CIBLE 4Intégration de la technologie (aux processus opérationnels quotidiens). L’AC transforme progressivement les processus de combat et les processus opérationnels, par l’intermédiaire de la cyberassurance de mission, afin d’accélérer les résultats.
    5. CIBLE 5Interopérabilité. L’AC peut échanger de grandes quantités de données brutes avec les nations alliées dans un environnement tactique, afin d’alimenter les analyses et la prise de décision assistée par ordinateur.

Pour y parvenir?: De l’armée d’aujourd’hui à notre état souhaité

  1. LIGNE D’EFFORT (LE) 1Investir dans notre personnel. La plus grande force de l’AC est son effectif. Ce dernier doit être au premier plan de la transformation numérique en veillant à ce que les utilisateurs finaux soient engagés et connectés au développement de solutions numériques. L’AC doit promouvoir la culture numérique dans ses rangs tout en renforçant les compétences existantes et en recrutant de nouveaux talents. Cette LE comprend :
    1. l’amélioration de la littératie numérique parmi le personnel de l’AC;
    2. le recrutement et la gestion des talents numériques, y compris la modification proactive des spécifications des postes existants pour s’assurer que la formation et l’équipement reflètent adéquatement les situations réelles; et
    3. l’adoption du changement menée par une main-d’œuvre numérique.
  1. LE 2Optimiser les structures de l’AC et transformer nos processus. Les processus organisationnels et financiers de même que les processus de gouvernance doivent évoluer si nous voulons suivre le rythme de la transformation rapide que se doit d’adopter une force numérique. De plus, l’AC doit inverser sa tendance à se lancer dans des initiatives fondées sur les processus. Nous devons axer nos efforts sur la mission et nous rappeler que chaque mesure prise en faveur de l’innovation doit directement produire des effets. Cette LE comprend :
    1. le renforcement de la capacité de leadership numérique au sein de l’AC;
    2. l’adoption d’un modèle de gouvernance allégé et souple pour suivre le rythme de la croissance numérique exponentielle. Ce cadre remplace les grandes victoires par de petites victoires, ce qui supprime simultanément l’incidence des pertes;
    3. l’évolution de notre orientation actuelle sur les projets vers une pratique plus intégrée de gestion des programmes et des produits numériques;
    4. le renforcement et l’élargissement de nos partenariats militaro-industriels afin d’atténuer les pressions sur les ressources de l’AC (personnes, argent et temps);
    5. l’intégration d’ingénieurs et de développeurs de logiciels aux côtés de l’utilisateur final en adoptant un cadre de développement et d’opérations; et
    6. l’élan vers le changement transformationnel en encourageant l’expérimentation descendante habituelle. Les dirigeants doivent surmonter leur aversion à la perte en acceptant de prendre des risques calculés et en échouant pour mieux réussir.
  1. LE 3Renforcer notre relation avec les données. Au sein d’une AC numérique, les données sont le fondement de sa capacité à générer une puissance de combat. Les données de l’AC doivent être protégées tout en assurant un accès fiable au sein de chaque environnement opérationnel. Les données sont le carburant des systèmes numériques. Cette LE comprend :
    1. outiller la Force pour qu’elle transforme les données brutes en information utile au moyen de l’analyse automatisée des données (IA/AA);
    2. adopter, mettre en œuvre et atteindre des normes et des pratiques exemplaires de l’industrie en matière de gestion des données afin d’assurer la qualité et l’accessibilité des données utilisées dans les solutions numériques et la prise de décision;
    3. protéger les opérations de l’AC en sécurisant nos données contre l’adversaire numérique le plus coriace; et
    4. renforcer les opérations de l’AC en assurant un accès global et rapide à ses propres données et à celles des alliés.
  1. LE 4Moderniser notre technologie. Les investissements dans les capacités numériques doivent être effectués en pleine synergie entre les intervenants et il faut adopter une approche de programme holistique et intégrée plutôt qu’une approche de projet. Les initiatives numériques transformeront les processus et les flux de travail existants tout en retirant les anciens systèmes. Cela garantit la modernisation des forces sans toutefois surcharger le personnel du soutien technique du dédoublement d’écosystèmes ou d’écosystèmes parallèles. Cette LE comprend :
    1. l’intégration de nos systèmes de commandement et de contrôle actuels et futurs dans une architecture de réseau unifiée;
    2. l’exploitation de l’informatique en nuage;
    3. la simplification de l’expérience de l’utilisateur final en prenant en charge les dispositifs agnostiques;
    4. l’allègement des ressources en procédant à la sous-traitance lorsque cela est possible, et en recherchant tout en tant que service (EaaS), s’il y a lieu; et
    5. l’assurance que les efforts de développement des forces respectent une conception interopérable.

Conclusion

  1. À l’ère du numérique, une armée qui affronte les menaces au rythme des boîtes de discussion, des présentations powerpoint et des communications vocales ne pourra pas lutter efficacement aux côtés d’une armée qui mène ses opérations en s’appuyant sur une planification, une prise de décision et un ciblage en temps réel assistés par ordinateur. Elle ne réussira pas non plus à lutter contre une telle armée. Le présent document témoigne de notre engagement en tant qu’organisation à forger une nouvelle relation entre notre mission et la technologie – en utilisant l’une pour accélérer l’autre. Ensemble, nous accélérerons les efforts de l’AC en matière de transformation numérique. Nous intégrerons tous les aspects de la technologie afin d’améliorer la projection intelligente de la puissance terrestre dans le cadre d’un combat qui se mène de plus en plus dans l’ensemble des domaines. L’atteinte de l’état souhaité représentera un travail de grande envergure, qui ébranlera les fondements mêmes de l’AC actuelle. Cette idée peut faire peur, mais nous savons déjà, pour reprendre les mots de notre Chef d’état-major de la défense actuel, que « l’Armée que nous avons n’est pas celle dont nous avons besoin ». Par conséquent, nous devons forcément et fondamentalement changer la culture de l’AC pour en faire une culture du changement transformationnel, qui accepte délibérément de prendre des risques  lui permettant d’échouer pour mieux réussir plus tard. Nous transformerons notre façon de mener la guerre terrestre et de gérer l’armée institutionnelle. Cette transformation fera en sorte que nous sommes prêts à gagner à l’avenir, tant dans nos espaces organisationnels que sur le champ de bataille de demain.

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